Chapitre 5

Lorsque je me réveillai le lendemain matin, la lumière matinale filtrait par les fenêtres. Quelqu’un frappait à la porte, tournait la poignée, essayant d’entrer. Je l’avais verrouillée après la scène avec David, juste au cas où il aurait été tenté de revenir pour échanger d’autres amabilités. J’avais mis des heures à m’endormir, à cause de la musique vibrant à travers le plancher et de mes émotions contradictoires. Mais l’épuisement avait fini par avoir raison de moi.

–  Evie ? Il y a quelqu’un ? cria une voix de femme dans le couloir. Vous êtes là ?

Je m’extirpai du gigantesque lit et tirai sur le bord du T-shirt de David. Quoi qu’il ait utilisé pour le laver à Las Vegas, ça ne sentait plus le vomi. Cet homme était doué pour la lessive. Heureusement pour moi car, à l’exception de ma robe de soirée sale et de quelques hauts, je n’avais rien d’autre à me mettre.

–  Qui est-ce ? demandai-je, bâillant à m’en décrocher la mâchoire.

–  Martha. L’assistante de David.

J’entrebâillai la porte. La jolie brune de la veille me regardait, l’air un peu agacé. Peut-être d’avoir été obligée d’attendre ou à la vue de mes cheveux en bataille, je ne savais pas. Est-ce que tout le monde dans cette baraque avait l’air de sortir tout droit d’une couverture de Vogue ? Ses yeux se rétrécirent lorsqu’elle aperçut le T-shirt de David.

–  Ses avocats sont arrivés. Vous feriez bien de vous remuer.

Elle fit demi-tour et s’éloigna dans le couloir, ses talons claquant furieusement contre le carrelage en terre cuite.

–  Merci…

Elle ne m’avait pas reconnue mais je ne m’y attendais pas vraiment. Ce coin de Los Angeles était à l’évidence un repaire de crétins mal élevés. Je me précipitai sous la douche, enfilai mon jean et un T-shirt propre. C’était le mieux que je puisse faire.

La maison était toujours silencieuse lorsque je me ruai dans le couloir. Aucun signe de vie au deuxième étage. J’appliquai un peu de mascara, attachai mes cheveux mouillés en queue- de-cheval, rien de plus. Je pouvais faire attendre ces gens ou y aller sans maquillage. Victoire de la politesse. Cependant, pour du café, j’aurais laissé les hommes de David poireauter le temps d’au moins deux tasses. Me présenter sans caféine semblait suicidaire étant donné les circonstances particulièrement stressantes. Je dévalai les marches quatre par quatre.

–  Mademoiselle Thomas, appela un homme qui sortait d’une pièce sur la gauche.

Il portait un jean, un polo blanc et, autour du cou, une épaisse chaîne en or. Qui était-ce ? Quelqu’un du staff de David ?

–  Désolée pour le retard.

–  Ne vous inquiétez pas.

Il sourit mais, malgré ses grandes dents blanches, son sourire ne m’inspira pas confiance. Visiblement, la nature n’avait joué aucun rôle dans ses dents ou son bronzage.

–  Je suis Adrian.

–  Ev. Enchantée.

Il me fit entrer dans la salle. Trois hommes en costume attendaient autour d’une table d’une longueur impressionnante. Au plafond pendait un autre lustre en cristal qui étincelait dans la lumière matinale. Sur les murs étaient accrochés de magnifiques tableaux colorés. Des originaux, évidemment.

–  Messieurs, laissez-moi vous présenter Mlle Thomas, annonça Adrian. Scott Baker, Bill Preston et Ted Vaughan sont les représentants légaux de David. Je vous en prie, Ev, asseyez-vous.

Adrian parlait lentement, comme s’il s’adressait à une débile mentale. Il tira une chaise afin que je me retrouve en face de l’équipe des aigles juridiques avant de faire le tour de la table pour s’asseoir de leur côté. Waouh. Le ton était donné.

Je frottai mes paumes moites sur mon jean et m’assis, en faisant de mon mieux pour ne pas perdre contenance sous leurs regards hostiles. Je pouvais le faire. Ça ne devait pas être si difficile de divorcer, après tout.

