CHAPITRE VINGT ET UN
Désarroi
Je voyais ma vie s’écouler sans que rien ne me permette de croire que mes prières étaient entendues. Je ne résistais plus aux pensées qui venaient par vagues, je vivais en carmélite par anticipation. J’étais parfois tentée de me laisser aller au découragement, mais alors les paroles du bon père Vagenheim me revenaient. « Si Dieu le veut, pensais-je, rien n’empêchera que je sois carmélite. » Et dès qu’une occasion s’offrait à moi, je reformulais ma demande à mes supérieures.
— Quelle entêtée vous êtes ! me disait la bonne mère générale, vous ne comprenez pas que c’est impossible ? Vous avez prononcé des vœux perpétuels, vous vous êtes engagée pour la vie dans notre congrégation. Abandonnez cette idée, une fois pour toutes !
Chaque refus augmentait ma détermination et je revenais à la charge. Je demandai à la mère générale de me laisser voir un père bénédictin. S’opposant à la fermeté de la supérieure locale, elle acquiesça à ma requête. Le révérend père Bernard-de-Saint-Antoine se présenta donc au parloir, le 19 septembre 1961, et demanda à me voir. La mère portière annonça cette visite à la bonne mère qui insista pour le rencontrer d’abord. Elle voulait me devancer, certainement, l’informer des propos que je lui tiendrais et le persuader qu’il s’agissait d’un caprice.
— Ma chère Petite Sœur, commença-t-il, votre supérieure m’a assuré que vous étiez dans l’erreur et que vous n’avez nullement la vocation pour la vie que vous prétendez vouloir vivre.
— Mon Père, je vous en prie, écoutez-moi. J’ignore pourquoi la bonne mère dit cela alors que les sœurs qui vivent plus près de moi, ne connaissant pas mon désir, on m’a défendu d’en parler, disent qu’elles me verraient mieux chez les carmélites. Et même les supérieures me reprochent mon esprit contemplatif !
— Ma fille, vous devez faire confiance à vos supérieures et leur obéir. Je vais vous répéter ce que mon père maître m’a dit un jour : « Vous, vous serez consumé par l’amour. » Je vais prier pour vous, mais restez chez les Petites Sœurs.
Première et dernière rencontre avec le bénédictin. Nouvel échec qui, pourtant, me renforçait dans ma décision. Par l’intermédiaire du confesseur, je sollicitai une visite canonique auprès de l’évêché. Cela me permettrait peut-être de parler plus fort… On manda l’archiprêtre et je lui parlai de mon souhait de changer de communauté pour une autre qui me ferait « vivre la prière ».
— Je ne vous connais pas, me répondit-il, je ne peux intercéder pour vous puisque j’ignore si vous possédez la vocation. Mais vous pouvez écrire vous-même à l’évêque. Je sais qu’il doit venir à la cathédrale de Saint-Omer le mois prochain. Peut-être accepterait-il de vous rendre visite.
Je suivis le conseil et écrivis à l’évêque. Comme toutes les lettres devaient passer entre les mains de la supérieure, je ne fus pas surprise quand cette dernière me réprimanda sévèrement. Pour me punir, elle me priva de ma prière à la chapelle. Elle répéta que je me trompais et que j’avais intérêt à écouter mes supérieures.
Même si je n’avais plus aucun doute sur ce que je voulais, je me sentais parfois à bout de forces. Un jour, la sœur cuisinière m’aperçut en train de pleurer et vint me parler : « Ne vous laissez pas décourager par les épreuves que vous fait subir la supérieure. Vous savez, la provinciale m’a dit à la visite qu’elle vous considérait comme une sainte et que c’était pour cette raison qu’on vous éprouvait. »
Je pensai alors que leur refus n’allait certes pas augmenter mon degré de sainteté, mais plutôt faire éclore en moi des sentiments de révolte, provoquer une dépression ou me pousser à une sublimation. Avant que ma lettre à l’évêque ne porte ses fruits, il devait se produire un événement marquant qui perturba la vie de toute la communauté. Je relate ces faits pour appuyer mon opinion sur les conséquences dramatiques pouvant résulter des abus psychologiques dont nous étions victimes.
Sœur Adrienne
Sœur Adrienne était une bonne Petite Sœur dans toute l’acception du terme. Exceptionnellement douée, d’une générosité exemplaire, elle se donnait corps et âme dans sa mission auprès des vieillards qu’elle aimait tendrement et qui le lui rendaient bien. Son dévouement, autant que son efficacité, était remarquable.
La seule ombre au tableau provenait de la jalousie de certaines sœurs à son égard, je ne parle pas pour moi puisque j’éprouvais une immense sympathie pour sœur Adrienne et qu’elle m’en manifesta toujours autant : « Si toutes les sœurs étaient comme vous, ça irait mieux ! Conservez votre belle jeunesse et votre bonté, ça nous fait du bien », me chuchotait-elle parfois. Je ne dis pas qu’elle était parfaite, qui peut se vanter de l’être ?, puisqu’elle nourrissait des sentiments de rancune envers les sœurs qui ne l’aimaient pas.
