Nous étions à peine arrivés à la maison que Mal disparut. David monta d’un pas lourd l’escalier qui menait à notre chambre. Enfin, était-ce vraiment la nôtre ? Je n’en avais pas la moindre idée. Mais je le suivis. Une fois à l’intérieur, il se tourna pour me faire face, une expression féroce sur le visage : ses sourcils étaient froncés et ses lèvres ne formaient plus qu’une ligne dure.
– Tu appelles ça nous donner une chance ?
Ah ouais, quand même. Je me léchai les lèvres, m’accordant un délai.
– J’appelle ça aller chercher de quoi manger. Il y avait du retard en cuisine, alors on a pris une bière. La musique nous plaisait et nous avons décidé de danser un peu. Rien de plus.
– Ce type était en train de te peloter.
– Et j’étais sur le point de lui balancer un coup dans les couilles.
– Tu es partie sans prévenir ! cria-t-il.
– Ne me hurle pas dessus, dis-je en m’efforçant de rester posée. Je t’ai laissé un mot dans la cuisine.
Il agita les mains dans les airs, essayant visiblement de recouvrer son calme.
– Je ne l’ai pas vu. Pourquoi tu n’es pas venue me le dire ?
– La lumière rouge était allumée. Vous étiez en train d’enregistrer et je n’ai pas voulu vous déranger. On ne s’absentait pas longtemps.
Le visage meurtri et furieux, il s’éloigna un peu avant de faire demi-tour. Faire les cent pas ne le calmait pas, apparemment. Mais, au moins, il essayait. Pas évident de gérer un tel tempérament.
– J’étais inquiet. Tu n’avais même pas ton portable avec toi, je l’ai retrouvé sur la table. Et Pam ne répondait pas au sien.
– Je suis désolée.
Je tendis les mains, à court d’excuses.
– J’avais oublié de recharger mon téléphone. Ça arrive. Je ferai plus attention, à l’avenir. Mais, David, tout va bien. J’ai quand même le droit de sortir de la maison.
– Merde. Je sais. Mais j’ai…
– Tu fais ce que tu aimes et c’est super.
– C’était une espèce de punition ? C’est ça ?
– Non ! Bien sûr que non.
Je soupirai. Sans bruit.
– Alors tu n’étais pas en train d’essayer de te faire draguer ?
– Je vais faire comme si tu n’avais pas dit ça.
Je n’excluais pas de le frapper. Je gardai mes poings serrés le long de mon corps, résistant à la tentation.
– Pourquoi l’as-tu laissé te toucher ?
– Tu n’y es pas du tout. Je lui ai demandé de se pousser ; il a refusé. Et tu es arrivé.
Je me frottai la bouche, sur le point de perdre patience.
– On tourne en rond, là. On devrait peut-être en reparler quand tu te seras calmé.
Les mains tremblantes, je me dirigeai vers la porte.
– Tu t’en vas ? Putain, c’est le comble ! s’exclama-t-il en se jetant sur le lit, puis un rire totalement dépourvu de joie s’échappa de sa bouche. Et moi qui croyais qu’on devait rester ensemble…
– Quoi ? Non. Je n’ai pas envie de me disputer avec toi, David. Je descends avant qu’on se dise des choses qu’on regretterait ensuite. C’est tout.
– Va-t’en, dit-il d’une voix dure. Je m’y attendais, de toute façon.
– C’est pas vrai ! grondai-je en me retournant vers lui.
L’envie de lui crier dessus, de donner un sens à tout ça, bouillonnait en moi.
– Est-ce que tu écoutes au moins ce que je te dis ? Tu m’écoutes ? Je ne te quitte pas. D’où ça sort, ça ?
Il ne répondit pas et me fusillait toujours du regard. Non, décidément, ça n’avait aucun sens.
Je faillis tomber en me précipitant vers lui. Me casser la figure serait la cerise sur le gâteau. Je ne comprenais même plus pourquoi nous nous disputions.
– À qui tu me compares, là ? demandai-je, à présent aussi en colère que lui. Parce que je ne suis pas elle.
Il continua à me regarder fixement.
– Alors ?
Ses lèvres restèrent fermées ; ma frustration et ma colère grimpèrent en flèche. J’avais envie de l’attraper et de le secouer. Lui faire avouer quelque chose, n’importe quoi. Le pousser à me dire ce qui était réellement en jeu.
Je m’agenouillai sur le lit, lui faisant face.
– David, parle-moi !
Rien.
Génial.
