Chapitre 22

Nous passâmes la majeure partie de notre premier jour de vacances au lit. Des gaufres furent commandées et consommées. Le soir, nous quittâmes la bulle de notre chambre d’hôtel pour dîner avec les parents de Mal dans leur suite. Une fois de plus, Neil se montra attentif et silencieux, restant fidèlement aux côtés de son épouse. Lori égaya la soirée. Les anecdotes qu’elle raconta sur Mal enfant le mirent en rogne et me firent mourir de rire.

Ma préférée fut celle où, alors âgé de onze ans, il avait construit avec son père une petite rampe de skate dans leur jardin. En l’espace de deux mois et demi, il s’était cassé un bras, deux doigts et une jambe. Lori avait obligé Neil à détruire la rampe pour en faire du petit bois. Mal avait alors entamé une grève de la faim qui avait duré environ deux heures et demie.

Pour le consoler de la perte de la rampe, Lori avait offert à Mal une batterie.

Et la légende avait commencé.

La soirée fut excellente. Lori ne parla pas de sa maladie, et nous l’imitâmes. Si Lori n’était pas aussi frêle, et Neil et Mal moins nerveux, on aurait presque pu penser que tout allait bien. Plus je passais du temps avec elle, plus je comprenais l’infinie tristesse de Mal. Destructrice de rampe de skate ou non, Lori était une femme formidable. Et maintenant que je savais, le désespoir silencieux qui hantait le regard de Neil me sautait aux yeux. Traverser cette épreuve aux côtés de son épouse le rongeait de l’intérieur.

C’était ça le problème avec l’amour : ça ne durait pas. D’une façon ou d’une autre, tout finissait toujours par prendre fin. Les gens souffraient.

Lorsque nous retournâmes à notre chambre, Mal était silencieux, distant. Je mis un film d’action avec plein d’explosions, que nous regardâmes ensemble, sa tête sur mes genoux. C’est une fois le film terminé que la soirée commença vraiment. Nous fîmes l’amour lentement, intensément, encore et encore jusqu’à ce que j’oublie mon propre nom. Son regard plongé dans le mien, il se mouvait sur moi et en moi comme si le temps n’existait plus.

Comme si nous pouvions continuer comme ça pour toujours.

Le deuxième jour, tout leur matériel fut transporté de la salle de répétition jusqu’au lieu du concert. Mal se rendit à la balance, puis à une réunion d’affaires. Lizzy vint me tenir compagnie. Apparemment, quelques journalistes surveillaient la librairie et mon immeuble dans l’espoir d’obtenir un scoop. Jusqu’à présent, ils n’avaient rien obtenu de mieux qu’une vieille photo floue datant du lycée. Elle avait été publiée la veille dans le journal local sans susciter d’intérêt particulier.

Vu sa fascination pour Ben, j’étais rassurée que Lizzy ait un rencard ce soir-là et ne puisse pas assister au concert.

Le coup d’envoi de la tournée fut donné.

Il me restait moins d’une semaine avant de reprendre le boulot.

Nous discutions backstage lorsque Adrian, le manager du groupe, arriva en tapant des mains.

– Cinq minutes, les gars. Vous êtes prêts à y aller ?

Il était suivi par un type équipé d’un casque audio et d’une tablette informatique. J’avais vu plusieurs personnes munies du même équipement, mais j’ignorais combien exactement travaillaient pour le groupe.

Ev et moi assistâmes au concert depuis le côté de la scène, postées près d’énormes amplis. La clameur du public et l’énergie qui envahissait l’immense salle étaient incroyables. Je n’étais pas spécialement du genre mystique ou spirituelle, mais se tenir là face à des milliers de personnes constituait une expérience impressionnante. Il y avait une ambiance de dingue.

Les billets du concert – qui avait lieu dans la plus grande salle de concert de Portland – s’étaient écoulés en un temps record. Leur tournée prévoyait neuf dates aux États-Unis, puis d’autres en Asie. Le groupe devait aussi se produire dans plusieurs festivals en Europe au printemps et à l’été prochains. Et au milieu de tout ça, ils étaient censés passer du temps en studio d’enregistrement. Apparemment, Ev avait inspiré à David de nouvelles chansons.

Ah, l’amour…

C’était génial d’assister au concert d’aussi près. Je passais un moment merveilleux, jusqu’à ce que j’aperçoive au premier rang une fille avec le nom de mon copain écrit en grosses lettre rouges sur les seins. Difficile de ne pas la remarquer vu la façon dont elle les mettait ostensiblement en avant.

