Chapitre 21

Mes parents ne l’avaient pas apprécié. Ils l’avaient ignoré la majeure partie du dîner. Chaque fois que j’avais ouvert la bouche pour m’indigner, David m’avait donné un coup de pied sous la table suivi d’un petit signe de tête. J’étais restée assise en fulminant, ma colère augmentant de minute en minute. Les choses dépassèrent rapidement le stade du gênant, bien que Lauren ait fait son possible pour combler les silences.

De son côté, David s’était mis sur son trente et un ; il portait une chemise grise à col boutonné dont les manches recouvraient le plus gros de ses tatouages. Un jean et des bottes noires complétaient sa tenue «  rencontre avec les parents ». Étant donné qu’il avait refusé de faire un effort vestimentaire lors d’un concert bourré de stars hollywoodiennes, j’étais impressionnée. Il avait même coiffé ses cheveux à la James Dean. Sur la plupart des hommes, ça ne m’aurait pas plu. Mais David n’était pas la plupart des hommes. Pour résumer, il était extraordinairement beau, malgré les bleus qui s’estompaient sous ses yeux. Et la façon courtoise dont il avait réagi à l’attitude épouvantable de mes parents n’avait fait que renforcer ma confiance en lui. J’étais fière qu’il ait choisi d’être avec moi. Mais revenons à la conversation du dîner.

Lauren était en train de donner un résumé détaillé de ses cours du semestre suivant. Mon père hochait la tête et écoutait attentivement, posant toutes les questions appropriées. Pour mes parents, que Nate tombe amoureux d’elle dépassait leurs rêves les plus fous. Dans les faits, ça faisait longtemps qu’elle faisait partie de la famille. Ils ne pouvaient pas être plus heureux. Au-delà de ça, elle semblait leur faire voir leur fils sous un nouveau jour, leur faire prendre conscience des changements qui s’opéraient en lui. Lorsque Lauren parlait du travail de Nate et de ses responsabilités, ils écoutaient.

David n’était que de l’autre côté de la table, mais il me manquait déjà. Il y avait tellement de choses dont nous devions discuter que je ne savais pas par où commencer. Mais n’avions-nous pas déjà discuté jusqu’à plus soif ? Alors quel était le problème ? J’avais l’étrange sensation que quelque chose n’allait pas, que quelque chose m’échappait. David avait déménagé à Portland. Tout devrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais ce n’était pas le cas. Les cours allaient bientôt reprendre. La menace de mon avenir était toujours suspendue au-dessus de ma tête tel un couperet, et ce par ma faute.

–  Ev ? Quelque chose ne va pas ? me demanda mon père, assis en bout de table, le visage marqué par l’inquiétude.

–  Non, papa, tout va bien, répondis-je avec un sourire forcé.

Nous n’avions pas reparlé du fait que je lui avais raccroché au nez. Il avait probablement dû mettre ça sur le compte de mon cœur brisé ou un truc comme ça.

Il fronça les sourcils à mon intention, puis à celle de David.

–  Ma fille reprend les cours la semaine prochaine.

–  Oui, répondit David. Elle me l’a dit, monsieur Thomas.

Mon père l’observa derrière ses lunettes.

–  Ses études sont très importantes.

Une panique glacée m’envahit tandis que l’horreur se déroulait devant mes yeux.

–  Papa, arrête.

–  Je n’ai aucune intention de les perturber, monsieur Thomas.

–  Bien.

Mon père joignit les mains et se prépara à faire un sermon.

–  Le fait est que les jeunes femmes qui se croient amoureuses ont une fâcheuse tendance à agir de manière impulsive.

–  Papa…

Il tendit une main pour m’arrêter.

–  Elle rêve de devenir architecte depuis qu’elle est toute petite.

–  O.K.ça suffit, papa.

–  Et si vous partez en tournée, David ? continua-t-il malgré mes protestations. Ce qui sera forcément le cas. Vous attendez-vous qu’elle laisse tout tomber pour vous suivre ?

–  Ce sera à votre fille d’en décider, monsieur. Mais je n’ai nullement l’intention de lui demander de choisir entre ses études et moi. Quoi qu’elle décide de faire, elle aura mon soutien le plus total.