Les jambes tremblantes, je reculai et essayai de descendre du matelas. Il m’attrapa les bras pour me retenir. Je tentai de me dégager. Nos membres entremêlés, nous dégringolâmes du lit et atterrîmes sur le sol. Son dos heurta le plancher. Immédiatement, il nous fit rouler et se mit à califourchon sur moi. Mon cœur battait à cent à l’heure. Je le repoussai, le frappai et luttai avec toute la tristesse qu’il m’inspirait. Avant qu’il n’ait eu le temps de retrouver ses esprits, je roulai de nouveau, reprenant l’avantage. Il ne pouvait pas m’arrêter, ce salaud. La fuite était imminente.
Mais ça n’arriva pas.
David m’attrapa le visage à deux mains et écrasa violemment ses lèvres sur les miennes. J’ouvris la bouche et sa langue s’y glissa. Notre baiser était brutal et mouillé. Je ne pouvais plus respirer. Nous avions tous les deux du mal à gérer notre colère et aucun de nous ne s’abstint totalement de mordre. Avec sa bouche meurtrie, il avait plus à perdre que moi. Bientôt, le goût métallique du sang envahit ma langue.
Il se recula avec un sifflement, du sang frais sur sa lèvre supérieure enflée.
– Merde.
Il m’attrapa les mains. Je ne lui rendis pas la tâche facile, me débattant de toutes mes forces. Mais il était plus fort. Il les immobilisa au sol au-dessus de ma tête sans difficulté. La sensation de son érection entre mes jambes était exquise, grisante. Et plus je me débattais, meilleur c’était. Une poussée d’adrénaline me parcourut, m’électrifiant. Je le voulais en moi. Ma peau picotait, hypersensible.
C’était du sexe en colère. O.K. Je ne pouvais me résoudre à lui faire mal, pas vraiment. Mais il y avait d’autres façons de m’affirmer dans cette situation. Lorsque sa bouche s’abattit de nouveau sur la mienne, je le mordis en signe d’avertissement.
Un sourire de dément se dessina sur son visage. Probablement identique au mien. Nous étions hors d’haleine. Aussi têtus l’un que l’autre. Sans un mot, il relâcha mes poignets et recula. Il m’attrapa par les hanches et me mit à quatre pattes. Des mains brutales arrachèrent le bouton et la fermeture Éclair de mon jean. Il tira dessus d’un coup sec ainsi que sur le string hors de prix, et colla son corps au mien.
Il me caressa les fesses. Des dents mordillèrent la peau sensible juste au-dessus de mon tatouage. Une main se glissa en dessous pour entourer mon sexe. La pression de ses doigts contre moi me fit voir des étoiles. Lorsqu’ils commencèrent à me caresser, je ne pus retenir un gémissement. Il me mordit la fesse puis déposa des baisers le long de ma colonne vertébrale. Sa barbe de deux jours me piqua l’épaule.
L’absence de mots, le silence absolu hormis nos deux souffles rauques rendaient les choses plus intenses. Différentes.
Il introduisit un doigt en moi. Ce n’était pas assez, encore, par pitié. Il en glissa un deuxième, m’étirant un peu. Une fois, deux fois, il les fit lentement aller et venir en moi. Avide, je basculai mes hanches contre sa main. Puis me parvint le bruit du tiroir de la table de nuit alors qu’il cherchait un préservatif. Lorsqu’il retira ses doigts, le vide fut insoutenable. J’entendis sa fermeture Éclair qui se baissait, le bruissement des vêtements et le froissement du papier d’emballage. Puis il pressa son sexe contre moi, frôlant le mien. Il s’enfonça avec une lenteur exquise, m’emplissant jusqu’à ce qu’il ne reste rien d’autre que lui et moi. Il s’arrêta soudain, me laissant m’habituer.
Mais pas pour longtemps.
Ses mains agrippèrent mes hanches et il se mit à aller et venir. Chaque coup de rein un peu plus rapide et puissant que le précédent. Nos respirations haletantes et le claquement de sa peau contre la mienne avalèrent le silence. L’odeur du sexe emplissait l’air. J’allai à sa rencontre, lui rendant coup de rein pour coup de rein. Rien à voir avec nos doux ébats de la matinée. Aucun de nous n’était tendre. Mon jean m’entravait aux genoux, me faisant glisser en avant un peu plus à chaque mouvement. Ses doigts s’enfoncèrent dans mes hanches pour me maintenir en place. Il caressa quelque chose en moi et je lâchai un hoquet de surprise. Encore et encore, il se concentra sur cet endroit jusqu’à m’en faire perdre la tête. La chaleur m’envahit, comme si un feu m’embrasait de l’intérieur. La sueur perlait sur ma peau. Je renversai la tête en arrière, fermai les yeux et m’agrippai au sol de toutes mes forces. Je criai son prénom, malgré moi. Mon corps ne m’appartenait plus. Je jouis en hurlant, submergée de sensations. Mon dos s’arqua, tous mes muscles se tendirent.
