Chapitre 4

– Comment tu as dit que tu t’appelais ?

– Liz.

– Lisa ?

– Allez, va pour Lisa.

Je souris au type blond éméché et bus une nouvelle gorgée de margarita. Il était peut-être mignon, mais ça ne suffisait pas à effacer la débilité profonde et le taux d’alcool stratosphérique qui devaient être les siens. Il m’offrit son meilleur sourire de Don Juan, dont je n’avais aucun doute qu’il devait faire des miracles lorsque ce garçon était sobre – ou lorsque l’objet de son désir se trouvait dans le même état d’ébriété que lui.

Hélas, avec mes deux margaritas et demie, j’étais très loin du compte.

Nous dansions et nous amusions depuis environ une heure, sans qu’il y ait eu aucune tentative d’approche ou pelotages susceptibles de mener à quoi que ce soit.

Parce que je connaissais les limites, n’est-ce pas ? Bien sûr que je les connaissais.

L’hôtel proposait un large éventail de bars et de boîtes de nuit, sans parler de tous ceux qui se trouvaient à proximité. Nous avions commencé dans un endroit de l’autre côté de la route, avant de poursuivre plus près de notre hôtel. De la bonne musique, beaucoup de danse et quelques verres. J’avais trouvé de quoi m’amuser et me détendre.

Quel dommage que ce type gâche tout à présent en essayant de conclure. Au-dessus de mon épaule, Sam le vigile – qui n’était clairement pas porté sur la danse – était bloqué dans la même position que celle qu’il avait adoptée pendant ces trois dernières heures : accoudé au bar, un verre de whisky à la main. « Sam a envie de sortir un peu. » Mon œil. On avait missionné ce type pour me fliquer, ça ne faisait pas l’ombre d’un doute. Pour la millième fois de la soirée, il plissa les yeux en observant mon partenaire de danse et secoua la tête, visiblement incrédule. Je lui souris en retour. Je n’avais pas l’intention d’être sage ce soir. Non, j’avais envie de rire, de danser, de boire un peu, et de célébrer ma jeunesse et mon célibat.

Mon compagnon éméché glissa un bras autour de ma taille en se léchant les lèvres.

– Alors, Lila…

– Oui, Mike.

Il fronça les sourcils.

– Mark. Je m’appelle Mark.

– Oh, mince, désolée Mark. Au temps pour moi.

– Pas de problème, bébé.

Un sourire trouble se dessina de nouveau sur son visage tandis qu’il se penchait en avant, sur le point de donner l’estocade finale.

Je ne crois pas.

Je détournai le visage et fis un brusque pas sur le côté, échappant à toute tentative de bouche à bouche de sa part. Dès que j’aurais englouti ma dernière moitié de paradis salé et glacé aromatisé à la tequila, je me tirerais d’ici. Sam et moi trouverions un autre endroit où nous amuser. Si je n’étais pas certaine de récolter une migraine, je boirais ma margarita d’une traite.

– Bon, c’était sympa, dis-je.

– La soirée ne fait que commencer, bredouilla l’autre.

Dans ce qu’il avait sans doute voulu être une approche subtile, ce crétin me tomba dessus, m’envoyant valser contre le bar. La situation empira lorsque ma margarita se renversa sur le sol. Ces trucs-là coûtaient un bras, et je n’avais pas vraiment eu envie que Mark me paie à boire. Il se faisait déjà suffisamment d’idées comme ça. Abruti.

– Merde, dis-je en repoussant le type, essayant de l’éloigner de moi. Pousse-toi.

Comme si mes mots étaient soudains pourvus de superpouvoirs, le connard disparut subitement dans la foule et se vautra par terre à quelques mètres de là. Ouah. Pas mal. Je l’observai, la bouche grande ouverte de surprise. Puis, dans l’espace laissé vacant devant moi, Ben apparut subitement.

Merde.

– Hey, lançai-je en saisissant mon verre à présent vide sur le bar. Salut.

Son front était plissé et sa bouche réduite à une ligne sévère. Mon Dieu, il avait l’air vraiment énervé. Entre sa barbe et l’expression qui assombrissait son visage, il ressemblait à un sauvage. Il aurait tout aussi bien pu être vêtu d’une peau de bête, brandir une lance et me présenter le sanglier qu’il venait de chasser pour le dîner. Ah, une bonne vieille histoire d’amour à l’âge de pierre.

– Comment ça va ? lui demandai-je.

Toujours pas un mot de sa part.

– Tu voulais boire quelque chose ? proposai-je. Je m’apprêtais à aller tester une autre boîte, mais si tu veux rester là, ça me va.

Il posa les mains sur le bar, de part et d’autre de moi, me gardant prisonnière. Ah. Très bien.

– Tu passes une bonne soirée ? tentai-je.

– Pas vraiment. Je te cherchais.

– C’est mignon. Mais ce n’était pas nécessaire.

– Tu savais que je voulais te parler.

– Oui, je le savais.

– Tu m’as dit qu’on parlerait plus tard.

– Je sais. Mais le truc, Ben, c’est que je n’ai peut-être pas très envie de te parler. Peut-être que j’ai juste envie d’oublier ce qui s’est passé et continuer à vivre ma vie.

Derrière lui, deux des vigiles de la boîte de nuit étaient en train d’escorter mon ex-compagnon de danse vers la sortie.

– Bye, Mike, lançai-je avec un signe de la main.

– Et qu’est-ce que tu foutais avec ce type, bordel ? grogna Ben.

– On dansait, jusqu’à ce que son degré d’ivresse devienne un peu trop important. Mais ne t’inquiète pas pour moi. Mon ami Sam est à mes côtés si jamais quoi que ce soit devait m’arriver, expliquai-je en désignant de la tête l’endroit où il était posté, près du bar.

Sa présence semblait rendre Ben d’humeur encore plus massacrante.

– Alors pourquoi n’a-t-il rien fait en voyant ce connard te coller au cul ?

– Sûrement parce qu’il savait que je gérais très bien la situation toute seule.

– Tu gérais très bien la situation toute seule ? répéta-t-il en inclinant la tête sur le côté.

– Tout à fait.

– C’est drôle, ma belle, en arrivant ici j’aurais juré voir un connard bourré en train de te draguer lourdement.

Ben, les joues rouges et les yeux qui lançaient des éclairs, était manifestement furieux, ce qui donnait un spectacle assez impressionnant.