Tout se déroula un 12 juillet. Sœur Adrienne remplaçait, ce jour-là, sœur Edwidge, à la cuisine.
— Sœur Adrienne ! lança la sœur assistante en revenant du service aux tables, du côté des hommes. Nous manquons de pommes de terre.
— Il n’en reste plus, répondit sœur Adrienne.
— Alors, faites vite autre chose car les dernières tables ne sont pas encore servies.
L’assistante repartit dans le secteur des hommes et, quelques minutes plus tard, sœur Adrienne alla déposer brusquement une lourde casserole sur leur table.
— Si vous n’en avez pas assez cette fois, vous vous en passerez, leur dit-elle en tournant les talons.
Alors que nous allions déposer à la cuisine les plats vides, la sœur assistante s’adressa encore à sœur Adrienne.
— Sœur Adrienne, il faudrait en faire plus, nous avons manqué de dessert.
— Venez donc en faire vous-même au lieu de vous promener en prenant vos grands airs d’assistante.
De toute évidence, sœur Adrienne ne contrôlait plus ses nerfs. L’assistante partit donc chercher notre bonne mère.
— Que se passe-t-il, sœur Adrienne ?
— Rien, rien, laissez-moi tranquille.
— Je crois que vous êtes un peu fatiguée, ma bonne Petite Sœur. Le travail à la cuisine vous demande peut-être trop. Je vais vous faire remplacer. Allez-vous reposer un peu.
— Non ! vous dis-je, laissez-moi tranquille, répliqua-t-elle sur un ton fâché et, regardant la sœur assistante, elle ajouta : c’est elle qui est folle, pas moi.
La bonne mère s’approcha alors doucement et tenta de lui enlever son tablier. Sœur Adrienne résistait et ne voulait rien entendre. L’assistante la saisit alors et la bonne mère lui retira son tablier. En l’obligeant à quitter la cuisine, la bonne mère lui ordonna :
— Allez à votre alcôve, couchez-vous un peu et reposez-vous, vous en avez grand besoin.
Ces scènes n’étaient pas très fréquentes, nous n’avions pas le droit d’exprimer ainsi notre colère. J’en fus troublée.
À la récréation du midi, nous nous aperçûmes que sœur Adrienne n’avait pas obéi à la bonne mère puisqu’elle avait pris place dans le cercle habituel et se trouvait juste en face de moi. La bonne mère s’approcha d’elle.
— Je vous avais dit d’aller vous reposer, allez-y, ma Petite Sœur, cela vous fera du bien.
— Non ! ma Bonne Mère, j’ai droit à la récréation, moi aussi.
Et elle demeura résolument à sa place. Elle garda le silence pendant toute la durée de la récréation. De temps à autre, elle posait un regard chargé de haine sur la bonne mère et sur l’assistante, ou alors elle les regardait fixement.
— Demain, annonça la bonne mère à la fin de la récréation, c’est notre pèlerinage à la cathédrale Notre-Dame-des-Miracles. Sœur Adrienne gardera la maison, elle doit être là pour la messe puisqu’elle est sacristine. Sœur Xavier restera pour faire chanter les vieillards et pour les accompagner à l’orgue.
Ce pèlerinage m’aurait plu, mais j’acceptai volontiers de rester. Sœur Adrienne se montra imperturbable et n’eut même pas l’air d’avoir entendu.
Le même jour, à l’infirmerie, les regards de sœur Adrienne commencèrent à m’indisposer et un terrible pressentiment me serrait la gorge : quelque chose allait se passer. Je crus qu’il fallait prévenir la bonne mère et me dirigeai vers son bureau. Je ne me décidai pas, pourtant, à frapper à la porte. Je craignais que ma démarche ne fût interprétée comme une indiscrétion et que la bonne mère me rabrouât. Mon malaise, une sorte d’appréhension, s’accentua. Je sentais que quelque chose de grave se préparait, mais je ne pouvais dire ce que c’était.
Lorsque j’allai m’exercer à l’orgue, à la fin de l’après-midi, sœur Adrienne était à son poste, préparant l’autel pour le lendemain. Je remarquai à quelques reprises qu’elle me regardait avec insistance. Les yeux qu’elle posait sur moi n’avaient rien en commun avec ceux qu’elle avait jetés sur les supérieures ; ils exprimaient plutôt une profonde sympathie. C’était étrange, cela aurait dû me rassurer, mais ce fut tout le contraire.
Sœur Adrienne ne se présenta pas au repas du soir. Malgré moi, j’étais très inquiète de même que les autres sœurs.
— Mes bonnes Petites Sœurs, nous dit notre bonne mère, il n’y aura pas de récréation ce soir. Nous devons chercher notre petite sœur Adrienne.
Pendant que nous la cherchions autour de la maison, une sœur vint nous dire que son manteau n’était plus sur son crochet, ce qui poussa notre bonne mère à envoyer quelques sœurs à sa recherche, deux par deux, dans les rues de la ville.
