Au milieu de la marée humaine, j’ai reconnu ses boucles dorées. En me faufilant dans la foule, je l’ai suivi. J’ai essayé d’aller plus vite pour le rattraper, mais il était toujours loin devant moi. Puis les corps sont devenus solides, durs. Je passais à travers des branchages qui me griffaient la peau. Je le voyais toujours, au loin. Lui ne se retournait pas. Mes jambes ont fini par ralentir. Chaque pas était lourd, douloureux. Pourtant, je ne pouvais pas le laisser partir. Je ne devais pas. L’idée de le perdre de vue a fait manquer un battement à mon cœur.
Soudain, il a disparu, et le sol s’est ouvert sous mes pieds. J’ai voulu m’arrêter. Trop tard. Un trou béant s’est formé dans le rocher et m’a avalée. J’ai essayé de me retenir mais mes mains glissaient sur la terre sèche sans rien accrocher, tandis que mes genoux s’écorchaient contre la roche. Mes doigts ont finalement agrippé le bord. Mes jambes pendaient au-dessus de l’obscurité du vide. J’ai essayé de remonter, paniquée. La pierre à laquelle j’étais suspendue a commencé à céder. C’est à ce moment-là que je l’ai vu, debout, au-dessus de moi. Alors que je tendais une main vers lui, l’autre main a lâché. Je suis tombée sans voir son visage. Juste avant de toucher le sol, je me suis réveillée en sursaut dans mon lit.
Les manifestations familières de ce sommeil agité m’ont aussitôt cueillie : le pouls à deux cents à l’heure, le souffle haletant, le corps trempé de sueur. Avec, cette fois, les larmes qui baignaient mes joues. J’ai enfoui ma tête dans l’oreiller et j’ai pleuré jusqu’à ne plus sentir la douleur qui brûlait ma poitrine. Épuisée, j’ai fini par sombrer dans un sommeil sans cauchemars. Ni rêves.
— Tu as l’air fatiguée, m’a fait remarquer Sara lorsqu’elle est passée me prendre le lendemain matin.
— Je n’ai pas très bien dormi, ai-je reconnu en m’efforçant de chasser les images qui me hantaient encore.
— Tu vas tenir le coup pour la fête ce soir ?
— Ça ira, ne t’en fais pas.
À vrai dire, ce qui me préoccupait le plus à la perspective de cette soirée chez Kelli Mulligan, c’était d’aller à ma première fête avec Drew depuis le feu de camp.
— Tu es prête pour ce soir ? m’a demandé Drew sur le parking.
En le voyant, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. Comme chaque matin, lorsqu’il venait me retrouver près de la voiture de Sara. Même si cela ne lui ressemblait pas, Sara, elle, ne faisait pas beaucoup d’efforts pour accepter Drew. Juste la politesse de base.
Ignorant son attitude, je me suis laissée aller contre Drew lorsqu’il a passé son bras autour de me épaules.
— Yep ! ai-je répondu d’un ton exagérément enjoué.
Pourquoi stressais-je à ce point à l’idée de cette fête ?
— Ça va être super ! a dit Drew.
Avant de nous séparer, il a pressé ses lèvres contre les miennes en murmurant :
— Je te vois au déjeuner.
Sa douceur m’a attendrie.
— C’est peut-être à cause de ta commotion cérébrale, a dit Sara tandis que nous nous dirigions vers nos casiers.
— De quoi tu parles ?
— Du fait que tu continues à considérer Drew comme LE mec génial.
— C’est quoi ton problème ?
Je ne comprenais pas son amertume.
— C’est juste que je n’aime pas quand tu es avec lui.
— Pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?
— Tu n’as rien fait de mal. C’est juste que tu n’es pas la même. Comme s’il te manquait quelque chose.
Hochant la tête, elle a ajouté :
— Je ne sais pas comment dire.
— Pourquoi tu compliques les choses, Sara ? Si je fais quelque chose de mal sans m’en rendre compte, s’il te plaît dis-le-moi pour que je puisse arranger ça. Mais si je ne fais rien de mal, alors je ne comprends pas pourquoi c’est si difficile pour toi de me voir avec Drew. J’essaie d’aller mieux, et il me rend heureuse. Et je le serais encore plus si tu ne me critiquais pas comme ça. Ce week-end, j’ai envie de m’amuser. On va enfin passer notre temps libre ensemble sans avoir peur ni besoin de mentir. Ça ne te fait pas plaisir ?
— Si, bien sûr. Désolée… Il s’est passé beaucoup de choses ces derniers temps et il faut que je m’y habitue. Je vais faire un effort.
Elle a cherché un instant ses mots avant d’ajouter :
— Je vais arrêter de penser à ta place. Tout ce que je veux, c’est que tu sois bien, et je suis avec toi quoi qu’il arrive. Promis, ce soir je serai de super bonne humeur !
— Merci !
