CHAPITRE TRENTE-DEUX

L’impondérable

Je passais maintenant d’agréables heures de solitude dans mon petit appartement en savourant mon bonheur. Je me sentais aimée de tous, j’avais de merveilleux amis. Bref, je me sentais comblée par cette vie que je goûtais mieux depuis que mes tâches s’étaient allégées. Je reprenais ma santé en mains après l’avoir beaucoup négligée ; j’allais faire de longues marches au grand air et je surveillais mon alimentation. Mon prochain départ pour les États-Unis m’exaltait et l’avenir semblait chargé de promesses. C’est au cours d’une de mes promenades que j’eus une sorte de pressentiment ou de prémonition : je crus devoir changer de parcours pour exécuter ma marche, un chauffard pouvait me frapper. Puis, je me ravisai et chassai cette pensée de mon esprit.

J’avais une amie très chère qui habitait à Cap-de-la-Madeleine. Un matin de congé, je décidai de lui rendre visite pour lui annoncer personnellement mon départ. Après avoir bavardé avec elle pendant quelques heures, comme j’avais prévu de rentrer tôt à la maison, je déclinai son invitation à dîner et je repris le chemin du retour. Avant de sortir de la ville, je crus préférable d’acheter un quelque chose que je mangerais en cours de route. Je stationnai la voiture en face d’un magasin qui se trouvait de l’autre côté de la rue. Je m’apprêtais à traverser à pied lorsque survint l’accident : je fus violemment heurtée par une automobile et perdis conscience sur-le-champ. Quand je revins à moi, j’étais allongée sur une civière, dans une ambulance et, à mes côtés, se trouvait un journaliste qui m’avait reconnue ; il avait insisté pour m’accompagner.

— Andréa, me reconnaissez-vous ? me demanda-t-il, je suis le fils de monsieur Jalbert. Voulez-vous que je prévienne quelqu’un ?

Dans un murmure, je soufflai :

— Oui, oui, s’il vous plaît, appelez monseigneur Éric Castonguay et ma sœur, Isabelle, à Montréal.

Je fus admise aux soins intensifs et mon état fut considéré comme critique pendant deux jours. Le bilan : multiples fractures au bassin, au col du fémur, à huit côtes, au tibia et à l’épaule.

Je ne conserve de la semaine que je passai à ce service que des souvenirs flous. Comme dans un brouillard, je voyais Isabelle et son mari, également médecin ; puis j’entendais la voix d’Huguette et celle d’Étienne qui, prévenu par ma jumelle, avait fait le voyage du Nouveau-Brunswick. Éric aussi était là. J’avais connaissance de leur présence qui me rassurait, mais je ne répondais guère aux stimuli de leurs paroles. Une image très vague d’Éric m’est restée : il se tenait debout, au pied de mon lit et ne cessait de répéter : « Andréa, je suis là. »

En quittant les soins intensifs, je fus transférée dans une chambre à occupation double que je devais partager avec un homme dont les visiteurs furent si bruyants qu’Huguette obtint pour moi une chambre individuelle. Je n’avais pas suffisamment d’argent pour me payer ça ! Lorsque l’Assurance automobile du Québec me fit parvenir le montant de ma réclamation, ma mère et mes deux sœurs, qui avaient payé la chambre, refusèrent d’être rem­­boursées.

Tout au long de mon séjour à l’hôpital, je fus réconfortée par une surabondance de témoignages d’amitié et de sympathie. Les pauvres infirmières, constamment dérangées par les appels téléphoniques de ceux qui prenaient de mes nouvelles, démontrèrent une patience qui aurait pu leur mériter une médaille. Même monseigneur Rioux se déplaça pour me rendre visite et me bénir à l’hôpital et il revint prendre de mes nouvelles chez moi. J’étais certes touchée par ce geste.

Ma meilleure amie, Yvette, me remplaça à la direction de l’Arche pendant toute la durée de ma convalescence et le fit de façon irréprochable. Enfin, je n’ai que des remerciements à faire à toute ma famille, à mes amis, au personnel de l’hôpital et à mes collègues. Sans eux, l’année de physiothérapie à laquelle je dus m’astreindre n’aurait pas été de tout repos.

Je fus l’objet de tant et tant d’attentions que je ne pourrais les mentionner toutes, mais il y a quelques anecdotes qui méritent d’être citées. Je n’occupais ma chambre d’hôpital que depuis deux semaines lorsque le représentant de la compagnie d’assurances vint m’interroger. Je ne me souvenais pas de grand-chose puisque j’avais perdu connaissance sur le coup. Au moment de partir, il se retourna et me lança :

— Au fait, savez-vous que la personne qui vous a fauchée s’appelle madame Faucher ?

La compagnie d’assurances de la dame Faucher en question, qu’on le croie ou non, me réclama un dédommagement pour le bris de son véhicule. Je n’en croyais pas mes yeux en lisant sa lettre. Moi qui ne pesais que cent quatre petites livres, qui me retrouvais en morceaux et que cet accident avait presque tuée ! Je me demandais également pourquoi on venait m’ennuyer à l’hôpital ! La vulnérabilité et l’extrême sensibilité des grands accidentés ne devraient-elles pas être prises en compte ?