– J’admets que j’avais sans doute l’air en mauvaise posture, mais j’avais la situation bien en main.

– Ah oui ? fit Ben avec un rire qui ne dénotait pas une once d’amusement. Eh bien tu vas quitter cet endroit, maintenant.

– Ah non. Je n’en ai absolument pas l’intention. Là, tu vois, on va avoir un problème.

Je croisai les bras, puis les décroisai pour ne pas paraître sur la défensive. C’était lui qui était en tort, pas moi.

– Tu n’es pas prêt à prendre mes sentiments au sérieux, repris-je. Tout ce que tu fais, c’est te cacher sous ton armure de M. Je-Suis-Trop-Cool-Pour-M’Engager et jouer avec moi quand ça t’arrange. D’accord, je l’ai accepté. Mais rien de tout ça ne t’autorise à débarquer ici et à te comporter comme si tu pouvais me donner des ordres. Absolument rien.

– Ah oui ? répliqua-t-il, se penchant en avant de sorte que nous nous retrouvâmes quasiment nez contre nez.

– Oh oui.

Je lui assénai alors un petit coup de poing amical dans l’épaule – que je peinais à atteindre, soit dit en passant. D’accord, boire l’estomac vide m’avait probablement rendue un peu plus courageuse – ou beaucoup plus stupide.

– Donc je te conseille d’aller piquer ailleurs tes petites crises de jalousie dignes d’un homme des cavernes. Tu vois, je fais un truc marrant que j’aime appeler « ce que bon me semble ». C’est clair ?

Il me dévisagea en silence.

– Et tu es peut-être très sexy avec ta petite barbe et tous tes muscles, mais tu es bien trop compliqué pour moi, Ben.

– Ah oui ?

– Tout à fait. Tu commences à comprendre où je veux en venir ?

– Ça oui.

– Parfait. Alors va promener ta bogossitude ailleurs, mon cher. Très peu pour moi.

Et voilà. C’était dit. Il n’y avait rien de tel que le courage induit par l’alcool.

Ben hocha la tête, non tant en réaction à mes paroles que pour signifier qu’il venait de prendre une décision. Il ne me fallut pas longtemps pour découvrir laquelle. L’homme m’attrapa fermement par les hanches et se pencha, prenant appui avec son épaule contre ma taille.

– Ne fais pas…, commençai-je.

Mais je me retrouvai dans les airs, et la partie supérieure de mon corps retomba d’un coup vers le bas. Il venait de me balancer par-dessus son épaule comme un pompier l’aurait fait.

– Ben, repose-moi.

Son bras encercla alors mes jambes au niveau des genoux, une de ses mains me maintenant par la cuisse, le tout à une hauteur des plus inconfortables – en même temps, tout cela l’était. Puis le sol se mit à bouger en contrebas.

– Ben ! hurlai-je, mais il ne prit même pas la peine de ralentir.

– J’en déduis que vous en avez terminé pour ce soir, mademoiselle Rollins ? s’enquit Sam.

– Dites-lui de me reposer ! criai-je en retour.

– J’ai bien peur de ne pas pouvoir m’en mêler, s’excusa-t-il. Vous comprenez, M. Nicholson contribue également à mon salaire.

– J’espère que vous plaisantez ?

– Ça me place dans une situation délicate, vous comprenez.

Je ne disposais d’aucun argument.

– Pour tout vous dire, il m’a demandé par texto il y a plusieurs heures où vous étiez, avoua Sam. Mais je ne lui ai rien dit.

– Oh, comme c’est gentil de votre part.

Sam eut un grand sourire. Le salopard.

– C’est bon, je m’en occupe, grommela le connard préhistorique qui me portait.

– Très bien, répondit le très inutile vigile. Je vais aller perdre un peu d’argent aux cartes, alors. Bonne nuit.

Ben se contenta de grogner.

– Tu es ridicule. Repose-moi par terre, exigeai-je en lui donnant une tape sur les fesses.

– Non.

– Tu te rends compte que tu dois avoir l’air d’un fou à lier ?

– M’en fous.

– Pas moi. Merde, Ben. Tu me rends dingue.

Nouveau grognement. Très original.

Le rire que j’émis alors était un peu trop aigu et démentiel. Quelle soirée…

Il aurait été très tentant de perdre patience, mais non. J’étais une professionnelle de la résolution de conflits.

– Ben, et si tu me posais pour qu’on puisse discuter autour d’un verre. De toute évidence, tu as maintenant toute mon attention.

– Je ne crois pas, lâcha-t-il.

– Écoute, je suis désolée de ne pas t’avoir pris au sérieux quand tu m’as dit que tu voulais me parler. Laisse-moi me rattraper.

Ben m’ignora, ce qui, hélas, n’était pas le cas des personnes autour de nous, qui ricanaient en nous pointant du doigt comme s’ils assistaient à un spectacle comique. Mais quelqu’un songea-t-il à me venir en aide ? Non.

Les gens, je vous jure…

– J’essaie d’être conciliante, lançai-je à l’attention de Ben.

– Je sais.

– Ce qui est plutôt admirable de ma part vu que je suis la tête en bas en train de m’adresser à tes fesses, Ben.

Je poussai un grognement de colère, assénant une nouvelle claque à son arrière-train juste pour mon plaisir. Avait-il jamais existé autre homme à la tête aussi dure et au fessier aussi ferme ? Je ne crois pas.

– Continue comme ça, je ne vais pas tarder à te rendre la monnaie de ta pièce, me mit-il en garde. Et mes mains sont beaucoup plus grandes que les tiennes, Liz.

– Tu es vraiment un beau connard.

– Tu as l’air toute mignonne comme ça mais tu as la langue bien pendue quand tu te mets en rogne.

– Non mais, pince-moi, je rêve…

– Il est tard, Lizzy. Il est l’heure pour les vilaines filles d’aller se coucher.

– Ben, si tu avais du mal à te trouver une fille, il fallait le dire, on aurait pu trouver une solution.

Il laissa échapper un rire grave.

– C’est très charitable de ta part, ma belle.

– Pas de problème. Je trouve vraiment dommage qu’une rock star musclée et virile comme toi soit obligée de kidnapper une femme dans un bar pour arriver à conclure.