–  Elle veut être architecte, déclara mon père d’un ton sans appel. Cette relation lui a déjà beaucoup coûté. Un stage très important a été annulé à cause de toute cette histoire. Ça lui a considérablement porté préjudice.

Je repoussai ma chaise et me levai brusquement.

–  Stop !

Mon père me lança le même regard qu’il avait réservé à David : froid et hostile. Il me dévisageait comme s’il ne me reconnaissait plus.

–  Je ne veux pas que tu gâches ton avenir pour lui, gronda-t-il.

–  Lui ? répétai-je, horrifiée par le ton de sa voix.

La colère s’était accumulée en moi toute la soirée. Pas étonnant que j’aie à peine touché mon repas.

–  La personne envers laquelle vous êtes terriblement grossier depuis une heure ? David est la dernière personne qui souhaiterait que je renonce à quelque chose d’important à mes yeux.

–  S’il tenait vraiment à toi, il s’en irait. Regarde les dégâts qu’il a causés.

Une veine palpita sur le front de mon père qui se leva à son tour. Tout le monde observait la scène dans un silence stupéfait. Toute ma vie, j’avais cédé. Mais toujours pour des choses sans importance. Là, c’était différent.

–  Tu te trompes.

–  Tu es incontrôlable, gronda-t-il en pointant un doigt dans ma direction.

–  C’est faux, rétorquai-je avant de me tourner vers mon mari pour lui dire ce que j’aurais dû lui avouer depuis longtemps. Je suis la fille la plus chanceuse du monde, voilà ce que je suis.

Un sourire illumina les yeux de David. Il se mordit la lèvre inférieure, tentant de contenir sa joie devant la colère de mes parents.

–  C’est vrai, ajoutai-je, les larmes aux yeux.

David repoussa sa chaise et se leva, me faisant face de l’autre côté de la table. Les promesses d’amour inconditionnel et de soutien dans ses yeux furent la seule réponse dont j’avais besoin. Et, en cet instant parfait, je sus que, tant que nous resterions ensemble, tout irait bien. Il n’y avait aucune once de doute en moi. Sans un mot, il fit le tour de la table et se dressa à côté de moi.

L’expression sur le visage de mes parents… Waouh. On dit toujours qu’il vaut mieux retirer le pansement d’un coup sec, alors je me lançai :

–  Je ne veux pas être architecte.

Le soulagement que provoqua cet aveu fut stupéfiant. Je suis presque sûre que mes genoux s’entrechoquèrent. Impossible de revenir en arrière, à présent. David me prit la main et la serra.

Mon père tressaillit.

–  Tu ne penses pas ce que tu dis.

–  J’ai bien peur que si. C’était ton rêve, papa. Pas le mien. Je n’aurais pas dû jouer le jeu si longtemps. C’était une erreur et je m’en excuse.

–  Qu’est-ce que tu vas faire ? demanda ma mère d’une voix perçante. Servir du café toute ta vie ?

–  Oui.

–  C’est ridicule. Tout cet argent dépensé…

Ses yeux étincelèrent de colère.

–  Je vous rembourserai.

–  C’est complètement fou, renchérit mon père en blêmissant. C’est à cause de lui.

–  Non. Il s’agit de moi, pour une fois. David m’a simplement ouvert les yeux. Il m’a donné envie d’être une meilleure personne. Je n’aurais pas dû mentir au sujet de mon avenir simplement pour vous faire plaisir.

Mon père me foudroya du regard.

–  Je crois que tu ferais mieux de partir, maintenant, Evie. Réfléchis bien à tout ça. Nous en reparlerons plus tard.

Nous en reparlerions, certes, mais ça ne changerait rien. Mon statut de petite fille sage venait d’en prendre un sacré coup.

–  Vous avez oublié de lui dire que, quoi qu’elle décide, vous l’aimeriez toujours, intervint Nathan en se levant à son tour et en tirant la chaise de Lauren.

Il affronta mon père, la mâchoire serrée.

–  Nous ferions mieux d’y aller aussi.

–  Elle le sait.

Le visage déformé par l’incompréhension, mon père se tenait immobile en bout de table.

