La Route de l’auberge « Spaniards Inn » , Hampstead, 1822,
Huile sur toile, 30,8 x 51,1 cm, Museum of Art, Philadelphie
Constable admirait autrefois les artistes hollandais du XVIIe siècle pour leur côté « casanier » et, suivant leur exemple, il consacra toute son énergie au début de sa carrière à la recherche d’une « représentation pure et non affectée » de son environnement natal. Mais il s’éloigna de son thème habituel en de nombreuses occasions. En 1801, il visita le Derbyshire et séjourna chez un parent, Daniel Whalley. Au cours de sa visite, il entreprit une tournée d’esquisse dans la contrée de Peak, sillonnant les plus beaux endroits de la région comme Matlock High Tor et Dovedale. Les excursions pittoresques étaient pratiquement de rigueur pour un aspirant peintre paysagiste, et Constable était alors prêt à se soumettre aux conventions. Il pourrait avoir été encouragé à partir par son « maître » Farington, pour qui les voyages réguliers constituaient un aspect nécessaire de sa profession, et qu’il croisa (apparemment par hasard) dans le Derbyshire.
En dépit de l’indiscutable beauté de la contrée de Peak, Constable ne réitéra pas l’expérience et ne transforma pas non plus ses esquisses en quelque chose de plus substantiel. Suivre un itinéraire pré-établi et peindre des sites qu’il savait avoir été visités par d’innombrables autres artistes ne lui convenaient pas vraiment, bien qu’il fût convaincu de partir une nouvelle fois en excursion en 1806 par son oncle, David Pike Watts. Watts, qui s’imaginait être un fin connaisseur, s’intéressait de très près aux progrès de son neveu. Ceci frisait parfois l’immixtion flagrante, mais à cette occasion il fut assez généreux pour financer un voyage de sept semaines dans la contrée des lacs durant lequel Constable séjourna dans la famille Harden de Brathay Hall, sur la rive nord du lac Windermere. Les lacs étaient devenus le rendez-vous à la mode des poètes et des peintres, rivalisant de popularité avec les montagnes d’Ecosse et le nord du Pays de Galles. Avant la guerre avec la France, les peintres anglais comme Francis Towne ou John Robert Cozens pouvaient profiter des paysages alpins, mais une fois que l’accès au continent fut fermé, les lacs devinrent la principale source de paysages sublimes.
Dans sa biographie de Constable, C. R. Leslie minimisa l’importance de cette excursion dans la contrée des lacs. L’artiste lui avoua, tard dans son existence, que « la solitude des montagnes oppressait son esprit », et Leslie conclut que « son esprit était fait pour la jouissance d’un genre de paysages différent ». Pourtant, il nous semble aujourd’hui que l’excursion autour des lacs fut un important épisode de ses débuts. Watts (qui avait possédé une demeure dans cette région) pourrait être à l’origine du voyage, mais rien ne forçait Constable à s’y rendre ; au contraire, il semble avoir réagi au décor avec considération et empressement. Son hôtesse, Madame Harden, fut impressionnée par son enthousiasme, le décrivant comme « plus ardent à la tâche que jamais ». Il faisait ses esquisses avec persévérance, élabora sa technique de l’aquarelle et apprit à réagir aux terrains et aux conditions atmosphériques inhabituels. Sa vue de Windermere fut peinte par temps clément. En général, Constable ne se laissa pas intimider par l’incertitude des éléments. Une esquisse du Val de Newlands (au Fitzwilliam Museum, Cambridge) fut réalisée durant une tempête et certains détails du climat inscrits au dos au crayon sont couverts de taches de pluie.
Si ses esquisses n’avaient pas su saisir correctement les sujets qu’il avait choisis, il les corrigeait par des mémos écrits au cas où il devrait les transformer en peintures abouties. Il recourrait parfois à l’aide des anciens Maîtres car s’il ne parvenait pas toujours à égaler les formes de la nature, il savait que d’autres l’avaient fait avec succès. L’une de ses inscriptions dit : « Sombre journée d’automne à midi – Nuance plus éclatante que celle-ci – effet excessivement brillant, rappelant beaucoup le splendide Gaspar Dughet, connu comme Gaspard Poussin que j’ai vu dans Margaret Street. » Nous pensons qu’il a aussi appris de ses contemporains, car le travail accompli dans la contrée des lacs est parfois proche de celui de Thomas Girtin, bien représenté dans la collection de Beaumont.
Constable espérait que le temps et l’énergie investis durant son excursion aux lacs lui rapporteraient quelque bénéfice à la Royal Academy. Il y montra ses vues des lacs en 1807 et en 1808, et prépara une toile de cinq pieds de Borrowdale que Farington trouva trop inaboutie pour l’exposition de 1809. Nous savons très peu de choses sur ces peintures à l’huile, ce qui représente une sérieuse lacune dans nos connaissances puisqu’elles occupèrent Constable pendant près de trois ans à une étape significative de son évolution. A d’autres égards, le moment passé autour des lacs fut important, car il lui permit d’élargir son cercle de commanditaires (essentiellement pour des portraits) et de rencontrer William Wordsworth, un autre protégé de Sir George Beaumont, bien que plus célèbre.
Les huiles inspirées par la région des lacs ne furent pas son unique tentative pour vendre plus et obtenir une certaine reconnaissance durant la première décennie du siècle. En 1806, il fit une surprenante exception en exposant une aquarelle de La bataille de Trafalgar. Trois ans plus tôt, il avait passé presque un mois à bord de l’East Indiaman, Coutts, effectuant l’aller-retour de Londres à Deal, et parcourant les chantiers navals de Chatham. Il y décrit ses activités dans une lettre adressée à John Dunthorne : « J’ai loué un bateau pour voir nos combattants, qui sont là très nombreux. J’ai fait une esquisse du Victory sous trois angles. Il était le fleuron de la flotte, un trois-ponts de (dit-on) 112 canons. Il était très beau, récemment sorti des chantiers et fraîchement peint. » Lorsque Constable découvrit qu’il avait oublié toutes ses esquisses sur le Coutts, il « fut sur le point de défaillir », mais on les lui renvoya et il sut en faire un usage opportun après la bataille de Trafalgar. Sa description était de très bonne qualité, s’inspirant de la légendaire tradition des tableaux de batailles navales anglais, incarnée par les œuvres des van de Velde, Samuel Scott et, plus récemment, Philip de Loutherbourg. Mais son enthousiasme pour ce genre fut de courte durée et des années plus tard, il déclina une offre de concours pour une peinture destinée à commémorer la victoire de Nelson : selon lui, elle ne venait pas servir ses propres intérêts.