Mon pressentiment l’emportant sur tout le reste, je dis alors à la bonne mère que je croyais que sœur Adrienne était toujours à l’intérieur de la maison.
— Elle est un peu perturbée, ma Bonne Mère, peut-être a-t-elle fait disparaître son manteau pour brouiller les pistes. Voulez-vous que nous cherchions ensemble ?
— Oui, vous avez raison, Sœur Xavier, je vous accompagne.
En fouillant de la cave au grenier, nous l’appelions doucement :
— Sœur Adrienne ! Répondez-nous, s’il vous plaît, nous vous aimons, nous voulons vous aider. Montrez-vous, Sœur Adrienne.
Rien. Aucun signe de vie. À vingt-deux heures, nous étions toutes rassemblées à la salle de récréation où la bonne mère nous fit part des résultats de nos recherches.
— Mes bonnes Petites Sœurs, votre compagne n’a pas été retrouvée. Il ne nous reste plus qu’à prier pour elle. Priez, car le démon la poursuit. Je lui ai fait rencontrer un prêtre et ce dernier pense qu’elle est possédée.
Après avoir prié à la chapelle et avoir fait la tournée de l’infirmerie, je rejoignis mon alcôve qui était voisine de celle de sœur Adrienne. Je n’arrivais pas à dormir. J’étais inquiète et terrifiée à la pensée qu’elle pouvait surgir devant moi. Si, comme le prétendait la bonne mère, elle était possédée du démon, elle ne répondrait peut-être pas de ses actes.
Me réfugiant à nouveau dans la prière, je finis par trouver le sommeil vers minuit. Une heure plus tard, je fus réveillée par la sonnette de la porte d’entrée. Levée en vitesse, je courus à l’alcôve de la bonne mère. Nous pensions toutes les deux qu’enfin sœur Adrienne était revenue. Elle m’accompagna à la porte, mais il n’y avait personne. Sans doute des gamins qui s’amusaient.
Je sombrai de nouveau dans un sommeil tourmenté. À cinq heures, munie de ma petite bassine, je faisais mes ablutions lorsqu’un bruit de vitre cassée attira mon attention. Levant les yeux vers la petite fenêtre, juste en face de moi, je vis alors le corps de sœur Adrienne-du-Saint-Sacrement, qui flottait dans les airs, en chute libre entre un étage supérieur, celui du pavillon des hommes, et le pavé où il s’écrasa lourdement. Quel choc !
Mon cœur battant la chamade, je courus, une fois encore, à l’alcôve de la bonne mère. Je me sentais défaillir mais demeurai bien droite sur mes jambes pour lui apprendre ce dont je venais d’être témoin.
— Ma Bonne Mère, un malheur est arrivé : sœur Adrienne… elle vient de se jeter du cinquième étage, du côté des hommes. Je l’ai vue tomber.
— Ah ! Mon Dieu ! Surtout, ne dites rien à personne, et surtout ne venez pas voir.
Sœur Adrienne respirait encore lorsque la bonne mère et la sœur assistante parvinrent jusqu’à elle. Mère assistante avait pris soin d’emporter une couverture qu’elle avait prise sur sa propre paillasse. Trop soucieuses d’éviter le scandale, obsédées par la crainte que les sœurs ou les vieillards puissent voir quelque chose, elles se préoccupèrent surtout de cacher le corps de la malheureuse sœur en l’enveloppant dans la couverture. Elles débitaient nerveusement l’acte de contrition « Mon Dieu, j’ai un très grand regret de Vous avoir offensé… » tout en soulevant le corps que leur taux d’adrénaline à la hausse leur permit de transporter jusqu’au tambour de l’infirmerie. Sœur Adrienne s’éteignit pendant ce court trajet.
Ignorant que les deux supérieures avaient laissé la dépouille appuyée contre la porte du tambour pour aller appeler le médecin et peut-être aussi la police, cherchant à faire échec à l’affolement qui m’habitait, je pris la décision de me rendre à l’infirmerie où m’attendait mon unique patiente, sœur Ephraëm-des-Saints-Anges. Un deuxième choc m’attendait, plus sévère encore que le premier, lorsque j’ouvris la porte : le corps de sœur Adrienne, découvert, s’étala à mes pieds. Même si j’éprouvais une terrible peur de craquer, je fis un pas de côté pour contourner la tête ensanglantée qui gisait, effrayante, sur le sol. Flageolante, je pénétrais à l’intérieur de l’infirmerie quand la voix de la supérieure, qui revenait en compagnie du médecin, m’intima l’ordre de me rendre à l’oratoire.
— Je vous ferai signe lorsque vous pourrez venir pour sœur Ephraëm, me dit-elle.
— Oui, oui, ma Bonne Mère, merci, ma Bonne Mère.