Nate poussa un petit grognement.

–  Non, c’est faux. Pourquoi croyez-vous qu’elle vous a obéi toutes ces années ?

Maman se tordit les mains.

–  C’est totalement ridicule, bredouilla mon père.

–  Non, il a raison, dis-je. Mais je suppose que tout le monde doit grandir un jour ou l’autre.

Ses yeux se durcirent encore un peu plus.

–  Devenir adulte ne signifie pas tourner le dos à ses responsabilités.

–  Suivre tes pas ne fait pas partie de mes responsabilités, rétorquai-je, refusant de céder.

Fini la soumission.

–  Je ne peux pas être toi. Je suis désolée d’avoir gâché tant d’années et d’argent avant de m’en rendre compte.

–  Nous désirons simplement ce qu’il y a de mieux pour toi, souffla maman d’une voix serrée par l’émotion.

–  Je le sais. Mais c’est à moi de décider, maintenant.

Je me tournai vers David, sans jamais lâcher sa main.

–  Et mon mari ne va nulle part. Vous allez devoir vous y faire.

Mon frère fit le tour de la table pour aller embrasser notre mère.

–  Merci pour le dîner.

–  Un jour, déclara-t-elle en nous regardant tous les deux, lorsque vous aurez vous-mêmes des enfants, vous comprendrez à quel point c’est dur.

Ses paroles mirent le point final à la soirée. Mon père continua à secouer la tête en poussant de petits soupirs. Je me sentais coupable de les avoir déçus. Mais pas assez pour faire marche arrière. J’avais atteint un âge où je comprenais que mes parents étaient des êtres humains. Ni parfaits ni omnipotents, mais faillibles. Et c’était à moi de juger ce qui était bon pour moi.

J’attrapai mon sac à main. Il était temps de partir.

David salua mes parents d’un signe de tête et m’escorta dehors. Une Lexus hybride flambant neuve attendait. Rien à voir avec les gros 4 × 4 qu’utilisaient Sam et les autres gardes du corps. Cette voiture avait une taille beaucoup plus conviviale. Derrière nous, Nate et Lauren montèrent dans leur voiture. Personne n’ajouta un mot. Papa et maman se tenaient dans l’embrasure de la porte d’entrée, silhouettes sombres dans la lumière. David m’ouvrit la portière et je montai sur le siège passager.

–  Je suis désolée pour le comportement de mon père. Tu es fâché ?

–  Non.

Il referma la portière et fit le tour du véhicule côté conducteur.

–  Non ? C’est tout ?

Il haussa les épaules.

–  C’est ton père. Évidemment qu’il s’inquiète.

–  Je ne pensais pas que tu resterais.

Il enclencha le clignotant et démarra.

–  Vraiment ?

–  Non. Pardon, c’était stupide de ma part.

J’observai mon ancien quartier : le parc dans lequel je jouais, le chemin que je prenais pour aller à l’école.

–  Voilà, je viens d’arrêter mes études.

Il m’interrogea du regard.

–  Et tu te sens comment ?

–  J’en sais rien.

Je frottai mes mains l’une contre l’autre.

–  Ça picote. J’ai l’impression que mes orteils et mes mains me démangent. Je ne sais plus où j’en suis.

–  Et tu sais ce que tu as envie de faire ?

–  Non, pas vraiment.

–  Mais tu sais ce que tu n’as pas envie de faire ?

–  Oui, répondis-je d’un ton assuré.

–  C’est un bon point de départ.

C’était la pleine lune. Les étoiles scintillaient. Et je venais de chambouler mon existence tout entière. Encore unefois.

–  Tu es à présent officiellement marié à une ancienne étudiante qui sert du café pour vivre. Ça t’embête ?

Avec un soupir, David réenclencha le clignotant et se gara devant une rangée impeccable de pavillons. Il saisit l’une de mes mains et la serra entre les siennes.

–  Si je décidais de quitter le groupe, ça t’embêterait ?

–  Bien sûr que non. La décision t’appartient.

–  Et si je voulais donner tout mon argent, que dirais-tu ?

Je haussai les épaules.