De l’air froid fouetta l’arrière de mes cuisses lorsque le bas de ma robe s’envola. Je sentis alors ses dents effleurer ma peau en signe d’avertissement, son souffle menaçant dangereusement de réchauffer certaines parties sensibles de mon corps. Ou peut-être n’était-ce que dans mon imagination… Dans tous les cas, il était temps que je m’énerve un peu.

– Je t’interdis de faire ça ! m’écriai-je en me tortillant.

Mais ses bras resserrèrent leur étreinte autour de moi et il me pinça les fesses.

– Arrête de gigoter.

– Arrête de jouer au con et repose-moi immédiatement, lui ordonnai-je.

– Tu m’as demandé de te pincer tout à l’heure, gloussa ce salopiaud de Ben.

Manifestement, il ne fallait pas grand-chose à certaines personnes simples d’esprit pour s’amuser.

J’étais vraiment très haut, c’en était même un peu flippant. Nous nous engageâmes dans un long couloir cossu, le bruit des machines à sous et la légère odeur de cigarette indiquant que l’immense salle de jeux ne devait pas être très loin. Nous pénétrâmes ensuite dans un ascenseur rutilant dans lequel une affiche faisait la promotion d’un spectacle. Tiens, tiens… Il avait laissé son portefeuille dans sa poche arrière. Enfin de quoi me divertir un peu. Et pourquoi pas, après tout ?

– Qui est Meli ? Et… (Je levai jusqu’à mon visage un autre morceau de papier griffonné.) Merde. Je crois qu’il y a écrit Karen, mais si j’étais toi je ne l’appellerais pas pour passer du bon temps. La pauvre fille sait à peine écrire son prénom. Hé, ça t’ennuie si je t’emprunte ta carte de crédit ?

L’homme de Neandertal se baissa, et mes pieds entrèrent à nouveau en contact avec le sol. Heureusement qu’il me retint par le coude d’une main robuste, parce que je fus soudain prise de vertige tandis que le monde autour de moi se redressait lentement.

– Donne-moi ça, maugréa-t-il en m’arrachant le portefeuille des mains avant de le remettre dans sa poche arrière. Cesse de te comporter comme une gamine.

– Je me comporte comme une gamine ? Tu es sérieux, là ?

– Oui, tu me dis qu’on parlera plus tard et tu disparais.

Je reniflai.

– Oh, j’avais tellement hâte d’entendre d’énièmes justifications de ta part.

– Rien à voir avec ça.

– Je ne te crois pas, rétorquai-je, les mains sur les hanches. Trouve-toi quelqu’un qui a envie de jouer à ton petit jeu, Ben.

– Putain… (Il se détourna, la bouche pincée.) Je voulais m’excuser, d’accord ?

Je l’observai en silence.

– Tu me manques, Liz. Je n’avais pas l’intention de te faire du mal.

Il paraissait sincère, avec son regard qui exprimait la souffrance.

– Je suis désolé, ajouta-t-il.

– D’accord. Mais je ne peux pas quand même.

Son regard détailla mon visage.

– Tu ne peux pas quoi ?

– Être amie avec toi.

Il garda le silence.

– Je suis navrée. Je sais que tu te sens seul et que L.A. te manque, mais c’est impossible. J’ai des sentiments pour toi et je ne peux pas les ignorer simplement parce que tu n’es pas prêt à essayer quelque chose avec moi.

Il pressa ses lèvres l’une contre l’autre avec tellement de force qu’elles blanchirent. Après quoi il me tourna le dos.

– Ben ?

Silence.

– Pour ce que ça vaut, tu m’as manqué aussi, dis-je.

L’ascenseur produisit un petit ding, et les portes s’ouvrirent doucement.

– Merci de m’avoir ramenée, dis-je, avant de sortir tout en pêchant ma clé dans mon décolleté dans un geste des plus féminins.

Il avait raison : il était temps d’aller se coucher. Au moins avais-je pu danser et boire quelques verres. Mal et Anne étaient mariés et j’avais obtenu un petit aperçu de ce que Vegas avait à offrir. Au final, c’était un voyage plus que réussi. Alors pourquoi avais-je une fois de plus le sentiment d’être au fond du trou à cause de Ben ?

Ce dernier me suivit d’un pas lourd sans prononcer le moindre mot. Il avait bien le droit de faire ce qui lui chantait. Il était environ minuit. La journée avait été longue avec tous les préparatifs pour le mariage, et je m’étais couchée tard la veille après avoir fêté mon anniversaire. Finalement, aller dormir me paraissait être une excellente idée.

J’ouvris la porte de ma suite et entrai à l’intérieur. Tout n’était que luxe, marbre et miroirs. Les rideaux étaient ouverts, offrant une vue imprenable sur la ville éclairée de mille feux. Un spectacle magnifique.

– Ouah !

Ben posa ses fesses sur la table, les jambes écartées et ses bras musclés croisés sur son torse. L’effet qu’il avait sur moi… Je n’avais aucune chance. Mon cœur explosa et tout mon corps se réveilla brusquement. La tentation de lui grimper dessus, de le toucher, de le goûter, était trop forte. Il fallait qu’il parte.

– Tu ne devrais pas être en train de tenter une approche avec Karen ou Meli ou quiconque t’a donné son numéro de téléphone ?

– Jalouse ?

Je m’efforçai de sourire, mais je crois pouvoir dire que j’échouai.

– À quoi bon ? répliquai-je simplement.

Il m’observa, son visage dénué d’expression demeurant à mes yeux un mystère. Son être tout entier était pour moi un mystère impossible à percer.

– Tu peux y aller, lui assurai-je. Je ne ressortirai pas.

– Arrête, fit-il en se laissant tomber sur le canapé. Ça fait des heures que je te cherche dans toute la ville.

Et voilà, c’était reparti.

Au-delà du salon et de la salle à manger était située la chambre, pourvue d’un lit absolument gigantesque. Mieux valait emporter un casse-croûte si vous aviez l’intention de traverser ce truc. La pièce était décorée de meubles luxueux et de plusieurs compositions florales. La salle de bains, tout aussi immense et majestueuse, comportait – pour une raison qui m’échappait – deux baignoires. Dingue. Je me dirigeai vers un des lavabos et observai mon reflet dans la glace. La fille que je voyais n’était pas trop mal. Plutôt jolie, sinon belle. Si en plus de cela elle en avait un minimum dans le crâne, elle serait promise à un bel avenir. En attendant, mes cheveux avaient besoin que je m’occupe d’eux. Après cela je pourrais m’atteler à enlever tout ce maquillage de mon visage. Et pourquoi pas tester une des baignoires.

