Je venais de regagner l’appartement lorsque David Ferris apparut à côté de moi, sans doute pour me foutre dehors. Gueuler sur une rock star était sûrement mal vu dans ce genre de soirées.
– Hey.
David s’adressait à moi, tandis que son regard était braqué sur Lauren et Evie, retranchées de l’autre côté de la pièce. Quelque chose semblait poser problème : Lauren parlait avec les mains tout en infligeant à Evie des tapes dans le bras. Cette dernière ne paraissait pas s’en offusquer.
– Salut, répondis-je.
– Tu passes une bonne soirée ? s’enquit-il.
– Oui, super.
Il hocha la tête, toujours aussi décontracté.
– Cool, lâcha-t-il dans un murmure.
Les deux bières ajoutées à l’étrange conversation avec Mal m’avaient donné le tournis. Après tout, ce n’était peut-être pas une bonne idée de boire, surtout si on attendait de moi que je tienne des conversations sensées avec des célébrités sans les insulter comme une hystérique. La musique avait repris, les invités se mélangeaient, discutant avec entrain. Personne ne semblait s’être étonné de mon comportement. Peut-être qu’il arrivait fréquemment à Mal de prendre quelqu’un au hasard et de décortiquer sa vie. Les gens avaient déjà dû assister à ce genre de scène.
– Tu as discuté avec lui ? reprit David.
– Avec Mal ?
– Ouais.
– Ah, oui, confirmai-je, pourtant convaincue que tout le monde avait profité de notre échange.
– Mmmh.
À l’autre bout de la pièce, Evie éclata de rire. David avait un sourire énigmatique accroché aux lèvres.
– Vous vous êtes engueulés ?
– Oh non, pas vraiment, bredouillai-je. C’était rien du tout.
David se tourna vers moi et son front se rida. Son sourire s’était évanoui. Pendant un long moment, il ne fit rien d’autre que m’observer.
– Laisse tomber, fit-il avant de s’éclipser, me laissant abasourdie.
Avais-je commis un impair en discutant avec Mal ? C’était pourtant lui qui m’avait abordée. D’accord, je l’avais reluqué comme une psychopathe, mais c’était lui qui avait engagé la conversation. Et c’était aussi lui qui s’était mis à hurler le premier. On n’allait quand même pas me reprocher d’avoir passé un moment avec un des plus célèbres batteurs de la planète. Me revinrent alors à l’esprit le souvenir de Mal le regard perdu sur la ville et l’air soucieux qu’il avait affiché juste avant de recommencer à me taquiner. Il avait brusquement changé d’humeur. Et David qui cherchait à obtenir des informations…
De plus en plus bizarre.
Si l’argent et les conquêtes faisaient le bonheur, alors Mal devait être comblé. J’avais vu une photo de sa maison au bord de l’océan, à Los Angeles, et la presse regorgeait de clichés le montrant entouré de jeunes femmes légèrement vêtues. L’argent ne faisait pas tout, je le savais. En même temps, vu ma situation actuelle, j’aurais volontiers affirmé le contraire. Ce mec était célèbre, adulé dans le monde entier et avait un boulot génial qui lui permettait de voyager tout le temps. Comment osait-il ne pas être fabuleusement, follement heureux ? Quel était son problème ?
Excellente question.
– Tu en fais une tête, me lança Lauren en accrochant son bras au mien pour m’attirer au cœur de la fête. Ça va ?
– Très bien.
– Je vous ai entendus vous disputer, Mal et toi.
– Je crois que tu n’es pas la seule. Je suis désolée.
– Tu rigoles ! fit-elle en riant. Mal adore attirer l’attention. C’est sa raison de vivre.
– Il a attiré la mienne, en tout cas.
– Laisse-moi deviner, c’était ton ami Reece au téléphone tout à l’heure ?