En double état de choc, je passai, à l’oratoire, un horrible moment de désordre émotionnel : une voix intérieure me commandait de faire exactement comme sœur Adrienne ; je sentais une poussée à laquelle je craignais de ne pouvoir résister. Je m’agrippais de mes deux mains à ma chaise, secouée de tremblements, ne pensant à rien d’autre qu’à cette impérieuse envie de me lancer en bas du troisième étage. La crise dura jusqu’à ce que la bonne mère, sans se soucier de mon trouble, vint me tirer de ce mauvais rêve en me disant que je pouvais aller donner mes soins à sœur Ephraëm.
— Oui, ma Bonne Mère, trouvai-je la force de murmurer.
Dès le lendemain, monseigneur Perrin, évêque du diocèse, vint offrir ses condoléances à la communauté. Il demanda ensuite à la mère supérieure de me faire appeler.
Pendant qu’il me bénissait et que je m’inclinais pour baiser son anneau, il me dit qu’il avait bien reçu ma lettre.
— Vous voulez entrer au Carmel ?
— Oui, Monseigneur.
Il me posa les questions d’usage et s’adressa à moi sur un ton très paternel en me bénissant à plusieurs reprises.
— Ma Petite Sœur, me dit-il, je sais que vos supérieures vous croient dans l’erreur, mais elles ne tarissent pas d’éloges sur l’excellente petite sœur que vous êtes, ce qui justifie, à leurs yeux, que Dieu vous veut ici et pas chez les Carmélites. Mais je veux vous accorder une chance et vous soumettre à une dernière épreuve. Je vous demande de rester dans cette communauté encore deux mois. Si, au bout de ces deux mois, vous êtes toujours dans les mêmes dispositions, écrivez-moi à nouveau et je m’occuperai de vous.
Il posa ses mains sur ma tête.
— Je vous souhaite bon courage, ma Sœur. Dieu vous aime.
Le jour suivant, je croisai le confesseur qui me dit :
— Monseigneur Perrin m’a dit qu’il croyait en votre vocation de carmélite. Il m’a chargé de vous répéter que vous pouviez lui écrire à nouveau.
Une semaine passa. Le soutien de monseigneur Perrin, qui aurait dû me remplir de joie, ne faisait pas le poids avec mon obsession suicidaire. Je me sentais seule et démunie. Je n’osais en parler à personne, craignant de déranger. La mère supérieure avait été très prise par ses obligations : prévenir la famille de sœur Adrienne, préparer les funérailles, etc., et je ne voulais pas ajouter à son fardeau. Dès que je pouvais abandonner mon travail pour la demi-heure de méditation, j’étais de nouveau assaillie par la tentation de m’enlever la vie. Après avoir longuement hésité, la peur de passer à l’acte devenue trop puissante, je frappai enfin chez la bonne mère.
— Ma Bonne Mère, j’ai été fortement secouée par le suicide de sœur Adrienne et…
— Je n’en suis pas surprise, plusieurs autres sœurs n’arrivent plus à dormir.
— C’est également mon cas, ma Mère, sœur Adrienne était ma voisine d’alcôve et c’est souvent comme si elle revenait. Je revis sans cesse les événements qui ont précédé la tragédie et sa mort également. J’ai beau m’y efforcer, je ne parviens pas à chasser tout cela de mon esprit.
— Voulez-vous des calmants ? D’autres m’en ont demandé.
— Non, non, ma Bonne Mère, je crains leur effet, je vois trop la dépendance qu’ils créent chez les vieux. Donnez-moi plus de temps pour prier et je m’en sortirai, c’est Dieu qui me délivrera.
— Très bien, ma Petite Sœur. Je vais demander à sœur Léonie-de-la-Sainte-Croix de vous seconder auprès des malades ; ainsi, vous terminerez vos journées plus tôt et vous pourrez aller prier à la chapelle.
— Merci, ma Bonne Mère.
— Approchez-vous que je vous bénisse, chère enfant.
J’avais obtenu quelque chose, mais que pouvais-je espérer de plus ? Je n’avais même pas abordé le cœur du problème, je ne lui avais rien révélé de ma véritable hantise. Dans l’inconscient, je redoutais les conclusions hâtives des supérieures auxquelles j’étais habituée et je refusais de les entendre. Peut-être aurait-elle cherché à me convaincre que j’étais, tout comme sœur Adrienne, possédée du démon ? J’étais épouvantée par cette menace. Aussi, j’avais préféré remettre tout cela entre les mains de Jésus et déjà le fait de me sentir un peu plus libre pour prier me fournissait le moyen de m’unir à Lui. Ma prière me sauverait.
