Chapitre 9

Alors que le soleil se levait, des mains chaudes soulevèrent mon débardeur. Suivirent des baisers brûlants dans mon dos, provoquant un frisson le long de ma colonne vertébrale. Malgré l’heure très matinale, ma peau se hérissa immédiatement.

–  Ev, bébé, retourne-toi, chuchota David à mon oreille.

–  Quelle heure est-il ?

Après dîner, nous étions tous descendus au studio d’enregistrement pour «  jeter un coup d’œil ». À minuit, Pam était partie en disant à Tyler de l’appeler lorsqu’ils auraient terminé mais chacun savait que ce ne serait pas pour tout de suite étant donné qu’ils venaient d’ouvrir une bouteille de bourbon. Je m’étais étendue sur le grand canapé tandis que David et Tyler faisaient les fous, évoluant entre la salle de commandes et le studio. Je voulais être proche de David, l’écouter jouer de la guitare et chanter. Il avait une voix magnifique. J’étais émerveillée par ce qu’il pouvait faire avec une guitare dans les mains. Ses yeux s’évadaient et il semblait ailleurs. Comme si plus rien d’autre n’existait. Par moments, je m’étais même sentie un peu seule, allongée là à le regarder. Puis la chanson se terminait et il secouait la tête, étirait ses doigts et revenait sur terre. Son regard me trouvait et il me souriait. Il était de retour.

J’avais fini par m’assoupir. Je n’ai aucune idée de la manière dont j’avais atterri au lit. David avait dû me porter. Une chose était certaine : ça sentait l’alcool.

–  Il est presque 5 heures. Retourne-toi.

–  Fatiguée, marmonnai-je sans bouger.

Le matelas plia lorsqu’il se mit à califourchon sur moi et passa un bras de chaque côté de ma tête, m’enveloppant.

–  Devine quoi ?

–  Quoi ?

Il écarta doucement les cheveux de mon visage avant de me lécher l’oreille. Je me tortillai.

–  J’ai écrit deux chansons, annonça-t-il d’une voix un peu empâtée.

–  Mmm.

Je souris sans ouvrir les yeux. Avec un peu de chance, il prendrait cela comme un soutien de ma part. C’était le mieux que je pouvais faire avec moins de quatre heures de sommeil. Ce n’était pas dans mes gènes.

–  C’est bien.

–  Non, tu ne comprends pas. Je n’avais plus rien écrit depuis deux ans. C’est incroyable.

Il enfouit son nez dans mon cou.

–  Et elles parlent de toi.

–  Tes chansons ? demandai-je, stupéfaite et toujours un peu endormie. Vraiment ?

–  Ouais, je…

Il respira profondément et me mordit l’épaule, m’obligeant à ouvrir grands les yeux.

–  Hé !

Il se pencha en avant pour que je voie son visage, ses cheveux bruns tombant sur ses épaules.

–  Te voilà enfin. Donc, je pense à toi et, soudain, j’ai quelque chose à dire. Je n’avais rien eu envie de dire depuis longtemps. Je n’en avais rien à foutre. Tout m’était égal. Mais tu as changé les choses. Tu m’as guéri.

–  David, je suis ravie que tu aies retrouvé ton mojo mais tu es incroyablement talentueux. Tu n’étais pas malade. Tu avais peut-être simplement besoin d’une pause.

–  Non. (Il fronça les sourcils.) Tourne-toi. Je ne peux pas te parler comme ça.

Comme j’hésitais, il me donna une petite claque sur une fesse. La fesse non tatouée, heureusement pour lui.

–  Allez, bébé.

–  Ça suffit avec les morsures et les fessées !

–  Alors tourne-toi, grommela-t-il.

–  O.K., O.K.

Il me libéra et je m’assis, ramenant mes genoux contre ma poitrine. Il était torse nu et me regardait, seulement vêtu d’un jean. Comment diable faisait-il pour toujours perdre son T-shirt ? La vue de son torse nu me donna l’eau à la bouche. Celle de son jean me fit perdre la tête. Personne ne portait le jean comme David. Et l’avoir aperçu sans pantalon ne faisait qu’empirer les choses. Mon imagination m’emporta dans une folie sexuelle enragée. Mais d’où sortaient les images qui défilaient dans ma tête ? Elles étaient étonnamment crues et précises. Et j’étais presque sûre de ne pas être assez souple pour en réaliser la plupart.