Pendant le déjeuner, Sara n’a pas manifesté la moindre réserve à l’égard de Drew. Elle avait retrouvé sa gaieté et son exubérance et a passé la moitié du repas à parler de la fête de Kelli, listant les invités et s’interrogeant sur qui resterait dormir ou non. Comme la maison n’était qu’à vingt minutes de Weslyn, seules quelques personnes dormiraient sur place. Essentiellement des filles.
Durant le reste de la journée, elle a gardé sa bonne humeur. Elle a même discuté avec Drew, parlant avec lui le plus naturellement du monde, comme avec un vieux copain. J’étais contente qu’elle accepte enfin le fait que je sois avec lui.
Avec Drew, je ne risquais rien. Mes émotions étaient maîtrisées. Aucune chance que mon cœur se brise à nouveau, rien qui vienne chambouler notre confortable routine. J’ai donc été surprise quand, avant que je ne parte pour le match, il m’a attirée dans le bureau vide de l’entraîneur.
— On se retrouve chez Kelli vers vingt heures ?
J’ai acquiescé :
— Parfait.
Il s’est penché vers moi et m’a embrassée, posant ses mains sur ma taille pour m’attirer à lui. Son souffle chaud a caressé ma bouche tandis qu’il suivait le contour de mes lèvres avec sa langue. Un frémissement m’a chatouillé le ventre et j’ai laissé échapper un gémissement d’excitation. Nos deux corps se sont serrés l’un contre l’autre pendant que nos lèvres se cherchaient.
Lorsqu’il m’a relâchée, j’ai poussé un léger soupir, le souffle court.
— Waouh, a-t-il lâché.
— Comme tu dis…
Tout mon corps vibrait. C’était une sensation que je n’avais jamais éprouvée jusque-là. Je devais absolument calmer ma respiration et le tourbillon dans ma tête avant d’envisager le moindre mouvement.
— Je dois y aller, ai-je murmuré.
— OK.
En guise d’au revoir, il a déposé un doux baiser sur mes lèvres. À l’instant où il m’a effleurée, nous avons plongé dans la même intensité que la minute précédente. Avant de perdre tout contrôle, j’ai réussi à me détacher.
— Il faut vraiment que j’y aille.
Il m’a suivie des yeux tandis que je franchissais la porte.
— Tu es toute rouge, quelque chose ne va pas ? m’a demandé Jill quand nous sommes montées dans le bus.
J’ai touché mon visage pour sentir la chaleur.
— J’ai dû courir pour ne pas être en retard, ai-je menti. Je parlais de l’article avec Mme Holt.
Les joues brûlantes et le pouls à mille à l’heure, je me suis assise dans le fond du bus. J’ai appuyé ma tête sur la vitre et, le regard perdu à l’horizon, je me suis repassé en boucle le baiser avec Drew. Absorbée par mes images et mes sensations, j’entendais à peine la musique de mon iPod.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? a insisté Jill d’un air curieux.
J’ai enlevé un de mes écouteurs.
— Tu n’as pas l’air aussi concentrée que d’habitude avant un match. Tu vas bien ?
— Ça va. J’étais juste ailleurs.
— Je crois que je sais avec qui…
Sans un mot, j’ai remis mon écouteur dans l’oreille et je me suis abstraite.
— Est-ce que je dois m’inquiéter de ton choix ?
— À mon avis, oui.
J’ai poussé un soupir. Mais quand j’ai vu le choix en question, j’ai carrément flippé.
— Une robe !
Les yeux rivés sur la robe bustier bleu vif et le gilet vert, j’ai ouvert la bouche sans pouvoir articuler un son.
— Pas de talons, cette fois, a-t-elle souligné pour atténuer le choc.
Je n’ai même pas réagi.
— Va prendre ta douche et laisse-moi m’occuper du reste, m’a-t-elle ordonné.
Sans broncher, j’ai obéi.
Pour compenser le déshabillé de la robe, j’ai commencé à boutonner le cardigan. Sara a interrompu mon geste en secouant la tête. Une fois devant le miroir, j’ai détaillé ma tenue. Moulant ma poitrine et ma taille, la robe s’arrêtait très au-dessus du genou. J’ai lancé à Sara un regard inquiet.
— C’est super beau ! T’inquiète pas, il n’y a aucun risque qu’elle tombe, elle te va parfaitement.
— Je ne comprends pas comment ça se fait. Tu as beaucoup plus de poitrine que moi.
— C’est justement pour ça que je ne la mets jamais, a-t-elle avoué. Je t’assure que c’est pas toujours facile d’avoir une grosse poitrine.
J’ai pouffé de rire, pas vraiment convaincue.
La maison des Mulligan était sublime. Moderne et élégante, construite en haut d’un rocher, elle surgissait au bout de l’allée comme une apparition. La façade qui donnait sur l’océan était toute en baies vitrées. L’étage supérieur brillait dans la nuit.
Nous avons sorti nos sacs du coffre et suivi le chemin de pierre qui menait à la grande porte blanche. Nos talons sonnaient sur le sol dur. Au moment où Sara a appuyé sur la sonnette, j’ai senti mon estomac se contracter.