Après mon travail à l’infirmerie, je me rendis à la chapelle sans perdre un instant. À l’abri des regards indiscrets, cachée derrière l’autel et appuyée contre le tabernacle, j’émis un cri étouffé par les larmes : « Seigneur, je veux me tuer mais je ne veux pas ! » Cet appel au secours, expulsé de mes tripes, me soulagea quelque peu et je me repris : « Jésus, je t’en prie, vois ma faiblesse. Toi, Tu comprends que je suis secouée dans tout mon être par cette impulsion. C’est le choc, Tu le sais, le geste de sœur Adrienne m’incite à faire comme elle, je me sens poussée au suicide, mais ma raison me l’interdit. » Pendant que les larmes descendaient doucement sur mes joues, le désespoir m’envahit de nouveau et du fond de mes entrailles s’éleva un cri déchirant : « Jésus, je t’en supplie, fais quelque chose, fais quelque chose, fais quelque chose… » Le calme réapparut dans un silence bienfaisant. « Dans mon angoisse, j’ai crié vers le Seigneur… » (Ps 80, 8).
La paix revenait doucement. La notion du temps s’envolait, j’avais l’impression qu’un baume descendait en moi et qu’une merveilleuse lumière m’éblouissait lorsque mon âme fut projetée hors de mon corps. De belles images s’imposaient à mon esprit que je crus provenir de Dieu lui-même ; je voyais un enfant qui flottait, insouciant, dans le sein de sa mère. Je comprenais que l’enfant n’a aucune idée de l’apparence de sa mère, il ne la connaît que de l’intérieur. Le sein de sa mère est sa demeure et il n’a rien à craindre tant qu’il ne le quittera pas. Soudain, ma vision se fit plus nette et ma réflexion plus consciente : « Je suis présentement dans l’insécurité, mais je n’ai pas à avoir peur puisque Dieu est ma demeure. » Pour finir, il me sembla entendre la voix de Jésus qui me disait : « Tu ne me connais pas par les yeux du corps, “nul n’a jamais vu Dieu” (Jean 1 :18). Tu me connais par le dedans, tu es avec moi dans le sein du Père. Là, Il te nourrit “afin que tu sois allaitée et rassasiée à la mamelle de ses consolations, afin que tu savoures avec délices le sein de sa gloire” (Isaïe 66 : 11). Dieu est à la fois le Père et la Mère. Oui, je te nourris, je fais passer en toi la vie divine, la vie spirituelle. » Mourir serait donc sortir du sein de Dieu que j’aspirais à voir face à face…
Peut-on ici parler de miracle ? Je n’ose prononcer ce mot, mais un fait demeure : tous mes tourments se dissipèrent à l’instant. Le sein de Dieu était le plus accueillant des refuges et je goûtais pleinement la sécurité qu’Il m’offrait. Il était mon « rocher » (Ps 61,8). Je fus débarrassée pour de bon des images macabres et obsédantes qui auraient pu me conduire à un acte irréparable.
Petite Sœur d’un archevêque
Depuis sa visite à Levallois-Perret, monseigneur Norbert Robichaud m’avait fait parvenir des livres et, tel qu’il me l’avait promis, un petit souvenir de Rome ainsi qu’un parchemin signé de la main du Saint-Père et contenant sa bénédiction. Le 4 octobre 1962, il m’écrivit une lettre très touchante :
C’est l’archevêque de Moncton, de passage à Paris et en route vers Rome, qui vous écrit. J’ai conservé l’émouvante lettre que vous m’écriviez en date du 17 décembre 1961. Je me rappelle toujours votre parole : « Je prierai à vos intentions ». Ces intentions sont nombreuses et importantes. Comment pourrait-il en être autrement puisque je suis évêque et pasteur d’âmes. Et pourtant, je suis et, hélas, reste si imparfait, si humain alors qu’il me faudrait être un saint, un grand saint, pour faire tout le bien qu’il y a à faire.
Je crois vous avoir dit que je vous adoptais comme Petite Sœur en Notre-Seigneur ; si vous le voulez bien. Je ne vous connais pas beaucoup mais plusieurs raisons me portent à penser que vous êtes agréable à Dieu. Vous vous êtes donnée à Lui avec grande générosité. Il vous appelle à souffrir pour sa gloire. Il vous conduit par la main dans un sentier connu de Lui seul. Pour cela, je crois que vous êtes plus près de Lui, qu’Il vous aime. Et cela me suffit pour vous demander la faveur de prier, de souffrir pour moi qui non seulement suis prêtre mais totalement prêtre pour la gloire du Sauveur.
En ce moment surtout, j’ai besoin de vos prières et d’une part plus large de vos souffrances et de vos mérites. Car je m’en vais au Concile. Je vais être appelé à faire ma part pour le renouvellement de la sainte Église. Quel honneur ! Quelle responsabilité !
De grâce, priez pour moi s’il vous plaît !
Voici mon adresse à Rome. Peut-être aurez-vous le temps de me faire savoir si vous êtes assez bonne pour m’accorder la faveur que je vous demande.
Votre frère en Notre-Seigneur et aussi en Notre-Dame-de-l’Assomption.
Norbert Robichaud, archevêque de Moncton.