Ben apparut dans l’encadrement de la porte, une bière ouverte à la main. Il avait défait un bouton supplémentaire de sa chemise blanche. Il avait vraiment un cou très imposant… Je n’avais aucune idée de la raison pour laquelle cela me faisait autant d’effet.

– J’en déduis que tu as décidé de rester ? lui demandai-je, tout en ôtant la première d’une sans doute très longue série d’épingles à cheveux.

– Ça t’ennuie ?

– Non, j’abandonne. Mais Mal ne serait pas ravi, si ?

– Je dormirai sur le canapé, m’informa-t-il, ignorant totalement ma question tandis que je continuais de m’escrimer avec mon chignon.

– Laisse-moi t’aider.

Il s’avança vers moi, puis posa sa bière. Ses sourcils bruns froncés, il étudia ma chevelure. Avec beaucoup de délicatesse, il délogea une première épingle, qu’il déposa près du lavabo.

– Merci.

Sans prononcer un mot, il poursuivit sa tâche pendant que je l’observais. Étrange. Même avec mes talons, je lui arrivais à peine à hauteur d’épaule, et sa carrure me donnait l’air d’un moustique. Je n’étais pourtant pas particulièrement petite ni menue – mes mensurations étaient plutôt dans la moyenne – mais lorsqu’il se tenait ainsi derrière moi, je donnais l’impression d’être une petite chose toute fragile. Il aurait pu m’écrabouiller à mains nues – ce qu’il avait déjà commencé à faire avec mon cœur.

– Je ne sais pas pourquoi tu te fatigues à faire tout ça, dit-il. Tu es aussi jolie avec les cheveux lâchés.

Surprise, je haussai les sourcils.

– Je ne pensais pas que tu aurais remarqué.

Je lui volai une gorgée de bière. Une bière allemande dans une jolie bouteille d’un vert brillant.

– Tu n’as pas non plus besoin de tout ça sur ton visage, renchérit-il.

Il me prit la bière des mains et en but une longue gorgée avant de recommencer à débarrasser mon chignon de ses épingles. Nos regards se croisèrent un court instant dans le miroir, mais Ben détourna rapidement le sien. Après avoir pris une profonde inspiration, il se remit à l’œuvre.

– Merci, dis-je. Je crois.

Un haussement d’épaules.

Mes doigts se mirent à pianoter sur le rebord du lavabo, mes ongles produisant de petits cliquetis rapides. Un tic nerveux. Ben bougea légèrement, s’approchant un peu plus près. Je sentais la chaleur de son corps dans mon dos, sa robustesse.

– Je ferais peut-être mieux de faire ça moi-même, suggérai-je.

– Tu risquerais d’y passer la nuit. Combien d’épingles est-ce qu’ils ont fourré là-dedans ?

– J’ai arrêté de compter au bout de dix…

Il continua en silence pendant un moment. Génial. Pas du tout embarrassant.

– Joyeux anniversaire pour hier, marmonna-t-il d’une voix râpeuse, tout en déposant davantage d’épingles sur le comptoir.

– Merci.

Tout doucement, il commença à libérer des mèches de mes cheveux, les laissant retomber librement dans mon dos. La détermination que je lus dans son regard, l’extrême concentration avec laquelle il exécutait sa tâche, faillirent bien avoir raison de moi. Que se passait-il, bon sang ? Si avec ça il ne m’envoyait pas un message contradictoire… J’allais peut-être prendre un bain froid. Avec quelques glaçons. Il faudrait au moins ça pour éteindre le feu dans ma culotte.

– Joyeux vingt-neuvième anniversaire pour avant Noël, ajoutai-je d’une voix tremblante. Je, euh… Je sais que j’étais là pour ton dîner mais…

– Mais tu m’évitais.

Les coins de sa bouche s’étirèrent en un sourire qui semblait empreint d’autocritique. Quoi qu’il en soit, il n’avait rien d’amusant.

– Oui…

Il m’observa dans le miroir. Puis m’observa encore. Bon sang, comme j’aimerais être capable de lire en lui, ne serait-ce que l’espace de quelques instants. Comme j’aimerais pouvoir le toucher plus que ça.

– C’est drôle, dit-il. On ne faisait que s’envoyer des textos, mais je m’y étais habitué.

– Moi aussi.

– Qu’est-ce que tu veux pour ton anniversaire ? me demanda-t-il, amorçant un brusque changement de sujet.

– Oh, rien. Tu n’as pas besoin de m’acheter quoi que ce soit.

– Oui, mais j’ai envie de t’offrir quelque chose. Alors, tu veux quoi ? De quoi as-tu besoin ?

Oh, juste de lui, en entier.

– L’autre jour la poignée de ma sacoche s’est cassée, répondis-je. Si tu veux m’offrir quelque chose, une nouvelle ne serait pas du luxe. Mais ce n’est vraiment pas indispensable, Ben.

– Une sacoche. D’accord. Quoi d’autre ?

– Rien d’autre. Merci. Juste une nouvelle sacoche, ça serait génial.

Il secoua la tête.

– La plupart des femmes demanderaient des diamants.

– Ben, je ne t’apprécie pas parce que tu as de l’argent. Je t’apprécie parce que tu es toi.

Son pouce caressa l’arrière de mon cou, puis cessa l’instant d’après. Sans doute un accident.

– Merci.

Je récupérai une épingle dans mes cheveux, prenant le relais de Ben.

– On ferait mieux d’en finir avec ça, dis-je. Il est tard.

– Je m’en occupe, affirma-t-il, reportant à nouveau son attention sur mes cheveux.

– D’accord.

Dieu qu’il était beau. Pourquoi me rendait-il dingue chaque fois qu’il s’approchait de moi ? Ça serait pas mal si, pour une fois, je ne perdais pas tous mes moyens en sa présence.

– Je crois que ça serait bien que tu partes, déclarai-je. Oui, ce serait préférable.

Comme si je n’avais rien dit, ses doigts épais retirèrent une nouvelle épingle à cheveux.

– Pourquoi es-tu ici ? demandai-je en levant les bras, lui attrapant les poignets pour les immobiliser. Ben ?

– Parce qu’il semblerait que je n’aie aucune volonté quand il s’agit de rester loin de toi.