— Sara ! Emma ! s’est exclamée Kelli, surexcitée, qui nous ouvrait la porte. Entrez !
À la suite de Kelli, nous sommes passées devant la cuisine et avons emprunté un long couloir. Elle a ouvert la dernière porte et nous sommes entrées dans une grande chambre blanche dont la baie vitrée donnait elle aussi sur l’océan. Deux lits doubles king size habillés d’un dessus-de-lit bleu et blanc étaient disposés de part et d’autre d’une cheminée. Au fond de la pièce, une porte menait à une salle de bains privée.
— C’est là que vous dormirez cette nuit, a dit Kelli en tendant une clé à Sara. Comme ça, vous serez tranquilles. Venez vous servir quand vous êtes prêtes.
— Pas mal, non ? a lancé Sara quand la porte s’est refermée.
Hypnotisée par le spectacle des vagues se brisant sur les rochers en contrebas, j’ai hoché la tête.
— Dingue !
Après avoir laissé nos sacs dans la chambre, nous sommes allées dans le salon. Cette fête était différente des deux précédentes. Les invités étaient habillés comme s’ils étaient dans un restaurant chic ou une boîte de nuit. Les filles portaient toutes des robes décolletées et des bijoux, tandis que les garçons avaient visiblement fait de gros efforts – pantalon et chemise au lieu des habituels jean et tee-shirt. Même si je comprenais mieux pourquoi Sara avait choisi cette robe pour moi, je n’étais pas près d’enlever le cardigan qui couvrait mes épaules.
— Comment s’est passé ton match ? m’a questionnée Drew en déposant un baiser sur mes lèvres après avoir passé son bras autour de ma taille.
Dès que j’ai senti sa bouche sur la mienne, une forte chaleur a envahi mon corps.
— On a gagné.
J’ai souri, les joues empourprées.
Il m’a prise par la main et m’a emmenée vers la cuisine. Sara était déjà là, en train de faire la bise à ceux qu’elle connaissait. Elle s’est versé une coupe de champagne et Drew a attrapé une bière. Une inquiétude a étreint ma poitrine.
— Qu’est-ce que tu veux boire ? m’a-t-il murmuré dans le creux de l’oreille.
— Rien pour l’instant, merci, ai-je répondu d’une voix tendue.
Après un coup d’œil autour de moi, j’ai vu que la plupart des gens avaient un verre à la main. Vraisemblablement de l’alcool.
— Tu es sûre ? a insisté Drew. Si ça ne te plaît pas que je boive, dis-le-moi. Je n’y tiens pas particulièrement…
Je ne savais pas quoi répondre. Cela me stressait, bien sûr. J’avais trop souvent vu ma mère ivre et incapable de se tenir. Mais pouvais-je pour autant demander à Drew de ne pas boire ?
— Tu vas conduire ?
— Non, je dors dans la chambre d’amis avec d’autres types.
Il restait dormir ici ? L’espace de quelques secondes, j’ai eu le souffle coupé à l’idée qu’il serait tout près de moi pendant la nuit. Après le baiser intense que nous avions échangé dans l’après-midi, cette perspective me perturbait.
— Je ne bois pas.
— Pas de problème, a-t-il dit en reposant la bière. Moi non plus, dans ce cas.
S’approchant de nouveau de mon oreille, il m’a murmuré :
— Je n’ai pas besoin de ça pour avoir la tête qui tourne.
Je suis devenue carrément écarlate.
Nous avons rejoint des copains à lui sur le canapé et ils ont commencé à parler surf. Tout en discutant avec eux, Drew a passé sa main autour de ma taille. J’ai écouté leurs histoires avec plus de plaisir que je ne l’aurais imaginé. Au bout d’un moment, j’ai rejoint Sara et d’autres filles dans la cuisine.
— Où est Drew ? a demandé Sara.
— En train de parler avec des copains.
— Vous êtes officiellement ensemble, tous les deux ? a interrogé Lauren.
— Ça veut dire quoi « officiellement » ?
— Est-ce que tu sors avec d’autres types ?
— Non.
J’ai jeté un coup d’œil vers Drew qui rigolait, assis sur le canapé. Et lui ? Avait-il envie de sortir avec d’autres filles ? Et si c’était le cas, comment réagirais-je ? Une crampe inattendue m’a étreint le ventre.
— Nous n’avons pas abordé le sujet, ai-je avoué.
— Tu dois lui demander ce qu’il attend de votre histoire, a conseillé Sara.
Les autres filles ont confirmé d’un hochement de tête.
— Autant prendre ses précautions avant de commencer une relation plutôt que de se prendre une baffe après, a ajouté Jill.
— C’est vrai. On ne sait pas forcément tout de la vie de l’autre…
J’ai lancé un regard sidéré à Katie, qui a baissé les yeux en rougissant légèrement.
— Quand même, c’est vrai que j’ai été étonnée quand j’ai appris qu’il t’avait embrassée, a remarqué Lauren. Drew n’est pas du genre à le dire à tout le monde quand il sort avec une fille.
