Chapitre 15

Le lendemain, les gars étaient de retour au studio. Ev m’avait remplacée pour la plupart des déplacements car mon attelle limitait considérablement mes mouvements. Jimmy, lui, avait brillé par son absence après notre étreinte enfiévrée sur la table de la cuisine. Si j’étais dans une pièce, il se trouvait dans celle la plus éloignée. Qu’il aille se faire voir.

Comme si c’était moi qui avais eu cette brillante idée.

Mais, aujourd’hui, il semblait être passé à autre chose. Ouais, c’est ça, comme si c’était si simple après la façon dont il s’était comporté.

Je l’ignorai le matin. Je l’ignorai l’après-midi.

Je l’ignorai à l’étage, et au rez-de-chaussée.

Apparemment, cela lui déplut fortement car il me lança force regards renfrognés. Je me refusai à lui demander de m’aider à monter et descendre l’escalier. Foutu Jimmy Ferris et sa bouche et son pénis incroyables. Qui avait besoin de lui ? Pas moi. Je pouvais parfaitement me débrouiller toute seule.

Voilà pourquoi Dieu avait inventé les vibromasseurs. La masturbation était beaucoup moins risquée : jamais mes doigts ne m’avaient causé ce genre d’ennuis.

Oui, à un moment donné au cours des vingt-quatre dernières heures, la guerre froide avait été déclarée. Une femme dédaignée, ou une femme à qui on avait refusé l’accès à sa bite. Les deux marchaient. Si je lui avais prêté attention, je l’aurais vu me jeter des regards étranges toute la matinée. Mais vu qu’il n’était pas dans mon radar, je ne m’en aperçus même pas. Enfin, si l’on veut. Ouais, j’en avais tellement fini avec lui que je ne le vis même pas approcher de nouveau.

– Lena.

Pas de réponse.

– Tiens.

On flanqua un paquet sous mon nez.

Ev et moi étions en train de travailler, assises dans les ravissants petits fauteuils que j’avais commandés pour l’entrée du studio d’enregistrement. Bleu turquoise flashy. J’avais fini par en avoir marre de m’asseoir sur les marches et puis j’avais accès aux cartes de crédit de Jimmy alors pourquoi pas. Il n’était d’ailleurs pas encore au courant de mon autre achat de la veille.

Mais ne nous attardons pas là-dessus.

Depuis l’interview de sa mère, les paparazzis campaient devant la porte et le téléphone n’arrêtait pas de sonner ; la journée n’avait pas été de tout repos. Jimmy avait toutes les raisons d’être stressé et malheureux. J’avais débranché le téléphone et m’étais attachée à trier les mails qui s’étaient accumulés. Un peu plus tôt, j’avais commis l’erreur d’aller ouvrir la porte et m’étais retrouvée assaillie par les appareils photo. On m’avait tant bombardée de questions que mon cœur s’était mis à battre à tout rompre et que la claustrophobie m’avait envahie. Des types de la sécurité s’étaient précipités et les avaient repoussés, m’aidant à refermer la porte. On ne m’y reprendrait pas à deux fois. Une demi-heure plus tard, une photo de moi l’air ahuri et les cheveux en bataille faisait le tour d’Internet. Une heure après, ma mère avait téléphoné pour savoir si je tenais le coup et c’était le cas, j’avais simplement besoin d’un bon coup de Photoshop. Ça m’avait semblé le moment idéal pour la distraire avec l’histoire de mon entorse à la cheville. Seulement, dans cette version, j’avais accidentellement raté une marche. Oui, mentir est une très vilaine chose. Mais peu importe mon âge, je ne pouvais quand même pas avouer à ma mère avoir essayé de défoncer la porte d’un mec. Elle en avait temporairement oublié de me cuisiner sur mon éventuelle présence au mariage de ma sœur. Une bénédiction.

