Je me réveillai au son d’une nouvelle dispute. Cette fois, cependant, je n’entendis pas de cris mais des chuchotements véhéments juste au-dessus de ma tête.
– Pourquoi ma sœur est allongée sur toi ? demanda Lizzy.
– Parce que je suis son copain, répondit Mal. Et toi, tu es qui ? Anne n’a jamais dit qu’elle avait une sœur.
– Ah bon ?
– Non. Et combien de personnes ont une de clé de cet appart ? C’est pire qu’un moulin ici.
– Seulement Lauren et moi maintenant que Skye est partie.
– Ne prononce pas ce nom, ça contrarie Anne. Son regard devient tout triste quand elle l’entend. Ça me déprime.
– Quoi, Skye ?
– Ouais, grinça-t-il.
– O.K., c’est bon… (Une pause.) T’es plutôt beau gosse, non ?
Grognement indifférent.
– Je suis pas en train de te draguer, gros bêta, je suis juste méfiante. C’est ma sœur. Je ne t’ai pas déjà vu quelque part ? Ton visage me dit quelque chose.
Les doigts qui englobaient mes fesses resserrèrent leur étreinte. Ce que cette main faisait là, je n’en avais pas la moindre idée. Mais j’aimais ça. Oh oui, j’adorais ça. J’avais dormi sur Mal, si ça ce n’était pas le paradis… Je ne me rappelais même pas m’être assoupie. J’avais dû sombrer pendant le film d’horreur vu que nous nous trouvions toujours sur le canapé en velours du salon. Et compte tenu de la présence de Lizzy, nous devions être dimanche. C’était le jour où ma sœur et moi accomplissions notre devoir en appelant notre mère – une corvée dont nous nous acquittions toujours ensemble.
J’aurais voulu ne jamais bouger – ou au moins jusqu’à mercredi. Sans compter que j’avais une légère gueule de bois.
Surtout, je n’avais aucune envie de m’éloigner de Mal.
– Mais qu’est-ce que tu lui as fait ? s’écria ma sœur. Sa bouche est toute gonflée !
– C’est vrai ? s’écria Mal en faisant pivoter son corps, sûrement pour évaluer l’ampleur des dégâts. Ah ouais. Merde. Je l’ai bien amochée, on dirait. Mais il fallait bien que j’essaie de la mordre pour savoir si elle aimait ça.
– Ah, ça, elle n’aime pas ! Enfin, je ne crois pas. Ce n’est pas du tout son genre. Anne est quelqu’un de plutôt… réservé.
– Réservé ? répéta Mal en ricanant. Va jeter un coup d’œil dans sa chambre, tu me diras si tu la trouves toujours « réservée ».
J’entendis des bruits de pas, suivis d’un petit cri.
– Bon sang, son lit est bousillé.
– Ah, ma puce peut être sauvage quand elle se lâche.
– « Ma puce » ? (Elle sembla abasourdie.) Ma sœur te répond quand tu l’appelles comme ça ?
– Elle fait semblant de détester, mais je sais que secrètement elle adore ça. Son visage devient tout doux.
Oh, merde, c’en était trop. J’avais pratiquement élevé Lizzy, elle n’avait pas besoin d’entendre toutes ces conneries. J’allais y perdre toute mon autorité.
– Tais-toi, Mal, lui ordonnai-je en ouvrant un œil.
– Très bien, je suis ton humble serviteur.
– Quelle heure est-il ? demandai-je tandis qu’un bâillement menaçait de briser ma mâchoire en deux.
– Mal ? Elle t’a appelé Mal ? questionna Lizzy en s’approchant de nous.
Ma sœur et moi étions physiquement très différentes. Ses cheveux étaient couleur caramel tandis que les miens étaient roux. Et si nous avions toutes les deux hérité de la mâchoire bien dessinée de maman, les traits de Lizzy étaient plus fins.
– C’est une blague ? demanda-t-elle.
Ça, ça risquait d’être marrant.
– Aussi étrange que ça puisse paraître, non, ce n’est pas une blague, répondis-je, la satisfaction perçant dans ma voix. Mal, je te présente ma petite sœur, Lizzy. Lizzy, voici Malcolm Ericson.