— Je pense que c’est parce que c’est Em, a conclu Sara. C’était important pour lui et il a eu besoin d’en parler.
Cette discussion commençait à me mettre sérieusement mal à l’aise.
— Vous passez la nuit ici ? ai-je demandé aux filles, pour changer de sujet.
Mais elles étaient tellement absorbées par leur discussion qu’elles ne m’ont même pas entendue.
— Je sais comment sont ses amis, a commenté Katie. Ne croyez pas qu’il soit si innocent que ça.
Elle ne m’avait pas parlé directement, mais j’ai bien perçu le ton de sa voix. Je l’ai dévisagée d’un air méfiant. Elle a continué à fuir mon regard.
— Qu’est-ce que tu sais exactement ? a interrogé Sara, qui avait elle aussi senti la mise en garde de Katie.
— Rien de spécial. J’ai juste traîné avec eux quand ils sont allés surfer à Jersey et qu’ils ont passé leur temps à draguer les filles. J’ai aussi accompagné Michaela une fois où Jay l’avait invitée, juste après qu’ils ont commencé à sortir ensemble. Eh bien, il n’a pratiquement pas fait attention à elle, tellement il était occupé avec une autre fille. Et après, quand il l’a rejointe, plus tard dans la soirée, il n’a même pas compris pourquoi elle était énervée.
— Ça ne veut pas dire qu’ils sont tous pareils, a commenté Jill.
Katie a haussé les épaules. J’ai compris qu’elle ne nous disait pas tout.
— Em, tu m’accompagnes ? m’a dit Sara. J’ai envie d’un autre verre.
Pendant qu’elle se resservait, j’ai sorti une bouteille d’eau gazeuse du frigidaire. J’attendais qu’elle m’explique pourquoi elle m’avait demandé de la suivre.
— Je pense qu’il s’est passé un truc entre Katie et Drew.
— Tu crois ?
Elle a fait une moue.
— Peut-être. En tout cas il se passe quelque chose. Je sais qu’il est sorti avec au moins deux filles.
— Stop, je n’ai pas envie de savoir ! ai-je supplié.
Entendre parler des histoires de Drew était plus que je ne pouvais supporter. J’ai lancé un coup d’œil dans sa direction mais lui et ses copains n’étaient plus là. J’ai balayé la pièce du regard et l’ai aperçu en train de discuter avec Kelli et une autre fille que je ne connaissais pas. Un éclair de jalousie m’a transpercé le cœur. Je me suis aussitôt efforcée de chasser ce poison. La discussion avec les filles m’avait sûrement perturbée en semant le doute dans mon esprit mais je ne devais pas me laisser envahir par un sentiment d’insécurité.
— Il faut que tu discutes avec lui pour être sûre que vous êtes sur la même longueur d’onde, a poursuivi Sara. Ça te dérangerait s’il sortait avec d’autres filles en même temps ?
Je n’avais jamais réfléchi à la question et je ne savais pas quoi en penser. L’idée qu’il puisse s’intéresser à quelqu’un d’autre ne m’avait pas traversé l’esprit, mais, maintenant que je regardais autour de moi, je comprenais que les tentations étaient nombreuses. Et cela m’amenait à me poser des questions sur ce qu’il y avait entre nous.
— Je ne sais pas, ai-je répondu en toute sincérité.
— Salut, Sara ! a lancé Jay en s’approchant de nous. C’est cool de te voir ici.
— Salut, Jay, a répondu Sara.
— Prête à venir surfer avec nous, au printemps ? m’a-t-il interrogée.
Cette soudaine invitation à participer aux projets de Drew m’a plombée. J’avais toujours eu l’habitude de ne vivre qu’au présent. D’abord une conversation sur mon avenir avec Drew, et maintenant un plan surf pour dans des mois – c’était plus que je ne pouvais digérer en une fois.
— On verra.
— Allez ! Tu vas adorer.
— Beaucoup de choses peuvent arriver d’ici là, est intervenue Sara pour me porter secours.
— C’est sûr, a reconnu Jay. Quoi qu’il arrive, j’adorerais te voir sur une planche. Ou juste en bikini.
Il a éclaté de rire. Je lui ai lancé un regard noir, tandis que Sara fronçait les sourcils.
— C’était une blague, s’est-il défendu.
— Coucou, a dit Drew en arrivant par-derrière et en glissant ses bras autour de ma taille.
— J’étais justement en train de lui proposer de venir avec nous faire du surf aux beaux jours, lui a raconté Jay.
— Sérieux ? Tu veux que je t’apprenne à surfer ? a dit Drew en me regardant.
— Peut-être.
— Elle pense que vous ne tiendrez pas ensemble jusqu’au printemps, s’est moqué Jay.
— Jay ! s’est exclamée Sara en lui donnant une tape sur le bras.
— Aïe ! Quoi ?
— Elle n’a pas du tout dit ça !