Quoi qu’il en soit, je doutais fort que l’ambiance dans le studio d’enregistrement soit très studieuse. Tout le monde semblait préoccupé : ou étrangement gai, ou anormalement calme. Mal avait vaguement tapé sur sa batterie un petit moment et les autres l’avaient laissé faire. Mais c’était gentil à eux d’être venus tenir compagnie à Jimmy. J’aurais moi aussi été un bastion de force et de soutien s’il ne m’avait pas insultée et abandonnée dans la cuisine la veille. Pour l’aider à traverser cette épreuve, je voulais n’être que douceur et légèreté. Puis je le revoyais s’éloigner à peine deux minutes après l’avoir eu en moi. Il ne s’était même pas excusé. Par conséquent, je ne pouvais pas encore lui pardonner.

J’avais passé une bonne partie de la journée dans le studio à prendre des photos de tout le monde (sauf de Jimmy) avec l’appareil de Pam. Ils adoraient tous les clichés et Pam m’encouragea et me donna des conseils utiles. Selon elle, certains d’entre eux pourraient même figurer sur la pochette du prochain album.

La tension entre Jimmy et moi n’avait échappé à personne, et certainement pas à Ev. Elle avait tenté d’aborder le sujet et je lui avais lancé un petit sourire triste sans cesser de discuter logistique pour la prochaine tournée. Ce qui pouvait bien se passer ou non entre Jimmy et moi ne regardait personne.

Je continuai cependant à ne pas lui adresser la parole en raison du protocole de guerre froide.

– Allez, Lena, prends-le, me dit-il.

Mes mains restèrent accrochées à mon iPad.

Il soupira.

– Ev, tu veux bien lui demander d’accepter ce putain de truc ?

– Jimmy, je dois me tromper, tu n’es pas en train d’essayer de me mêler à votre dispute ? (Avec un sourire d’acier, elle croisa les jambes.) N’est-ce pas ?

Jurons marmonnés.

– Oh, choisis-moi ! Moi je veux y être mêlé. (Comme le taré qu’il était, Mal sauta par-dessus le canapé en daim gris et s’assis à côté de moi.) Quel message voudrais-tu que je fasse passer à Lena, Jimmy ?

– Laisse tomber, grogna-t-il.

Le paquet disparut de mon champ de vision. Du ruban noir et du papier cadeau blanc et brillant se mirent à pleuvoir à mes pieds. Je le savais car je refusais toujours de regarder Jimmy comme l’adulte que j’étais. Un appareil photo apparut. Et pas n’importe quel appareil photo.

– Tiens, répéta-t-il.

– Jimmy dit : « tiens », répéta Mal à côté de moi.

Mes yeux s’écarquillèrent.

– C’est le même que celui de Pam.

– Lena dit : « C’est le même que celui de Pam. »

Jimmy l’ignora.

– Ouais, un Nikon D4. Elle m’a dit que tu en aurais besoin si tu comptais te lancer dans la photo.

Mal poussa un petit sifflement.

– Joli coup, Jim. Je suis impressionné. Tu touches ta bille niveau séduction.

Je levai enfin les yeux vers Jimmy, bouche bée. Google m’avait appris combien coûtait ce beau bébé avec tous ses accessoires. Google avait bien failli me faire chialer.

– Ce truc vaut des milliers et des milliers de dollars. C’est un appareil hors de prix.

L’une de ses épaules se releva.

– C’est pour toi.

– Je ne peux pas l’accepter.

– Pam a dit que si tu venais en tournée avec nous, tu pourrais la suivre partout. Ce serait un peu comme un apprentissage.

Je restai abasourdie devant cette perspective.

– Vraiment ?

– Ouais.

En poussant l’un de ses soupirs affligés brevetés, Jimmy tendit l’appareil photo à Mal. Puis il m’attrapa sous les bras et me remit délicatement debout.

– Écoute, j’ai besoin que tu arrêtes d’être énervée contre moi.

– Alors excuse-toi. C’est ce que font les gens lorsqu’ils ont fait de la peine à quelqu’un, Jimmy. Ils s’excusent.

– Je viens de le faire.

– Non, tu as essayé de m’acheter. Ça n’a rien à voir. Ça, c’est de la corruption. (Mes mains s’agitèrent le long de mon corps.) Je ne peux pas l’accepter.

– Mais tu as envie de cet appareil.

– Évidemment. Mais ce n’est pas le sujet.