–  Mademoiselle Thomas, commença celui qu’Adrian avait présenté comme étant Ted.

Il poussa dans ma direction une grosse chemise en cuir noir remplie de papiers.

–  M. Ferris nous a demandé de rédiger les documents d’annulation. Tous les points y sont abordés, y compris le montant de la prestation compensatoire.

La taille de la pile de documents devant moi était intimidante. Ces gens travaillaient vite.

–  La prestation compensatoire ?

–  Oui, répondit Ted. Soyez certaine que M. Ferris s’est montré très généreux.

Je secouai la tête, perplexe.

–  Je suis désolée. Que… ?

–  Nous reviendrons là-dessus plus tard. Vous remarquerez que ce document évoque toutes les clauses que vous devez respecter. La principale étant que vous ne parliez pas à la presse. Ce n’est pas négociable, j’en ai bien peur. Cette clause demeure en vigueur jusqu’à votre décès. Comprenez-vous bien cette exigence, mademoiselle Thomas ?

–  Je pourrai donc leur parler après ma mort ? demandai-je avec un petit rire.

Ted me tapait sur les nerfs. Je n’avais peut-être pas assez dormi, finalement.

Il me montra ses dents. Elles n’étaient pas aussi impressionnantes que celles d’Adrian.

–  C’est un sujet très sérieux, mademoiselle Thomas.

–  Ev. Je m’appelle Ev et je me rends bien compte de la gravité de la chose, Ted, veuillez excuser ma désinvolture. Mais si nous pouvions revenir à la partie qui concerne la compensation ? J’avoue être un peu perdue.

–  Mais certainement.

Il tapota sur la paperasse avec un gros stylo en or.

–  Comme je le disais, M. Ferris s’est montré très généreux.

–  Non, l’interrompis-je sans même regarder les documents. Vous ne comprenez pas.

Il s’éclaircit la voix et me toisa par-dessus ses lunettes.

–  Il serait peu judicieux de votre part d’essayer d’obtenir plus au vu des circonstances, mademoiselle Thomas. Un mariage d’une durée de six heures à Las Vegas conclu alors que vous étiez tous deux sous l’empire de l’alcool ? C’est un motif parfait d’annulation.

Les petits copains de Ted ricanèrent et je sentis mon visage s’empourprer. J’avais de plus en plus envie de filer «  accidentellement » un coup de pied sous la table à ce connard.

–  Mon client ne fera pas d’autre offre.

–  Je ne veux pas qu’il fasse d’autre offre, répondis-je en haussant le ton.

–  L’annulation va avoir lieu, mademoiselle Thomas. Aucun doute là-dessus. Il n’y aura pas de conciliation.

–  Ce n’est pas ce que je voulais dire.

Il soupira.

–  Il faut que nous finalisions cela aujourd’hui, mademoiselle Thomas.

–  Je n’essaie pas de retarder les choses, Ted.

Les deux autres avocats me regardèrent avec dégoût, épaulant Ted avec des sourires torves et entendus. Rien ne me foutait plus en rogne qu’une bande d’idiots qui essaient d’intimider quelqu’un. Au lycée, les tyrans avaient fait de ma vie un enfer. Et, franchement, ces gens-là étaient du même acabit.

Adrian m’adressa un large sourire tout en dents, faussement paternel.

–  Je suis persuadé qu’Ev se rend bien compte de la grande générosité de David. Nous n’allons pas faire d’histoires, n’est-ce pas ?

Ces gens-là étaient hallucinants. À ce propos, où était mon cher mari ? Trop occupé à baiser des mannequins en bikinis pour se pointer à son propre divorce, peut-être ? Je repoussai ma frange, essayant de trouver mes mots. De contenir ma colère.

–  Attendez…

–  Nous désirons simplement ce qu’il y a de mieux pour vous étant donné la regrettable situation, mentit Adrian.

–  Super, dis-je, les doigts s’agitant sous la table. C’est… c’est vraiment très aimable à vous.

–  Si vous voulez bien, mademoiselle Thomas.