– Alors il semblerait qu’on ait un problème.

Nos doigts s’entremêlèrent, s’agrippant fort.

– C’est un putain d’euphémisme, répliqua-t-il.

Pour une mystérieuse raison, mes paupières se mirent à battre frénétiquement.

– Je t’ai prévenu, le mis-je en garde. Ne flirte pas avec moi si tu n’es pas sérieux.

Il ne répondit pas, se contentant de libérer mes doigts avant de recommencer à jouer avec mes cheveux, les faisant glisser sur le dos de sa main puis retomber sur mes épaules. Son visage était assombri par un regard dur, ses sourcils froncés au-dessus de ses traits acérés. Mes mains retombèrent le long de mon corps.

Traitez-moi d’idiote si vous voulez, mais j’étais en train de retomber dans le panneau. Manifestement, je ne retiendrais jamais la leçon. Sans compter que le bourdonnement provoqué par les margaritas s’estompait bien trop vite pour alimenter un quelconque courage. Et merde. J’avais l’air d’une folle – et je l’étais sans doute. Qui essayais-je de duper ?

– Hey, murmurai-je, me retournant et posant une main sur sa joue.

La sensation de sa courte barbe contre mes doigts était incroyable. Plus incroyable encore, il ne m’arrêta pas, ne fit aucun geste pour reculer.

– Parle-moi, lui demandai-je.

– J’ai détesté voir ce mec collé à toi, putain.

– Quoi ? Dans le bar ?

Après un mouvement de menton, il s’employa une fois encore à étudier mes cheveux, extrayant avec délicatesse une nouvelle épingle.

Ma main glissa vers le bas, mes doigts caressant le flanc de son cou. Sa peau, tiède, était extraordinairement douce et lisse.

– Si ça peut te rassurer, lui dis-je, j’ai très envie d’arracher les yeux de Karen et Meli de mes propres mains. Mais ça ne change rien à notre situation.

Les coins de sa bouche s’abaissèrent.

Et merde.

Je fis un pas de côté, appuyai ma tête contre son large torse.

Non.

Non.

Apparemment, Ben aimait beaucoup mes cheveux, parce que quelque chose dans son pantalon était clairement en train de manifester sa présence contre mon ventre. Le feu qui brûlait dans ma culotte se transforma alors en brasier torride. J’étais surprise qu’on ne se soit pas encore enflammés sur place. Toute mon intimité se tendit et je sentis mes cuisses faiblir. Alors voilà à quoi cela ressemblait d’être excitée au point que baiser soit une question de vie ou de mort. En même temps, me pelotonner tout contre la chaleur de sa peau me donnait le sentiment d’être parfaitement à l’abri – pas d’un éventuel rejet de sa part, cela dit.

– Ben ?

– Mmh ?

– Qu’est-ce que tu es en train de faire ?

– Ce que je ne devrais pas faire.

Il fit glisser sa main dans le bas de mon dos, m’attirant tout contre son érection. Oh oui ! J’enfonçai mes ongles dans son cou, appuyai fort. Je le tuerais s’il s’avisait de me repousser maintenant. Je ne plaisantais pas. Mort par épingles à cheveux. Ça ne serait pas joli à voir, mais il faudrait en passer par là.

Heureusement pour lui, il n’en fit rien.

– D’accord, dis-je.

Il recouvrit ma main de la sienne, puis la pressa contre sa peau. L’idée que j’étais en train de le toucher m’excita presque autant que la chaleur de son corps. Je me balançai contre lui, me frottant à son érection.

– Lizzy, putain…, souffla Ben.

Ma tête, qui pesait une tonne, tomba sur le côté, et sa bouche magnifique entreprit de me sucer, me lécher, me mordiller. Mon sang bouillonnait, naviguant dans mes veines à la vitesse de la lumière. Ses dents croquèrent très légèrement ma peau, m’arrachant un gémissement. Puis sa main se dirigea plus bas et agrippa mes fesses à travers la soie de ma robe, ses doigts s’enfouissant dans ma chair. Tout ça était agréable, très agréable… Mais je mourais d’envie de l’embrasser.

– Laisse-moi…

Je me hissai sur la pointe des pieds, encerclai son cou de mes bras pour attirer sa bouche vers la mienne. Une fois, deux fois, il effleura mes lèvres des siennes. C’était de la torture. Et je n’avais aucun contrôle sur lui parce que…

– Tu es trop grand ! me plaignis-je.

Il eut un rire profond, puis fit glisser ses mains sur mes fesses pour me soulever. Parfait ! Ce mec était génial. Lorsque mes jambes s’enroulèrent autour de sa taille, le sourire qui s’afficha sur son visage… merde. C’était un sourire qui puait la suffisance. Bon, je ne dirais rien pour cette fois – et pour info, sachez que ça lui allait vachement bien.

– C’est mieux comme ça ? demanda-t-il.

– Oui.

Je rivai alors mes lèvres aux siennes, enfonçai ma langue dans sa bouche et l’embrassai comme une dingue, tel que j’en rêvais depuis si longtemps.

Il poussa un grognement, une main toujours sous mes fesses tandis que l’autre caressait ma nuque – m’encourageant ou me maintenant en place, impossible à dire. Dans tous les cas, il s’agissait d’une sensation exquise. Sans parler du frottement de son sexe en érection sur mon entrejambe, me faisant totalement perdre la tête. Depuis quand le sexe était-il devenu aussi bon ? Ces six années d’abstinence avaient été pénibles, pourtant je n’étais pas mécontente d’avoir attendu.

Je l’embrassai profondément, goûtant et explorant sa bouche. La sensation de sa barbe contre mon visage, de ses cheveux qui glissaient doucement entre mes doigts. Si je n’avais pas eu de relations sexuelles ces dernières années, j’avais en revanche embrassé pas mal de garçons. Mais personne n’embrassait comme Ben. Et si c’était moi qui avais initié cette séance de bouche-à-bouche, nous faisions à présent match nul. Sa langue se glissa dans ma bouche, me taquinant et me titillant, m’excitant encore davantage.

