Dans ce chapitre :
Au début du XIXe siècle, la querelle des Anciens et des Modernes recommence ! L’Ancien, le néoclassique, prend ses sujets dans la civilisation antique revisitée par le bon goût. Le Moderne, le romantique, se flatte de rejeter le conventionnel, de mettre en valeur le caractère des personnages et leur expression. Avec pour maîtres mots passion et couleur, ces jeunes nouveaux talents prétendent jeter l’Antiquité gréco-romaine aux oubliettes !
En littérature, le romantisme commence avant la Révolution française, autour de Goethe, avec le cercle d’Iéna ; en art, il se développe en Europe durant la première moitié du XIXe siècle. Une des meilleures façons de définir ce mouvement est de décrire cette perpétuelle soif d’aller voir ailleurs. C’est ainsi que dans le domaine artistique, à Paris, les peintres romantiques font scandale aux Salons annuels en bouleversant la hiérarchisation des genres :
Le peintre Antoine Gros (1771-1835), comme souvent, est un novateur sans le savoir, et un romantique malgré lui. Quelle surprise de voir tous ces jeunes gens se réclamer de lui ! Les Pestiférés de Jaffa déclenchent un enthousiasme général ! Enfin un héros contemporain : Bonaparte, à l’attitude messianique, rappelle le rôle magique du roi guérissant les écrouelles par l’imposition des mains. Le mythe de Napoléon annonciateur providentiel d’un Nouveau Monde est né.
Tous ego
Les grandes machines historiques comme La Bataille d’Aboukir (1806), La Bataille d’Eylau, celles des Pyramides ou de Wagram apparaissent pleines de bruit et de fureur, romantiques en somme. L’expédition en Égypte de Napoléon a ouvert les portes de l’imaginaire orientaliste, à l’affût depuis les Mille et Une nuits de Galland. Elle inspire à Gros Le Combat de Nazareth avec pour héros le général Junot. Bonaparte fait réduire de moitié les dimensions du tableau – ce qui prouve qu’on peut être un grand homme pour les historiens et avoir quand même de petites faiblesses de jalousie… ou un ego surdimensionné ! Vers 1812, l’Empereur charge en effet Gros de représenter dans la coupole du Panthéon plusieurs grands monarques : Clovis, Charlemagne, Saint-Louis et… Napoléon bien sûr !
Quartiers de noblesse
À la Restauration, Gros reçoit l’ordre de substituer le portrait de Louis XVIII à celui de Napoléon au Panthéon. S’adapter à la politique est aussi un art, et pas seulement à cause de la différence de tour de taille entre les deux ! En récompense du bon achèvement de ces peintures en 1825, Gros est fait baron.
Tous ces jeunes gens romantiques, qui l’admirent et se réclament de lui, l’effraient. Il effectue des portraits intéressants de personnalités comme l’impératrice Joséphine ou encore Louis XVIII, ainsi que de véritables portraits individualisés de chevaux, comme Le Cheval arabe du musée de Valenciennes, toile de genre orientaliste. L’exotisme, là encore, séduit Géricault et la jeune génération.
En 1835, l’artiste est retrouvé noyé à Meudon, sans doute suicidé. À un moment de l’histoire de l’art où tout était antique et où, en dehors du nu, on ne concevait pas de peinture d’histoire, il fut moderne et français – un tour de force !
Parmi les admirateurs de Gros, Théodore Géricault (1791-1824) est vite surnommé, ironiquement, « le pâtissier de Rubens », à cause de sa manière de travailler la matière picturale. Mort en pleine force de l’âge à seulement 31 ans, il est la figure de l’artiste maudit, frappé par la fatalité et empêché par le destin d’exprimer tout son génie.
C’est pas mal, l’armée
Quand en 1812, Géricault expose son Chasseur de la Garde, la fougue du modèle et l’éclat du coloris font scandale, tout comme son Cuirassier blessé en 1814. Même si cela semble extraordinaire, il est alors révolutionnaire de peindre des militaires !
Un petit séjour en Italie lui permet de faire de nombreux croquis d’après les maîtres de la Renaissance. En voyant les œuvres de Michel-Ange, le peintre se dit qu’il a raison de suivre cette voie de la couleur éclatante. De retour à Paris en 1819, il se lance dans la création du Radeau de la Méduse (voir Figure 36). Afin de pouvoir s’astreindre au travail sans être tenté par les plaisirs, l’artiste se rase la moitié de la tête, s’interdisant ainsi de sortir en public. Il travaille d’arrache-pied (le comble, pour un manuel). La toile suscite de vives critiques et défraie la chronique.