Ma sœur n’avait jamais été aussi fan des Stage Dive que moi, mais nul doute que ça ne l’empêcherait pas de jouer la groupie.
Comme prévu, elle se mit à hurler. Mal et moi fîmes tous deux la grimace.
– Oh mon Dieu, Anne t’adore ! Un mur entier de sa chambre t’était consacré !
– Lizzy, non ! m’écriai-je.
Merde ! Comment avais-je pu ne pas anticiper ça ? La peur m’assaillit. Il fallait que quelqu’un neutralise ma sœur. Qu’on l’emmène loin et qu’on l’enferme dans un placard. Pour son bien, évidemment, mais surtout pour le mien. Je voulus me jeter sur elle, mais des bras robustes me retinrent.
– Lizzy. Ferme-la. Je t’en supplie, ferme-la…
– Continue, Lizzy, m’interrompit Mal. Tout un mur, tu disais ? C’est fascinant. J’aimerais vraiment en savoir plus.
– Je t’assure que ce n’est pas nécessaire.
– Chut, Anne. J’écoute.
Mes bras n’étant pas assez longs pour couvrir la bouche de Lizzy, je dus me rabattre sur les oreilles de Mal. Je fis de mon mieux pour résister mais le fourbe se débarrassa de mes mains avec beaucoup trop de facilité.
– Elle écrivait ton nom sur sa cuisse au feutre indélébile, raconta alors ma traîtresse de sœur.
C’était officiel : Lizzy était vraiment nulle. Si elle continuait sur sa lancée, il y avait de fortes chances pour que je devienne enfant unique. Maman se rendant à peine compte qu’elle avait des enfants, la perte ne devrait pas être trop difficile à supporter pour elle.
– Elle ment ! criai-je, en proie à des sueurs froides.
– Je parie qu’elle l’écrivait à l’intérieur de sa cuisse, la coquine, persifla Mal.
Il m’attrapa alors les poignets et les ramena contre son torse. Une technique efficace pour m’empêcher de lui mettre une raclée.
– Est-ce qu’elle dessinait aussi des petits cœurs avec des flèches ? reprit-il.
– Aucune idée. (Ma sœur adorée s’installa dans un fauteuil et croisa les jambes.) Mais elle s’entraînait tout le temps à signer Anne Ericson.
– Je suis très touché que tu décides de prendre mon nom, ma puce. (Mal voulut embrasser mes mains.) Non, vraiment, c’est super cool de ta part, je le prends comme un honneur. Ma famille va t’adorer.
– Lalalalalalalaaaaaa, chantai-je à tue-tête dans l’espoir de couvrir leurs voix.
– Et elle passait son temps à regarder vos clips. Enfin, sauf celui où tu embrassais la fille, là… (Lizzy fit claquer ses doigts tandis que son visage se crispait sous l’effet de la concentration.) Last Days of Love, c’est celle-là ! Elle refusait catégoriquement de le voir et quittait la pièce chaque fois qu’il passait à la télé.
Juste au-dessous de moi, Mal riait tellement que son corps était secoué de tremblements. Il était hystérique. Ses yeux étaient même mouillés de larmes. Une grande main se posa à l’arrière de ma tête et enfouit mon visage dans son cou.
– Ben alors, Anne ? T’étais jalouse ?
– Pas du tout.
Si. Affreusement. Ce baiser avait dévasté mon âme d’adolescente et m’avait valu d’écouter des chansons déprimantes pendant presque un an.
– Oh, ma pauvre…
– Ta gueule.
– Je ne voulais pas l’embrasser, c’est ma bouche qui a ripé, expliqua-t-il. Je te jure que j’avais l’intention de rester pur pour toi. S’il te plaît, dis-moi que tu me crois.
Je lui balançai une injure.
Il se mit à rire de plus belle, faisant vibrer le canapé.
Vu qu’il ne semblait pas prêt à me libérer, je dissimulai mon visage brûlant dans son cou. Je détestais toutes les personnes présentes dans cette pièce. Je les haïssais. Je fus tentée de lemordre mais il y prendrait sans doute du plaisir. Il s’en était donné à cœur joie la veille, me mordillant les lèvres et le menton après m’avoir acculée dans un coin. Sa croisade du baiser avait bien failli causer ma perte, mais au final c’était ma sœur qui avait eu ma peau.