–  C’est ton argent, ton choix. J’imagine que tu devrais alors vivre avec moi. Et, pour ton information, l’appartement qu’on pourrait s’offrir avec mon salaire serait petit. Vraiment minuscule.

–  Mais tu voudrais toujours de moi ?

–  Sans hésitation.

Je posai une main sur la sienne ; j’avais besoin d’emprunter un peu de sa force.

–  Merci d’avoir été là ce soir.

Ses yeux bleus magnifiques se plissèrent.

–  Mais je n’ai pas dit un mot…

–  Tu n’en avais pas besoin.

–  Tu m’as appelé ton mari.

Je hochai la tête, la gorge serrée.

–  Si je ne t’ai pas embrassée tout à l’heure au studio, c’est parce qu’il y avait bien trop de tension entre nous. Le moment semblait mal choisi. Mais maintenant, j’ai envie de t’embrasser.

–  Oui, s’il te plaît.

Il se pencha vers moi et j’allai à sa rencontre. Sa bouche recouvrit la mienne ; ses lèvres étaient chaudes, fermes, et familières. Les seules que je désirais et dont j’avais besoin. Ses mains prirent mon visage en coupe. Son baiser était doux, parfait, comme une promesse – une qui ne serait pas rompue cette fois. Nous avions tous deux appris de nos erreurs et continuerions à apprendre toute notre vie. C’était ça, le mariage.

Ses doigts glissèrent dans mes cheveux et je caressai sa langue avec la mienne. Le sentir était pour moi aussi vital que l’oxygène. La sensation de ses mains sur moi était un avant-goût de ce qui m’attendait. La situation dérapait. Le gémissement qui s’échappa de sa bouche… Oh mon Dieu ! Je voulais entendre ce bruit pour le restant de mes jours. Mes mains agrippèrent sa chemise, essayant de l’attirer plus près. Nous avions du temps à rattraper.

–  Il faut qu’on arrête, murmura-t-il.

–  Vraiment ? demandai-je, pantelante.

–  Malheureusement. (Il gloussa et frotta son nez contre le mien.) Un peu de patience, ma petite chanceuse, un peu de patience. Au fait, avais-tu vraiment besoin de jeter cette bombe ?

–  Oui.

–  Tes parents semblaient à deux doigts d’avoir une attaque.

–  Je suis désolée de la façon dont ils t’ont traité, dis-je en caressant les petits cheveux sur ses tempes.

–  Ce n’est rien.

–  Si, tu n’avais pas à supporter ça. Ça ne se reproduira plus. Je ne vais pas laisser…

Il mit un terme à ma diatribe avec un baiser. Évidemment, cela fonctionna. Sa langue titilla la mienne. Je retirai ma ceinture de sécurité et grimpai sur ses genoux ; j’avais besoin d’être plus près de lui. Personne n’embrassait comme David. Ses mains se glissèrent sous mon haut, caressèrent mes seins et en titillèrent les pointes tendues, si dures à présent que ça en était presque douloureux. Je sentais son érection contre ma hanche. Nous gardâmes nos lèvres collées jusqu’à ce qu’une voiture remplie d’ados ne nous croise en klaxonnant. Apparemment, notre petite séance de pelotage était visible malgré les vitres embuées. Classe.

–  Bientôt, promit-il, le souffle court. Que c’est bon de t’avoir pour moi tout seul. Mais je suis fier que tu aies eu le courage de tes opinions. Tu t’en es très bien sortie.

–  Merci. Tu crois qu’on comprendra lorsqu’on aura des enfants, comme l’a dit ma mère ?

Il me regarda d’un air grave, son beau visage si merveilleusement familier que j’aurais pu en pleurer.

–  On n’a jamais encore abordé le sujet des enfants. Tu en veux ?

–  Un jour. Et toi ?

–  Un jour, oui. Après quelques années passées rien que tous les deux.

–  Ça me va. Alors, tu vas finir par me montrer ton appart ?

–  Notre appart. Absolument.

–  Mais tu vas devoir retirer les mains de mon haut si tu comptes conduire.

–  Mmm. Quel dommage, soupira-t-il avant de caresser mes seins une dernière fois. Et toi, tu vas devoir retourner à ta place.