Pour accéder à sa demande, ce qui impliquait sûrement une correspondance, il me fallait obtenir la permission de mes supérieures. Ma supérieure en référa à la mère provinciale qui répondit :
— Ma Bonne Mère, s’il s’agissait de la demande d’un simple prêtre, je m’y opposerais… mais à un archevêque nous ne pouvons refuser. Dites donc à sœur Xavier-Marie-de-la-Trinité qu’elle peut consentir à la requête de monseigneur Robichaud.
Je m’empressai d’annoncer la nouvelle par écrit à l’archevêque de Moncton qui ne tarda pas à m’exprimer sa reconnaissance et sa joie dans une lettre expédiée de Rome le 19 octobre 1962, huitième jour du Grand Concile œcuménique.
* * *
Je dus, un jour, subir sans anesthésie une opération dans les fosses nasales, brûler des végétations. Je m’étais conditionnée à souffrir cela sans me plaindre pour m’unir à la Passion de Jésus.
Pendant qu’une infirmière tenait ma tête, le médecin s’affairait. Avec une grande maîtrise, je supportai la chirurgie sans émettre le moindre son ni poser un seul geste. Ma préparation surnaturelle me donnait accès à une autre dimension où la douleur et la souffrance n’avaient aucune place.
Une fois son travail exécuté, le médecin dit à la supérieure : « Vous devez donner une formation pas ordinaire à vos sœurs, c’est la première fois que je vois une personne comme ça. Elle a supporté cette opération très douloureuse sans un cri, sans bouger et sans manifester la moindre crainte. Elle semblait ne rien ressentir. »
Je repris immédiatement mon travail, ce qui stupéfia les autres sœurs. Je me sentis mal, toutefois, lorsque, très tôt, je me mis au lit. Le fait que je priais parfois pour que Dieu m’éprouve peut sembler contradictoire avec cet exercice de soustraction à la douleur et ce n’est qu’aujourd’hui que j’en prends vraiment conscience. Les contradictions abondent d’ailleurs lorsque je tente d’établir le bilan de ma vie religieuse.
Je n’en ferai pas maintenant une analyse approfondie, mais on peut facilement s’interroger sur l’absurdité de cette tentative des autorités religieuses pour nous forcer à sublimer la matière et à surnaturaliser l’être physique. Je n’étais ni plus ni moins qu’un être humain et j’étais, comme tout le monde, effrayée par la souffrance. Mon subconscient ne l’ignorait pas.
* * *
Malgré tous mes efforts, j’étais toujours et encore habitée par mon immense désir du Carmel. Je profitai d’une retraite prêchée par le père Vaderbeken, un rédemptoriste, pour exprimer une fois de plus mon ardent besoin de contemplation.
— Ma sœur, me dit-il, vous vivez une vie d’oraison et de contemplation plus intense que tout ce que j’ai pu voir chez les carmélites. Vous ne pouvez faire mieux, vous expérimentez l’oraison mystique comme très peu de carmélites arrivent à le faire, vous êtes réellement très unie à Dieu. Toutefois, ma Sœur, et je veux que vous reteniez bien ce que je vais vous dire, si Dieu vous veut au Carmel, rien ni personne ne pourra vous empêcher d’y entrer, car personne ne peut s’opposer à sa volonté. Il n’est rien d’impossible pour Dieu et nous ne pouvons imaginer les moyens qu’Il utilise.
— Mon Père, je m’efforce depuis des années de croire en ma vocation de Petite Sœur, mes supérieures affirment que c’est bel et bien ma voie et j’essaie très honnêtement de m’en convaincre. Lorsque je crois y être parvenue, mon désir enfoui dans mon subconscient ressurgit soudain plus fort que jamais.
— Ma Sœur, personnellement, je crois que Dieu vous appelle au Carmel. Mais je préfère laisser à Dieu Lui-même le soin d’en décider et croyez-moi, je vous le répète, vos supérieures ne pourront rien contre Lui. Rien ne vous arrêtera puisque le pouvoir de Dieu est illimité, aucun obstacle ne peut Lui résister.
Il me parla un peu de la pratique de la vertu chez les ermites et mit fin à cet entretien. Réconfortée par son encouragement, ce soir-là j’écrivais dans mon journal :
« Résolutions :
1. Chaque fois que je penserai au Carmel, je couperai court en m’unissant à Dieu dans le présent, consciente que, si telle est sa volonté, Il m’y conduira.
2. Je ferai par amour pour Lui tous les sacrifices qu’il me sera possible de faire en tout temps et en tout lieu.
3. J’apprécierai les contrariétés.
4. Je m’exercerai à l’affabilité et à la cordialité envers toute personne. »
* * *
Lors de la visite annuelle de mère provinciale Dolorès, j’appris avec grande joie que, pour la première fois, les Petites Sœurs infirmières et cuisinières pourraient jouir d’une retraite à l’extérieur de leur maison respective. Sortir de la maison, oublier le travail et, surtout, consacrer tout mon temps à la prière représentaient un cadeau du Ciel. Je confiai ma joie à mère Dolorès.