De façon autoritaire, Ted tapota son stylo sur un nombre inscrit sur le document et je regardai machinalement, presque malgré moi. Il y avait beaucoup de zéros. Je veux dire, vraiment beaucoup. C’était dingue. Même en plusieurs vies, je ne gagnerais jamais autant d’argent. David voulait vraiment me voir disparaître, et en vitesse. Mon estomac gargouilla nerveusement. Toute cette scène semblait surréaliste, comme tirée d’un mauvais film de série B ou d’un soap opera. Une fille des bas-quartiers séduit un garçon riche et sexy et le piège pour qu’il l’épouse. À présent, tout ce qui lui restait, c’était d’utiliser ses gens pour me chasser vers le soleil couchant.

Eh bien, il avait gagné.

–  Tout ça n’est qu’un malentendu, déclara Adrian. Je suis certain qu’Ev est aussi désireuse que David de laisser tout ça derrière elle. Et, avec cette somme généreuse, elle peut à présent envisager un avenir brillant.

–  De plus, vous n’essaierez plus d’entrer en contact avec M. Ferris, d’aucune manière que ce soit. Toute tentative de votre part entraînerait une rupture de ce contrat.

Ted releva son stylo et se renfonça dans son siège avec un sourire faux, les mains croisées sur son ventre.

–  Est-ce clair ?

–  Non, répondis-je en me frottant le visage avec mes mains.

Ils s’attendaient vraiment que je saute de joie devant tout cet argent. Argent que je n’avais rien fait pour mériter, soit dit en passant. Bien sûr, ils avaient peur que je vende mon histoire à la presse et que je harcèle David chaque jour que Dieu ferait. Ils me prenaient pour une moins que rien.

–  Je pense que je peux honnêtement dire que rien de tout cela n’est clair.

–  Ev, s’il vous plaît.

Adrian me jeta un regard déçu.

–  Soyez raisonnable.

–  Vous savez quoi ?

Je me levai, retirai la bague de la poche de mon jean et la jetai sur la masse de documents.

–  Vous n’avez qu’à rendre ça à David et lui dire que je ne veux rien. Rien de tout ça.

Je désignai la table, les papiers, et toute cette foutue baraque. Les avocats se regardaient nerveusement, comme s’ils avaient besoin de plus de paperasse avant de pouvoir m’autoriser à m’indigner.

–  Ev…

–  Je ne veux pas vendre son histoire, ni le harceler, ni quoi que vous ayez enterré dans le paragraphe 98. 2. Je ne veux pas de son argent.

Adrian étouffa un rire. Qu’il aille se faire voir. Ce salaud de m’as-tu-vu pouvait bien penser ce qu’il voulait.

Ted fronça les sourcils devant l’énorme bague étincelante qui gisait innocemment au milieu du bazar.

–  M. Ferris n’a pas fait mention d’une bague.

–  Ah non ? Pourquoi ne diriez-vous donc pas à ce cher M. Ferris qu’il peut se la mettre là où je pense, Ted.

–  Mademoiselle Thomas !

Il se leva brusquement, son visage bouffi scandalisé.

–  Ce n’était pas nécessaire.

–  Je crains de ne pas être d’accord avec vous sur ce point, Ted.

Je sortis en trombe de la salle à manger de la mort et me dirigeai droit vers la porte d’entrée aussi vite que mes pieds me le permettaient. La fuite immédiate semblait la seule solution. Si seulement je pouvais m’éloigner d’eux assez longtemps pour reprendre mon souffle, j’arriverais à trouver un nouveau plan pour affronter cette situation ridicule. Et tout irait bien.

Alors que je dévalais le perron, une Jeep noire flambant neuve s’arrêta devant moi.

La vitre s’abaissa et Mal, mon guide de la veille, apparut. Il me sourit derrière ses lunettes de soleil noires.

–  Salut, petite mariée.

Je lui fis un doigt d’honneur et partis au petit trot sur la longue et sinueuse allée menant à la grille d’entrée. Vers la libération, la liberté, et mon ancienne vie, ou du moins ce qu’il en restait. Si seulement je n’étais pas allée à Vegas. Si seulement j’avais réussi à convaincre Lauren qu’une fête à la maison suffisait, rien de tout cela ne serait arrivé. Mon Dieu, quelle idiote j’avais été ! Pourquoi avais-je autant bu ?

