Dans ce chapitre :
L’art égyptien possède des caractéristiques identifiables dès le début de cette civilisation. Par exemple, déjà représenté sur un couteau datant de la préhistoire, le thème sympathique du pharaon en train de massacrer ses ennemis se retrouve jusqu’à l’époque romaine. Les dieux à têtes d’animaux, les peintures de profil et les momies sont aussi caractéristiques de toute la civilisation égyptienne.
Tout le monde connaît des noms de pharaons : Ramsès II, interprété par Yul Brynner dans le film Les Dix Commandements, Akhenaton pour ceux qui aiment le rap, Toutankhamon pour les chercheurs de trésor… Pour le reste c’est le brouillard des dynasties, avec des dates qui se chevauchent, révélant une Égypte parfois divisée. Vous trouverez un aperçu de la chronologie dans le tableau ci-après : « Les grandes dates de l’Egypte antique ».
Le Nil, fleuve célèbre, est le fil conducteur de l’histoire de l’Égypte. Comme le pays n’est qu’une très mince bande verdoyante qui se déroule entre deux déserts, chaque mètre carré de terre cultivable est précieux. De nos jours, le barrage d’Assouan empêche toute crue, mais dans l’Égypte antique, la crue annuelle déposait le limon fertile qui régénérait la terre. À cette occasion, tous les repères disparaissent et il fallait de nouveau répartir les terrains après chaque inondation. Cette nécessité est à l’origine de l’invention de la géométrie.
Le Nil est aussi l’autoroute de l’époque : le hiéroglyphe du bateau signifie voyager. Même les divinités, comme le Soleil ou Isis, se déplacent de cette façon !
Depuis toujours, l’Égypte antique exerce une fascination sur les autres civilisations qui la pillent et la copient. Par exemple, sous Napoléon Ier, la figure d’Isis est placée sur la nef des armes de Paris, à l’origine d’une étymologie fantaisiste faisant venir le nom de la capitale de Par-isis, « semblable à Isis ».
On a bien le droit de rêver, mais il est vrai qu’il y eut un temple d’Isis à l’emplacement de l’actuelle rue Saint-Jacques.
Son style architectural caractéristique, son écriture mystérieuse et l’étrangeté macabre des momies, tout concorde à faire de l’Égypte un modèle. Ses créations architecturales exceptionnelles ont toujours été copiées, comme les pyramides, ou pillées, comme les obélisques. Paris est une ville où l’égyptomaniaque peut se laisser aller à une chasse aux souvenirs, car l’Égypte est présente partout pour qui sait regarder : du cimetière du Père-Lachaise au passage du Caire, avec sa curieuse entrée surmontée de faux hiéroglyphes et de reproductions de la déesse Hathor.
L’Égypte, c’est aussi ces très caractéristiques créatures imaginaires comme le Sphinx ou ces dieux à tête d’animaux. Les Égyptiens convertis au christianisme, les Coptes, les ont même christianisées : Horus devient un saint Georges à tête de faucon. Elles ont aussi influencé des représentations étrangères, tel saint Christophe représenté avec une tête de chien dans une icône grecque du musée d’Athènes, en souvenir d’Anubis.
Le culte des dieux animaux a pour lointaine origine le totémisme, une croyance primitive selon laquelle l’animal est protecteur. Par exemple, la population égyptienne d’Éléphantine, qui adore un bélier, manifeste son mécontentement envers les soldats étrangers quand ceux-ci sacrifient des agneaux à Yahvé.
Chaque divinité égyptienne devait avoir à l’origine un culte bien localisé, puis peu à peu certaines ont fusionné comme Amon-Ré, devenu le roi des dieux, constitué du dieu Amon adoré à Louxor et du dieu solaire Ré ou Râ. Mais la concurrence est rude : le pharaon Akhenaton par exemple a remplacé un temps le culte d’Amon par celui d’Aton.
Le panthéon égyptien est foisonnant. Impossible de citer ici tous les dieux qui l’habitent. Voici donc quelques-unes des divinités égyptiennes les plus emblématiques :
Attention, les noms égyptiens retranscrits en français le sont d’après les versions grecques. Par exemple, le mot Égypte lui-même vient du grec Aiguptos. Ce nom dérive de hét-ku-ptah, « la demeure de Ptah », qui désigne la capitale Memphis.