Sa voix dégoulinait de mépris. Lauren et moi avions commencé à passer du temps ensemble quand Evie avait déménagé après s’être mariée. Nate avait souvent du boulot le week-end et Lauren ayant une tolérance à l’ennui très limitée, nous avions pris l’habitude d’aller boire un café de temps en temps ou voir un film. C’était plutôt sympa, d’autant que Skye m’évitait depuis quelques mois, soi-disant pour passer du temps avec son nouveau petit ami. J’avais désormais quelques doutes sur cette version des faits.
Je détestais l’idée de perdre confiance en quelqu’un et de devoir brusquement tout remettre en question. C’était un sentiment nocif qui me donnait la chair de poule.
– Le rencard de Reece lui a fait faux bond, expliquai-je. Tu sais si les pizzas sont arrivées ? Je meurs de faim.
– Un jour, il faudra que tu arrêtes d’être le plan B de ce type.
– On est juste amis, répliquai-je en me crispant.
Elle me poussa en direction de la cuisine. De nombreuses boîtes de pizza s’étalaient sur le comptoir en marbre.
– Arrête, maugréa-t-elle. Ce type est un tombeur. Il sait que tu l’aimes bien et il en joue.
– Tu as tort. Je répète : on est juste amis.
Je venais de me taper la honte devant Mal Ericson, alors l’analyse de ma relation avec Reece Lewis, ça serait pour une autre fois.
Ou pour jamais. Oui, jamais, c’était très bien.
– Tu vaux mieux que ça, Anne. Il suffirait que tu t’en donnes la peine.
J’émis une sorte de grognement dans l’espoir que cela suffirait à amorcer un changement de sujet. Mon estomac se manifesta alors bruyamment. Mmmh, du fromage fondu. La perspective de la discussion avec Skye m’avait tellement stressée que j’avais zappé le déjeuner. Je n’avais que deux bières dans l’estomac, il était grand temps que je mange quelque chose. Hélas les garnitures des pizzas n’étaient pas spécialement à mon goût.
– Artichaut-épinard ?
– On dirait bien.
Lauren fit une grimace et me tendit une part de pizza jambon-ananas brûlante sur une serviette en papier.
– Tiens, essaie celle-là. Elle a été épargnée par le végétarisme aigu d’Evie. Je l’adore, vraiment, mais ses goûts en matière de pizza sont juste trop bizarres. C’est surréaliste.
Je mordis dedans et m’ébouillantai la langue et le palais. Attendre que ça refroidisse ! Je finirais bien par apprendre un jour. Pas aujourd’hui, mais un jour…
Dans le salon, le volume de la musique augmenta subitement d’un million de décibels. Mes oreilles se mirent à bourdonner, les murs à trembler. Le son de Black Rebel Motorcycle Club tonna dans tout l’appartement. Une personne parvint à crier plus fort que la musique.
– FIESTAAAA !
Un sourire aux lèvres, Lauren s’approcha pour me parler à l’oreille :
– Mal a décidé de s’amuser. La soirée peut commencer !
Lorsque Ben Nicholson, le bassiste de Stage Dive, fit son entrée, j’eus une fois encore le souffle coupé. Mal et lui entreprirent de servir des shots, mais je préférai m’accrocher à ma bière. Ça me permettait d’avoir les mains occupées. Tout ce qui suivit correspondait à ce que j’imaginais d’une soirée organisée par des musiciens. Il n’y avait ni drogues ni groupies, mais beaucoup de gens très beaux qui se soûlaient, et un volume sonore important. Un peu comme les soirées étudiantes auxquelles Lizzy m’invitait parfois. Sauf que là, on ne buvait pas de la bière dégueulasse dans des gobelets en carton mais de la vodka Cîroc et de la tequila Patrón. Les invités portaient des vêtements qui leur avaient été offerts par des créateurs et on n’était pas dans une résidence universitaire miteuse mais dans un loft à un million de dollars.
Bon, en fait, rien à voir avec les soirées étudiantes de Lizzy. Oubliez que j’ai dit ça.