Puis elle a regardé Drew avant d’ajouter :
— Il est débile.
Drew m’a dévisagée attentivement pour essayer de lire la vérité sur mon visage.
— Tu me largues déjà ?
— Bien sûr que non ! Je n’ai jamais dit un truc pareil. Merci beaucoup, Jay.
Drew m’a prise par la main et m’a attirée dans le couloir, loin du bruit, visiblement décidé à avoir une conversation avec moi. J’étais hyper tendue.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Rien, ai-je affirmé d’une voix mal assurée. Je ne préfère pas parler ici.
J’ai lancé un coup d’œil vers la pièce, qui grouillait d’oreilles attentives et de regards dans notre direction. Il a froncé les sourcils. Je ne comprenais pas vraiment ce que j’avais pu dire qui l’ait mis dans cet état. M’emmenant à sa suite, il a descendu l’escalier et a ouvert la porte d’entrée. Le froid s’est engouffré et j’ai frissonné.
— Où va-t-on ? ai-je questionné en le suivant sur le chemin.
— Quelque part où on peut parler.
Derrière les arbres, il y avait une petite bâtisse. Drew a sorti une clé de sa poche, a ouvert la porte, et nous sommes entrés dans une grande pièce qui comportait une cuisine américaine, un espace salon, deux lits doubles et une échelle qui menait à une mezzanine. La décoration, très simple, était typique des maisons de pêcheurs de la Nouvelle-Angleterre : des coquillages et des photos de voiliers. Rien à voir avec le design moderne et chic de la maison principale.
Il a refermé la porte et m’a fait face. Je ne m’attendais pas à lire une telle inquiétude sur son visage.
— C’était quoi, ça ? a-t-il lâché.
— Désolée…
L’angoisse, dans ses yeux, a cédé la place à la panique. Visiblement, j’avais encore dit ou fait quelque chose qu’il ne fallait pas.
— Les filles ont commencé à me donner des conseils, et je les ai écoutées, ai-je ajouté rapidement. C’était complètement idiot de ma part.
— Tu voulais des conseils sur quoi ?
— Mais je n’en voulais pas, ai-je aussitôt répliqué. Elles m’ont demandé si nous étions officiellement ensemble, toi et moi, et j’ai répondu que nous n’en avions pas vraiment parlé. Alors elles m’ont dit que je devrais le faire, pour être prévenue si jamais tu voyais quelqu’un d’autre. C’était absurde et je n’aurais pas dû entrer dans leur jeu.
J’ai guetté sa réaction. Il a eu l’air moins crispé, mais semblait toujours soucieux.
— Et donc ? Est-ce qu’on est ensemble ? a-t-il fini par demander.
Ah… Je ne m’attendais pas à ça.
— Ça veut dire quoi, exactement ?
Mauvaise question. Nouvel air paniqué.
— Est-ce que tu as envie de sortir avec quelqu’un d’autre ? a-t-il questionné.
Mon cœur a fait un bond. Incapable de dire qu’il n’y avait personne d’autre, je me suis contentée de secouer la tête. Le mensonge a fait battre mon cœur encore plus vite.
— Et toi ? ai-je interrogé à mon tour.
— Non, a-t-il aussitôt répliqué. Alors, pourquoi tu crois qu’on ne sera plus ensemble au printemps ?
Encore cette question ?
J’ai pris une profonde inspiration.
— Je n’ai jamais dit ça.
— Tu crois qu’on sera encore ensemble ?
Comment donner une réponse qui sonnerait juste ? En voyant ses grands yeux verts à l’affût de ma réaction, j’ai décidé de contourner le problème. J’ai avancé d’un pas et lui ai passé les bras autour du cou pour l’attirer à moi. Quand je l’ai embrassé, il s’est détendu, s’est penché, et ses lèvres chaudes ont capturé les miennes. Une vague de chaleur m’a instantanément envahie lorsqu’il a appuyé ses mains sur ma taille pour presser son corps dur contre le mien. Mon souffle s’est accéléré, et j’ai laissé échapper quelques gémissements d’excitation. Sans interrompre notre étreinte ni ce baiser, nous avons traversé la pièce, jusqu’à ce que je bute contre quelque chose. Il m’a étendue sur le lit. La tête me tournait, un tourbillon d’images se formait. Ses mains ont glissé le long de mes cuisses, il a attrapé mes jambes et les a mises autour de son dos. J’ai cru voir un éclair.
Sa langue est descendue le long de mon cou, déclenchant dans tout mon corps une nouvelle onde d’excitation. Je n’étais désormais plus capable d’écouter les signaux d’alerte que me lançait mon cerveau. Tandis qu’il écartait les pans de mon gilet et parcourait de sa langue le contour de mes épaules, j’ai poussé un gémissement de plaisir. Cherchant de nouveau ma bouche de ses lèvres, il m’a caressé la cuisse avant de glisser délicatement sa main entre mes jambes.
Un frisson a déferlé sur ma peau en même temps qu’un spasme électrisait mon cerveau.