Je ne m’étais même pas aperçue que nous nous déplacions jusqu’à ce que mon dos heurte le mur de la salle de bains. À ce rythme-là, nous n’arriverions pas jusqu’à la chambre, ce qui me convenait parfaitement. Il ôta sa main de ma nuque pour descendre sa braguette. Ce faisant, ses poings frottèrent l’entrejambe humide de ma culotte, augmentant d’un cran supplémentaire mon degré d’excitation. Puis, d’un doigt, il en écarta le tissu en satin de sorte que son sexe entra en contact avec le mien. Oui, pile à cet endroit-là. Oui, oui, oui !

– Ben…

– Lizzy. Merde. Arrête de bouger.

– J’essaie.

Il s’enfonça en moi et mon vagin s’ouvrit à lui pour l’accueillir – et il y avait beaucoup à accueillir. Lorsqu’il cambra son bassin, je poussai un petit cri de surprise. Nous ne tardâmes pas à gémir de concert, à la fois de plaisir et de gêne : la large extrémité de sa bite était en moi, mais n’avançait pas d’un pouce. En tout cas pas sans me provoquer une vive douleur. Bon sang, quelle taille faisait-elle ?

Ben, haletant, appuya son front humide contre le mien.

– Ça ne marche pas, souffla-t-il.

– Je ne suis pas vierge, c’est juste que ça fait un bail. Ça devrait rentrer !

Je m’accrochai à lui plus fort, enfouissant mon visage dans son cou. Il était hors de question que je fonde en larmes, en dépit de la fragilité de mes canaux lacrymaux à cet instant précis, alimentés par la douleur et le désir. Ridicule ! La main de Ben décrivait dans mon dos de grands cercles destinés à m’apaiser.

– J’aurais dû attendre un peu, dit-il.

Je reniflai.

– Ça va aller, reprit-il, et il me souleva pour se retirer, mais même cela me parut inconfortable.

– J’avais vraiment envie de ça, confiai-je dans son cou. De toi.

– Et tu m’auras. Chut.

Nous nous déplaçâmes de nouveau, cette fois jusqu’à la chambre.

– De toute façon, je n’avais pas l’intention de faire ça sans protection.

– C’était bien, hein. Jusqu’à ce que ce le soit moins.

– Je sais, me rassura-t-il.

D’une main, il chercha la fermeture Éclair de ma robe, qu’il fit glisser vers le bas. L’air frais de la climatisation caressa ma peau et un frisson me parcourut l’échine. Ou peut-être était-ce à cause de la façon dont il me regardait, avec un mélange de dureté et de tendresse. Allongée sur le matelas, Ben s’employait à me déshabiller.

– Donc on ne s’arrête pas, c’est ça ? voulus-je savoir.

Une vague de désir m’embrasa de nouveau – non pas qu’il s’était éteint, comment serait-ce possible alors que je l’avais en face de moi ? Ma libido était hélas tristement prévisible.

– Oh que non, répondit-il.

Je lui souris, me tortillant en tous sens pour l’aider du mieux que je pouvais. Plus d’hésitation. Mon soutien-gorge vola, suivi de mes escarpins à bouts pointus et de mes bas. Il se pencha alors sur mon élégante culotte en satin.

– Quoi ? demandai-je, le souffle court.

Ses doigts glissèrent sur les courbes de mes hanches, puis sur mes cuisses. Ben était sans doute habitué aux top models et autres starlettes, des femmes tout sauf banales. Il y avait de quoi vous rendre nerveux. Je croisai timidement les bras sur mes seins nus, mordillant l’intérieur de ma joue.

– Ben, quel est le problème ? insistai-je.

– Il n’y a pas de problème. (Son regard croisa le mien, puis il remarqua mes bras croisés qui recouvraient ma poitrine.) Ne fais pas ça.

Mes mains s’agitèrent, ne sachant où se placer.

Ben saisit alors mes poignets, se courbant au-dessus de moi pour les fixer sur le lit au-dessus de ma tête.

– Garde-les comme ça, m’ordonna-t-il d’une voix rauque et saccadée, le regard empli du plus grand sérieux. D’accord ?

– D’accord.

Ses mains dessinèrent un sillon le long de mes bras, avant de continuer sur mes aisselles, puis sur mes flancs. La tension qui s’accumulait en moi était insoutenable. Mon esprit tourbillonnait, à la fois excité et embrumé. Qu’allait faire Ben ensuite ?

Il coinça ses pouces dans les côtés du seul vêtement qu’il me restait et le fit glisser le long de mes jambes, son menton chatouillant au passage mon sternum entre mes petits seins, puis mon ventre. Après avoir déposé un baiser délicat sur mon nombril, il laissa tomber ma culotte sur le sol.

– Ça va ? s’enquit-il.

– Oui…

Il s’agenouilla alors sur le côté du lit tandis que les paumes de ses mains caressaient mes cuisses.

– Parfait.

Sans plus de préambule, il m’attrapa par les hanches et m’attira vers le bord du matelas pour me rapprocher de sa bouche impatiente. Oui, mes jambes étaient écartées, et même grandes ouvertes. Vu que sa tête se trouvait en plein milieu, elles n’avaient pas vraiment d’autre choix. La sensation de sa belle bouche avide sur mon sexe… Je n’avais pas de mots. Ou en tout cas aucun capable d’exprimer ça.

– Putain, Ben…

Je cambrai le dos, et ma tête s’enfonça dans le matelas. Le plaisir que j’éprouvais était plus intense que ce que mon corps pouvait supporter. Le moindre fragment de ma conscience était à présent focalisé sur la vibration d’excitation qui s’intensifiait rapidement entre mes jambes. Mes talons appuyaient contre son dos à travers le tissu fin de sa chemise. Il enroula ses bras autour de mes cuisses, me tenant tout contre lui. Comme si j’avais l’intention de m’enfuir ! Sa langue se fraya un chemin le long de mon sexe, ses lèvres m’aspirant et ses dents me taquinant. Avec sa barbe de trois jours qui le suivait partout où il allait, mes terminaisons nerveuses étaient en feu et mon estomac noué. C’était à la fois trop et pas assez. J’en voulais davantage. De temps à autre, il m’administrait une petite morsure d’avertissement quelque part, en haut de ma cuisse par exemple, comme s’il voulait me rappeler qui décidait.

Qui faisait quoi, à qui.