Lauren, Evie et moi avions dansé et papoté. On s’était bien marrées. Lauren avait eu raison de me forcer à sortir. Je m’étais bien plus amusée que si j’étais restée seule chez moi à déprimer. Mal s’était isolé un bout de temps dans une autre pièce avec David et Ben – mais loin de moi l’idée de le surveiller.
J’avais discuté un long moment dans la cuisine avec un dénommé Dean, un ingénieur du son qui travaillait avec un certain Tyler, que le groupe considérait comme un ami de la famille. Dean était un garçon gentil, intelligent, avec de magnifiques cheveux noirs et un piercing à la lèvre. Plutôt du genre sexy, quoi. Lorsqu’il me proposa de le raccompagner jusqu’à sa chambre d’hôtel, je fus tentée d’accepter, mais trop de contrariétés encombraient mon esprit. Il me faudrait rien de moins qu’un dieu du sexe pour arriver à me détendre ce soir.
Je dis au revoir à Dean à la porte de la cuisine.
Mal et les garçons revinrent à ce moment-là et le volume de la musique grimpa d’un cran supplémentaire. Comme dans toute bonne soirée, des couples commencèrent à se former. David et Ev s’éclipsèrent tandis que Lauren et Nate, assis l’un sur l’autre, se pelotaient. J’étouffai un bâillement. J’avais passé une super soirée mais il était presque 3 heures du matin et je n’avais plus de jus. Nous ne tarderions sans doute pas à partir.
C’est ce que j’espérais. Dans quelques heures, il faudrait que je sois debout, fraîche et dispose. Rien n’était moins sûr vu la façon dont les mots de Mal me martelaient le crâne. Un peu naïve et fauchée ? Oui. Carpette ? Je ne crois pas, non.
– Benny boy ! beugla Mal.
Il était en train de danser sur la table basse en compagnie d’une brune aux jambes interminables. La fille semblait se donner un mal fou pour s’agripper à lui tel du lierre sur un mur. D’une façon ou d’une autre, Mal parvenait à la maintenir poliment à distance. Enfin, pas complètement.
– Yo, répondit Ben sur un ton très viril.
– T’as rencontré ma copine, Anne ?
Mal fit un signe de tête en direction de l’accoudoir du canapé, sur lequel j’étais perchée. Je m’immobilisai. Il était occupé depuis plusieurs heures, aussi étais-je persuadée qu’il m’avait oubliée.
– Tu t’es trouvé une copine ? demanda Ben.
– Ouais. Elle est mignonne, non ?
Ben me lança un regard rapide, suivi d’un mouvement du menton étrangement similaire à celui que David m’avait adressé à mon arrivée. Était-ce une sorte de code entre musiciens, l’équivalent d’une poignée de mains ?
– On a discuté sur le balcon tout à l’heure. On va habiter ensemble.
La brune se renfrogna brusquement. Mal ne le remarqua même pas. Mais surtout : qu’est-ce qu’il racontait, bordel ?
– Je plaisante pas, mec. C’est sérieux. Elle a des galères avec ses potes. Elle est dans une sacrée merde. Bref, elle a vraiment besoin de moi pour la soutenir et tout et tout. Tu comprends ?
Mes mains se mirent à étrangler la pauvre bouteille de bière.
– Vous vous la jouez David et Ev ? ironisa Ben.
– Carrément, ouais ! J’ai décidé de me poser. Je suis un autre homme. Le grand amour, tout ça.
– Cool. Ça va être marrant, estima Ben. Et vous pensez que ça va durer combien de temps ?
– Notre passion dévorante sera éternelle, Benny boy. Tu verras bien.
Ben haussa les sourcils.
– On prend les paris ? le défia Ben.
– Donne ton prix.
– Cinq mille dollars que tu ne tiens pas jusqu’à la tournée.
– Cinq mille ? Tu te fous de ma gueule ? O.K. pour vingt.
Ben s’esclaffa.
– Ça sera les vingt mille dollars les plus facilement gagnés de l’histoire.