— Waouh, a dit une voix depuis la porte.
— Jay, va-t’en ! a crié Drew en tournant la tête, le corps pressé contre le mien.
Je me suis relevée précipitamment, j’ai tiré sur ma robe et refermé mon gilet. Drew s’est assis à côté de moi.
— Désolé, mec, a lancé Jay, sourire en coin. Je ne savais pas.
— Sors, maintenant !
— À plus, a-t-il lâché dans un éclat de rire avant de refermer la porte derrière lui.
— Merde, a murmuré Drew en se laissant tomber sur le dos. Je suis désolé.
Au même instant, j’ai entendu la voix de Sara résonner au loin :
— Jay, est-ce que tu as vu Emma, par hasard ?
D’un bond, je me suis levée et j’ai rajusté mes vêtements.
— Elle est là-dedans, a répondu Jay, ricanant.
Drew s’est levé à son tour lorsque Sara a frappé à la porte.
— Entre, lui a-t-il indiqué d’un air légèrement ennuyé.
Sara a ouvert la porte tout doucement. Son regard est passé de moi à Drew, puis de lui à moi, avant de se poser sur le dessus de lit froissé. À tous les coups, j’aurais droit à un interrogatoire en règle.
— Euh… On va…, a-t-elle bafouillé. Je te cherchais…
— J’arrive, ai-je dit.
— OK. On se retrouve à l’intérieur.
Elle a refermé la porte, et j’ai poussé un soupir.
— Je pense qu’il vaut mieux qu’on y retourne avant qu’ils n’aient l’idée de venir nous chercher les uns après les autres, ai-je confié à Drew.
— Je peux fermer la porte à clé, a-t-il suggéré, en écartant mon gilet pour déposer un baiser sur mon épaule nue.
J’ai eu un petit rire nerveux et, avant d’être de nouveau vaincue par un tourbillon d’excitation, j’ai recouvert mon épaule.
— D’accord, on y retourne, a cédé Drew à contrecœur.
Des sourires et des regards lourds de sous-entendus nous ont accueillis lorsque nous sommes entrés dans la pièce. Je me suis sentie devenir de nouveau écarlate. En cherchant Sara du regard, j’ai croisé le sourire idiot de Jay. Je mourais d’envie de lui coller une gifle.
— Je vais chercher quelque chose à boire, ai-je dit à Drew en me dirigeant vers la cuisine.
Avant même que j’ai atteint le frigo, il avait emmené son pote à l’écart d’un air énervé.
— On peut dire que maintenant c’est officiel, a lancé Jill en riant.
— De quoi tu parles ?
Son petit sourire a confirmé mes craintes.
— Tu penses bien que Jay nous a tout raconté !
— Super, ai-je soupiré en secouant la tête. En plus, j’imagine que, dans sa bouche, ça devait être quelque chose.
— Tu ne crois pas si bien dire.
— Comment ça ? ai-je insisté, de plus en plus inquiète.
Après un instant de silence, elle m’a fait un léger signe de tête pour m’indiquer un coin plus tranquille. J’ai commencé à paniquer.
— Il dit que, quand il est entré dans la chambre, Drew et toi étiez en train de faire l’amour.
— Quoi ? ! On était juste en train de s’embrasser ! Quel…
Soudain, je comprenais mieux tous ces regards. J’ai eu un haut-le-cœur.
— Désolée, a dit Jill en haussant les épaules. Jay adore raconter des histoires.
J’ai secoué la tête, sidérée. Et dégoûtée.
Sara nous a rejointes tandis que j’expliquais ce que Jay avait réellement vu.
À l’autre bout de la pièce, Drew semblait avoir le même genre de discussion avec ses copains. À côté de lui, Jay secouait la tête en levant ses mains en signe de défense. Son geste préféré.
— On pourrait parler de quelque chose de plus intéressant que ce que Drew et moi n’avons pas fait ? ai-je dit.
La sensation de nausée ne faisait que s’amplifier, j’étais à deux doigts de me trouver mal.
— Euh… Eh ben, Katie a disparu quelque part avec Tim, a annoncé Jill.
— Sérieux ? a réagi Sara, tout émoustillée.
Si le seul sujet intéressant était de deviner ce que pouvaient fabriquer deux personnes seules, alors très peu pour moi. Je me suis faufilée derrière Sara et Jill qui lançaient toutes sortes d’hypothèses délirantes et je suis allée m’asseoir sur le canapé, devant la cheminée, le regard happé par la danse des flammes. Un sentiment de déjà-vu m’habitait de manière peu agréable.
— Je me le suis tapé une fois, m’a interrompue Kelli.
Elle venait vers moi, précédée d’un léger parfum d’alcool. J’ai poussé un gros soupir.
— Tu as teeeellement de chance, a-t-elle lâché d’une voix pâteuse. Drew est le plus top de tous.
— Mmmmh, ai-je acquiescé.
— J’ai baisé avec lui une fois seulement, a-t-elle avoué.
Mon dos s’est raidi d’un coup.