– Prends sur toi et souris, me conseilla Ev avec un large sourire qui dévoilait ses dents.

– Qu’elle aille se faire foutre.

Je reportai mon attention sur Mal, qui se donnait à fond, en sueur, tête renversée et cheveux blonds hirsutes. Mon cœur se mit à battre la chamade. Et je ne parle même pas de ce qui se passait plus bas.

Au bout d’environ une heure et demie, Lori et Neil nous rejoignirent, sourires aux lèvres et boules Quies dans les oreilles. Mes yeux s’embuèrent à la vue des regards emplis de fierté qu’ils posaient sur leur fils. Lori le remarqua sans doute puisqu’elle enroula un bras autour de ma taille et s’appuya contre moi. Je mis mon bras autour de ses épaules tandis que le groupe entonnait une nouvelle chanson, puis encore une autre. Petit à petit, elle prenait davantage appui sur moi. Elle ne pesait pas lourd, mais lorsqu’elle commença à se balancer sur ses pieds, je lançai à Neil un regard nerveux.

Plaçant une main sous son bras, il se pencha devant elle en lui adressant un petit sourire. Lori se ragaillardit et le rassura d’un geste, tout en se redressant. Mais alors ses jambes se dérobèrent. Neil et moi la rattrapâmes, l’empêchant de tomber. Hélas, tout cela se produisit entre deux chansons, pendant que Jimmy s’adressait tranquillement aux groupies hurlant devant la scène. Et en dépit des lumières aveuglantes, Mal vit sa mère chanceler. Il se leva aussitôt et nous observa. L’angoisse était lisible sur son visage.

Sans plus de cérémonie, Neil prit Lori dans ses bras et l’emmena. Je fis un signe de la main à l’adresse de Mal, avec l’espoir qu’il comprendrait mon message : j’allais les suivre et faire ce que je pouvais. Ce fut sûrement le cas puisqu’il hocha la tête et se rassit.

– Allez, viens, lança Ev en m’attrapant la main.

Nous emboîtâmes le pas aux parents de Mal, zigzaguant entre les gens et le matériel. Nous retrouvâmes Lena devant la salle où nous avions passé du temps plus tôt dans la journée. Près d’elle se tenait Adrian, manifestement mécontent – mais je doutais de le voir de bonne humeur un jour.

– Dites-moi si vous voulez que j’appelle un médecin, proposa-t-elle.

– Merci.

Neil avait allongé Lori sur un canapé et porté un verre de jus de fruits à ses lèvres. Un oiseau aurait bu plus que ce qu’elle était en train de siroter. Sa peau était pâle et fine comme du papier à cigarettes, son regard perdu dans le vide.

– Inutile d’en faire tout un plat, affirma Lori sur un ton de réprimande. (Lorsqu’elle m’aperçut, ses yeux s’écarquillèrent.) Oh, Anne, il ne fallait pas venir. Tu t’amusais bien.

– Le concert doit être presque fini. Et je suis sûre que Mal préférerait que je sois avec vous pour m’assurer que tout va bien.

– Ça va. Vous pouvez y retourner.

Merde. Je savais très bien ce que ce « ça va » signifiait. Grâce à ma mère, j’étais la reine du « ça va ». Je me perchai sur l’accoudoir du canapé. Neil était assis à l’autre bout. Vu d’aussi près, le visage de Lori paraissait teinté de gris.

– Je sais que vous êtes malade, Lori, avouai-je. Mal m’en a parlé.

De l’air sortit de sa bouche avec un petit sifflement.

– Je ne voulais pas que tout le monde soit au courant. C’est la vie, ma chérie. Tout le monde doit partir un jour.

– Il m’a dit qu’il vous restait un ou deux mois, poursuivis-je. (Neil et Lori échangèrent un regard qui ne me plut pas du tout.) Y a-t-il quelque chose que vous devez dire à votre fils ?

– C’est sans doute moins que ça maintenant, admit Lori. Nous avons vu le médecin à Spokane avant de venir ici. Je ne souhaite pas passer mes derniers jours dans un hôpital.

Une boule se forma dans ma gorge.

– Vos derniers jours ?

– Dernières semaines, rectifia-t-elle. D’après eux, une semaine. Deux, au mieux. On rentre chez nous demain après-midi. J’aimerais être là-bas…

Neil prit une grande inspiration et tourna la tête. Il caressa la main de sa femme et leurs doigts s’entremêlèrent.

– Vous devez lui dire, déclarai-je.