Tombé dans l’oubli
Quelque 3 800 ans d’histoire s’écoulent entre Nagada Ier et Cléopâtre, qui voit l’annexion de son royaume par Rome en - 30. Après des siècles d’occupation romaine et arabe, le sens de l’écriture hiéroglyphique tombé dans l’oubli se pare des prestiges de la magie et de l’occultisme. De nombreux chercheurs se cassent les dents à tenter des traductions, jusqu’à la découverte en août 1799 de la pierre de Rosette lors de l’expédition de Bonaparte en Égypte.
Cette stèle de granite noir institue le culte du pharaon Ptolémée V Épiphane en - 196, dans un texte à la fois en hiéroglyphes, en démotique (l’écriture égyptienne courante) et en grec. Enfin une comparaison devient possible avec cette découverte, car les savants connaissent le grec. Ils tentent de traduire le démotique, avant de s’attaquer aux hiéroglyphes.
De la Rosette pour Champollion ?
Comme il y a 54 lignes de grec et 32 lignes de démotique, ce n’est pas du mot à mot. La comparaison des deux textes n’est pas évidente : c’est à peu près aussi facile que de traduire un mode d’emploi d’aspirateur du japonais vers le français sans dictionnaire ! Champollion y travaille de 1810 à 1822 et a le génie de traduire un élément pour ensuite tirer le fil et trouver le sens des autres. Grâce à sa connaissance du copte, il parvient à « soulever le voile d’Isis », expression favorite des découvreurs. Les Coptes (les chrétiens d’Égypte) gardent en effet dans leur langue religieuse une forme tardive de l’égyptien courant.
Changer de cartouche
Le système hiéroglyphique a la particularité de mettre le nom des souverains dans un encadrement appelé cartouche. Champollion en déduit le sens de certains hiéroglyphes et prouve qu’ils peuvent avoir plusieurs valeurs.
La première fois que l’on voit ces hiéroglyphes, on pense aux idéogrammes où un dessin correspond à un mot entier, comme en chinois. Mais, comme sur la pierre de Rosette, 1 419 hiéroglyphes traduisent 486 mots grecs, Champollion a l’intuition géniale que les hiéroglyphes peuvent avoir aussi une valeur phonétique : un dessin peut désigner un son. Seules les consonnes sont notées comme dans l’arabe actuel. Évidemment, un travail énorme est alors encore à faire, d’autant plus que les copies d’inscriptions dont dispose Champollion ne sont pas fiables. Mais la voie est ouverte pour des générations de chercheurs, en particulier français.
Pyramides, mastabas, hypogées, momies donnent l’impression de se promener dans un cimetière ! Mais les anciens Égyptiens ont laissé autant de monuments funéraires parce qu’ils aimaient la vie et qu’ils voulaient la prolonger. Même si cela paraît paradoxal, l’omniprésence de la mort et de ses rites est chez eux un hymne à la vie. Tous ces monuments ont pour fonction de protéger la momie ou une statue du défunt, car les Égyptiens étaient matérialistes et considéraient qu’il fallait avoir un support tangible pour obtenir une vie éternelle.
La pyramide est la marque la plus identifiable de l’Égypte. Le mot grec que nous utilisons provient peut-être d’un gâteau qui portait ce nom.
Au château d’Oiron dans les Deux-Sèvres, on trouve une curieuse peinture où des monuments ondulent comme des flammes. Les Français de la Renaissance imaginaient ainsi les pyramides. Ne connaissant pas l’Égypte, ils étaient trompés par leurs notions de grec, « pyr » désignant le feu, comme dans pyromane !
Tous les talents
L’ancêtre de la pyramide est le mastaba (« banc » en arabe), tombeau en pierre ou en brique contenant trois chambres.
L’architecte Imhotep vit sous le règne du roi Djéser (vers - 2680-2650). Les Égyptiens ont divinisé cet homme doué de tous les talents, connaissant tout sur tout : chaque famille en a un comme ça (en général, c’est le beau-père…). Imhotep passe dans l’Antiquité pour être l’inventeur de l’architecture de pierre, en ayant l’idée de surélever le mastaba par l’ajout de gradins. Plus le monument est haut, plus le propriétaire est censé être puissant. La vie éternelle peut alors commencer, à condition que l’âme ait un support matériel auquel se raccrocher, en l’occurrence le cadavre conservé par les rites appropriés.