Tout l’oxygène quitta la pièce. J’avais envie de lui. Tout entier. Le bon, le mauvais, et ce qu’il y avait entre les deux. Je le désirais comme je n’avais jamais rien désiré dans ma vie.

Mais pas alors qu’il avait bu. Nous étions déjà passés par là, avions commis cette erreur. Je ne savais pas très bien ce qui se passait entre nous mais je n’avais pas envie de tout gâcher.

Donc voilà. Pas de sexe. Dommage.

Il fallait que j’arrête de le regarder. Je pris une profonde inspiration et étudiai mes genoux. Mes genoux nus. Lorsque je m’étais couchée, je portais un jean. À présent, je n’avais que ma culotte et mon débardeur. Mon soutien-gorge avait lui aussi mystérieusement disparu.

–  Où sont passés mes vêtements ?

–  Ils sont partis, répondit-il, très sérieusement.

–  Tu les as pris ?

Il haussa les épaules.

–  Tu n’aurais pas bien dormi avec.

–  Comment as-tu réussi à m’enlever mon soutien-gorge sans me réveiller ?

Il eut un sourire espiègle.

–  Je n’ai rien fait de plus. Promis. Je l’ai simplement… retiré pour des raisons de sécurité. C’est dangereux, les armatures.

–  Bien sûr.

–  Je n’ai même pas regardé.

Je plissai les yeux.

–  C’est faux, avoua-t-il. J’ai regardé. Mais on est toujours mariés alors j’ai le droit.

–  Vraiment, hein ?

Il était presque impossible de se fâcher contre lui lorsqu’il me regardait comme ça. Mes stupides hormones s’affolèrent.

Pas de sexe !

–  Qu’est-ce que tu fais de l’autre côté du lit ? Ça ne va pas le faire, dit-il, totalement inconscient de mes hormones en ébullition.

Plus vite que je ne l’aurais cru possible vu la quantité d’alcool ingurgitée, il m’attrapa par les pieds et tira. Mon dos heurta le matelas et ma tête rebondit sur l’oreiller. David s’étendit sur moi avant que je ne puisse tenter d’autres manœuvres dilatoires. Son poids me pressa délicieusement sur le matelas. Dire non dans ces conditions était beaucoup demander.

–  Je ne crois pas qu’on devrait coucher ensemble maintenant, laissai-je échapper.

Le coin de sa bouche s’étira.

–  Détends-toi. On ne va pas baiser tout de suite.

–  Ah non ?

Merde, je venais de geindre. Pathétique.

–  Non. Quand on le fera pour la première fois, on n’aura bu ni l’un ni l’autre. Tu peux me faire confiance là-dessus. Je ne tiens pas à me réveiller de nouveau en te retrouvant en train de flipper parce que tu ne te souviens pas ou que tu as changé d’avis. J’en ai marre d’être le connard, dans l’histoire.

–  Je n’ai jamais pensé que tu étais un connard, David.

Enfin, pas exactement. Un idiot, peut-être, un voleur de soutif, sans aucun doute, mais pas un connard.

–  Ah non ?

–  Non.

–  Pas même à Vegas lorsque je me suis mis à te traiter de tous les noms et à claquer les portes ?

Il plongea les mains dans mes cheveux et massa mon cuir chevelu. Impossible de ne pas rechercher son contact comme un chaton ronronnant. Ses mains étaient magiques. Avec lui, les matins étaient supportables. Même si 5 heures était quand même un peu abusé.

–  Ce n’était un bon matin pour personne, dis-je.

–  Et à Los Angeles, avec cette nana pendue à mon cou ?

–  C’était fait exprès ?

Il ferma un œil.

–  Peut-être avais-je besoin d’une armure.

Je ne sus pas quoi dire. Au début.

–  Tu peux avoir qui tu veux à ton cou, ça ne me regarde pas.

Son sourire reflétait son immense autosatisfaction.

–  Tu étais jalouse.

–  On est obligés de parler de ça maintenant ?

Agacée, je frappai son torse musclé.

–  David ?

–  Ça te fait mal de l’admettre, hein ?

Silence.

–  Hé, je n’ai pas pu me résoudre à la toucher. Pas alors que tu étais là.

–  Vraiment ?

Je me calmai d’un seul coup. Les battements de mon cœur ralentirent.

–  Je me suis demandé ce qui s’était passé. Tu es revenu si vite.

Il poussa un grognement et se rapprocha.