–  Ça marche.

Ses mains entourèrent ma taille pour m’aider à rejoindre mon siège. Je remis ma ceinture tandis qu’il prenait une profonde inspiration. Avec une petite grimace, il se tortilla.

–  Tu es un vrai démon.

–  Moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

–  Tu le sais très bien, bougonna-t-il en démarrant.

–  Je ne sais absolument pas de quoi tu parles.

–  Ne fais pas l’innocente, dit-il en plissant les yeux. Tu l’as fait à Vegas, à Monterey et également à Los Angeles. Et maintenant tu remets ça à Portland. Tu es vraiment insortable.

–  Tu veux parler de l’état de ta braguette ? Parce que je ne contrôle pas tes réactions à mon contact, mon vieux.

Il éclata de rire.

–  Je ne les contrôle pas non plus.

–  C’est pour ça que tu m’as épousée ? Parce que tu es sans défense face à moi ?

–  Tu me fais trembler de peur, sois-en sûre.

Le sourire qu’il m’adressa me fit frémir, mais la peur n’avait rien à voir là-dedans.

–  Evie, je t’ai épousée parce que tu as donné un sens à ma vie. Nous faisons sens. Nous sommes bien mieux ensemble que séparés. Tu as remarqué ?

–  Oh que oui.

–  Tant mieux. Il faut rentrer à la maison. Tout de suite.

Je suis presque sûre qu’il dépassa plusieurs limitations de vitesse en chemin. L’appartement n’était qu’à quelques rues du Ruby’s Café. Il se trouvait dans un vieil immeuble Art déco. David tapa le code et me fit entrer dans un vestibule en marbre blanc. Une imposante sculpture en bois flotté se dressait, majestueuse, et des caméras de surveillance étaient cachées au plafond. Il ne me laissa pas le temps d’admirer plus longtemps. Je dus pratiquement courir pour pouvoir le suivre.

–  Allez, viens, dit-il en me tirant par la main pour me précipiter dans l’ascenseur.

–  C’est magnifique.

Il appuya sur le bouton du quatrième étage.

–  Attends un peu d’avoir vu l’intérieur. Tu emménages avec moi, n’est-ce pas ?

–  Oui.

–  Au fait, on a des invités en ce moment. Juste quelques semaines, le temps d’enregistrer l’album.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et nous nous engouffrâmes dans le couloir. Soudain, il saisit mon sac à main, se pencha et me souleva.

–  Nous y voilà.

Je poussai un petit couinement.

–  Je te tiens. Il est temps de te faire franchir le seuil, encore une fois.

–  David, je porte une jupe.

Elle tombait presque aux genoux, certes, mais je préférais ne pas montrer mes fesses à ses invités et aux membres du groupe si je pouvais l’éviter.

–  J’ai vu. T’ai-je remerciée, d’ailleurs ? J’apprécie beaucoup cette facilité d’accès.

Ses bottes noires retentirent contre le sol en marbre. Je profitai de ma position pour lui toucher les fesses. Ma vie était vraiment géniale.

–  Tu ne portes pas de sous-vêtements, constatai-je.

–  Vraiment ?

Une main pelota mon derrière. À travers mes vêtements, heureusement.

–  Toi, oui, en revanche, dit-il d’une voix rauque. Je les connais ? C’est un shorty, il me semble.

–  Je ne crois pas que tu les aies déjà vus, ceux-là.

–  Eh bien, on va très vite y remédier. Fais-moi confiance.

–  Je n’en doute pas.

J’entendis le bruit de la porte qui s’ouvrait et le marbre sous moi se changea en un parquet en bois brillant peint en noir. Les murs étaient d’un blanc immaculé. Des voix d’hommes me parvinrent. Il y avait de la musique en fond sonore – Nine Inch Nails, je crois. Nate avait rapporté ses CD chez nous et il adorait ce groupe. Évidemment, l’appartement était incroyable. Des chaises en bois sombre, des canapés verts. Beaucoup d’espace. Des étuis à guitare éparpillés un peu partout. De ce que je pouvais en voir, c’était splendide, plein de vie. Un vrai foyer.

Notre foyer.