Il plongea son visage en moi, se déchaînant entre mes jambes. C’était incroyable. Hallucinant, à couper le souffle. Tout. Je savais, à présent : les barbes étaient ce qu’il y avait de meilleur au monde. Sa langue était semblable à une vague de chaleur, ses lèvres tout à la fois fortes et douces comme de la soie. Mais cette barbe… Merde ! C’était trop de sensations, beaucoup trop, et je ne pouvais rien faire d’autre que les accueillir comme je pouvais. Ce mec était sacrément doué, mais je n’avais aucune envie de réfléchir au nombre de filles sur lesquelles il s’était entraîné. C’était inutile. Seul le moment présent comptait.

Bon sang, j’étais tellement mouillée. Il glissa deux doigts en moi, s’employant à me donner du plaisir. Mon corps tout entier se contracta à l’extrême, à tel point que j’eus l’impression que j’allais me briser en mille morceaux, littéralement exploser de désir. Ben titilla alors mon clitoris de sa langue, d’avant en arrière, s’interrompant de temps en temps pour le suçoter, ses lèvres englobant mon sexe gonflé et surexcité.

Je ne pouvais plus tenir. Mon corps tout entier explosa.

Je jouis en silence, les yeux grands ouverts, incapable pourtant de voir quoi que ce soit. Ben venait de m’aveugler d’étincelles. Une myriade de petites lumières scintillantes submergeant mon esprit, m’embrasant tout entière. Je flottais, perdue dans le brouillard chimique de jouissance qu’il venait de provoquer en moi. Le sexe médiocre – pour ne pas dire mauvais – que j’avais connu pendant ma phase « ado débile et rebelle » n’avait strictement rien à voir. Rien à voir avec la façon dont Ben enflammait mon corps. Le plaisir qu’il me procurait… Bon sang, c’était un pro du cunnilingus. C’en était effrayant.

Lorsque le brouillard des lumières clignotantes s’estompa, je le découvris en train de faire passer sa chemise par-dessus sa tête. Visiblement, défaire les boutons lui aurait demandé trop de temps. Il s’essuya la bouche, son regard sombre rivé sur moi, puis il se débarrassa de ses bottes et de son pantalon – ceinture, bouton, fermeture Éclair. Un simple boxer noir laissait deviner une érection monstrueuse. Pas étonnant qu’il ait eu du mal à entrer en moi. Et la manière dont il m’observait, comme s’il hésitait entre me mordre ou autre chose… Oh mon Dieu. Quoi qu’il en soit, son regard torride glissa sur moi, reflétant le désir dans ses yeux.

Ce fut ensuite au tour de son boxer de disparaître, après quoi il se posta au-dessus de moi, glissant un bras autour de ma taille pour me ramener au centre du lit.

– Est-ce qu’on va…

– Ouais, dit-il, avant d’ouvrir un emballage de préservatif à l’aide de ses dents.

Il l’enfila d’une main, le latex lisse et doux caressant contre mon entrejambe.

– Bien. C’est… c’est bien.

Ses lèvres humides recouvrirent alors les miennes, m’embrassant avec envie.

– Fais-moi confiance, murmura-t-il, positionnant l’imposante extrémité de sa queue à l’entrée de mon vagin.

Je hochai la tête.

– Bras et jambes autour de moi, m’intima-t-il.

– Oui, répondis-je, et je m’exécutai, l’enveloppant avec force.

– Parfait, ma belle, susurra-t-il en arquant son bassin.

Sa bouche jouait avec la mienne, puis sa langue vint lécher ma mâchoire et mon cou tandis qu’il faisait bouger son sexe en moi. Il encercla ma tête de ses bras et son visage magnifique se retrouva à quelques millimètres du mien, son menton dru appuyé contre le mien, ses dents mordillant mon oreille. Maintenant que j’étais trempée, les choses paraissaient plus douces. Malgré tout, Ben n’était pas du genre petite monture. C’était bon mais… conséquent. Large. Il allait sans doute me falloir un peu de temps pour m’habituer à lui.

Et je n’avais pas assez de mots pour exprimer à quel point j’avais envie de m’habituer à lui, de toutes les façons possibles.

– Attends. (Je me tortillai sous lui, inclinant les hanches pour le prendre plus profondément.) Oh mon Dieu, oui. Comme ça.

– Là ?

Il poussa vers l’avant, me pénétrant, son bassin me clouant violemment au matelas.

– Oui.

– C’est trop bon, putain, grogna-t-il, le visage plongé dans mes cheveux. Tellement bon.

Je contractai les muscles de mes cuisses, m’agrippant fort à lui. Si je le pouvais, jamais je ne le laisserais partir. En retour, il poussa un grognement, puis il se retira pour entrer à nouveau en moi, lentement. Ses gestes étaient à la fois fluides et précis. Il me faisait l’amour avec douceur ; ses mouvements étaient sûrs et réguliers, pour que je m’habitue à sa présence. Son corps tremblait sous l’effort et des gouttes de transpiration perlaient à son front. Je n’avais jamais rien vécu d’aussi parfait que de me trouver dans un lit avec lui, à être l’objet de toute son attention.

J’avais la sensation qu’à cet instant nous étions tout l’un pour l’autre, que rien d’autre n’existait au-delà de ce lit.

Sa bouche s’empara alors de la mienne et sa main entreprit d’aller explorer l’endroit où nos corps se rejoignaient. Ses doigts caressèrent les lèvres étirées de mon sexe, juste au-dessus de mon clitoris ultra-sensible. Je hoquetai. Tout en me souriant, il ajusta légèrement sa position de façon à y exercer un frottement. Il me prit alors plus fort, me poussant une nouvelle fois tout droit vers l’orgasme.

– Ben, haletai-je.

Il serra les bras autour de moi, me gardant en sécurité tout près de lui. Il glissa une main sous mes fesses, puis la fit glisser le long de ma jambe sur ma peau en sueur. Agrippant ma cuisse avec force, ses doigts s’enfoncèrent alors dans ma chair. Une agréable tension se propagea en moi, me submergeant complètement. C’était dingue. Tout dans le sexe avec Ben était dingue. La façon dont son torse allait et venait contre mes seins, mais aussi l’attention avec laquelle il me regardait, jaugeant la moindre de mes réactions. Son corps robuste me recouvrait, sa queue m’envahissant tout entière. La jouissance était l’unique réaction possible.

J’atteignis l’orgasme en tremblant, mordant son épaule. Je frissonnais sans pouvoir m’arrêter, et il me serra plus fort encore. Il s’enfonça profondément et jouit, une main dans mes cheveux et l’autre encore accrochée à ma cuisse.