– Si, Lena, justement.

Des murmures étouffés nous parvinrent car, bien entendu, ils avaient tous rappliqué. Ce n’était pas sain, cette façon dont ils se mêlaient de la vie des uns et des autres. Je savais également qu’on nous observait à la manière dont le corps de Jimmy se tendit. Sous la chemise de créateur noire, ses épaules semblèrent doubler de volume.

– Crois-moi, ce n’est pas une partie de plaisir. (Son regard darda derrière moi et sa mâchoire se crispa.) Tout le monde nous regarde et je le fais quand même.

Ev se releva.

– O.K., tout le monde. Dispersez-vous, laissez-les tranquilles.

– Je suis le batteur des Stage Dive, lança Mal en posant l’appareil photo hors de prix à côté de lui. Je n’ai pas d’ordres à recevoir de toi, petite mariée.

– C’est adorable que tu penses que m’appeler petite mariée est toujours drôle, rétorqua-t-elle en sortant son portable de la poche arrière de son jean. Tu veux que j’appelle Anne pour lui rapporter que tu refuses de donner un peu d’intimité à Jimmy et Lena ?

– Tu n’oserais pas.

Elle fit glisser son doigt sur l’écran.

– Je crois bien que si.

David et Ben gloussèrent mais obéirent et retournèrent dans le studio d’enregistrement. Ils n’avaient manifestement pas envie de se frotter à la jeune femme.

Une seconde plus tard, Mal leur emboîta le pas.

– Ça ne me plaît pas que vous soyez toutes copines. Pas du tout.

– Tu devrais en parler à ta petite amie en rentrant ce soir. Je serais curieuse de connaître sa réaction.

Avec un petit signe de la main, Ev les suivit dans la salle de mixage ou je ne sais quoi. Peu importe.

Jimmy et moi nous faisions face.

– Je l’ai acheté pour toi. Si tu ne le prends pas, je le jette. Tu ne voudrais pas ça, n’est-ce pas ?

– C’est du chantage.

– Ouais. Et alors ?

Je croisai les bras.

– Excuse-toi.

– Lena, répondit-il en grognant.

– Tu as couché avec moi, puis tu t’es comporté comme un goujat. Ce n’est pas rien. C’est même sacrément important. (Mes doigts se refermèrent autour de son poignet robuste.) Et mes deux orgasmes d’affilée ne changent rien. Excuse-toi et sois sincère.

– C’est juste que… je ne m’attendais pas à ça.

– Le sexe ?

– Oui.

– Et tu t’attendais à quoi ?

– Je sais pas. (Son front se plissa.) Que ce soit moins bon.

– Seulement bon ? J’ai trouvé ça incroyable.

Il se frotta le visage de sa main.

– Putain. O.K., d’accord, c’était incroyable. Ta chatte est parfaite et je n’arrive à penser à rien d’autre, tu es contente ?

Je souris malgré moi.

– Bon, au moins, tu es épris d’une partie de moi.

– Ça veut dire que tu me pardonnes ?

– Non, loin de là.

– Merde, Lena.

Il m’attira à lui. Mon visage était tout écrasé contre sa poitrine. Son torse musclé était immobile car j’étais quasi sûre qu’il avait arrêté de respirer. Ses bras robustes se figèrent autour de moi.

– Jimmy, serais-tu en train de me faire un câlin ?

Un grognement.

– O.K., tu t’en sors très bien. (Je posai mon menton sur sa poitrine et levai les yeux vers lui.) Je suis fière de toi.

– Alors tu vas arrêter de m’ignorer et tout va redevenir comme avant ?

– Oui.

Soulagé, il sembla respirer de nouveau.

– Bien. Tant mieux.

Je passai mes bras autour de lui et le serrai aussi fort que possible. C’était mon Roméo en jean noir et cette histoire avait autant de chances de finir aussi mal que l’originale. Et pourtant, tout l’amour que je lui portais déborda, remplissant mon être de ces sentiments confus, chaleureux et familiers. Bien sûr, j’avais déjà été « amoureuse ». Mais la différence, c’était que je l’aimais, totalement, et cette fois, il m’était impossible de passer à autre chose. Chaque partie de moi le désirait. Impossible d’échapper à des sentiments de cette magnitude. Son bon et son mauvais côté, son obscurité et sa lumière, sa gentillesse et sa méchanceté.