– Tu as l’intention d’emménager chez moi ? demandai-je, interrompant leurs fanfaronnades et autres tractations financières – sans parler de mes prétendues « galères avec mes potes ».
– Oui, ma puce, répondit Mal, sérieux comme un pape.
Je tressaillis en entendant le surnom dont il venait de m’affubler mais choisis de me concentrer sur le véritable problème.
– Et quand est-ce qu’on a discuté de ça, au juste ?
– Tu étais peut-être déjà partie à ce moment-là, mais ça ne change rien aux faits. (Il se tourna vers Ben.) Timing parfait avec l’arrivée de ma mère. Elle va surkiffer Anne. Elle a toujours voulu que je trouve une fille gentille, que je me stabilise et tout le bordel.
– Je croyais que tu n’aimais pas Portland, remarqua Ben.
– Je n’aime pas Portland. Mais j’aime bien Anne, contra-t-il avec un clin d’œil vers moi. Et puis, Davie ne va pas retourner à L.A. avant un bail. Même Jimmy a évoqué l’idée de déménager. Il envisage d’acheter l’appart d’à côté.
– Ah ouais ?
– Ouais ! T’as rencontré sa nouvelle baby-sitter ?
– Nan, pas encore. Il est passé où, le dernier ? Le grand Black ?
– Ouhla, ça fait un bout de temps qu’il s’est barré. Y en a eu plusieurs entre-temps. La nouvelle nana a commencé y a un moment. (Mal émit un ricanement diabolique.) Quand Jimmy veut éjecter quelqu’un, il sait y faire pour être infect.
– M’en parle pas, putain.
– Bref, on s’entend super bien, Anne et moi. Ça me va de rester ici.
Les yeux de la brune se transformèrent en soucoupes. Les miens, en revanche, devaient plutôt exprimer la stupéfaction. Peut-être que Mal parlait d’une autre Anne ? Une Anne qui savait de quoi il retournait.
– Et ça la dérange pas, ta copine, de voir une autre nana qui te saute dessus ? demanda Ben en haussant les sourcils à mon attention. C’est une meuf comme ça qu’il me faut.
– Tu l’as dit. Honnêtement, la monogamie… Pas évident de s’habituer, mec.
Les muscles des bras tendus, Mal repoussa la brunette – désormais clairement énervée – et la déposa doucement sur le sol.
– Désolé, dit-il. Je suis sûr que tu es très sympa, mais mon cœur ne bat que pour Anne.
La fille me jeta un regard vide, fit virevolter sa crinière et pivota pour partir. Faisant fi de sa mauvaise humeur, Ben l’attrapa par la taille et l’attira sur ses genoux. Il ne lui fallut pas plus d’un millième de seconde pour transférer ses ardeurs sur lui. Après tout, Ben était un beau gosse baraqué auquel peu de femmes résisteraient.
Mal se jeta à mes pieds. Surprise, je m’empressai de regagner mon siège.
– Pardonne-moi, Anne. Je me suis égaré.
– Pas de problème.
J’ignorais combien de bières il avait bu. Sans doute une bonne cargaison.
– Tu sais quoi, ma puce ? (Mal s’installa à genoux sur le canapé à côté de moi.) Ne fais pas ton regard de psycho à Ben.
Il aurait mérité deux baffes : une parce qu’il m’avait appelée « ma puce » et une autre parce qu’il me foutait la honte chaque fois qu’il en avait l’occasion. À la place, j’examinai ma bière avec un air pénétré.
– Elle te regarde comme une psycho ? demanda Ben.
– Carrément, ouais. Anne ?
Un doigt souleva alors mon menton, m’obligeant à le regarder en face. Mal me dévisagea et je l’imitai malgré moi. Son visage s’adoucit, toute trace d’humour alcoolisé s’évanouissant aussitôt. Il ne fit rien d’autre que m’observer, et j’entrevis à cet instant ce que pénétrer l’âme de quelqu’un signifiait. C’était terrifiant. Je pouvais presque sentir une connexion entre nous, comme quelque chose dont j’aurais pu me saisir rien qu’en tendant la main.