Le 26 novembre 1922, l’archéologue anglais Howard Carter et son mécène Lord Carnarvon pénètrent dans la tombe intacte d’un petit pharaon peu connu : Toutankhamon, qui régna vers -1353. Peu avant, un cobra, l’animal symbole des pharaons, a avalé le serin porte-bonheur de l’équipe. Mauvais présage ! La légende commence à courir : « Le pharaon se vengera. » La presse fait allusion à la formule rituelle de malédiction présente sur les tombeaux qui n’a pourtant jamais fait peur aux pilleurs ! La « malédiction de Toutankhamon » est donc à rejeter dans le chaudron aux fantasmes. D’ailleurs, Evelyn Carnarvon, la fille du milliardaire, et l’archéologue Callender, qui ont également participé à l’ouverture de la sépulture, terminent paisiblement leurs jours, bien des années plus tard. Howard Carter meurt quant à lui en 1939. Alors, la fameuse inscription qui menace de mort ceux qui osent déranger la paix éternelle du pharaon ? Pure invention !
En 1980, Richard Adamson, responsable de la sécurité du chantier de fouilles de Carter et dernier survivant de l’expédition de 1922, avoue que la rumeur de la malédiction est une idée du tandem Carter-Carnarvon : il s’agissait d’effrayer les candidats pilleurs. Adamson a ainsi dormi dans le tombeau pendant plusieurs années sans qu’aucun objet ne disparaisse.
Les momies : quelle cuisine !
La momie est l’« exception culturelle » la plus marquante de l’Égypte. Un cadavre embaumé peut paraître le comble du macabre, mais les momies sentent bon. Le corps dont on a extrait les viscères est plongé dans un bain de natron (carbonate de sodium qui absorbe l’humidité des tissus), rempli d’aromates puis oint de parfums.
Il n’en reste que très peu parce que, pendant longtemps, les Occidentaux ont considéré la momie broyée comme un puissant remède aux multiples vertus. François Ier passe plutôt pour avoir préféré la chair fraîche et bien vivante, mais il en portait toujours sur lui un sachet comme médicament. Les peintres, eux, s’en servaient comme liant pour leurs tableaux. Lors de la Révolution française, quand l’approvisionnement en provenance d’Orient est interrompu, certains artistes n’hésitent pas à se servir des cœurs momifiés de la famille royale. Une tradition veut que ceux de Louis XIII et Louis XIV aient été utilisés pour l’Intérieur d’une cuisine de Martin Drolling au Louvre.
Une sécurité à l’œil
La protection de la momie était assurée par une tombe réputée inviolable. Le talisman souvent représenté est l’œil, l’oudjat présent sur la porte scellée des tombeaux. Selon la légende, Horus perd un œil en combattant Seth, l’assassin d’Osiris. Le dieu à tête d’ibis Thot, inventeur de l’écriture, assimilé à l’Hermès des Grecs, le retrouve et réalise une grande première médicale en réussissant la greffe. Si on considère qu’à peu près toutes les tombes ont reçu la visite de pilleurs, on peut se dire que, pour l’efficacité de la protection, c’était se mettre le doigt dans l’œil !
Le plan du premier temple bâti en pierre est censé avoir été donné aux hommes par les dieux. Il est l’image des cieux projetée sur terre. Un égyptologue comme Jean Yoyotte a parlé à ce propos de « centrale nucléaire » où toutes les énergies divines sont concentrées.
Les colonnes égyptiennes s’inspirent des formes végétales : lotus, papyrus, parfois palmiers. Le chapiteau peut être décoré, dans le cas de la colonne hathorique, par le visage de la déesse aux oreilles de vache. Le temple se compose du pronaos, le saint des saints, où loge la divinité et où nul ne peut entrer. Autour du temple lui-même, un certain nombre de chapelles permettent le culte d’autres divinités annexes, car tout demander au même dieu risque en effet de le surcharger. Une cour entourée de portiques précède le bâtiment, dont la façade est constituée par deux tours rectangulaires, appelées les pylônes. Une allée encadrée de sphinx y mène.
On comprend bien le soin apporté à la demeure éternelle qu’était la pyramide, à côté de laquelle le palais le plus somptueux n’était après tout qu’un hôtel de passage. L’architecte Pei y a-t-il pensé en faisant sa pyramide du Louvre (voir Figure 58) ?