J’aimais tout ce qu’il était et je me sentais totalement impuissante.

Car s’il l’avait su, s’il avait même soupçonné l’entière vérité, que ce n’était pas qu’un simple béguin… il m’aurait déjà renvoyée à coups de pied au cul.

Aussi l’aimais-je en silence.

Il me tapota la tête.

– Content qu’on ait pu régler ça, dit-il en laissant retomber les bras le long de son corps.

Je le serrai plus fort.

– Faut que j’y retourne. Les gars m’attendent. Mais, Lena, peux-tu m’accorder une faveur ?

– Laquelle ?

– Garde l’appareil photo. S’il te plaît. Je veux que tu l’aies.

– Mais il est trop cher.

– Ce n’est que de l’argent, Lena. Détends-toi. Il m’en reste.

– Je t’avoue avoir de plus en plus de mal à résister.

– Alors ne résiste pas.

Je poussai un profond soupir en frottant discrètement mes seins contre lui (ne me jugez pas).

– O.K., mais uniquement car ce serait terriblement grossier de ma part de ne pas accepter un cadeau si généreux.

– Ce n’est vraiment rien. Pour moi, c’est une goutte d’eau dans l’océan.

J’étudiai son visage et, bien entendu, il avait retrouvé son calme et sa désinvolture habituels.

– Oh.

– Tout va bien entre nous ? demanda-t-il en rompant soudain le lien qui nous unissait.

– Vingt mille, fit doucement la voix grave et profonde de Ben quelque part derrière moi.

– Je ne vais pas prendre encore ton argent, répondit Mal. C’est trop facile.

– Très bien, quarante mille qu’ils rompent avant Noël.

– Pourquoi mises-tu toujours contre le grand amour, Benny ? C’est quoi ton problème ?

– C’est des conneries, marmonna ce dernier.

– Ben, lança Jimmy. Fais gaffe à ce que tu dis.

– Désolé, répondit-il avant d’ajouter à voix basse : je savais pas qu’ils nous entendaient.

– Évidemment qu’on vous entend, imbécile. On n’est pas sourds. Arrêtez un peu. (Jimmy recula et se détacha de moi doucement mais fermement. Je n’avais aucune chance de le retenir, il était bien trop fort.) Il est temps de se remettre au boulot.

– Attends. (Je posai les mains sur mes hanches afin qu’elles se sentent un peu moins seules.) Tu pensais vraiment ce que tu as dit tout à l’heure ? Que je pourrais assister Pam sur la tournée ?

– Ouais. C’était son idée, vois ça avec elle. Selon elle, tu as un talent inné et ça ne lui ferait pas de mal d’avoir un peu d’aide.

– Mais je croyais que tu voulais que je continue à bosser pour toi en tant qu’assistante ?

– Je me suis dit que tu finirais par t’en lasser. Par t’ennuyer. Tu peux bosser pour Pam et continuer à faire des trucs pour moi.

– Alors ça serait comme un deuxième boulot ?

– Oui, voilà. Pourquoi pas.

– Je vais en discuter avec Pam.

– Saisis cette opportunité. Ça sera une formidable expérience pour toi.

– Je vais y réfléchir.

– Et le sexe ?

– Eh bien quoi ?

– J’en ai encore envie. Avec toi, ajouta-t-il en baissant la voix. Qu’en penses-tu ?

– Honnêtement, j’en sais rien.

Il me dévisagea en silence pendant un long moment. Ses doigts agités me tapotèrent le dos.

– Nous n’en avons pas encore ras le bol l’un de l’autre, n’est-ce pas ? Alors les raisons d’origine sont toujours d’actualité, finit-il par déclarer.

Mon cœur s’arrêta.

– Ah bon ?

– Ouais. (Il marqua une pause, puis soupira.) C’est la vérité, non ?

– J’imagine. C’est agréable à entendre.