Ary Scheffer (1795-1858) peint La Mort de Géricault, l’hommage de toute une génération à son maître. Son tableau Les ombres de Francesca da Rimini et de Paolo Malatesta apparaissent à Dante et à Virgile utilise jusqu’à l’absurde l’ondulation si chère au romantisme. Comme quoi, même les œuvres mineures sont parfois enrichissantes, car les caractéristiques d’une époque y sont poussées jusqu’à la caricature.
L’hôtel particulier du peintre dans le 9e arrondissement de Paris est devenu le musée de la Vie romantique. On peut y rêver de George Sand et des musiciens Chopin et Liszt, des écrivains Lamartine et Tourgueniev, des peintres Delacroix ou Delaroche : Ary Scheffer les reçoit dans son atelier de 1830 à sa mort. C’est un de ces lieux attachants de Paris où l’histoire est vivante.
Une chute fatale
Ne trouvant pas d’acquéreur, Géricault emporte le tableau en Angleterre où il rencontre un vif succès. Il en rapporte sa toile de course de chevaux Le Derby de 1821 à Epsom. La parfaite fluidité du mouvement, même au mépris du réalisme, en fait son tableau de chevalet le plus achevé. L’artiste y ouvre les pistes d’un travail sur la lumière qui rappelle le peintre anglais Constable.
Géricault est aussi sculpteur. Son cheval écorché est un véritable chef-d’œuvre d’anatomie. Également cavalier passionné, il meurt des suites d’une chute de cheval. Le nœud de sa chemise, hâtivement nouée dans le dos, lui endommage la colonne vertébrale, détail idiot aux conséquences tragiques.
Après Géricault et Le Radeau de la Méduse, Delacroix (1798-1863) sème à son tour l’inquiétude chez les partisans des Anciens, très chagrins devant La Barque de Dante (1822). Deux ans plus tard, c’est la stupéfaction épouvantée pour ces classiques (« dont la perruque frémissait », s’amuse Gautier) devant les Scènes des massacres de Scio : au nom de la liberté des peuples, les romantiques s’enthousiasment pour la lutte de la Grèce moderne pour son indépendance. Les Scènes au Louvre et La Grèce sur les ruines de Missolonghi sont au XIXe siècle l’équivalent du Guernica (voir Figure 55) de Picasso pour la guerre d’Espagne au siècle suivant. Violence, exotisme, sentiments généreux : tous les ingrédients sont présents sans que Delacroix ne tombe dans l’outrance.
Portrait de l’artiste en insurgé
Au Salon de 1827, Delacroix présente La Mort de Sardanapale et Louis Boulanger un Mazeppa, motif romantique plusieurs fois traité de l’insurgé condamné à errer dans la steppe, attaché nu sur un cheval. La même année, Ingres, avec son Apothéose d’Homère, leur oppose sa profession de foi classique.
À peine survient la révolution de 1830 que Delacroix fait La Barricade, plus connue actuellement comme La Liberté guidant le peuple (1831, voir Figure 39), rassemblant sous sa bannière tous les Gavroches du pays. On voit souvent dans l’insurgé barbu qui brandit un fusil un autoportrait du peintre. La Liberté a longtemps orné les défunts billets de 100 francs.
La liberté prend l’air
En 1999, malgré les craintes exprimées sur la fragilité de l’œuvre, La Liberté est envoyée au Japon. Exposée lors d’une escale dans le Golfe, la poitrine de la femme personnifiant la République est dissimulée sous un voile, afin de ne pas choquer. Le rôle du nu n’est en effet pas le même sous tous les cieux. Cependant, même si cette liberté, à la poitrine nue, généreuse et nourricière, arbore le bonnet républicain, une nouvelle royauté va sortir des Trois Glorieuses, celle de Louis-Philippe, le « roi-bourgeois ». Delacroix et ces jeunes artistes romantiques sont des rebelles, non des révolutionnaires : après l’insurrection ouvrière de 1848, le peintre passe pour avoir participé aux barrages dressés par quelques propriétaires bien-pensants et destinés à arrêter les insurgés vaincus fuyant Paris.
Certains des représentants les plus célèbres de l’orientalisme sont des romantiques, comme Delacroix, avec ses carnets dessinés au moment de son voyage au Maroc en 1832. Mais Ingres, le néoclassique, peint lui aussi un Bain turc. Les réalistes, avec une représentation quasi-photographique de l’Orient, se transforment parfois en peintres de reportages. L’Orient est donc un sujet qui séduit les tenants de toutes les écoles. La campagne d’Égypte l’a mis au goût du jour, et la guerre d’indépendance de la Grèce prolonge cet intérêt.