— On n’est jamais sortis ensemble officiellement, a-t-elle ajouté, croyant me mettre à l’aise. Mais c’est un super coup, hein ?
Impossible de réagir. J’étais abasourdie.
— Je suis vraiment contente que vous soyez venues, Sara et toi, a-t-elle murmuré en posant la tête sur mon épaule. Vous êtes les personnes les plus géniales que j’ai rencontrées dans toute ma vie !
J’ai jeté un rapide coup d’œil à ses cheveux courts, impeccablement coiffés, et au décolleté plongeant de sa robe de soirée.
Super nouvelle. Donc il est sorti avec elle. Et aussi avec Katie, on dirait. Et qui d’autre encore, dans cette pièce ? Quelle fille avait-il essayé encore ? L’image de Drew dans une position compromettante avec la fille assise à côté de moi est passée devant mes yeux. Je n’ai pas aimé du tout. J’avais beau me dire que cela ne devait pas m’atteindre, malheureusement c’était le cas.
Pour ne pas me laisser envahir par ces pensées malsaines, j’ai occupé mon esprit comme j’ai pu. J’ai parlé de choses et d’autres avec des personnes que je ne connaissais pas et j’ai regardé des types faire des parties de bras de fer. Sara est venue me voir de temps en temps, mais elle semblait surtout occupée avec un type que Kelli avait invité. Au moment où Drew est venu me retrouver, la plupart des gens étaient en train de partir ou de rejoindre leurs chambres.
— Je ne t’ai pas vue depuis une éternité.
Il s’est assis à côté de moi et a passé son bras autour de mon épaule. L’esprit encore encombré par ce qu’on m’avait raconté, j’hésitais à me laisser aller contre lui.
— Ça va ? a-t-il demandé.
— Je suis fatiguée, ai-je répondu en m’étirant.
— Trop fatiguée pour rester un peu seule avec moi ? a-t-il chuchoté dans le creux de mon oreille.
J’ai souri. La chaleur de son souffle a effacé tous mes doutes et mon sentiment d’insécurité. Tournant la tête vers lui, j’ai accueilli le doux baiser qu’il a déposé sur mes lèvres.
— Alors ? a-t-il insisté.
La sensation de chaleur a gagné chaque parcelle de mon corps. Il m’a embrassée de nouveau. Plus longuement. Et a passé sa main derrière ma taille pour m’attirer contre lui.
Derrière nous, quelqu’un a toussé discrètement. Je me suis tournée et j’ai aperçu Katie. Étonnée, je me suis redressée.
— Drew, je peux te parler un instant ? a-t-elle demandé d’un air innocent.
Debout, les mains sur les hanches et un sourire aguicheur aux lèvres, elle semblait onduler.
Drew a soupiré et m’a regardée. Il était libre de faire ce qu’il voulait.
— Bien sûr, a-t-il répondu en se levant pour la suivre dans un coin de la pièce.
Restée sur le canapé, l’estomac serré, je me suis forcée à ne pas les regarder. Quelques minutes plus tard, Drew est revenu, déconcerté.
— Tout va bien ? ai-je questionné, même si je n’avais guère envie de connaître la réponse.
— Je ne m’attendais pas à ça, a-t-il reconnu, le regard lointain.
Sa réponse étrange m’a inquiétée. J’avais maintenant envie de savoir ce que Katie lui avait dit. Voyant mon air tendu, il m’a pris la main.
— C’est une longue histoire, a-t-il lâché d’un ton évasif.
Cela ne m’a pas rassurée.
— Il y a quelques personnes dans le jacuzzi, en bas. Ça te dit d’y aller ?
— Pas trop…
Je ne rêvais que d’une chose : rejoindre mon lit pour échapper à toutes les pensées désagréables qui me hantaient.
— En fait, j’ai surtout envie de me coucher, ai-je avoué. Désolée…
— Pas de problème. C’est vrai qu’il est déjà tard.
Il a hésité un instant avant de demander :
— Est-ce que je peux dormir avec toi ?
L’air m’a manqué, j’ai cru que j’allais tomber dans les pommes.
— Je ne crois pas que ça soit une bonne idée.
— Tu as probablement raison, a-t-il concédé. Est-ce qu’au moins je peux venir te border ?
La proposition m’a fait sourire.
— Ça, je pense que c’est jouable.
Nous sommes allés voir Sara pour qu’elle me donne la clé de la chambre. Lorsqu’elle a aperçu Drew derrière moi, elle a haussé les sourcils. J’ai secoué la tête discrètement en guise de réponse à son insinuation silencieuse. Je savais pertinemment que tous ceux qui me croiseraient avec Drew auraient la même idée en tête. Mais je n’étais plus à ça près.
Pendant que je faisais ma toilette, Drew m’a attendue, installé dans un fauteuil. Lorsque je suis sortie, en short et débardeur, il était tout sourire. Je me suis glissée sous le drap et il a fermé la porte à clé.
— Comme ça, personne ne pourra entrer et raconter n’importe quoi après.