Ça ne pouvait pas être réel.
L’espace d’un moment parfait et étrangement paisible, il n’y eut que lui et moi, dans notre petite bulle. Rien ni personne d’autre n’existait.
– Putain, elle remet ça ! s’écria-t-il, les yeux rivés sur moi. Pourtant elle le fait pas avec Davie et toi. Y a que moi qui ai droit au regard de psychopathe. Sûrement parce que je suis un être à part.
Ben dit quelque chose que je n’entendis pas, puis Mal détourna les yeux et l’alchimie s’envola. Le charme était rompu.
– Trop mignon. Elle peut pas se passer de moi.
– C’est évident, confirma Ben en riant.
Ma mâchoire se serra. Que Mal Ericson et ses petites combines aillent se faire foutre.
– Je n’ai pas encore rencontré Jimmy, le leader du groupe, lançai-je, trouvant enfin un moyen de riposter.
J’avais le choix entre les mots ou les poings. Et vu la façon dont il venait de me ridiculiser, les deux me convenaient.
– J’imagine que c’est lui le vrai chouchou des fans. Finalement, vous, vous n’êtes que les lots de consolation. Non ?
La mâchoire de Mal tomba.
– J’y crois pas, tu n’as pas dit ça…
Je gardai le silence, curieuse de voir comment il allait réagir à mes piques.
– Anne, est-ce que tu essaies de me rendre jaloux ? Je t’assure, tu ne me trouverais pas sympa dans ces moments-là. (Il se mit alors à rugir et à tambouriner sur sa poitrine tel King Kong ou Hulk – ou quiconque il essayait d’imiter.) Retire tout de suite ce que tu viens de dire !
– Non.
– Ne joue pas avec moi, Anne. Retire ça avant que je t’y oblige.
J’étais effarée. Et c’était moi la psychopathe ?
Le fou furieux haussa les épaules.
– Pas grave, ma puce. Tu ne pourras pas dire que je ne t’avais pas prévenue.
Et, sans plus de manières, il se jeta sur moi. Je poussai un cri de panique qui produisit un bruit dément. Ma bouteille de bière alla se briser sur le sol.
Je suis, on peut le dire, quelqu’un de chatouilleux. Bon, d’accord, je déteste qu’on me chatouille. Et ce salopard décida de faire courir ses doigts partout sur moi, appuyant sur le moindre de mes points sensibles. À croire que quelqu’un lui avait donné la cartographie de mon corps. Je me tortillais, à bout de souffle, luttant pour me libérer.
– Et les limites ? sifflai-je.
Le rire qu’il m’opposa en retour était machiavélique.
Je commençais à glisser du canapé.
Pour être honnête, il fit de son mieux pour empêcher ma chute : ses mains m’empoignèrent dans un geste qui n’avait plus rien de désagréable. Je me retrouvai au-dessus de lui, nos corps enchevêtrés. Mal grogna lorsque sa tête cogna contre le parquet.
Aïe ! Ça, ça avait dû faire mal.
Malgré la douleur, ses bras restèrent accrochés fermement autour de moi. C’était encore mieux que ce que j’avais imaginé. Et sachez que j’avais imaginé un certain nombre de trucs, pas plus tard que tout à l’heure, sur le balcon. La lueur taquine quitta son regard et tout son corps se raidit. Il me regarda sans ciller, la bouche entrouverte. Je compris qu’il attendait une réaction de ma part. Allais-je poursuivre notre petit jeu ? Je me concentrai sur ma respiration. Ses yeux se portèrent alors sur mes lèvres.
Je cessai de respirer.
Il ne pouvait tout de même pas avoir envie que je l’embrasse. À tous les coups, c’était encore une de ses petites combines. Sauf que non. Ou en tout cas pas complètement, puisque je le sentis durcir contre ma cuisse. Quelque chose se contracta au plus profond de moi. Je n’avais pas été aussi tendue depuis des lustres.