Il s’agit bien entendu d’un Orient fantasmé, où les scènes de harem sont le prétexte à un érotisme trouble, d’un académisme bien souvent figé. Mais il y a aussi de brillantes réussites comme celles d’un Alphonse Étienne Nasreddine Dinet (1861-1929). Cet artiste obtient une bourse de voyage en 1884 et part en Algérie. Séduit, il y revient chaque année avant de s’y installer définitivement en 1904. Il se convertit ensuite à l’islam, prenant le nom de Nasreddine.
Ses tableaux présentent tous les aspects de la vie quotidienne avec une science remarquable de la couleur et une prédilection pour la tribu de Ouled Naïl (les « alouettes naïves » du roman éponyme d’Assia Djebbar).
L’orientalisme continue à rencontrer de nos jours un vif succès, avec des expositions sur les voyages de Delacroix et de Matisse au Maroc. La vogue a existé partout : en Allemagne, en Italie, en Belgique ou en Amérique. On trouve un décor oriental chez les écrivains également, comme Dumas dans son « château de Monte-Cristo » à Marly-le-Roi. L’orientalisme perdure au XXe siècle avec l’œuvre de Jacques Majorelle (1886-1962), le fils de Louis Majorelle, célèbre ébéniste de l’école de Nancy. À partir des années 1930, l’artiste multiplie ses expériences sur la couleur et effectue des recherches sur les applications de poudres d’or et d’argent. L’orientalisme continue ainsi de transcender les clivages entre toutes les écoles artistiques.
Contrairement à ce qui se passe pour la peinture, la rupture en sculpture est nettement moins radicale. Les genres se mélangent progressivement : de formation classique, les sculpteurs intègrent le désir romantique d’expression des sentiments et du mouvement. François Rude (1784-1855) adopte le nu héroïque de la statuaire antique dans sa sculpture de l’Arc de triomphe, Le Départ des volontaires en 1792 dite La Marseillaise (1833-1836). Le Tombeau du général Bonchamp (1822-1823), chef-d’œuvre de David d’Angers, est la parfaite illustration du compromis des styles : il concilie le nu et le drapé antique au sentimentalisme romantique du geste de pitié exprimé par la main droite. Un beau morceau de bravoure : l’expression est idéale pour un général !
Question facile : où est né, en 1788, Pierre Jean David, dit David d’Angers ? Il obtient le prix de Rome de sculpture en 1811 avec La Mort d’Épaminondas, un général dont le décès marque la fin de la puissance de Thèbes.
Son œuvre est d’un style souvent qualifié d’« élégant et correct », adjectifs qualificatifs puisés dans les comptes-rendus de Salons, vieillots mais plutôt bien trouvés. Il obtient la gloire avec sa statue du Général Foy au Père-Lachaise et sa Jeune Grecque sur le tombeau de Marco Botzaris à Athènes, conçue dans l’enthousiasme romantique pour le héros de la guerre d’indépendance grecque.
À partir de 1830, sa fécondité étonne : en dix-huit années de production « 40 statues, 75 bas-reliefs, 120 bustes, 38 statuettes, 30 médaillons de proportions colossales et 500 portraits modelés dans des médaillons de moyenne grandeur ». Les statues du scientifique Cuvier, du marin Jean Bart, les bustes des écrivains Hugo, Goethe ou Lamartine témoignent de sa compréhension et de son intérêt pour ses illustres contemporains. Ses médaillons contribuent aussi à lui assurer une place dans l’art français : une véritable galerie des célébrités, comme Bonaparte, Ney, le peintre David, Auber… Pour son activité politique, il est condamné à l’exil par le Second Empire.
D’abord attiré par l’orfèvrerie, le sculpteur Antoine Louis Barye (1795-1875) se passionne ensuite pour l’observation des animaux du Jardin des Plantes.
Hippogriffe, plataniste et gavial
Barye s’inspire d’une légende chère aux romantiques pour sculpter son Angélique et Roger montés sur l’hippogriffe (1824). La réussite de l’hippogriffe et du monstre, qui évoque plutôt un dauphin du Gange appelé plataniste, augure du talent du futur sculpteur animalier. En 1830, il frappe les esprits par une sculpture empreinte de fougue romantique représentant un Tigre dévorant un gavial puis, en 1832, par Le Lion et le Serpent. Le recours à la mythologie lui permet de créer des groupes où l’homme et l’animal s’affrontent mais aussi fusionnent. Le héros lutte contre une créature qui lui révèle sa part de sauvagerie.
Barye a de nombreuses commandes publiques : quatre groupes pour la décoration du Louvre, les coqs et le lion (1834) en relief figurant au pied de la colonne de Juillet, place de la Bastille.