Rien, jamais, ne serait aussi bon.

Ben s’effondra à côté de moi, s’écroulant si violemment sur le matelas que je rebondis contre lui et m’immobilisai ainsi, me recroquevillant tout contre son corps. Il fallut un moment avant que le monde cesse de tourner et que nous reprenions tous deux notre souffle.

Je vibrais intérieurement. Mon corps tout entier vibrait. Je dissimulai mon visage contre sa peau, un sourire béat aux lèvres. Je trouvais incroyable que nous soyons là, tous les deux, en pleine extase post-coïtale. Jamais de ma vie je ne m’étais sentie aussi heureuse, aussi sûre de quoi que ce soit. Ça ne serait pas facile entre nous, mais ça en valait la peine. Mal et Anne finiraient par s’habituer, parce que huit ans d’écart, ce n’était rien finalement.

Je roulai sur le côté pour me blottir près de lui. En dépit de l’air conditionné, il dégageait suffisamment de chaleur corporelle pour nous deux. Nous entendîmes quelque chose vibrer non loin.

Ben se redressa, se penchant en avant pour extirper son portable de la poche de son jean. Lorsqu’il lut le nom qui s’inscrivait sur l’écran, son corps se raidit. Le téléphone continuait de vibrer. Il fit glisser son pouce sur l’écran et porta le téléphone à son oreille.

– Hey.

Je distinguai une voix lointaine dans le téléphone.

– Non, non, dit Ben, je l’ai ramenée jusqu’à sa chambre.

De nouveau, l’interlocuteur parla.

– Putain, mec, quand est-ce que tu vas te mettre dans le crâne qu’il n’y a rien entre nous ? C’est pas mon genre de nana.

Mon cœur hoqueta sous le coup de la douleur.

– Ah, ah. C’est ça, va te faire foutre. Retourne t’occuper de ta femme. Je me dirige vers un bar en ville. Shilly joue ce soir, je lui ai dit que je le rejoignais.

Encore d’autres paroles à l’autre bout du fil.

– Ouais, je lui passe le bonjour. À plus.

Au-dessus de moi, le plafond se troubla. Ma vision se brouillait. Quelle conne j’étais d’être étonnée. Quand allais-je finir par comprendre ?

– Est-ce que tu avais l’intention de le lui dire ? demandai-je d’une petite voix.

– Quoi ?

Ben était assis sur le bord du lit, la tête entre les mains. Peut-être était-il juste troublé – le sexe avait été intense, tout ça. Nous vivions tous, chacun à notre manière, nos petits moments d’émotion.

– Tu veux boire quelque chose ? reprit-il.

– Non. Je veux la vérité.

Étrangement calme, je m’assis, tirant le drap avec moi. Tout à coup, être nue devant lui ne me paraissait plus être une si bonne idée que ça.

– Est-ce que tu avais l’intention de parler de nous à Mal ? repris-je.

– On vient à peine de finir de faire l’amour, et le mec est en pleine nuit de noces. Il vient de se marier ! Tu voulais vraiment que j’aborde le sujet avec lui maintenant ?

– Non. Ce que je veux, c’est savoir si tu as l’intention d’aborder le sujet avec lui à un moment quelconque.

Ben détourna le regard, puis s’essuya le visage d’une main.

– C’est compliqué.

– Oui. Mais je ne suis pas sûre que lui mentir soit la bonne solution.

– Et moi je ne suis pas sûr que lui dire que je viens de me taper sa belle-sœur soit la bonne solution non plus, rétorqua-t-il. Merde. Ce n’est pas ce que je voulais dire, Liz.

– Je sais. C’est compliqué, murmurai-je d’une voix qui paraissait faiblarde.

Il pivota pour me regarder, le visage fermé.

– Attends…, murmura-t-il.

– C’était un accident. Tu as été jaloux quand tu as vu ce mec avec moi dans le bar, tu as surréagi. Je comprends.

– Je ne voulais pas dire…

– Oui, comme d’habitude.

Sans plus de cérémonie, je sortis du lit, enroulée dans le drap.

– Je voudrais que tu partes, ajoutai-je.

– Lizzy.

C’était juste là, sur son visage et dans ses yeux. La position de ses épaules le criait, et ses doigts crispés ne faisaient que renforcer cette impression. Le regret.

– Pars, s’il te plaît. Tu sais que tu en as envie.

Son jean gisait abandonné à l’intérieur de la salle de bains. Je le poussai mollement du pied avant de m’y enfermer.

– Ma belle… (Deux coups timides tapés à la porte.) Allez, ouvre.

Le dos collé contre la porte, je glissai vers le bas, ne m’arrêtant que lorsque je sentis le marbre dur et froid contre mes fesses. Manifestement, le coton égyptien ne possédait pas des qualités thermiques exceptionnelles. Les larmes se mirent à couler sur mes joues, mais je les ignorai. Peu importait.

– Laisse-moi m’expliquer, tenta Ben.

Sûrement pas, non.

– C’est juste que… J’ai paniqué quand j’ai vu que c’était lui, poursuivit-il. Merde, Lizzy. (Un coup furieux contre la porte.) Tu ne comprends pas à quel point c’est difficile. Je t’aime beaucoup mais…

Mais. Pour moi il n’y avait pas de « mais ». Fait chier.

– Je ne dis pas que je ne lui en aurais pas parlé en temps voulu.

Mouais. Il ne disait pas non plus qu’il l’aurait fait.

– Est-ce que je peux au moins récupérer mon jean ? grommela-t-il.

En fait, non. Il ne pouvait pas le récupérer. Il n’obtiendrait rien de plus de ma part. Je n’avais plus rien à lui donner.

De nouvelles larmes se mirent couler sans que je puisse les retenir. Si mon corps vibrait encore, mon cœur était béant. C’était tellement déroutant ! Le bon se mêlait au mauvais, donnant lieu à une situation des plus compliquées. Le calme retomba alors. Ben ne prononça pas un mot de plus. J’imagine que je n’étais pas le genre de fille qui valait la peine d’endurer une situation « compliquée ». Je ne cherchais pas le mélodrame à tout prix. Je n’étais pas du genre à être heureuse uniquement quand il pleut. Alors, assise sur le carrelage glacé de la salle de bains, je me contentai de pleurer toutes les larmes de mon corps.

Je finis par entendre au loin la porte d’entrée qui se refermait.

Terminé.