Et puis merde ! Il fallait que je sache quel goût avaient ses lèvres. À cette seconde précise, ne pas l’embrasser était inenvisageable.
– Malcolm, non !
Dressée au-dessus de nous, Evie nous toisait. Son visage n’était que consternation.
– Lâche-la. Pas mes copines. Tu m’avais promis.
Toute trace de tension sexuelle se dissipa et je fus envahie par un sentiment de honte. Tout le monde riait. Enfin, tout le monde à l’exception de David et Evie. Ils avaient malheureusement choisi ce moment précis pour rejoindre la fête.
– Ta copine et moi, on est faits pour être ensemble, affirma Mal. Fais-toi une raison. (Il me serra dans ses bras.) Tu sais, j’étais convaincu que tu saurais reconnaître l’amour, le vrai. Tu me déçois beaucoup, Evie.
– Lâche-la.
– Davie, maîtrise ta femme, elle nous pique une crise.
Je profitai de ces quelques secondes de distraction et du fait que Mal avait relâché sa prise pour me libérer. Il eut du bol de ne pas se prendre mon genou dans les couilles.
– C’est pas ma femme qui est vautrée par terre, rétorqua David.
– Pas mes copines, répéta Ev, les dents serrées.
– Votre tee-shirt est à l’envers, petite mariée. Qu’est-ce que vous fabriquiez, au juste ?
Piquant un fard jusqu’aux oreilles, Evie croisa les bras sur sa poitrine. Son mari eut du mal à contenir son sourire.
– C’est pas tes oignons, mec, répliqua-t-il d’une voix grave.
– Vous me dégoûtez, tous les deux, reprit Mal. (Il se remit debout et me prit par les mains pour m’aider à me lever à mon tour.) Ça va ?
– Ouais. Toi ?
Il m’adressa un sourire de détraqué et se frotta l’arrière du crâne.
– J’aurais peut-être mal si je sentais quelque chose.
J’avais ma réponse : il était ivre mort. Et je ne représentais pour lui rien d’autre qu’un divertissement. S’il avait existé un quelconque jeu de séduction entre nous, c’était dans mon imagination. L’histoire de ma vie, finalement.
Les rires avaient fini par se taire, cependant tous les regards étaient encore braqués sur nous.
– Malcolm, c’est à toi, ça ? demanda Ev en pointant du doigt ma bouteille de bière brisée par terre.
Mal intervint avant que je n’aie eu le temps d’ouvrir la bouche pour m’excuser.
– Oui, mais attends avant de péter un câble. Je vais nettoyer.
Il ôta son tee-shirt, s’agenouilla et entreprit d’éponger la bière renversée. Il y avait là des muscles et du bronzage en quantité. En quantité impressionnante. Un tatouage sophistiqué recouvrait son dos, représentant un oiseau qui prenait son envol et dont les ailes s’étendaient sur toute la largeur de ses épaules. À la vue de Mal torse nu, un soupir s’éleva dans la pièce. Je n’étais pas la seule, je le jure ! Bon, d’accord, j’étais une contributrice importante.
– Mal, merde, rhabille-toi avant de provoquer une émeute, lui lança Lauren, mais ce dernier se contenta de lever la tête avec un grand sourire. Bon, je crois que c’est le moment d’y aller, reprit-elle en se levant. C’était très sympa mais il y en a qui bossent demain, contrairement à certains musicos glandeurs.
– Vous emmenez Anne ? questionna Mal.
Les coins de sa bouche se baissèrent. Il se remit sur ses pieds, abandonnant son tee-shirt trempé sur le sol.
– Elle peut pas partir maintenant, j’ai besoin d’elle pour… pour des trucs perso, dans ma chambre.
– Une autre fois, répondit Lauren en lui tapotant le dos.
– Reste jouer avec moi, Anne.
– Non, répéta Ev.