Maintenant que Mal savait tout, j’étais foutue.
– Lizzy, aurais-tu la gentillesse d’aller me chercher un stylo ? demanda Mal. Je voudrais écrire le prénom de ta sœur sur mon sexe.
Je jure que je fis tout pour ne pas éclater de rire. Vraiment tout.
– Et si j’allais plutôt préparer du café ? proposa Lizzy en se levant. Normalement, quand j’arrive le dimanche matin, Anne m’a déjà préparé mon petit déjeuner. Tu as une mauvaise influence sur elle, Mal.
– Laisse-moi le temps de m’habiller, je vous emmène quelque part. Je ne voudrais pas déjà me mettre ma future belle-sœur à dos.
– Tu ne vas pas te faire harceler par des fans ? brailla Lizzy depuis la cuisine.
– Les gens ont toujours été cool ici. Il suffit que je mette une casquette et des lunettes de soleil. Et je peux toujours appeler un gars de la sécurité si besoin.
– Je peux très bien vous cuisiner quelque chose, suggéra Lizzy. Ça doit être mon tour depuis le temps.
Sa proposition fut accompagnée de bruits de poêles et de casseroles, et d’eau qui coulait. Ma sœur n’était peut-être pas si nulle que ça, après tout.
– Merci, dis-je.
– Alooors. (Mal déposa un baiser sur le sommet de mon crâne.) Ce n’était pas juste un petit faible que tu avais pour moi. En fait, tu es ma plus grande fan. Tu es amoureuse de moi.
– Je ne suis pas amoureuse de toi !
– Si, à fond ! (Il me serra contre lui.) Je suis tout pour toi. Tu serais perdue sans moi.
Dieu merci, quand je m’arrachai à lui, cette fois il ne me retint pas. Reprenant mes esprits, je remis en place mon vieux tee-shirt et lissai mes cheveux en pétard.
– Je n’étais qu’une ado, me défendis-je. Fais gaffe, tes chevilles sont déjà assez enflées comme ça.
– Je préférerais que ce soit autre chose qui enfle.
Je grimaçai.
Mal était toujours allongé, les doigts croisés sur son torse nu. Il m’observait en silence. Après un long moment, il finit par s’asseoir, posant ses pieds sur le sol. Il bâilla puis s’étira en faisant craquer son cou.
– Tu sais, c’est la première fois depuis des semaines que je dors aussi bien.
– Alors que j’étais affalée sur toi ? Ça ne devait pas être hyper confortable.
Les cernes sous ses yeux s’étaient estompés et il paraissait plus détendu. Malgré tout, il se massa la nuque.
– Non, pas vraiment en effet. Va savoir. On devrait peut-être dormir tous les soirs sur le canapé.
Il ramena ses cheveux en arrière et me sourit.
– Problèmes de sommeil ? demandai-je.
– Un peu.
– Tu as des soucis ?
– Nan, c’est rien, affirma-t-il en évitant mon regard.
– Si.
C’était la première fois qu’il se dévoilait. Enfin, un tout petit peu. Mais c’était à prendre ou à laisser.
– Qu’est-ce qui se passe ? Parfois, je te regarde et tu sembles tellement…
– Quoi ? Tellement quoi ?
– Triste.
Son visage se figea et ses mains se posèrent sur ses hanches. Son corps, électrique, m’évoquait un champ de bataille.
– Y a rien. Merde. Je t’ai déjà dit qu’il n’y avait rien à dire.
– Désolée, j’ai juste pensé que tu avais peut-être envie d’en parler.
– « Rien à dire » égal pas envie d’en parler. C’est clair ?
Sa voix était dure et il s’en servait comme d’une arme. Logiquement, ses mots me blessèrent.
– D’accord, murmurai-je.
Sa bouche était crispée par la colère.
– Tu sais, Anne, tu es la dernière personne en droit de me foutre la pression. On a un deal tous les deux.
Le salaud !
– Parce que tu l’as respecté à la lettre, peut-être ?
– Qu’est-ce que tu sous-entends ?
– Je t’ai accompagné à la soirée. J’ai rempli mon rôle.
– Ouais. Et ?