–  Te voir avec Jimmy…

–  Il ne se passait rien. Je te le jure.

–  Oui, je sais. Je suis désolé. J’ai dépassé les bornes.

Mes coups se changèrent en caresses. Étrange, hein ? Mes mains glissèrent vers ses épaules, autour de son cou pour jouer avec ses cheveux. Je voulais simplement sentir la chaleur de sa peau et le garder près de moi. De vraies montagnes russes émotionnelles : j’étais passée de ronchon privée de sommeil à admiratrice remplie d’adoration en moins de huit secondes.

–  C’est génial que tu aies écrit des chansons.

–  Mmm. Et quand je t’ai laissé seule avec Adrian et les avocats ? Tu étais en colère contre moi ?

Je soupirai.

–  Tu as gagné. Je dois reconnaître avoir été un peu contrariée à ce moment-là.

Il hocha lentement la tête, ses yeux ne quittaient pas les miens.

–  Lorsque je suis revenu et qu’ils m’ont raconté ce qui s’était passé, que tu étais partie avec Mal, j’ai pété les plombs. J’ai bousillé ma guitare préférée, je l’ai utilisée pour démolir sa batterie. Je n’arrive toujours pas à croire que j’ai fait ça. J’étais tellement en colère, jaloux, et furieux contre moi-même.

Je sentis mon visage se plisser, incrédule.

–  Tu as fait ça ?

–  Oui.

–  Pourquoi tu me racontes ça maintenant, David ?

–  Je ne veux pas que tu l’apprennes par quelqu’un d’autre.

Il déglutit, faisant bouger sa pomme d’Adam.

–  Écoute, je ne suis pas comme ça, Ev. Ça n’arrivera plus, je te le promets. C’est juste que… je n’ai pas l’habitude de tout ça. Je n’ai jamais ressenti ça. Toute cette histoire me dépasse. Je ne sais pas comment l’expliquer. Tu comprends ?

Il ne se souviendrait peut-être plus de rien plus tard. Mais, pour le moment, il avait l’air si sincère que j’en eus mal pour lui. Je regardai ses yeux injectés de sang et souris.

–  Je crois, oui. Ça n’arrivera plus, c’est sûr ?

–  Oui. Je te le jure, affirma-t-il, avec un soulagement palpable dans la voix. Tout va bien entre nous ?

–  Oui. Est-ce que tu me joueras ces chansons ? J’adorerais les entendre.

–  Elles ne sont pas encore terminées. Quand ce sera le cas, je te les jouerai. Je veux qu’elles soient parfaites.

–  O.K.

Il avait écrit des chansons sur moi. C’était incroyable. À moins qu’elles ne soient peu flatteuses, auquel cas il faudrait que nous ayons une petite discussion.

–  Elles ne disent pas à quel point je t’agace parfois, n’est-ce pas ?

–  Un peu.

–  Quoi ? m’écriai-je.

–  Fais-moi confiance.

–  Tu dis vraiment que je suis une emmerdeuse dans ces chansons ?

–  Pas en ces termes, non.

Il gloussa, sa bonne humeur retrouvée.

–  Tu ne veux quand même pas que je mente et que j’affirme que tout n’est que licornes et arcs-en-ciel, n’est-ce pas ?

–  Peut-être. Les gens vont savoir que ces chansons parlent de moi. J’ai une réputation de fille adorable à protéger.

Il poussa un petit grognement.

–  Evie, regarde-moi. Tu es une fille adorable. Je ne pense pas que quiconque puisse en douter.

–  Tu es vraiment mignon quand tu mens.

–  C’est nouveau, ça. Ce sont des chansons d’amour, bébé. L’amour n’est pas toujours facile et simple. Il peut être compliqué et douloureux. Ça n’en reste pas moins la chose la plus incroyable qui puisse arriver. Ça ne veut pas dire que je ne suis pas fou de toi.

–  Tu l’es ? demandai-je d’une voix serrée par l’émotion.

–  Évidemment.

–  Moi aussi je suis folle de toi. Tu es beau, à l’intérieur comme à l’extérieur, David Ferris.

Il appuya son front contre le mien et ferma les yeux.

–  Tu es si douce. Mais, tu vois, j’aime que tu saches mordre, aussi. Comme tu l’as fait à Vegas avec ces connards. J’aime ta gentillesse, que tu aies défendu cette fille. J’en arrive presque à aimer quand tu me fous en rogne. Mais pas tout le temps, hein. Merde, je recommence à dire n’importe quoi…

–  Ça ne fait rien, murmurai-je. J’aime quand tu racontes n’importe quoi.