Un « fabricant de presse-papiers »
Popularisée par les tirages en nombre important du fondeur Barbedienne, son œuvre connaît une immense diffusion. Sa popularité a pu le faire qualifier de « fabricant de presse-papiers » par des jaloux ! Y compris dans ses créations de format réduit, son talent reste expressif et intact : même quand il cueille une pâquerette, Hercule reste un héros. C’est également un des meilleurs sculpteurs animaliers français. À la pointe de l’île Saint-Louis à Paris, sa statue, disparue durant la Seconde Guerre mondiale, n’a toujours pas été remplacée. Pour un sculpteur, c’est un comble !
Âmes sensibles s’abstenir ! Contrairement à ce qu’on croit trop souvent, romantique n’a jamais rimé avec fleur bleue ailleurs que dans certaines chansons. Pour preuve, le roman Frankenstein de Mary Shelley est une œuvre romantique !
Emmurés vivants
Par l’horreur même du sujet, Ugolin et ses enfants (1860) pousse à l’extrême les sentiments du spectateur. Le sujet est pris dans l’Enfer de Dante. En 1288, Ugolin de Gherardesca, tyran de Pise, est enfermé dans la tour de Gualandi avec ses deux fils et ses deux petits-fils. L’archevêque de Pise jette les clés dans le fleuve Arno. Les prisonniers sont donc condamnés à mourir de faim ! Ugolin pour survivre aurait dévoré les cadavres de sa progéniture. Dante le montre aux enfers rongeant un crâne et s’essuyant la bouche avec les cheveux. La tour de Pise a aussi un penchant… pour le gore !
Mais, les sculpteurs passant souvent d’un genre à l’autre pour créer leur style propre, Carpeaux fait par ailleurs un relief de Flore pour décorer le Louvre qui a un charmant côté XVIIIe siècle.
Un génie qui fait couler beaucoup d’encre
Son œuvre la plus célèbre est le groupe de la Danse (voir Figure 40) pour la façade de l’Opéra de Paris. Elle fait couler beaucoup d’encre sous le Second Empire entre 1866 et 1869. Au sens propre comme au figuré, car un grincheux à la main pudibonde jette un encrier sur la sculpture ! L’œuvre a aussi son importance dans l’histoire du droit artistique puisque Carpeaux poursuit avec succès des photographes qui font commerce de reproductions de la sculpture souillée, au titre du « droit moral de l’auteur » à voir son œuvre présentée au public telle qu’il la voulait et non dégradée.
L’original est depuis 1964 préservée de la pollution à Orsay. La copie sur la façade de l’Opéra est l’œuvre de Paul Belmondo : le nom vous dit quelque chose ? Normal, c’est le père de Jean-Paul !
La femme qui donne ses traits au génie de la Danse se nomme Hélène van Donning. Voilà une personnalité hors du commun. Elle fait d’abord chavirer bien des cœurs et tourner beaucoup de têtes avant de convoler avec le prince Yanco de Racocwitz. En même temps, elle est l’égérie de Ferdinand Lassalle, le célèbre socialiste allemand surnommé le dandy rouge, théoricien et homme d’action. Par amour, celui-ci se bat en duel jusqu’à la mort avec Yanco. Ce dernier meurt peu après de tuberculose. Après ces deux drames, Hélène fait du théâtre, épouse un de ses camarades dont elle se sépare, devient le modèle préféré du peintre autrichien Hans Makart et épouse le Russe Serge de Schevitch. En 1867, elle rencontre Carpeaux à Paris. Le sculpteur reconnaît immédiatement le sourire de la danse. En 1911 (elle a alors 70 ans, même si on dit qu’elle en a toujours 20), après la mort de son mari, elle se suicide à Munich.
Autre figure de ce groupe, Anne Foucart, la fille du maire de Valenciennes, a posé pour le buste de la Rieuse. La petite histoire a aussi retenu le nom de Mademoiselle Miette, le joli modèle d’atelier devenue actrice qui pose pour la figure de gauche (à la droite du génie).