Il y avait dans ma gorge des lames de rasoir, des barbelés, des clous, des couteaux et autres outils tranchants. C’était atrocement douloureux.

– Tu as sans doute raison.

Neil émit un grognement et se leva après avoir serré les doigts de Lori une dernière fois.

– Je lui parlerai après le concert, décida-t-il. On ne peut pas demander à Anne de lui cacher ça.

– Non, approuva Lori. Tiens, aide-moi à m’asseoir. Tout le monde va débouler et je serai allongée là comme une idiote.

Je n’arrivais pas à croire que c’était en train de se produire. Merde…

Doucement, nous aidâmes Lori à se redresser. Puis Neil partit rejoindre son fils et j’entrepris de servir les jus de fruits. Au moins, ça me donnait quelque chose à faire.

– Je suis contente qu’il t’ait dans sa vie, me confia Lori en lissant sa robe vert pâle. Je sais que je te l’ai déjà dit. Mais mon départ va être très éprouvant pour lui. Il fait l’homme fort et solide, mais mon fils est fragile au fond. Il va avoir besoin de toi, Anne.

Elle prit ma main libre dans la sienne. Contrairement à elle, la mienne était moite.

– J’aime beaucoup votre fils, dis-je, parce qu’il fallait bien que je dise quelque chose – en conséquence, mes mots étaient affreusement inappropriés, comme souvent lorsqu’il était question de sentiments.

– Je sais, ma chérie. J’ai bien vu la façon dont tu le regardais.

– Avec un regard de psychopathe ?

– Oui, dit-elle en riant doucement. Un regard de psychopathe.

Dans la salle de concert, la foule hurlait et les tapements de pied faisaient presque trembler les murs. C’est drôle, ici la musique nous parvenait comme un léger vrombissement, tout au plus. Trois fois rien. Ou peut-être était-ce le tambourinement dans ma tête que j’entendais. Je sentais une migraine poindre sous mon crâne. Le poids de la situation était lourd, presque écrasant. Il n’y avait aucune façon d’arranger les choses.

Des gens commencèrent à affluer dans la pièce. Une table recouverte de nourriture et de boissons avait été installée. Apparemment, une fête était prévue. Adrian se tenait près de la porte, serrant des mains et riant aux conneries qu’on lui racontait. Tout ça était tellement surréaliste. Quelque part, Neil était sans doute en train de parler à Mal.

– Ça va aller, m’assura Lori en me caressant la main.

N’était-ce pas ironique qu’elle répète ainsi mon mot favori ? Peut-être y avait-il du vrai dans la théorie selon laquelle on choisit un compagnon qui ressemble à son parent – théorie qui me paraissait à la fois glauque et bizarre. Je n’avais pas du tout envie d’y penser, en réalité. Mal ne ressemblait en rien à mon père.

C’est à ce moment-là qu’il surgit dans la pièce. Mal, pas mon père. Sa main était enveloppée dans un tee-shirt, du sang dégoulinait de ses doigts.

– Merde, qu’est-ce qui s’est passé ? m’écriai-je en bondissant du canapé, me précipitant vers lui.

Neil retourna auprès de Lori. Jimmy, lui, se dirigea droit vers le buffet et plongea une main déterminée dans le seau rempli de bières.

– Jimmy. Qu’est-ce que tu fabriques ? lui demanda Lena en l’attrapant par le bras.

Avec une moue agacée, il se pencha vers elle et lui murmura quelque chose à l’oreille. Le regard de Lena se porta aussitôt sur Mal, puis retomba jusqu’à sa main. Elle regarda de haut en bas, à la recherche de quelque chose.

– Mal ?

Son odeur me vrilla l’estomac, comme à chaque fois. Mais que se passait-il, bon sang ?

– Salut, ma puce. Oh, rien de grave.

Il évita mon regard, tout comme celui, soucieux, de sa mère. Jimmy revint, les mains pleines. Lena et lui avaient transformé la nappe en lin en poche de glace.

– Tiens.

– Merci.

Doucement, Mal déroula le tee-shirt ensanglanté. Ses articulations étaient à vif. Des blessures ouvertes. Sa mâchoire se crispa lorsque la glace toucha sa main.

Leur connard de manager, Adrian, se dirigea vers nous, se frayant un passage à coups de coude.

– Mal, il paraît qu’il y a eu un incident là-haut ?

– Ah, ouais, ça t’ennuierait de régler ça ? Mal a fait un trou dans le mur. C’est un accident, expliqua David en posant une main sur l’épaule d’Adrian tout en l’éloignant.