–  Ev, attends ! Qu’est-ce qui se passe ? Où vas-tu ?

Je ne répondis pas. J’en avais fini avec eux. Et puis j’étais sûre que j’allais me mettre à pleurer. Merde. Mes yeux me piquaient.

–  Stop.

Il serra le frein à main, sortit de la Jeep et me courut après.

–  Hé, je suis désolé.

Je ne répondis pas. Je n’avais plus rien à leur dire.

Il m’attrapa doucement le bras et je tentai de lui décocher un coup de poing. Je n’avais jamais frappé quelqu’un de ma vie. Manifestement, je n’allais pas commencer maintenant : il l’esquiva sans peine.

–  Ho ! O.K.

Mal recula d’un pas et me lança un regard méfiant par-dessus ses lunettes de soleil.

–  Tu es en colère. J’ai compris.

Les mains sur les hanches, il jeta un regard en direction de la maison. Ted et Adrian se tenaient sur le perron et nous observaient. Même à cette distance, le duo de choc n’avait pas l’air content. Bande de salopards.

Mal soupira.

–  Non mais je rêve. Il a lancé ce connard de mes deux après toi ?

J’acquiesçai, tentant de garder mon sang-froid.

–  Tu as quelqu’un pour te raccompagner ? demanda-t-il.

–  Non.

Il pencha la tête.

–  Tu vas te mettre à pleurer ?

–  Non !

–  Et puis merde. Allez, viens. (Il me tendit une main que je regardai avec incrédulité.) Réfléchis, Ev. Il y a des photographes qui attendent devant. Même si tu arrives à les éviter, tu vas aller où ?

Il avait raison. Il fallait que je revienne chercher mes affaires. Quelle bêtise de ma part de ne pas y avoir pensé. Dès que j’aurais repris mes esprits, j’y retournerais, récupérerais mon sac et foutrais le camp d’ici. Je m’éventai le visage avec mes mains et pris une grande respiration. Tout allait bien se passer.

Sa main était restée suspendue, en attente. Il y avait deux petites ampoules sur la jointure entre le pouce et l’index. Curieux.

–  C’est toi, le batteur ? demandai-je en reniflant.

Pour je ne sais quelle raison, il éclata de rire, presque plié en deux, en se tenant le ventre. Peut-être qu’il se droguait. Ou peut-être était-ce un cinglé de plus dans ce gigantesque asile de fous. Même Batman aurait eu du mal à garder cet endroit en ordre.

–  C’est quoi ton problème ? demandai-je en m’écartant d’un pas. Au cas où.

Ses lunettes de soleil chicos tombèrent sur l’asphalte avec un petit bruit. Il les essuya avant de les remettre sur son nez.

–  Rien. Rien du tout. Allons-nous-en d’ici. J’ai une maison sur la plage. On va s’y cacher. Allez, viens, ça va être marrant.

J’hésitai, jetant un regard meurtrier aux deux crétins sur le perron.

–  Pourquoi voudrais-tu m’aider ?

–  Parce que tu en vaux la peine.

–  Oh, vraiment ? Et qu’est-ce qui te fait penser ça ?

–  Tu ne vas pas aimer ma réponse.

–  Je n’ai pas aimé une seule des réponses que j’ai obtenues ce matin. Pourquoi donc arrêter maintenant ?

Cela le fit sourire.

–  Très bien. David est mon plus vieil ami. On s’est bourré la gueule plus de fois que je peux m’en souvenir. Même avant qu’on soit célèbres, les nanas ont toujours essayé de lui mettre le grappin dessus. Mais il n’a jamais été intéressé par le mariage. S’il t’a épousée, eh bien, ça me laisse penser que tu vaux le coup d’être aidée. Allez, Ev. Arrête de t’inquiéter.

Facile à dire, sa vie n’avait pas été anéantie par une rock star.

–  Il faut que j’aille récupérer mes affaires.

–  Pour qu’ils te tombent dessus ? On s’occupera de ça plus tard.

Il tendit la main, ses doigts cherchant les miens.

–  Fichons le camp d’ici.

Je glissai ma main dans la sienne et le suivis.