David continua, les mains glissant sur ma peau en sueur. Puis il jouit à son tour, en silence, et s’immobilisa en moi. Il posa sa tête contre mon dos et enroula ses bras autour de mon corps épanoui. J’avais perdu tout équilibre. Lentement, je glissai au sol. S’il ne m’avait pas tenue, j’aurais fini face contre terre. Et je crois que je ne m’en serais même pas aperçue.
Il me souleva, me porta dans la salle de bains et m’assit sur le lavabo. Il retira le préservatif avant de faire couler un bain, une main sous le robinet pour vérifier la température. Il me déshabilla comme une enfant, retirant mes baskets, mes chaussettes, mon jean et ma culotte. Il fit passer mon T-shirt par-dessus ma tête et dégrafa mon soutien-gorge. Il se débarrassa de ses vêtements avec bien moins de soin. Je me sentis étrangement nue tout à coup. Il était si délicat avec moi. Il me manipulait comme si j’étais précieuse. Comme une poupée en porcelaine. Une poupée avec laquelle il pouvait coucher sauvagement à l’occasion. Il vérifia de nouveau la température de l’eau avant de me porter dans le bain.
Je me blottis contre lui. J’avais froid à présent et mes dents se mirent à claquer. Il me serra plus fort, posant sa joue contre la mienne.
– Excuse-moi si j’ai été trop brutal, finit-il par dire. Je ne voulais pas t’accuser comme ça. J’étais simplement… Merde. Je suis désolé.
– La brutalité ne m’a pas dérangée, mais le manque de confiance… Il va falloir que nous en discutions, un de ces jours.
Je posai ma tête contre son épaule en regardant ses yeux inquiets. Son menton tressauta lorsqu’il hocha la tête, tendu.
– Mais là, tout de suite, j’aimerais parler de Las Vegas, poursuivis-je.
Les bras qui m’entouraient se resserrèrent.
– Je t’écoute.
Je le regardai de nouveau, cherchant mes mots. Je ne voulais pas tout gâcher, quoi qu’il y ait entre nous.
Les liens du mariage, voilà ce qu’il y avait entre nous.
– On a progressé ces vingt-quatre dernières heures, commençai-je.
– Oui, c’est vrai.
Je regardai ma main, la bague étincelante. La taille du diamant ne comptait pas. Que David me l’ait passée au doigt, voilà ce qui importait.
– On a parlé de beaucoup de choses. On a couché ensemble et on s’est fait des promesses, des promesses importantes.
– Tu le regrettes ?
Ma main glissa autour de sa nuque.
– Non. Pas du tout. Mais si jamais tu te réveillais demain matin en ayant tout oublié ? Si tout ça avait disparu, comme si ça n’avait jamais existé, je serais furieuse contre toi.
Son front se plissa.
– Je te détesterais d’avoir oublié tout ça alors que ça représente tant pour moi, continuai-je.
Il se lécha les lèvres et ferma le robinet avec son pied. Sans le bruit de l’eau, la pièce devint soudain très silencieuse.
– Ouais, dit-il. J’étais en colère.
– Je ne te laisserai plus jamais tomber comme ça.
Dans mon dos, sa poitrine se souleva rapidement.
– O.K.
– Je sais que ça prend du temps d’apprendre à faire confiance à quelqu’un. Mais, en attendant, j’ai besoin que tu me laisses au moins le bénéfice du doute.
– Je sais.
Deux yeux bleus méfiants me regardaient.
Je me redressai et attrapai le gant de toilette sur le bord de la baignoire.
– Laisse-moi te nettoyer un peu.
Une bosse sombre sur sa mâchoire. Du sang coagulé sous son nez et autour de sa bouche. Il était dans un sale état. Sur ses côtes s’étalait une grosse marque rouge.
– Tu devrais voir un médecin.
– Rien de cassé.
Délicatement, j’essuyai les traces sur son visage. Le voir souffrir était atroce. Savoir que j’en étais la cause me prenait aux tripes.
– Dis-moi si j’appuie trop fort.
– Tu fais ça très bien.
– Je suis désolée que tu aies été blessé. Au bar, ce soir, et à Vegas. Je ne voulais pas te faire de mal.
Ses yeux s’adoucirent et ses mains m’effleurèrent.
– Je veux que tu rentres avec moi à Los Angeles. J’ai besoin de toi. Je sais que la fac va bientôt reprendre et qu’on va devoir trouver une solution. Mais, quoi qu’il arrive, je ne veux pas qu’on soit séparés.
– Ça n’arrivera pas.
– Promis ?
– Promis.