J’avais de sérieux doutes sur le fait que ce soit un « accident ».

– Il faut que quelqu’un examine sa main, estima Adrian.

Ils continuèrent à parler, mais j’avais déconnecté. Je posai une main sur le visage de Mal pour qu’il me regarde.

– Hey.

Le désespoir que je lus dans ses yeux allait me faire faire des cauchemars. Il se pencha vers moi et plaqua sa bouche sur la mienne, m’embrassant avec intensité. Sa langue envahit ma bouche, exigeant tout de moi. Et je me donnai à lui. Évidemment.

Il finit par se calmer, le front collé contre le mien.

– C’est la merde.

– Je sais.

– Il ne lui reste qu’une semaine ou deux.

Qu’y avait-il à dire ? Rien.

Il ferma les yeux. Son visage en sueur humidifiait ma peau. Il était torse nu alors qu’il faisait frais dans la pièce – pour une raison quelconque, la clim était en marche. Pas vraiment indispensable à cette période de l’année.

– Tu devrais boire quelque chose, suggérai-je, sautant sur le moindre service que je pouvais lui rendre. Et on va te trouver un autre tee-shirt, d’accord ? Tu risques de te refroidir.

– D’accord.

– Reste avec lui, intervint Ev, une main sur mon épaule. J’y vais.

– Evie. (Mal noua ses bras au-dessus de ma tête, m’étreignant maladroitement, la poche de glace toujours serrée contre sa main.) Quelque chose de fort.

Le front d’Ev se plissa.

– Whisky, ou un truc du genre, précisa Mal. S’il te plaît.

Elle tourna les talons en soupirant et se faufila à travers les invités. Le timing était désastreux pour faire la fête.

– On ferait mieux d’y aller, affirma Mal en se tournant pour faire face à ses parents.

Neil était assis sur l’accoudoir du canapé, un bras autour de sa femme. Les lèvres de Lori étaient pincées par l’inquiétude.

– Salut, maman, dit Mal, en me tenant tout contre lui. Je suis content que vous soyez venus. J’ai eu un petit souci avec ma main.

– Est-ce que ça va ?

– Oui, oui, ne t’en fais pas.

Les autres membres du groupe se tenaient à proximité, maintenant à distance les indiscrets. Sam arriva pour prendre le relais, accompagné par un autre homme vêtu d’un costume noir. Ben et Jimmy accomplissaient leur devoir, discutant avec les invités, serrant des mains. Mais leurs regards revenaient sans cesse sur Mal.

Ev avait dû courir, car elle revint avec un tee-shirt Stage Dive de leur tournée, une bouteille de Smirnoff et une autre de Gatorade.

– Ils n’avaient pas de whisky.

– Ça fera l’affaire. (Il me tendit la poche de glace trempée pendant qu’il enfilait le tee-shirt, sur lequel s’affichait une grosse tête de mort.) Merci, Ev.

– Fiston, dit Neil.

Beaucoup de choses furent exprimées à travers ce simple mot.

– Tout va bien, papa, affirma Mal, d’humeur tout à coup joyeuse. Ça se passe toujours comme ça après les concerts. Tu le sais !

Neil demeura silencieux. Le dernier album du groupe et les conversations des dizaines de personnes présentes emplissaient la pièce. Mal siffla la moitié de la bouteille de Gatorade, puis il me la tendit et avala de grandes gorgées de vodka.

Et merde. J’eus l’impression que je m’apprêtais à assister à un accident de voiture.

– Bébé, dis-je en le prenant par la taille pour l’attirer vers moi. Arrête-toi et respire un grand coup.

– Tu m’as appelé bébé, lança-t-il en souriant.

– Oui.

– L’autre jour, tu m’as appelé mon cœur.

– C’est toi qui voulais un petit nom débile.

– Ouais. Ma petite Anne.

Il frotta sa joue contre la mienne, comme pour me marquer. Sa barbe me râpa la peau et tout mon corps se retrouva sur des charbons ardents. L’émotion était trop intense. Elle me terrassait.

– Mal.

– Ne me fais pas les gros yeux. Il n’y a aucune raison de t’inquiéter. Fais-moi plaisir et va discuter avec ma mère, d’accord ? Mets-la de bonne humeur. Je ne peux pas… Ah, je ne peux pas lui parler pour l’instant. Pas tout de suite.

Il porta une nouvelle fois la bouteille à ses lèvres, pencha la tête en arrière et but. À l’inverse, j’avais du mal à déglutir. L’alcool était sa façon de s’immuniser contre la douleur. Mais je mentirais si j’affirmais que ça ne m’effrayait pas. Il ouvrit les yeux et expira.