– Et tu as passé ton temps à essayer de montrer à tout le monde quel super coup tu es ou je ne sais quoi. Il n’y avait parfois personne à impressionner autour de nous, Mal. Tout ce qui t’intéressait, c’était te faire mousser.
– Non, il y avait plus que ça.
Sa mâchoire craqua, produisant un bruit impressionnant, et même un peu effrayant. Qu’il aille se faire voir.
– Ah bon ?
– Évidemment, putain.
Je le dévisageai, interloquée.
– D’accord, je ne m’en étais pas rendu compte, admis-je. Mais ne me tombe pas dessus quand j’enfreins une règle. Je m’inquiète pour toi. Je n’aime pas te voir triste.
– Putain, lâcha-t-il, avant de s’immobiliser.
Il mit ses mains derrière sa tête et marmonna d’autres jurons. Puis il laissa échapper un long soupir, sans jamais me quitter du regard. Son humeur avait changé, sa colère s’était évaporée. Avec beaucoup de délicatesse, il tendit la main et effleura ma lèvre enflée.
– Ça a l’air douloureux.
– Ça va, le rassurai-je d’une voix tremblante.
– J’y suis allé un peu fort. Désolé.
Je me détendis. Mon ressentiment se dissipa. De nouveau, son regard exprimait la tristesse et, cette fois, c’était entièrement ma faute. Je n’avais rien pour ma défense.
– Si le pire qui puisse m’arriver est que tu aimes bien m’embrasser et que tu racontes à tout le monde que je suis enceinte de toi, ma vie ne sera pas trop mal, plaisantai-je.
Il eut un sourire bref qui manquait d’enthousiasme.
– Mal, si jamais tu as besoin de parler, je suis là.
J’aurais probablement dû me taire, mais je n’avais pas pu m’en empêcher.
Il détourna le regard.
– Pour être honnête, je ne suis pas non plus très douée pour les confidences, avouai-je.
Comme pour attester mes dires, je serrai les poings puis les rouvris. Puis recommençai, mal à l’aise. Je détestais me sentir impuissante. Ne pouvait-il pas se contenter de cracher le morceau pour que j’essaie de l’aider à résoudre ce qui n’allait pas ?
– On peut arrêter de parler de ça ? reprit-il en s’adressant au mur.
– Bien sûr.
– Merci.
Il s’approcha de moi et tira sur une mèche de mes cheveux. Sa main glissa alors sur ma nuque et il m’attira contre lui. Qu’est-ce qu’il sentait bon… Je fus soudain prise de vertige. Je me sentais aussi soulagée que notre dispute prenne fin. Avec ma joue collée contre le torse de Mal, mon cerveau déraillait. J’enroulai mes bras autour de sa taille et serrai très fort, au cas où il changerait d’avis et me repousserait.
– C’était notre première dispute, marmonna-t-il.
– Ouais. Et c’est moi qui ai gagné.
– Non.
– Si.
– Pfff. D’accord. (Ses bras m’agrippèrent un peu plus fort.) Si tu veux. Mais seulement parce que tu te comportes comme une gamine.
– Merci.
– Je ne veux plus qu’on se dispute, déclara-t-il en soupirant.
– Moi non plus, approuvai-je sans réserve.
– Je peux sortir ? risqua Lizzy en passant la tête par la porte de la cuisine.
Elle jeta une œillade à Mal, puis détourna rapidement le regard. Je ne lui en voulais pas, mais ça ne me plaisait pas. Merde, voilà que j’étais jalouse de ma propre sœur. C’était ridicule, d’autant que ce mec avait un régiment de filles à ses pieds. J’allais passer du temps au côté d’une rock star, mieux valait que je m’habitue.
– Ta sœur et moi on doit aller se réconcilier sur l’oreiller. C’est très important pour l’équilibre de notre couple à long terme, annonça Mal tout en me poussant avec force vers la chambre. Profite de ton petit déjeuner et de ta journée. Laisse la vaisselle, je m’en occuperai plus tard. J’ai été ravi de faire ta connaissance, Lizzy.
– Mal, tu m’étrangles.
Ce furent en tout cas les mots que j’essayai de prononcer. Avec mon visage écrabouillé contre son torse, je baragouinais davantage que je ne parlais et mes mots formaient une espèce de bouillie.
– Quoi ?