– Au revoir, Mal, dis-je.
Je ne parvenais pas à savoir s’il était sérieux ou non. Quoi qu’il en soit, je ne me voyais pas filer à l’anglaise de chez Evie demain matin, honteuse, après m’être glissée hors de la chambre de Mal.
C’était hors de question.
– Anne, ma puce, ne me laisse pas, pleurnicha-t-il.
– Allez, vas-y, m’ordonna Evie en me poussant vers la porte. Il devient ingérable dans ces moments-là. À croire qu’il a manqué d’affection quand il était gamin.
– Contente de t’avoir revue, Ev, dis-je.
– Moi aussi, répondit-elle en m’attirant vers elle pour me déposer un rapide baiser sur la joue.
– J’ai besoin d’une infirmière, poursuivit Mal derrière nous, avant de se lancer dans une nouvelle danse qui consistait à balancer son bassin en rythme pendant que sa main fouettait l’air, mimant des fessées.
Les « Oh oui » et « Plus fort, bébé » ne faisaient que rendre son show encore plus savoureux. Si un vagin avait pu assister à la scène, nul doute qu’il serait au comble de l’excitation. Ce mec était très fort.
– Ce qu’il te faut, c’est apprendre à maîtriser tes pulsions, décréta David. Et aussi un bon café.
Fronçant les sourcils, ce dernier repoussa Mal d’une main, mettant un terme à son petit numéro de danse érotique.
– Dis-moi, c’est quand la dernière fois que tu as dormi ?
– Je vais dormir. Avec Anne.
– Sûrement pas.
– Si ! (Il leva une main très haut.) Parce que je suis un dieu du sexe.
Étouffant un juron, David s’approcha de lui au point de lui toucher le nez. Ben se leva illico, envoyant valser la brunette.
– Tu as entendu Ev, reprit David. Pas ses copines. Ça se fait pas.
Le regard de Mal se durcit.
– Tu cherches à me casser mon coup, Davie ?
– Clairement, oui !
– Ça va pas le faire, mec.
Ben passa un bras autour des épaules de Mal et lui ébouriffa les cheveux.
– Allez, viens te trouver un autre joujou.
– Je suis pas un gamin.
– Et elle ? (Ben désigna une blonde soignée qui lui adressa un grand sourire en se pavanant.) Je suis sûr qu’elle rêve de faire ta connaissance.
– Waouh. Elle brille un peu trop.
– Va lui demander son nom ! suggéra Ben.
– J’ai vraiment besoin de connaître son nom ?
– Il paraît que ça aide.
– Toi, peut-être, pouffa Mal. Moi c’est le mien que je crie pendant l’amour.
Des éclats de rire fusèrent dans la pièce. Même David dut retenir un sourire. Quand il s’agissait des femmes, Mal était un vrai connard. J’en avais vu plus qu’assez pour en être convaincue. David et Evie m’avaient rendu service en lui interdisant de m’approcher. Ce n’est pas la jalousie qui me noua l’estomac lorsqu’il reluqua la fille avec envie. J’ignore de quoi il s’agissait, mais c’était autre chose.
Je venais de passer la soirée la plus bizarre de ma vie. De très, très loin.
Skye serait morte de rire quand je lui raconterais en rentrant. Ah, merde. En fait non. Les frasques de Mal avaient presque réussi à me faire oublier le départ de Skye. Il avait beau être hyper agaçant, il n’avait pas arrêté de me faire sourire.
C’est à ce moment-là qu’il sembla se souvenir de moi. Je me tenais entre Evie et Lauren, comme si j’avais besoin de gardes du corps. Peut-être était-ce le cas. Tout ce que je sais, c’est que quand je croisai son regard, mon esprit s’échappa loin. Très loin.
Pourquoi les bad boys avaient-ils cet effet-là sur les femmes ? Il fallait à tout prix trouver un remède.
Mon objet de désir m’adressa un clin d’œil.
– À bientôt, ma psychopathe !