– Ah, ça va mieux. Beaucoup mieux.

– Adrian va appeler quelqu’un pour examiner ta main, annonça David en se joignant à nous.

– Pas la peine.

Je tâchai de m’éclaircir la gorge.

– Il faut que tu soignes ta blessure, Mal.

– Ma puce…

Ras-le-bol de ses conneries.

– Tu veux que je cesse de m’inquiéter ? Alors accepte qu’on te soigne. C’est le deal.

Lentement, son regard vint à la rencontre du mien.

– J’adore quand tu es impitoyable avec moi. D’accord. Si ça te fait plaisir.

– Merci.

Et une nouvelle gorgée de vodka.

Ev se trouvait sous le bras de David, et tous deux contemplaient Mal avec inquiétude. Les mines étaient tendues, fatiguées, tandis que Mal s’évertuait à boire, se dirigeant droit vers le fond de la bouteille. Ça me rendait dingue.

– Ça suffit.

Je lui pris la bouteille des mains. Il ne s’y attendait manifestement pas puisqu’il n’opposa aucune résistance. Ses grands yeux verts s’écarquillèrent, avant de se teinter de colère.

– Qu’est-ce que tu fous ? murmura-t-il.

– Trouve une autre façon de gérer la situation.

– C’est pas à toi de décider de ça.

– Tu as vraiment envie que ta mère se souvienne de toi en train de te bourrer la gueule ?

– Arrête. Elle nous suit depuis le début, Anne. Elle sait très bien comment ça se passe après un concert. Elle veut qu’on se comporte comme d’habitude ? C’est ce que je suis en train de faire.

– Je ne plaisante pas. Arrête ça tout de suite.

Il me fusilla du regard. Pas de problème. S’il voulait qu’on se lance dans un concours de regards noirs, très bien. J’avais promis d’être là pour lui. Cela signifiait aussi le protéger de lui-même si nécessaire.

– Regarde autour de toi, repris-je. Ils ont tous vu Jimmy passer par là. Ils sont morts de trouille pour toi, Mal.

– Ça n’a rien à voir, grommela-t-il.

– Pas pour l’instant.

– Ce n’est pas ton rôle de me dicter ma conduite, ma puce. Vraiment pas.

– Mal…

– Ça fait, quoi, une semaine qu’on est ensemble ? Et tu sais tout mieux que tout le monde, c’est ça ? (Il me regardait de haut, la mâchoire crispée.) Attention, Anne est aux commandes !

– Bordel, intervint David en s’avançant vers nous. Ferme-la avant de dire quelque chose que tu pourrais regretter. Elle a raison. Je n’ai aucune envie de devoir t’envoyer en cure de désintox.

– Qu’est-ce que tu racontes, putain ? En cure de désintox ? T’as pas l’impression d’en faire un peu trop, là ?

– Tu crois ? rétorqua David. Tu avais tellement bu l’autre soir que tu as flanqué un coup de pied à ta copine. Et là, tu es tellement furax que tu fous un coup de poing dans le mur. Ça t’inspire quoi ? Quelqu’un qui a la situation bien en main ?

Mal tressaillit.

– Il se passe des trucs en ce moment.

– Je le comprends. On le comprend tous. Mais Anne a raison, te mettre la tête à l’envers un soir sur deux ne résoudra rien.

Les épaules de Mal se voûtèrent. Il n’avait plus l’énergie de se battre.

– Va te faire foutre, Ferris.

– Si tu veux. Mais excuse-toi auprès de ta copine. Et en le pensant.

Mal dirigea son regard empli de tristesse vers moi.

– Désolé, ma puce.

Hochant la tête, je m’efforçai de sourire.

– Allez, viens, tu as besoin d’une pause, dit David en attrapant Mal par le cou et en l’attirant vers les invités.

Heureusement, Mal se laissa faire. Je les observai avec un calme relatif. Tout se passerait bien. Mais je rechignais à me retourner. Je pouvais sentir le feu du regard de Lori brûler un trou dans mon dos. Neil et elle avaient certainement tout entendu. Que leur dire ?

J’étais vraiment nulle pour tout ce qui concernait les relations et la famille. J’aurais aimé que Lizzy soit là. Elle, elle aurait su comment se comporter. Elle était bien plus douée que moi.

– Ça va aller, affirma Ev en me prenant la main.

Si l’intention était bonne, je doutais qu’elle ait raison.