– Il faudrait retenter l’expérience, tester de nouvelles positions et s’amuser un peu. Ça pourrait arranger les choses, on ne sait jamais.

– Tu penses sincèrement qu’essayer le ciseau, le papillon ou le dragon va arranger les choses entre nous ?

Ses yeux se voilèrent.

– Lena… oh, bon sang.

– Quoi ?

D’un geste de la main, il attira mon attention sur son bas-ventre. Il se passait indéniablement quelque chose dans son pantalon.

– Ce n’est pas ma faute si tu n’arrives pas à le contrôler.

– En tout cas, coucher ensemble arrangera au moins une chose.

– Pas faux.

Waouh, il y avait une sacrée bosse sous sa braguette. Ma petite culotte frémit. Non, il fallait penser à autre chose, des choses ennuyeuses.

– Mais tu n’as pas vraiment bien réagi la dernière fois que tu as pris ton pied avec moi.

– Ça ne se reproduira plus. Promis.

– Vraiment, hein ?

– Absolument. (Il se rapprocha.) Parole de scout.

– J’ai du mal à t’imaginer en scout.

– C’est vrai. Mais je suis très doué de mes mains.

Ma bouche s’ouvrit mais… non, rien. Oh, les pensées salaces qui dansaient devant ses yeux. J’avais hâte qu’il me les explique en détail.

Il me lança un grand sourire.

– C’est la première fois que je te vois à court de mots.

– Tais-toi. (Mon visage était brûlant, je le sentais. Je m’éclaircis la voix une bonne dizaine de fois.) Bref, j’aimerais profiter de cette occasion pour te dire combien, personnellement, je trouve horrible que tu aies pris tant de plaisir avec moi. Non, vraiment, Jimmy. Je m’excuse sincèrement au nom de mon vagin ici présent.

– Ouais, d’accord. (Il détourna le visage en essayant de réprimer un sourire.) J’ai comme l’impression que c’est toi qui prends un peu trop de plaisir, là.

– Impossible.

– Et je suis au courant pour les fleurs que tu as fait livrer à Liv de ma part.

– Ah ?

Mon extase retomba légèrement.

– Elle a téléphoné. Elle avait l’air vraiment ravie. Combien as-tu dépensé exactement ?

Je partis d’un rire forcé.

– Tu as dit que l’argent n’avait pas d’importance, que tu étais plein aux as.

Il m’attrapa par les épaules. Son air franchement mécontent n’augurait rien de bon.

– Eh ! J’ai fait un beau geste pour redonner confiance à quelqu’un. Il se trouve simplement que j’ai utilisé ton argent pour ça. Mais, Jimmy, tu n’as pas été sympa avec elle avant son départ, et je me suis sentie… tu vois, tu l’as invitée ici et puis…

Il me dévisagea en silence.

– On peut revenir à la partie où j’avais raison et toi tort ? Personnellement, c’était beaucoup plus amusant pour moi.

Derrière moi, j’entendis des bruits de pas en provenance de l’escalier.

Sauvée !

Mais cela ne sembla pas déranger Jimmy qui attrapa ma queue-de-cheval et tira doucement dessus jusqu’à m’obliger à pencher la tête en arrière.

– Je me fous des fleurs, déclara-t-il en pressant sa joue contre mon front.

Quelle sensation merveilleuse, je ne savais pas que les fronts pouvaient être aussi réceptifs. Mon corps fut submergé de bonnes vibrations. S’il m’avait embrassée, j’aurais probablement joui.

– C’était une bonne idée, ajouta-t-il. Tu as fait ce qu’il fallait. Merci.

– Je t’en prie.

– Je me fous aussi des fauteuils, au cas où tu te poserais la question.

Je souris, parfaitement immobile, tandis qu’il faisait courir ses doigts sur ma joue. C’était tellement agréable qu’il me touche de nouveau, d’être si proche de lui.

Il leva les yeux sur la personne qui se trouvait derrière nous.

– Salut, Dean.

– Jim, répondit ce dernier d’un ton sec.

Je me figeai. Sous ses caresses, j’avais totalement oublié que nous n’étions pas seuls, tel était son pouvoir. Et lui s’était servi de moi pour montrer à Dean qu’il avait gagné ou je ne sais quelle connerie macho.