–  Alors tu ne m’en veux pas d’avoir perdu mon sang-froid ?

–  Non, David, je ne t’en veux pas.

Sans un mot, il détacha son corps du mien et se coucha à côté de moi. Il m’enlaça, un bras sous moi et l’autre sur ma hanche.

–  Ev ?

–  Mmm ?

–  Enlève ton haut. Je veux être peau contre peau. S’il te plaît ? Rien de plus, promis.

–  D’accord.

Je me redressai et fis passer mon débardeur par-dessus ma tête avant de revenir me blottir contre lui. Être torse nu était très agréable. Il cala ma tête sous son menton et la sensation de son corps chaud était parfaite, excitante et rassurante à la fois. Chaque centimètre de ma peau semblait prendre vie. Être comme ça avec lui apaisait ma violente tempête intérieure. Pas une fois je ne pensai à mon ventre, mes hanches, ou à toutes ces conneries.

Peu importait l’odeur persistante d’alcool sur sa peau, je voulais simplement être près de lui.

–  J’aime dormir avec toi, dit-il en me caressant le dos. Je ne pensais pas pouvoir un jour dormir avec quelqu’un dans mon lit, mais avec toi, c’est agréable.

–  Tu n’as jamais dormi avec quelqu’un avant ?

–  Pas depuis très longtemps. J’ai besoin de mon espace.

Ses doigts jouèrent avec l’élastique de mon shorty, me chatouillant.

–  C’est de la torture, mais une torture agréable.

Pendant quelques minutes, tout devint silencieux et je pensai qu’il s’était peut-être endormi. Mais ce n’était pas le cas.

–  Parle-moi. J’aime entendre ta voix.

–  D’accord. J’ai passé un bon moment avec Pam, elle est adorable.

–  Oui.

Ses doigts allaient et revenaient le long de ma colonne vertébrale.

–  Ce sont des gens bien.

–  C’était vraiment gentil de leur part de nous apporter à dîner.

Je ne savais pas trop quoi dire. Je n’étais pas encore prête à avouer que j’avais beaucoup pensé à ce qu’il avait dit au sujet de mon avenir d’architecte. Que j’avais commencé à remettre en question le Plan Tout-Puissant. Dire que j’avais peur d’avoir gâché les choses entre nous ne semblait pas opportun non plus. Peut-être que les dieux écoutaient et allaient me le faire payer à la première occasion. Pourvu que non. Je choisis alors de raconter des banalités.

–  J’adore le bruit de l’océan.

–  Mmm, acquiesça-t-il. Bébé, je ne veux pas signer ces papiers lundi.

Je me figeai, le cœur battant la chamade.

–  Vraiment ?

–  Non.

Ses doigts caressèrent ma poitrine et je dus me souvenir de respirer. Il ne semblait même pas se rendre compte de son geste, griffonnant ma peau comme il l’aurait fait sur du papier. Ses bras se resserrèrent autour de moi.

–  Ça peut attendre. On peut passer du temps tous les deux, voir comment les choses évoluent.

L’espoir jaillit en moi, chaud et excitant.

–  David, tu le penses vraiment ?

–  Oui. (Il soupira.) Je sais que j’ai bu. Mais j’y ai beaucoup réfléchi. Je… putain, j’ai même eu du mal à ne pas te voir ces dernières heures, mais tu avais l’air d’avoir besoin de sommeil. Je ne veux pas qu’on signe ces documents.

Je fermai les yeux et adressai une prière silencieuse.

–  Alors nous ne le ferons pas.

–  Tu es sûre ?

–  Oui.

Il me serra fort contre lui.

–  Tant mieux.

–  Tout va bien se passer, déclarai-je, comblée.

Le soulagement m’étourdit. Si je n’avais pas été allongée, je serais tombée par terre. Soudain, il renifla son épaule et ses aisselles.

–  Merde, je pue le bourbon. Je vais prendre une douche.

Il me donna un petit baiser et roula hors du lit.

–  Jette-moi du lit la prochaine fois que j’essaie de me coucher en empestant comme ça. Ne me laisse pas me pelotonner contre toi.

J’adorais qu’il envisage pour nous un avenir commun. À tel point que je me fichais qu’il sente si mauvais.

Le véritable amour.