— Mais, ma pauvre enfant, il y a encore des choses que vous ne savez pas : premièrement, l’infirmière des hommes ne peut quitter la maison en même temps que celle des femmes ; deuxièmement, sœur Fébronie-de-Saint-Hyacinthe peut exercer son droit d’ancienneté sur vous dans cette congrégation. Ce sera donc elle qui fera cette retraite cette année et vous, vous irez l’an prochain.
J’avais écrit dans mon journal que j’apprécierais les contrariétés, j’étais servie. Ma déception, quoique grande, ne m’empêchait pas de croire que quelque chose pouvait encore se produire qui changerait le déroulement des événements. « La partie n’est pas perdue, me dis-je. Dieu peut tout. » Avant de me mettre au lit, ce soir-là, je m’agenouillai près de ma paillasse pour prier.
— Sœur Marie-de-la-Croix, Jeanne Jugan, vous qui avez été la première, vous qui avez fondé cette congrégation, vous savez, vous, qu’il ne s’agit pas d’un simple caprice de ma part, vous savez que j’ai réellement besoin de cette retraite, qu’il me faut réfléchir sur ma vocation et que je dois me reposer. Je crois que, vous, vous pouvez m’obtenir cela, si vous le voulez. Exaucez-moi !
Sans douter le moins du monde que j’irais à cette retraite, je m’endormis.
Un mois plus tard, à la récréation, la bonne mère nous annonça qu’effectivement le départ pour la retraite de sœur Fébronie-de-Saint-Hyacinthe, infirmière des hommes, et de sœur Edwidge-de-Saint-Joseph, cuisinière, était confirmé dans une lettre de mère provinciale qu’elle venait de recevoir. La retraite aurait lieu à Paris–Saint-Laurent.
Pouvais-je m’être trompée ? Je me rendis tout droit à la chapelle après la récréation.
— Jésus, non, ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible que je n’aille pas à cette retraite. J’étais tellement certaine… je T’en prie, arrange-moi cela.
Le doute commençait à m’effleurer, mais je ne voulus pas me soumettre à ses attaques et, les yeux humides, j’allai retrouver mes malades.
Le lendemain, la bonne mère me taquina.
— Eh ! bien ! Vous ne pouvez aller à la retraite, mais vous reconduirez à la gare les deux chanceuses qui y vont. Sœur Aldagonde-de-Saint-Gabriel vous accompagnera, je vais donner des instructions au chauffeur de la Citroën.
Sans enthousiasme, j’acquiesçai. Pendant tout le trajet et même en attendant l’arrivée du train, à la gare, je ne cessais de me répéter : « Non, ce n’est pas possible, j’étais certaine que j’irais. » Après avoir dit au revoir aux sœurs Fébronie et Edwidge, nous rentrâmes à la maison et j’allais enlever ma cape lorsque j’entendis le téléphone sonner. Je savais que cet appel téléphonique me concernait d’une façon ou d’une autre ; aussi j’attendis pendant que la bonne mère répondait. Lorsqu’elle revint près de moi, elle se contenta de me regarder et je m’écriai :
— Ça y est ? C’est ça, n’est-ce pas, ma Bonne Mère ?
— C’est ça, quoi ? Que voulez-vous dire ?
Me ressaisissant, je préférai me taire par crainte de m’être trompée.
— Dites-moi, allez, que vouliez-vous dire ?
— Rien, rien, ma Bonne Mère, une idée folle qui m’est passée par la tête.
— Quelle idée folle ? Parlez…
— Oh ! j’ai seulement pensé que c’était mère provinciale qui vous téléphonait pour vous dire que je pouvais aller à la retraite.
La bonne mère se mit à rire.
— Bien oui ! ma bonne Petite Sœur, vous aviez vu juste. Une petite sœur qui devait y aller est tombée malade, il reste donc une place. Mère provinciale veut que vous preniez le prochain train et elle vous accorde une faveur : vous n’avez pas besoin d’être accompagnée, ce qui est une exception à la règle, j’espère que vous réalisez votre chance.
— Oh ! ma Mère ! Quelle joie ! Quelle joie !
— Je comprends que ce soit une joie pour vous, mais ça me pose un problème : je dois vous faire remplacer à l’infirmerie.
— Mais ça tombe bien, ma Bonne Mère, je n’ai que deux malades alitées présentement, seulement deux.
Vivement, je fis mes préparatifs. Mon petit sac de coton à la main, je sautai dans le train et arrivai à Paris–Saint-Laurent un quart d’heure avant l’ouverture de la retraite.
Quelle heureuse retraite ce fut ! Aucun travail à faire entre les conférences. Cela me fut un repos et une occasion rêvée pour prier et méditer. Je déclinai l’invitation à visiter la maison pour me retirer à la chapelle. Des salles, des infirmeries, des vieillards, des sœurs, j’en voyais suffisamment ! Quel après-midi sublime en tête-à-tête avec mon Dieu ! Dans mon esprit ne subsista que la certitude que Dieu me voulait au Carmel et que tout allait s’arranger.