– Lena, fit Dean.

À l’aide de mes deux mains, je repoussai Jimmy.

– Salut, Dean.

Son visage était fermé.

– Qu’est-ce qui est arrivé à ton pied ?

– Elle a essayé de défoncer ma porte, répondit très obligeamment Jimmy.

Mais non, il n’y avait pas la moindre trace de suffisance dans sa voix, ce devait être mon imagination.

Dean se dirigea vers le studio.

– Je ferais mieux de me mettre au travail.

La porte se referma sans bruit.

– Tu veux bien m’expliquer ? demandai-je avec un calme trompeur.

– Quoi ? rétorqua-t-il en commençant à lever les épaules pour clamer son innocence.

– Tu as fait ça exprès juste pour te venger de Dean.

– Attends un peu. Tu veux que je te touche ou pas ?

– Tu croyais que je n’oserais pas lui dire que je ne pourrais plus le voir ?

Il leva les yeux au ciel et me gratifia d’un regard las.

– Je le taquinais, c’est tout.

– Non, tu t’es comporté comme un connard jaloux, l’informai-je le plus calmement possible. C’était insultant, pour moi et pour lui. Ce type bosse avec toi depuis des années. Il mérite mieux.

Il me prit la main.

– T’es encore fâchée contre moi ?

– Oh, tu crois ?

– Lena, allez…

Je dégageai ma main.

– Arrange ça.

– Quoi ? Comment ?

– Petit indice : l’argent ne te sera d’aucune utilité. Débrouille-toi.

 

Ma messagerie personnelle avait soudain été bombardée. La majorité des messages consistait en des « Salut, tu connais une célébrité. Ça te dirait de sortir un de ces quatre ? » La plupart de mes amis n’avaient pas semblé avoir réellement remarqué mon absence lorsque j’avais quitté la maison après l’annonce des fiançailles de ma sœur et de mon ex. Je pouvais très bien me passer de ce regain d’intérêt soudain dû à mon lien avec un des frères Ferris.

– Salut.

Je levai les yeux de l’ordinateur pour découvrir David Ferris dans l’encadrement de la porte du bureau. Je ne m’attendais pas à sa visite.

– Salut, David.

– Je peux te parler deux minutes ? demanda-t-il d’un air grave.

– Bien sûr.

Il avança de deux pas et balaya la pièce du regard. Un bureau, quelques chaises, des étagères contenant des récompenses musicales et autres. C’était la pièce la plus simple de la maison, la plus fonctionnelle. Il ne l’avait probablement jamais vue.

– Jimmy est en train d’enregistrer mais on a bientôt fini, déclara-t-il avec un petit sourire gêné.

– O.K. Je peux faire quelque chose pour toi ?

– Je voulais te parler de lui.

Je fus immédiatement sur la défensive. Ces gens se mêlaient décidemment trop de ce qui ne les regardait pas. Je gardai le silence.

– Je suis content que vous vous soyez réconciliés. Mais Lena, il va continuer à déconner. Il ne peut pas s’en empêcher.

– Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de…

– Au lycée, il pouvait avoir n’importe quelle fille avec un simple regard. Je te jure, un regard, et elles rappliquaient toutes en courant.

Tu m’étonnes.

– Et depuis, rien n’a changé. Il n’a jamais été le genre de mec à revenir pour un deuxième round. Aucune ne l’a jamais intéressé à ce point.

Je dissimulai mes mains sur mes genoux et détournai les yeux. Je n’aimais pas le tour que prenait cette conversation. De plus, aussi compliquées les choses pouvaient-elles être entre Jimmy et moi, je n’allais certainement pas en discuter avec son frère derrière son dos.

– J’ai cru comprendre. David, je ne suis pas vraiment à l’aise de parler de ça.

– Tu lui plais vraiment. Quand tu entres dans une pièce, il est dans tous ses états, Lena. Il t’observe en douce, boit chacune de tes paroles. Je ne sais pas si tu t’en rends compte…

– Euh, non. Pas vraiment, répondis-je en clignant des yeux.