L’épuisement du néoclassicisme conduit l’architecture du XIXe siècle à se tourner à nouveau vers le passé et à mélanger les styles, dans ce qu’on appelle l’éclectisme. Lorsque, devant la maquette de l’Opéra de Paris, l’impératrice Eugénie demande à Charles Garnier (1825-1898) dans quel style est l’édifice, il invente, agacé : « C’est du Napoléon III ! »
Pour cet édifice commencé en 1862 et inauguré en 1875, le génial architecte n’hésite pas à mêler les pavillons de Lescot et la colonnade de Perrault du Louvre (voir Figure 19) aux façades de la place du Capitole de Michel-Ange à Rome ! Afin de le protéger de l’incendie, il l’édifie sur un lac immense. L’artiste multiplie à plaisir la richesse des ornements et des matériaux dans une espèce de vertige qui fascine encore aujourd’hui. Le même vertige de colonnes, de pilastres et d’ornements se retrouve au Palais de justice de Bruxelles (1866-1883) par Joseph Poelaert, preuve une fois encore que l’architecture parle un langage international. On croirait ce bâtiment sorti tout droit d’un film fantastique.
Comme l’Opéra de Paris, le Louvre de l’architecte Hector Lefuel (1853-1875) cultive le goût de l’ornement dont c’est ici en quelque sorte le chant du cygne : le reflux s’amorce peu à peu pour aboutir à l’architecture banale en béton du XXe siècle.
Parallèlement à l’éclectisme de l’architecture classique, le XIXe siècle voit fleurir le néogothique et le néorenaissant, voire le néoroman. Le premier s’est manifesté dès la fin du XVIIIe siècle, mais il ne prend réellement son essor que sous l’effet du mouvement romantique. Ce style correspond à la nostalgie pour le Moyen Âge esquissée par les écrivains et l’imagerie fantastique qu’il véhicule, comme Chateaubriand dans le Génie du christianisme (1802) ou Victor Hugo avec Notre-Dame de Paris (1821).
Viollet-le-Duc, prince des architectes
On prend à ce point conscience de la valeur du patrimoine médiéval qu’en 1873, Prosper Mérimée, un romantique lui aussi, décide la création d’une Commission des monuments historiques chargée de le protéger et de le restaurer. Ce travail revient notamment au célèbre Viollet-le-Duc (1814-1879), qui se livre à une étude scrupuleuse de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, dont il fait un Dictionnaire. Tous les ornements et statues de Notre-Dame de Paris que l’on voit aujourd’hui sont de lui. On lui doit aussi la restauration d’un grand nombre de monuments de cette période : la basilique romane de Vézelay ou encore les remparts de Carcassonne.
Un pastiche ?
Sa connaissance du Moyen Âge conduit Napoléon III à confier à Viollet-le-Duc la restauration du château de Pierrefonds (1857-1884) dont il fait un étonnant pastiche médiéval. Ce retour au gothique entend satisfaire un sentiment national que l’on retrouve plus amplement en Angleterre et en Allemagne, quoique ce style demeure français. Œuvre de Théodore Ballu (1817-1855), l’église Sainte-Clotilde de Paris (1846-1857) est le parfait exemple d’une église gothique revue et corrigée par le XIXe romantique. Le roman n’est pas oublié avec l’église Saint-Paul de Nîmes (1838-50) et surtout la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre (1877-1923) par Paul Abadie (1812-84) qui, suivant le climat éclectique de son temps, a mêlé ce style au style byzantin. Ils sont fous ces architectes !
Le style néorenaissant, illustré par l’École des beaux-arts de Paris (1832-1858) de Félix Duban (1797-1872), est une sorte de retour aux sources du bon goût de la Renaissance italienne face aux délires éclectiques du temps. Henri Labrouste (1801-1875) entreprend la bibliothèque Sainte-Geneviève (1844-1850) et la Bibliothèque nationale (1855-75) à Paris. L’architecte associe une façade néorenaissante en pierre sans ordres à une architecture nouvelle pour les salles de lecture, fondée sur l’emploi d’un matériau nouveau lui aussi : le fer. Les fines colonnes qui soutiennent les voûtes de ces salles rappellent l’élan et la virtuosité technique de l’art gothique. Elles servent à la fois la fonctionnalité et la beauté du bâtiment.
Comme le béton au XXe siècle, le fer, associé au verre, est, avec le développement de la sidérurgie, le matériau phare du XIXe siècle. Le premier monument du genre est le fameux Crystal Palace de Londres, bâti pour l’Exposition universelle de 1851 par Joseph Paxton et détruit en 1936. Il inspire le Grand Palais de Paris, construit pour l’Exposition de 1900, dernier témoin de ce genre d’édifice en Europe.
Le fer est également employé pour des édifices civils où l’on a besoin d’espace comme les gares Saint-Lazare ou du Nord, et surtout les Halles (1851-1974) de Victor Baltard (1805-1874), tristement détruites en 1971. Le fer entre aussi en religion, comme à l’église Saint-Augustin (1860-71) à Paris, de Baltard encore, où l’armature métallique a reçu un habillage de pierre, de fer ou de verre. L’architecture n’arrête décidément pas le progrès !