Il relâcha suffisamment sa prise de pieuvre pour me permettre de prendre une inspiration. Ouf ! Enfin un peu d’oxygène.
– Et si tu t’habillais ? lui suggérai-je. Je vais donner un coup de main à Lizzy.
Cette dernière nous regardait avec des yeux de merlan frit. Pas étonnant. Apparemment, nous venions de pénétrer dans un univers parallèle dans lequel Mal me collait comme de la glu. C’était incroyablement, extraordinairement hallucinant. Il fallait que j’en profite à fond avant son départ en tournée, que je stocke dans ma mémoire le plus de souvenirs possible.
– Tu es la pire copine que j’aie jamais eu, affirma-t-il avec une petite moue qui n’aurait pas dû être charmante mais qui, bien entendu, l’était.
– C’est vrai ?
– Oui. Et de loin.
– Je suis aussi la seule copine que tu aies jamais eu.
Factice ou non, c’était la vérité.
– Oui, tu as raison.
Il prit mon visage entre ses mains et le couvrit de baisers, évitant mes lèvres encore douloureuses. Je ne savais pas ce que j’avais fait au juste pour mériter un tel débordement d’affection, mais j’en étais profondément reconnaissante. Mon cœur chavira, renonçant à poursuivre toute bataille. J’espérais juste que mon entrejambe était un tout petit peu plus résistant – ce dont j’étais en droit de douter après la soirée d’hier.
– Tout va bien ? demanda-t-il.
– À merveille.
– Parfait.
– Mal. Vêtements.
Il se dirigea vers sa chambre en riant et referma la porte d’un coup de pied accompagné d’un pas de danse à la Fred Astaire. La classe incarnée avec son boxer.
– Je ne t’ai jamais vue sourire comme ça, remarqua Lizzy en appuyant son épaule contre la porte de la cuisine. On dirait que tu t’es droguée.
– Ah, oui. Il fait un peu cet effet-là !
Elle affichait une expression soucieuse. J’aimais rarement ce qu’elle avait à dire quand sa bouche était pincée comme elle l’était à cet instant. Vu que j’étais l’aînée, cela se produisait rarement.
– Je ne voulais pas écouter aux portes, mais ton appart n’est pas immense.
– Je préférerais que tu ne me poses pas de questions à ce sujet.
– Une seule.
Je demeurai silencieuse.
– Je ne sais pas ce qui se passe entre vous deux, mais est-ce que le « deal » que vous avez conclu va te faire souffrir ?
Baissant la tête, je frottai mon pied contre le sol. Ma sœur et moi ne nous mentions jamais. C’était une règle à laquelle nous ne dérogions pas. Notre mère pouvait essayer de nous faire avaler toutes les conneries qu’elle voulait, Lizzy et moi étions toujours honnêtes l’une envers l’autre.
– Je ne sais pas, admis-je.
– Tu crois que ça en vaut la peine ?
– Ça fait deux questions, lui fis-je remarquer avec un faible sourire.
– Prends ça comme un cadeau de Noël en avance.
– C’est un mec génial, Lizzy. Il est incroyable. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un comme lui.
Elle hocha lentement la tête, se frotta les mains avant de les serrer très fort. Encore des signes de nervosité hérités de notre fêlée de mère.
– C’est comme s’il t’avait ramenée à la vie. Quitter la maison t’a aidée, mais… disons qu’il t’a retrouvée.
– Retrouvée ? Je ne suis jamais partie, Lizzy.
– Si, ça faisait un bail que tu n’étais plus là.
Je scrutai le sol, à court de mots.
– Bon, je croyais que tu devais proposer à Reece de se joindre à nous ? reprit Lizzy.
J’ouvris la bouche de surprise. Il y avait une première à tout.
– Merde ! Je devais l’appeler, j’ai complètement zappé.
– Le pauvre. Tu sais, je crois que tout ça va se révéler très instructif pour lui. (Elle s’interrompit, tout sourires, puis renifla.) Merde, le bacon !
Nous nous précipitâmes dans la cuisine, juste à temps pour découvrir de la fumée noire s’élever de la poêle et des tranches de bacon complètement calcinées. Quel gâchis. J’éteignis le gaz et jetai ce qu’il restait de notre petit déjeuner dans l’évier. D’habitude, le frigo était plein en prévision de notre brunch dominical, mais j’avais été trop occupée cette semaine.