Les plus célèbres pyramides sont celles de Gizeh, ou Giza, bâties par les souverains de la IVe dynastie Chéops, Khephren et Mykérinos. La pyramide de Chéops est certainement un des monuments les plus étonnants de l’histoire de l’humanité. Sa hauteur initiale était de 146 mètres. Elle n’a pas fondu comme un iceberg, c’est après avoir servi de carrière de pierre qu’elle est arrivée à 137 mètres. Les côtés de sa base qui ne sont pas tous égaux font environ 230 mètres. Au sommet de la pyramide de Khephren subsistent des traces du revêtement de pierre calcaire qui recouvrait les trois pyramides, pour les protéger et pour faire joli. La plus grande, celle de Chéops, fait toujours rêver. Régulièrement, des chercheurs veulent retrouver une hypothétique chambre funéraire. Déjà en 820, le calife Al-Mamoun, un homme de décision, avait cherché un passage secret à coups d’explosifs.
Non loin se dresse le célèbre sphinx au nez cassé. Taillé dans le rocher, cet animal fabuleux est constitué du corps d’un lion et de la tête du pharaon coiffé du némès, l’attribut royal. Rien à voir avec le Sphinx grec d’Œdipe ! Son visage est sans doute celui du roi Khephren.
Après les pyramides, les tombeaux royaux sont creusés dans le roc : en hypogées, à multiples salles comme dans la Vallée des Rois à Louxor.
L’ensemble des bâtiments est entouré de murailles de briques sèches. Un lac pour les ablutions est l’image de l’Océan primordial. Le même modèle architectural se prolonge jusqu’à l’époque romaine, dont datent certains des temples les plus connus comme Dendérah, célèbre pour son zodiaque ou Philae. Il est étonnant de voir quelles masses énormes les Égyptiens ont réussi à déplacer avec des moyens sommaires. Nous sommes renseignés grâce aux représentations de traîneaux figurant dans des tombeaux, comme celui de la princesse Idut à Saqqarah. Dans celui de Djouit Hetep, à Dar el Berchah, le traîneau portant une lourde statue est tiré par 172 hommes sur quatre files parallèles.
L’autre élément architectural typiquement égyptien est l’obélisque. À l’origine, l’obélisque a la particularité, comme les ciseaux, les claques et Laurel et Hardy, d’aller toujours par deux.
Pilier dressé devant le temple, cette aiguille de pierre symbolise les rayons du soleil. Allant en s’amincissant, son fût est surmonté d’une petite pyramide dite pyramidion, parfois recouvert de métal brillant. Taillé dans un seul bloc de pierre, l’obélisque est couvert de hiéroglyphes indiquant le nom et les titres du pharaon, le dieu auquel il est consacré et parfois le motif qui a poussé à son érection.
Des obélisques sont prélevés à diverses époques en Égypte par des conquérants. Rome en récupère ainsi une vingtaine. Il en subsiste toujours, comme celui enlevé par l’empereur Caligula et actuellement sur la place Saint-Pierre.
L’obélisque de la place de la Concorde n’est pas une prise de guerre mais un cadeau du vice-roi d’Egypte Méhémet Ali à la France en 1831.
En échange, la France a offert une pendule visible au Caire (en panne d’ailleurs). Vieux de 3 300 ans, l’obélisque est en granit rose et provient du temple d’Amon à Louxor. L’Égypte a aussi offert son piédestal où figurent des singes à tête de chien. Ces animaux s’animent au lever du soleil et leurs grognements sont considérés par les Égyptiens de l’Antiquité comme un salut au dieu soleil Râ, un rôle joué par le coq de la basse-cour chez nous. Mais le piédestal ne fut pas installé sous l’obélisque devenu parisien car les singes exhibent des attributs… plutôt virils et éloquents.
La sculpture égyptienne qui nous est parvenue est variée et abondante. Le climat de l’Égypte, chaud et sec, a bien préservé nombre de petits objets courants. On possède ainsi des cuillères à fard qui proviennent surtout de la région de Memphis, datées du Nouvel Empire. La cuiller à la nageuse, une jeune fille nue parée d’un collier saisissant un canard, est un vrai chef-d’œuvre.
L’artisan peut être un artiste !
Mais l’importance de cet art tient surtout à des raisons religieuses. Chaque temple avait bien sûr ses effigies divines, combinant des éléments animaux et humains, comme les sphinx à tête d’homme et corps d’animal. Cependant, la sculpture égyptienne ne concerne pas que la statuaire : tombes et temples abondent aussi en bas-reliefs, stèles de commémoration politique, stèles funéraires et magiques. Le tombeau doit aussi protéger le corps. Outre le monument, à la façon des poupées russes, il pouvait y avoir beaucoup de sarcophages pour protéger la momie ! Du colosse du Louvre aux petits chaouabtis, la statuaire égyptienne fait du sur-mesure pour toutes les tailles.