— Tu te rappelles que tu as dit que tu ne faisais que me border !
Il a ri.
— Bonne nuit, a-t-il susurré en se penchant pour m’embrasser.
Avant que ses lèvres ne touchent les miennes, j’ai senti son souffle chaud caresser mon visage. Les tourbillons électriques ont commencé à jaillir dans ma tête et, tandis que sa bouche s’attardait un instant, des frémissements m’ont parcouru le corps. J’ai fermé les yeux, ma respiration s’est accélérée et un gémissement s’est échappé. Malgré moi.
Ses lèvres, à peine détachées, sont revenues chercher les miennes. Plus puissantes. Plus gourmandes. Plus désireuses. À mon tour, j’ai laissé la vie prendre sa place. J’ai passé mes bras autour de son cou et l’ai attiré à moi. Il s’est allongé sur moi, par-dessus les couvertures, sa bouche pressante prenant la mienne avec ardeur. Puis ses lèvres humides sont descendues le long de mon cou, je me suis courbée, détachant mon dos du matelas pour tendre ma peau vers sa caresse délicieuse. Mon corps était happé par l’intensité de la chaleur, la force du désir. Je ne pouvais plus penser à rien. Je ne pouvais que répondre à cette pulsion qui vibrait dans chaque fibre de mon être.
Sans lâcher son étreinte, il s’est glissé dans les draps. La respiration coupée, j’ai senti son corps tout contre le mien, respiré son odeur et effleuré de mes lèvres la peau salée de son cou. Son souffle s’est accéléré et, se serrant plus encore contre moi, il a glissé sa main sous mon débardeur. Une espèce d’électrochoc m’a sortie de ma transe, comme un signal qui m’indiquait qu’il fallait faire baisser la pression.
Drew a descendu son autre main le long de ma cuisse jusqu’au creux de mon genou pour ensuite passer ma jambe autour de lui. L’excitation qui courait dans mes veines venait se heurter aux messages d’alerte envoyés par mon cerveau. Je me suis dégagée de son étreinte et j’ai pris une grande inspiration. Sa tête au-dessus de la mienne, il a ouvert les yeux pour saisir ce qui se passait et s’est penché pour m’embrasser de nouveau. Mais j’ai tourné la tête.
— J’ai besoin d’une pause, ai-je expliqué dans un souffle.
— OK.
Dans un soupir, il s’est redressé puis assis sur le bord du lit. Il m’a dévisagée un instant avant d’ajouter :
— Tu veux que je parte ?
Ses yeux verts cherchaient avidement mon regard. J’ai secoué la tête en souriant.
Alors qu’il s’apprêtait à soulever la couverture, j’ai interrompu son geste.
— Mais tu ferais mieux.
Il a hoché lentement la tête et dans ses yeux j’ai lu la déception.
— Bonne nuit, a-t-il murmuré en se penchant pour m’embrasser.
— Je crois que tu as déjà fait ça, l’ai-je arrêté avec un sourire. Bonne nuit !
Il s’est levé doucement et s’est dirigé vers la porte. Il s’est retourné et m’a adressé un dernier long regard avant de disparaître.
Au moment où je commençais enfin à m’endormir, j’ai entendu un bruit sourd devant la porte. Sara était en train de souhaiter bonne nuit à quelqu’un. Probablement le type qu’elle avait rencontré. Quand j’ai entendu les respirations haletantes et les gémissements, j’ai eu envie de disparaître sous les couvertures. Après quelques bruits supplémentaires, Sara est finalement entrée en promettant à l’autre de l’appeler. Tournant le dos à la porte, j’ai fait semblant de dormir. Je n’avais pas particulièrement envie d’avoir le récit de sa soirée. Ni de raconter la mienne.
*
Aux premières heures du matin, le même cauchemar est venu achever ma nuit. Tandis que je tombais dans le gouffre, un homme me regardait du haut du rocher. Mais, cette fois, j’ai clairement vu son visage avant de tomber. Evan. Les traits déformés par la colère. Il s’éloignait, et je l’appelais à l’aide.
— Em, a marmonné Sara, à moitié endormie. Tu pleures ?
La chambre était plongée dans l’obscurité, les épais volets occultant la clarté de l’aube. Allongée sur le dos, les yeux grands ouverts, j’essayais de deviner les contours de cette pièce peu familière. Les larmes mouillaient mes joues et, à cause de la sueur, le drap collait à ma peau. J’ai fini par me redresser, et mon cœur a alors repris son cours normal.
— Tu as crié son nom, a dit Sara en se tournant vers moi.
— Le nom de qui ?
Les sombres images du cauchemar m’ont aussitôt assaillie. J’ai séché mes larmes.
— Il te manque, n’est-ce pas ?
Je n’ai rien répondu.
— Tu peux toujours l’appeler, tu sais.
J’ai secoué la tête et murmuré :
— Non, je ne peux pas.
Je me suis levée pour aller dans la salle de bains. J’ai fermé la porte derrière moi.