– T’inquiète, on va se faire des toasts.
– Désolée.
– Vous venez nous voir répéter, les filles ? lança Mal en entrant dans la cuisine, remontant la fermeture de son sweat à capuche gris.
Ce mec portait le jean à la perfection. Et moi qui étais encore dans mon pyjama super sexy, pas douchée et les cheveux certainement gras. Il avisa les restes carbonisés dans l’évier.
– Donc on sort manger dehors, si je comprends bien ? dit-il.
– Non, on va se faire des toasts. Vous allez répéter après la soirée d’hier ? Quel dévouement…
– Il ne reste que quatre jours avant la tournée. On n’a pas beaucoup de temps. (Il fit une pause.) Allez, on sort. Je ne peux pas vivre de pain et d’eau. Je te préviens, femme, il va falloir nourrir ton homme mieux que ça.
Je me forçai à ne pas m’évanouir au son des mots « ton homme », ce qui aurait ramené du même coup le combat féministe cinquante ans en arrière. Côtoyer Mal était dangereux.
– Parfait. Laisse-moi juste prendre une douche.
– Bonne idée, je te frotterai le dos, annonça-t-il en me suivant dans le salon.
– Et si tu tenais plutôt compagnie à Lizzy ?
– Et si je te tenais compagnie, à toi ? me chuchota-t-il. Je pourrais te nettoyer un certain endroit avec ma langue. Je te promets que je m’appliquerai.
– C’est très gentil de ta part. (Merde… Je m’agrippai à la poignée de la salle de bains pour rester debout.) Je n’ai que deux mots, Mal : Liaison Fatale.
Il eut un sourire immense et chassa mes inquiétudes d’un geste de la main.
– Arrête, je n’ai même pas de lapin ! Et sois réaliste, ma puce, tu es loin d’avoir autant de force que Glenn Close. Je te désarmerais facilement s’il le fallait. Allez, ça peut être marrant.
– Aaah, arrête ! criai-je doucement. Je n’arrive pas à savoir si tu es sérieux. Tu me donnes mal au crâne.
Il se pencha, s’approchant à quelques centimètres de moi.
– Regarde-moi, je suis très sérieux. Tu n’as pas bu aujourd’hui, Anne. Tu sais ce que tu fais et j’ai envie de sexe. Renégocions les clauses de notre contrat. Notre accord ne me convient plus. Appelez mon avocat !
– Oh, tu as envie de sexe ?
– Ben ouais. Je n’ai pas l’habitude de rester abstinent plus d’un jour ou deux. Ça me rend nerveux. (Il se lança dans une petite danse de démonstration.) J’ai horreur de ça. Allez, Anne. Pour aider un ami. Ça va être bien.
– Ça, c’est de loin le truc le plus romantique que j’aie jamais entendu. Je sens déjà mes jambes s’écarter pour toi.
– Tu veux quoi, une grande déclaration d’amour ?
– Non.
Ou peut-être que si, chuchota une chose affreuse au plus profond de moi. La ferme !
– Tu veux une chanson ? Pas de problème. Je demanderai à Davie de t’en écrire une. (Il plaça ses mains de part et d’autre de la porte de la salle de bains.) Je sais que tu en avais envie hier soir, mais je te voulais avec les idées claires. C’est le cas maintenant. J’ai envie de toi. Tu as envie de moi. Baisons.
Mon cœur s’accéléra. Je m’efforçai de me calmer.
– Tu as raison. J’en avais envie hier soir, et j’en ai encore envie ce matin. Mais le moment est mal choisi, Mal. Ma sœur est juste à côté !
– Je serai rapide. (Il fronça les sourcils.) Je ne voulais pas dire ça dans ce sens-là. Ça sera rapide mais bien. Anne, tu as démonté ma façon d’embrasser mais je peux t’assurer que mes talents pour les cunnis sont au-delà de ce que tu peux imaginer. Je suis un expert en la matière. Laisse-moi te montrer, s’il te plaîîîîît…
– Mal…
Son regard implorant me décontenança. Il me faisait naviguer entre les émotions au rythme de ses changements d’humeur. Fâché, excité, amusé, tout ça à la fois.