Dans une pensée magique, à l’aide de quelques rites adéquats, la représentation d’une chose est aussi réelle que la chose représentée. La statue, ou même le dessin, d’un serviteur est le serviteur lui-même qui pourra servir son maître dans l’au-delà.
Votre éternel serviteur
Il y a de vivantes représentations en terre cuite de serviteurs occupés à des activités de boulanger, de fermier ou de brasseur car, parmi les grandes inventions égyptiennes pour consoler l’humanité souffrante, il y a la bière ! Être aux ordres du défunt dans l’au-delà est aussi le rôle attribué aux ouchebtis ou chaouabtis, ces petites figurines en forme de momies qui accompagnent le défunt. Cette fonction de serviteur dans l’au-delà n’est pas bien difficile à deviner : le chapitre 6 du Livre des morts égyptien qui en parle est presque toujours inscrit dans le tombeau.
Dans la conception magico-religieuse des Égyptiens, l’homme est constitué de sept éléments différents : le corps, le ba, le ka, l’akh, le cœur, le nom et l’ombre. Ici-bas comme dans l’au-delà, il faut que tous ces éléments cohabitent, comme les pelures de l’oignon, comparaison utilisée par les anciens eux-mêmes. Le ka, le « double », la force vitale, pouvait trouver un abri dans une statue à son effigie. Le ba correspond plus à l’âme des religions occidentales ; c’est elle qu’on voit sur les parois des tombeaux, représentée sous la forme d’un oiseau à tête humaine qui vole du tombeau au monde extérieur. Cette croyance explique aussi l’aspect conventionnel de la statuaire, car le défunt est là dans sa demeure, où il règne en maître dans une position digne, assis ou debout. Tout au plus esquisse-t-il un pas en avant : la jambe gauche avancée est une attitude conventionnelle qui est immuable.
Avec tout le confort requis
La momie est enterrée avec tout ce qui pouvait assurer son bien-être. Quand on voit ce qui est enterré avec un pharaon mineur comme Toutankhamon, on ne peut que rêver à ce qui accompagnait un des rois les plus puissants comme Ramsès II ! Le troisième sarcophage de Toutankhamon en or massif et en pierres précieuses pèse 110 kg ! La momie royale de Toutankhamon porte un des plus extraordinaires chefs-d’œuvre de l’art antique, le masque d’or de 11 kilos (voir Figure 4) à l’effigie du défunt orné du némès, la coiffe en étoffe rayée. Le bleu et l’or rappellent le soleil à son lever. Sur le front se dresse un serpent, l’uraeus, symbole de la royauté, et, autre symbole de puissance, sous le menton, une barbe factice que même les reines, comme Hatshepsout, portent !
La fonction du scribe, chargé de la tenue des écritures, était prestigieuse et accessible aux femmes, car, dans certaines tombes, elles sont représentées avec leur matériel d’écriture. L’instrument d’écriture est un roseau que les historiens nomment calame.
Le Louvre abrite une des meilleures réussites de la statuaire égyptienne avec le Scribe accroupi. La vraisemblance de cette statue est si extraordinaire que le ka du défunt pouvait s’y tromper ! Accroupi, le scribe tient un rouleau de papyrus sur ses genoux, sur lequel il écrit avec le calame. Le visage n’est pas stéréotypé, les yeux en cristal de roche lui donnent un réalisme frappant, tout comme les plis du ventre (qui prouvent qu’à l’époque l’écriture nourrissait son homme). La couleur rouge est, par convention, celle de la peau des hommes. Un bel exemple de polychromie réussie.
L’artiste égyptien représente ce qu’il connaît et non pas ce qu’il voit. En peinture, le parti pris est de montrer le corps de face et le visage et les jambes de profil. L’artiste veut dessiner par exemple un bœuf : la silhouette est parfaitement saisie de profil par un dessin au trait, la retranscription de l’animal est bien rendue par la représentation en longueur et l’épaisseur de l’animal est transmise par le dessin des pattes du côté opposé. Mais ça se complique quand il s’agit dessiner une silhouette humaine ! Le profil du visage humain et la jambe sont caractéristiques, donc ils peuvent être rendus de profil. Mais pour donner l’impression de la profondeur du buste et ne pas le confondre avec le bras, la seule convention possible est de dessiner le buste de face.