L’agréable visite de ma sœur, Isabelle, vint alléger le joug de mon existence archi-organisée. Nous passâmes ensemble d’heureux moments et, lorsqu’elle repartit, elle me demanda quel livre me ferait plaisir.
— Les Sept Demeures de Thérèse d’Avila, lui répondis-je.
— Bon, je l’achèterai et te le ferai parvenir.
Ce qu’elle fit. Par contre, Isabelle ne sut jamais que je ne pus voir que la couverture de ce livre. La supérieure s’en empara, décrétant qu’une telle lecture serait néfaste pour moi. Mon Dieu, soupirai-je, c’est encore elle qui sait mieux que moi ce qu’il me faut.
Cependant, aucune épreuve ne me fut épargnée pour me décourager dans ma détermination. Un mois après la retraite, animée du besoin d’en parler à quelqu’un, je confiai mon secret au confesseur.
— Mon Père, j’ai la ferme conviction que Dieu me veut au Carmel. Monseigneur Perrin m’a dit de communiquer avec lui si l’appel persistait. Non seulement il a persisté, mais il est plus fort que jamais.
— Ma chère fille, monseigneur Perrin est tombé malade, il est paralysé. Il a dû se retirer en Bretagne. Je crois que vous devez considérer cela comme une réponse du Seigneur. Il vous signifie que votre place est ici, chez les Petites Sœurs des pauvres. Restez-y donc, servez le Seigneur dans les pauvres, avec beaucoup d’amour et vous serez récompensée au centuple. Bon courage, ma Sœur.
Le guichet refermé, je me hâtai vers mon refuge, à la chapelle. Près du tabernacle, derrière l’autel, afin de ne pas être vue et renvoyée, je priais en pleurant : « Seigneur, après tout, si Vous, Vous ne le voulez pas, pourquoi le voudrais-je ? J’ai fait tout ce qui m’était possible, croyant que là était votre volonté. Vous êtes sagesse et Vous savez mieux que moi ce qui me convient. Jésus, c’est fini. Puisqu’il semble que Vous me vouliez ici, chez les Petites Sœurs, je m’abstiendrai désormais de toute démarche pour aller au Carmel. Je ferai de mon mieux pour vous servir et pour devenir une sainte, ici-même. Je Vous offre ce sacrifice pour monseigneur Robichaud et pour son diocèse, pour l’Acadie et pour que votre règne arrive sur toute la terre. »
J’étais vraiment sincère, soumise à la loi divine à cet instant précis. J’allais abandonner, j’abandonnais et pourtant, au moment de me relever, me vint une vision : je me vis devant le tabernacle, vêtue en carmélite. Cela me procura une joie sans nom, une paix plus profonde encore que tout ce que j’avais connu jusqu’alors et je compris que je n’avais plus à fournir d’effort, que cette vision était prémonitoire. C’était une projection de ma vie future, je n’avais aucun doute.
Comme on nous avait enseigné qu’il fallait se méfier de l’extraordinaire, je me résolus à ne rien dire à mon entourage. Mon silence serait mon armure contre ceux qui prétendraient que j’étais victime d’une illusion. Seule, je savais l’intensité de ma certitude, de ma joie, de ma paix et de mon espoir ; il était inutile de tenter d’y résister. C’était une question de temps et la présence de Dieu se fit si envahissante que je connus, après cela, une succession d’heures bénies où tout ce qui m’avait paru difficile me parut aisé.
Je pensai, durant cette période qui précédait mon entrée à la maison d’Elbeuf, à Padre Pio, un saint homme, stigmatisé, qui vivait en Italie. Ses nombreux dons, parmi lesquels la guérison et la voyance, lui avaient acquis une réputation mondiale. Imprégnée de confiance, je lui écrivis. Dans ma lettre, je lui relatai mon cheminement et tous les phénomènes surnaturels qui m’étaient survenus. Je lui dis même que je craignais être dans l’illusion et que je souhaitais connaître son avis. Je chargeai une femme portière bénévole de mettre ma lettre à la poste.
Padre Pio me répondit et, comble de grâce, s’exprima de façon à ce qu’aucun indiscret ne pût savoir que je lui avais écrit la première. Je ne lui avais pas parlé de la censure des lettres et, pourtant, il semblait savoir que jamais ma lettre ne lui serait parvenue si j’avais tenté de l’envoyer par les voies ordinaires. Son don de voyance lui dicta-t-il la formulation de sa réponse ? Un seul mot aurait pu tout changer et je n’aurais jamais reçu sa lettre. Sa missive était courte, mais elle contenait tout ce dont j’avais besoin :
Ma bonne Petite Sœur,
Quelqu’un m’a parlé de vous. Je sais que vous portez de grands désirs dans votre cœur. Dieu vous aime et a des vues particulières sur vous. Faites votre devoir avec amour. Vous aurez très bientôt la récompense, car tous vos vœux seront exaucés.
Je vous garde dans mon cœur et dans ma prière.
Votre humble serviteur,
Padre Pio.