–  Tu as kidnappé une nana. C’est super mais totalement illégal, Davie. Tu vas probablement devoir la rendre.

On souleva mes cheveux et Mal apparut, accroupi à côté de moi.

–  Salut, petite mariée. Où est mon bisou de bonjour ?

David leva un pied botté et repoussa Mal.

–  Laisse ma femme tranquille, enfoiré. Va t’en trouver une.

–  Pourquoi aurais-je envie de me marier ? C’est pour les tarés comme vous, ça. Et même si je salue votre folie, pas question que je suive votre exemple.

–  Qui voudrait de lui, de toute façon ? me parvint la douce voix de Jimmy. Salut, Ev.

–  Salut Jimmy.

J’enlevai une main du jean de mon époux pour lui faire un petit signe.

–  David, suis-je vraiment obligée de rester la tête en bas ?

–  Ah oui, pardon. Au fait, c’est soirée rencard, annonça mon mari.

–  Compris, répondit Mal. Allez viens, Jimmy, allons retrouver Benny. Il est allé dans ce resto japonais pour manger un morceau.

–  O. K, acquiesça Jimmy en se dirigeant vers la porte d’entrée. À plus tard, vous deux.

–  À plus tard, répondis-je avec un nouveau petit signe de la main.

–  Bonne nuit, Ev.

Mal s’en alla à son tour et claqua la porte derrière eux.

–  Enfin seuls, soupira David en se dirigeant vers un long couloir.

Avec moi toujours sur son épaule.

–  Tu aimes l’appart ?

–  Ce que j’en ai vu me plaît beaucoup.

–  Tant mieux. Je te montrerai le reste plus tard. Pour le moment, j’ai vraiment besoin de rentrer dans ta petite culotte, si tu vois ce que je veux dire.

–  Je ne suis pas sûre qu’elle soit à ta taille, gloussai-je.

Il me donna une petite tape sur les fesses.

–  David !

–  Je te réchauffe juste, petite maligne.

Il pénétra dans la dernière chambre au bout du couloir et referma la porte d’un coup de pied. Il jeta mon sac à main sur une chaise. Sans un avertissement, il me déposa sur le lit king size. Mon corps rebondit sur le matelas. Le sang afflua et je fus prise de vertige. Je repoussai mes cheveux de mon visage et me relevai sur mes coudes.

–  Ne bouge pas, m’ordonna-t-il d’une voix gutturale.

Debout à l’extrémité du lit, il se déshabillait. Quelle vision magnifique. J’aurais pu le regarder faire ça toute ma vie. Il retira sa chemise et je sus au plus profond de mon être que je n’étais pas la fille la plus chanceuse du monde. Non, j’étais la fille la plus chanceuse de tout l’univers. Pas simplement parce que moi seule avais le droit de voir cet homme superbe à demi nu, mais également à cause de la façon dont il me regardait entre ses yeux mi-clos. On y lisait du désir, mais également beaucoup d’amour.

–  Tu n’as pas idée du nombre de fois où je t’ai imaginée allongée sur ce lit cette semaine. (Il se débarrassa de ses bottes et de ses chaussettes.) Ou du nombre de fois où j’ai failli t’appeler.

–  Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?

–  Et toi ? me demanda-t-il en défaisant le premier bouton de son jean.

–  Ne faisons plus jamais ça.

–  Non. Plus jamais.

Il grimpa sur le lit et fit glisser ses mains sur mes mollets. Il envoya valser mes chaussures et ses doigts passèrent sous ma jupe, de plus en plus haut. Sans jamais me quitter des yeux, il retira mon shorty. Il n’était pas si intéressé par mon sous-vêtement, finalement. L’homme avait des priorités.

–  Dis-moi que tu m’aimes.

–  Je t’aime.

–  Encore.

–  Je t’aime.

–  Putain ce que ton goût m’a manqué.

Ses mains vigoureuses écartèrent mes jambes, m’exposant à son regard.

–  Je vais peut-être passer quelques jours la tête entre tes cuisses, d’accord ?

Oh mon Dieu. Il frotta sa barbe contre l’intérieur de ma cuisse et je frissonnai. Même si je l’avais voulu, j’aurais été incapable de parler.