Les cubistes tiendront le même genre de raisonnement en disant qu’il faut voir le sujet sous tous les angles. D’ailleurs, dans quelques cas, nous voyons que l’artiste égyptien pouvait aussi faire un portrait de face parmi des figures de profil comme certaine peinture représentant un groupe de musiciennes.
De toute façon, un artiste peut parfaitement s’exprimer et réaliser un chef-d’œuvre en utilisant les conventions mises au point par son époque. Pour s’en convaincre, regardons certaines scènes dans le tombeau d’Akhethétep (vers - 2400). L’homme qui gave une oie est dessiné selon la convention égyptienne du profil pour le visage et les jambes, de face pour le torse. Cela n’empêche pas le dessin d’être parfait et le mouvement rendu. La scène domestique est vivante, à tel point qu’on se croirait presque dans le Gers aujourd’hui pour la préparation du foie gras !
Des couleurs, même dans le noir du tombeau
La polychromie, l’utilisation de plusieurs couleurs, est de mise : durant toute l’Antiquité, peintres et sculpteurs sont associés car les statues sont peintes. Les fouilleurs ont retrouvé des palettes de bois avec une rainure pour poser le calame et des cavités pour des pastilles d’encre sèche, noire et rouge le plus souvent. Un mortier et un pilon servent à écraser les couleurs. Les Égyptiens utilisent des mélanges à base de gélatine d’os, de blanc d’œuf, d’un liant comme la résine et de différents pigments. Les couleurs de la peau relèvent de conventions : brun-rouge pour les hommes, ocre pour les femmes. Les Nubiens sont noirs et les Asiatiques jaunâtres.
Brouillons de culture
Les brouillons d’artistes qui nous sont parvenus ne manquent pas d’intérêt. Ils sont sur calcaire, sur planchettes, au dos de vieux manuscrits ainsi recyclés car le papyrus coûte cher. Les artistes utilisent des roseaux au bout effiloché en forme de pinceau, que chacun peut reproduire en mâchouillant un bout de bois ou une allumette. Le trait pourtant est souple et le sens de l’observation se manifeste en quelques traits, telle une danseuse faisant la pirouette. Cet amour de la vie s’accommode parfaitement avec un certain sens de la caricature, comme on le constate sur le papyrus de Turin qui montre les talents amoureux d’un prêtre et d’une chanteuse servante d’Amon d’un côté, et de l’autre des dessins où des animaux à apparence humaine jouent et chantent, comme dans un dessin animé de Tex Avery.
Par ordre de taille
Nous pouvons regretter de n’avoir pas plus de ces graffites. En revanche, nous possédons de nombreuses vignettes dans ces livres remis au défunt comme guide de voyage vers l’au-delà, le Livre des morts. Là, l’imagination n’est pas au pouvoir, puisque les mêmes manuscrits types sont conservés dans tous les temples.
On remarque dans les peintures une autre convention concernant la taille des personnages, proportionnelle à l’ordre hiérarchique : d’abord les dieux, puis les rois et enfin leurs serviteurs. Les propriétaires défunts du tombeau sont toujours plus grands que les membres encore vivants de la famille.
Dans l’Égypte antique, la perspective n’existe pas. Pour donner l’impression de la profondeur, l’artiste égyptien utilise d’autres conventions que les nôtres. Prenons, par exemple, une rangée de chevaux : l’artiste ne figure que les profils, donnant ainsi une curieuse impression d’image mal réglée avec tous les sabots sur la même ligne. Il s’agit en fait d’une action simultanée de galops de chevaux et non d’une avancée en file indienne comme il pourrait y paraître. En fait, le spectateur qui les regarde de face devrait leur couler un regard en biais.
Si une scène à représenter offre plusieurs actions successives, l’ensemble est alors décomposé en plusieurs tableaux disposés les uns au-dessus des autres, même si tous les personnages ont la même taille. Prenons l’exemple d’un paysage vu du milieu du Nil :
L’éloignement n’est pas donné par la perspective mais par la place occupée dans le tableau représenté.
Si les conventions sont différentes, les astuces sont les mêmes que de nos jours ! On enduit les parois avant de les peindre et le modèle du dessin exécuté en petit est mis au carreau (nous le savons grâce à l’observation de certaines parties inachevées). La mise au carreau consiste à quadriller le dessin initial et à le reporter sur le mur grâce à un quadrillage plus grand. La copie du dessin s’en trouve infiniment simplifiée.