CHAPITRE TREIZE

Vœux temporaires et obédiences

La cérémonie des vœux temporaires se voulait plus solennelle que celle de la prise d’habit. Le 16 juin 1953, je prononçais ces vœux devant la mère générale, venue spécialement de France pour l’occasion. L’évêque du lieu recevait et bénissait mon engagement.

Agenouillée, je m’exprimai en anglais.

— Moi, sœur Xavier-Marie-de-la-Trinité, en présence de Dieu, de la bienheureuse Vierge Marie et de tous les saints, et en présence de Son Excellence Peter Joseph MacDougall, fais vœux d’obéissance, de pauvreté, de chasteté et d’hospitalité, pour trois ans, m’engageant ainsi à vivre fidèlement ma vocation de Petite Sœur des pauvres.

Après que j’eus été aspergée d’eau bénite par l’évêque, je me relevai pour recevoir l’accolade de la mère générale.

— Ma bonne Petite Sœur Xavier-Marie-de-la-Trinité, dit-elle, au nom de la Congrégation des Petites Sœurs des pauvres, reconnue par notre Saint-Père le pape, je vous admets officiellement comme fille de sœur Marie-de-la-Croix, Jeanne Jugan, dans la communauté des Petites Sœurs des pauvres, comptant que vous marcherez fidèlement sur ses traces et à la suite de Notre-Seigneur Jésus-Christ que vous épousez aujourd’hui.

Et, pendant que les sœurs entonnaient le Te Deum, je m’allongeai sur le sol, à plat ventre.

Le même jour, je faisais partie des dix-huit novices qui venaient de faire profession et qui devaient se présenter à l’oratoire, devant la mère générale, pour y être chargées d’une obédience10. Nous allions connaître les desseins de Dieu : dans quel pays, quelle province nous serait assignée notre mission auprès des vieillards ; vers laquelle des trois cent cinquante maisons-asiles des Petites Sœurs des pauvres allions-nous être dirigées ?

— Toutes les novices demeureront au Canada ou aux ­États-Unis, sauf deux d’entre vous, annonça la mère générale : sœur Édouard-Marie-de-la-Trinité, vous irez en France, dans la province de Bretagne ; sœur Xavier-Marie-de-la-Trinité, vous irez également en France, dans la province de Paris.

Mon cœur exultait d’une telle joie à l’idée de partir en mission à l’étranger – j’avais le goût de l’aventure et du risque – que j’en oubliai la peine que mes parents allaient éprouver. Je les croyais préparés à cette éventualité. Aussi, pendant le dîner, leur fis-je part de la nouvelle sans aucun ménagement. Ce fut une erreur. Ils avalèrent difficilement et le tout se termina dans les larmes. Des sœurs s’approchaient pour me féliciter pendant que mère maîtresse, désireuse, je crois, d’encourager mes parents, disait à maman : « Vous verrez ! Votre fille, elle sera la meilleure ! »

Mes parents prirent la décision de retenir leur chambre d’hôtel une journée de plus, afin de profiter plus longtemps de ma présence. Les Petites Sœurs multiplièrent les délicatesses à notre égard pendant ces deux jours. Les adieux vinrent pourtant, plus pénibles encore que ceux de mon entrée à la rue des Seigneurs. Tout le monde pleurait. Je partais plus loin, vers l’inconnu et cela meurtrissait le cœur de mes parents.

Nous fûmes accueillies à la maison provinciale, à New York, en attendant notre départ pour la France. Mère assistante provinciale me déclara : « Nous avons besoin de sœurs, ici aux États-Unis. Mère provinciale aimerait vous avoir dans notre province. Vous verrez qu’en France tout est plus sévère qu’ici, vous ne serez pas aussi gâtée. Il n’y règne aucun climat d’amitié, les sœurs sont froides et austères. Vous trouverez cela très dur. Demandez à la supérieure générale de revenir, ne restez pas là ! Moi, je n’ai pas pu résister là-bas et on m’a permis de revenir. Thanks be to God ! »

Ces paroles agirent comme un éteignoir sur mon bel enthousiasme. Belles perspectives, en réalité ! J’apprendrais dans l’avenir que les règlements – ou leur application – différaient d’un pays à l’autre : j’avais trouvé les Canadiennes sévères en comparaison des Américaines qui vivaient d’une façon plus décontractée et dont les contacts se voulaient plus fraternels. J’allais maintenant découvrir un autre milieu et une autre culture, un système basé sur la plus stricte observance de la règle.

Note

10. Ordre d’un supérieur religieux.