–  Redis-le.

J’avalai avec difficulté, essayant de reprendre mes esprits.

–  J’attends.

–  Je t-t’aime, bégayai-je d’une voix presque inaudible.

Quand sa bouche m’effleura, je faillis tomber du lit. Chaque parcelle de mon être était tendue et frémissante.

–  Continue…

Sa langue écarta les lèvres de mon sexe et tournoya avant de plonger à l’intérieur. La sensation de sa bouche douce et ferme et de sa barbe qui me chatouillait légèrement était merveilleuse.

–  Je t’aime.

Des mains vigoureuses se glissèrent sous mes fesses, me maintenant contre sa bouche.

–  Encore.

Je bredouillai quelque chose. Cela dut suffire car, sans un mot, il fondit sur moi. M’attaqua. Sa langue impitoyable m’envoya bientôt au septième ciel. Le nœud en moi se resserra tandis que le plaisir montait. L’électricité traversa ma colonne vertébrale. Je ne sais pas quand je commençai à trembler mais toutes mes forces me quittèrent et mon dos heurta le matelas une fois de plus. Je plongeai les mains dans ses cheveux et tirai légèrement dessus.

C’était presque trop. Je ne savais plus s’il fallait que je me rapproche ou m’éloigne. De toute façon, ses mains me maintenaient. Chaque muscle en moi se tendit et ma bouche s’ouvrit en un cri silencieux. Des feux d’artifice remplirent mon cerveau. Et je jouis, je jouis en convulsant.

Lorsque les battements de mon cœur ralentirent enfin, j’ouvris les yeux. David était agenouillé entre mes jambes. Il avait baissé son jean, son érection dressée contre son ventre plat. Ses yeux bleus sombres me regardaient avec intensité.

–  Je ne peux plus attendre.

–  Alors n’attends pas.

Je resserrai mes jambes autour de sa taille. L’une de ses mains resta sous mes fesses et il me souleva légèrement. De l’autre, il se guida en moi. Lentement. Nous étions tous deux encore à moitié habillés. Il n’y avait pas de temps à perdre. Nous étions trop excités pour prendre le temps de retirer nos vêtements et être peau contre peau. Une autre fois.

Il me pénétra si lentement que j’étais incapable de respirer. Que la sensation de son sexe dur en moi était bonne… La sueur qui perlait sur son torse nu brilla dans la douce lumière. Les muscles de ses épaules saillirent lorsqu’il se mit à bouger.

–  Tu es à moi.

Je ne pus que hocher la tête.

Il baissa les yeux et regarda mes seins remuer à chaque coup de rein. Ses doigts s’enfoncèrent dans mes hanches. Les miens se cramponnèrent aux draps, essayant de trouver un appui afin de pouvoir pousser contre lui. Son expression était sauvage, sa bouche gonflée et humide. C’était réel, lui et moi, ensemble. Le reste n’avait aucune importance.

–  Je t’aime.

–  Viens par ici.

Il me releva du matelas, me tenant fermement contre lui. Mes jambes étaient enroulées autour de sa taille, mes muscles commençant à se tétaniser. Je passai mes bras autour de son cou.

–  Moi aussi je t’aime.

Ses mains se glissèrent sous mon chemisier. Nous commençâmes à aller et venir furieusement. Nos respirations haletantes ne firent bientôt plus qu’une. Nos deux corps étaient transpirants, le tissu de mon vêtement me collait à la peau. La chaleur montait doucement en moi. Je n’allais pas tenir longtemps dans cette position. Pas avec la façon dont il me pilonnait. Sa bouche suçota ma nuque et je tremblai dans ses bras, jouissant de nouveau. Ses gémissements et la manière dont il prononça mon prénom… Je ne voulais rien oublier. Pas une seule seconde.

Il nous étendit ensuite sur le lit. Je ne voulais pas me détacher de lui alors il recouvrit mon corps du sien. Dans un monde parfait, nous resterions comme ça pour toujours.

Mais j’avais quand même un truc à faire.

–  J’ai besoin de mon sac, dis-je en me tortillant sous lui.