– Jimmy a toujours été un dur à cuire, renfermé.

– Non. Il est simplement compliqué.

J’avais pris sa défense sans même y penser. Mon abruti d’ex m’avait accusée des mêmes choses. J’avais toujours en moi un gros bouton rouge prêt à exploser.

– Lena, laisse-moi t’expliquer. S’il te plaît.

Je hochai la tête.

Il parcourut du regard les trophées étincelants. Il était vraiment très séduisant mais je ne voyais en lui que sa ressemblance avec Jimmy, les traits communs. C’était peut-être ça l’amour, chercher partout des traces de l’être aimé.

– Tu savais que c’était lui qui avait eu l’idée de monter le groupe ?

– Non, je ne savais pas.

David hocha la tête avec un petit sourire.

– Ouais, il aime raconter que c’était la mienne mais c’est faux. Un jour, Jim a dit que tant qu’à passer tout notre temps à gratouiller sur nos guitares, autant essayer d’en tirer de l’argent. Mais l’argent n’était pas sa véritable motivation.

Je m’avançai dans ma chaise malgré moi, curieuse d’en savoir plus.

– C’était quoi, alors ?

– La famille, Lena. Il voulait qu’on reste tous ensemble. Je crois… non, je sais, déjà à l’époque, qu’il commençait à partir en vrille. Il buvait et fumait de l’herbe. Pas de temps en temps, mais à l’excès. Et à mesure que le groupe a pris de l’importance, ses problèmes aussi. (Un muscle tressaillit dans sa mâchoire.) On aurait dit qu’il ne pensait pas mériter ce succès, alors il l’a fui.

– Pourquoi tu me racontes tout ça ?

– Parce que, aujourd’hui, c’est toi qu’il fuit. Tu lui fais peur, Lena.

Je clignai des yeux.

– Chaque fois que tu entres dans son champ de vision, il s’agite. Comme si tu étais sa nouvelle drogue. Sauf que tu lui fais du bien.

Il me lança un petit regard, le front plissé.

– Le problème, c’est qu’il ne sait pas comment gérer ça. Il ne se sent pas digne du genre d’amour que je partage avec Ev, ou Mal avec Anne.

– Je ne sais pas trop quoi faire de cette information, déclarai-je en essayant de trouver une position plus confortable. (Mon esprit tournoyait en cercles fatigués. La journée avait été longue.) Qu’est-ce que tu essaies de me dire, David ? Qu’attends-tu de moi ?

– Je n’en sais rien, répondit-il en riant. Je crois que je te demande d’être patiente, de ne pas renoncer à lui.

Je le dévisageai sans un mot.

– Ne lui brise pas le cœur, Lena. Merde, il a à peine conscience d’en posséder un. Mais c’est pourtant le cas. Et un grand cœur, qui plus est. Laisse-lui simplement une chance de trouver quoi en faire, s’il te plaît.

– David…

Il leva une main, devançant mes mots. Encore aurait-il fallu que j’en aie.

– Je te demande simplement d’y réfléchir.

– J’ai moi aussi besoin que tu réfléchisses à quelque chose. S’il te plaît.

– À quoi ?

Je pris une profonde inspiration en choisissant mes mots avec soin.

– Après l’Idaho, quand votre mère s’est pointée et que tu as dit tous ces trucs. Ça l’a blessé. Profondément.

Son regard s’assombrit.

– Lena…

– Il t’a protégé d’elle, bien plus que tu ne le penses. Je ne peux… (Je haussai les épaules, les mains serrées sur mes genoux.) Je ne peux pas t’en dire plus. Mais il a besoin que tu prennes son parti contre elle. Et qui plus est, il le mérite.

David étudia le sol puis hocha lentement la tête.

– Je sais. Et je le ferai.

– Merci.

Il me lança un regard chaleureux.

– Je crois que nous l’aimons tous les deux, n’est-ce pas ?

Mes lèvres s’entrouvrirent mais je ne pouvais pas me résoudre à le dire. Les mots disparurent.

Il me sourit et quitta la pièce.

Je restai assise là un long moment, pensive, le regard rivé vers la porte qu’il venait de franchir.