– Lizzy est dans la cuisine, elle entend tout ce qu’on dit !
– On fermera la porte. Et avec l’eau qui coule, elle n’entendra rien.
– Tu m’embrouilles. Je crois que mon cerveau est en surchauffe depuis que tu as débarqué.
– Tu t’embrouilleras plus tard. Allez, tu veux bien jouir pour moi s’il te plaît ?
C’est à peu près à ce moment-là que j’ai commencé à flancher. L’excitation était clairement en train de gagner la partie. Heureusement, mon tee-shirt lâche dissimulait l’atroce évidence de mes tétons durcis. Je le repoussai d’une main pendant que j’en avais encore la force.
– On parlera de ça plus tard, quand on sera seuls. En attendant, va créer des liens avec ta fausse future belle-sœur. S’il te plaît.
– Ça marche. (Tout son corps s’affaissa.) Mais tu ne sais pas ce que tu rates.
– Si, j’imagine.
– Je ne suis pas sûr que je serai encore d’humeur tout à l’heure, Anne. Si ça se trouve, tu es en train de rater le coche. Et voilà, foutu.
– J’aurai été dûment prévenue.
– Dernière chance.
Il déroula alors sa grosse langue rose, comme un chien. Quoique, la comparaison n’était pas flatteuse pour les chiens qui, selon toute vraisemblance, faisaient preuve de plus de subtilité.
– Regarde comme elle est loooongue !
– Tu peux ranger ça s’il te plaît ? lui demandai-je en riant.
À la place, il m’attrapa par l’arrière de la tête et me lécha la joue de toute la longueur de sa langue chaude et humide. Face à cet assaut, je me figeai.
– Tu n’as pas fait ça.
– C’est une marque d’affection. Tu crois que je dépose ma salive sur n’importe qui ?
– J’y crois pas…
– Il y a des femmes qui tueraient pour que je leur lèche le visage. Tu ne mesures même pas la chance que tu as. Maintenant, à toi, m’ordonna-t-il en désignant sa mâchoire. Allez, Anne. Vas-y avant que je me vexe.
Je gloussai, tout mon corps tendu à cette idée.
– Il faut que j’aille aux toilettes. Pousse-toi. Et arrête de me faire rire ! l’implorai-je.
– J’aime bien te faire rire.
– Oui, eh bien tu rigolerais moins si je me pissais dessus. Allez !
– Attends, chuchota-t-il en me saisissant le poignet.
Sa capacité à passer de la drôlerie au flegme en une seconde était tout simplement hallucinante.
– Primo, je n’ai pas besoin d’en savoir autant. Deuzio, vous venez nous voir répéter, Lizzy et toi ?
– Tu es sûr qu’on ne vous dérangera pas ?
– Certain.
– Alors avec plaisir.
J’étais en train de vivre le moment le plus incroyablement parfait qui puisse exister. Avoir la vessie et le cœur qui débordaient au même moment !
– Il faut juste qu’on passe un coup de fil avant d’y aller, ajoutai-je.
– O.K. Tertio, avoue que tu as menti hier soir en prétendant ne pas aimer mes baisers.
Son regard me cloua sur place.
Inutile de nier plus longtemps : il me plaisait et j’avais tellement envie de lui que j’en avais mal partout. À la minute où nous nous retrouverions seuls tous les deux, ce serait plié. Ses doigts enserraient toujours mon poignet lorsque je posai mes mains sur ses joues. Le frottement de sa barbe de trois jours contre ma paume associé à la chaleur de sa peau étaient divins… Mais ce n’était pas suffisant. Je ressentais le besoin de lui donner quelque chose en retour. Une petite part du bonheur mêlé de folie et de désir qu’il me procurait. Il demeura immobile tandis que je déposais un baiser prudent sur sa joue.
– Tu as raison, j’ai menti, avouai-je.
Son visage se détendit.
– Je suis désolée, poursuivis-je. Tout ça m’a un peu submergée et… bref.
Il brandit ses poings en l’air.
– Je le savais ! Je suis le meilleur !
– C’est vrai.
Un simple constat, qui pourtant embrasa une lueur dans son regard.
– Merci, ma puce.
Son sourire… Les mots me manquaient.