–  Pour quoi faire ? demanda-t-il en se redressant sur ses coudes.

–  Tu verras.

–  Qu’est-ce qui peut bien être plus important que ça ?

–  Allez, pousse-toi.

–  O.K. Mais ça a intérêt à valoir le coup.

Il s’écarta et je rampai sur le matelas en tirant sur ma jupe. Je devais avoir l’air appétissante car il s’approcha de moi en claquant des dents.

–  Reviens ici, femme, m’ordonna-t-il.

–  Donne-moi une seconde.

–  Le tatouage a bien cicatrisé. J’aime voir mon prénom sur tes fesses.

–  Tu m’en vois ravie.

Je finis par réussir à descendre du lit et à remettre ma jupe crayon en place. Pendant notre séparation, je ne m’étais pas préoccupée de mon tatouage. Mais, à présent, j’étais heureuse de l’avoir.

–  Tu ne vas pas garder cette jupe longtemps.

–  Tiens-toi tranquille.

–  Ce haut non plus. Nous avons du temps à rattraper.

–  Une petite minute. Nos câlins torse nu m’ont manqué.

Il avait jeté mon sac sur un fauteuil en velours bleu près de la porte. Celui qui avait décoré cet appart avait fait un boulot d’enfer. Mais je ferais le tour du propriétaire plus tard. Pour le moment, j’avais une chose importante à faire.

–  Après notre conversation au studio, je t’ai acheté un cadeau.

–  Ah, vraiment ?

Je hochai la tête et fourrageai dans mon sac à la recherche du trésor. Bingo. La petite boîte se trouvait exactement là où je l’avais laissée. Je la cachai dans ma main et avançai vers David, un grand sourire aux lèvres.

–  Oui, parfaitement.

–  Qu’est-ce que tu as dans la main ?

Il descendit du lit. Contrairement à moi, il avait retiré son jean. Mon mari se dressait devant moi complètement nu, les cheveux en bataille. Il me regardait comme si j’étais la huitième merveille du monde. Aussi longtemps que je vivrais, je savais que jamais je n’aurais envie de personne d’autre.

–  Evie ?

Pour je ne sais quelle raison, je me sentis soudain timide, maladroite. J’étais prête à parier que le bout de mes oreilles rougissait.

–  Donne-moi ta main gauche.

Il me la tendit et je glissai délicatement à son doigt l’anneau de platine pour lequel j’avais dépensé toutes mes économies cet après-midi. Parfait. Cet hiver, je marcherais et me gèlerais les fesses, mais ça en valait la peine. David était plus important pour moi que remplacer ma vieille voiture. Certes, étant donné l’argent que je devais à présent à mes parents, le timing n’était peut-être pas idéal. Mais qu’importe.

Sauf que l’anneau recouvrait la moitié du deuxième E de son tatouage Vivre Libre. Merde, je n’avais pas pensé à ça. Il n’allait peut-être pas vouloir le porter.

–  Merci.

Mon regard scruta son visage pour juger de sa sincérité.

–  Elle te plaît ?

–  Je l’adore !

–  C’est vrai ? Parce que j’avais oublié ton tatouage, mais…

Il m’arrêta d’un baiser. Cette nouvelle habitude me plaisait bien. Sa langue glissa dans ma bouche et je fermai les yeux, toute inquiétude envolée. Il m’embrassa jusqu’à ce que je sois totalement convaincue de sa bonne foi. Ses doigts bataillèrent avec les boutons de mon chemisier, avant de dégrafer mon soutien-gorge.

–  J’adore mon alliance, dit-il, ses lèvres parcourant ma mâchoire et ma nuque.

Mon soutien-gorge glissa sur mes épaules, libérant mes seins. Puis il s’attaqua à ma jupe, ne s’arrêtant que lorsque je fus aussi nue que lui.

–  Je ne l’enlèverai jamais.

–  Je suis contente qu’elle te plaise.

–  Beaucoup. Maintenant, j’ai besoin de te voir nue et de te prouver combien je l’aime. Ensuite, je te rendrai ta bague. Je te le promets.

–  Rien ne presse, murmurai-je en arquant le cou pour lui en faciliter l’accès. Nous avons l’éternité.