À ma sortie de l’hôpital, six semaines plus tard, la dame me menaça d’entamer des poursuites à défaut de ma part de lui payer cinq cents dollars. Sur le conseil de mon frère Étienne, je consultai un avocat de l’Aide juridique qui rédigea une mise en demeure à l’endroit de madame Faucher et je n’en entendis plus parler.

Il y eut aussi une femme qui, apprenant que seuls les membres de ma famille étaient autorisés à me voir, se fit passer pour ma sœur pour parvenir jusqu’à ma chambre. Puis un infirmier qui prétendit être tombé amoureux de moi : il me dorlotait, me frictionnait, m’aidait à me déplacer, passait tout son temps libre avec moi tout en me promettant de bien s’occuper de moi si je consentais à répondre à son amour. C’était un beau garçon, très attirant, qui eut pu, si mon amour pour Éric n’avait pas été ce qu’il était, me convaincre. Je rentrai à la maison dans un fauteuil roulant et commençai ensuite une pénible rééducation. Lorsque, aidée par mon physiothérapeute, je pus faire quelques pas, je passai à la marchette à laquelle succédèrent les béquilles puis la canne. Seuls les calmants parvenaient à apaiser momentanément mes douleurs. J’en devins dépendante. Quand j’absorbais ces petites pilules, la douleur s’estompait et je me détendais ; leur effet me plongeait dans la béatitude et dans la présence de Dieu. Pendant deux heures, j’oubliais tout et souhaitais seulement que personne ne vienne troubler ma félicité. Je comprenais à présent la torture des drogués. Il me fallait m’affranchir de cet esclavage ! Je diminuai donc moi-même la dose du médicament et j’acceptai qu’on le remplace par quelque chose de moins fort. Il en résulta de persistantes insomnies que je ne parvins à vaincre qu’après plusieurs mois.

On m’a débarrassée, après plusieurs années, d’une tige de métal dans la jambe, dernière opération qui ne m’a laissé qu’un léger boitement. Pendant toutes ces années où j’ai travaillé sans relâche à la reconstruction de mon corps, j’ai été en mesure d’apprécier le don de la vie à sa juste valeur. Comment remercier le docteur Martin Milot pour son dévouement et sa compétence, car c’est aussi grâce à lui que je suis encore vivante aujourd’hui. J’ai eu tout le temps, pendant ma convalescence et surtout pendant mon année de physiothérapie, de me faire une idée bien précise de mon échelle de valeurs et de mes priorités. Je n’ai jamais cessé de croire en Dieu et en la prière. C’est à l’intégrité de l’Église que je ne crois plus. Je reconnais, au demeurant, ses œuvres bénéfiques et le bien pour notre monde qui a pu en découler. Quant à la vie religieuse, dite religieuse, si je peux louer ses actions dans le domaine de l’enseignement, des soins aux malades et de l’assistance aux indigents, je déplore son encadrement malsain. Cela ne m’aveugle pas sur les grandes qualités d’un grand nombre de personnes que j’ai connues dans ce milieu. Leur évidente bonne foi les a trompées, tout comme je m’étais trompée moi-même. La vie dite religieuse m’a révélé des êtres aussi immatures que malhonnêtes mais j’ai pu, grâce à elle, faire la connaissance d’adultes exceptionnels dont la probité ne faisait aucun doute. J’y ai conservé de nombreux amis qui ont choisi ou se sont vus obligés de demeurer dans leur communauté en raison de leur âge, de leur manque d’instruction ou pour d’autres raisons personnelles. Certains d’entre eux livrent un combat utile au renouveau de la religion et d’autres, comme Éric, évoluent en menant plus ou moins ouvertement une double vie.

Et qu’advint-il de mes amours ? L’accident, forcément, avait changé nos plans et Éric fut probablement aussi déçu que moi ; mais il ne montra jamais son désappointement. Il demeura au contraire l’être attentif et prévenant qu’il avait toujours été.

J’étais encore confinée à ma chaise roulante lorsque sa propre santé se mit à décliner. Il souffrait d’horribles maux de ventre qui le poussèrent à consulter. De la bouche de son médecin, il apprit qu’il était atteint d’un cancer aux intestins pour lequel il dut subir une opération. Il entra dans une période de rémission qui nous laissa espérer la guérison. Nous n’avions pas abandonné l’idée de partir aux États-Unis dès que nous serions rétablis.

À chacune de ses visites, je le découvrais plus faible et plus maigre que la fois précédente. Un soir, je ne pus m’empêcher de lui en faire la remarque et de lui manifester mon souci.

— Tu n’as vraiment pas l’air bien, mon chéri, c’est moi qui aurais dû aller chez toi.

— Mais non, mais non… ça va. Et puis, tu es en chaise roulante ! Tu verras, je guérirai. Ce n’est qu’un mauvais moment à passer.

Mais, ce soir-là, il ne parvint pas à me convaincre. Il avait perdu tellement de poids qu’il était méconnaissable. Il finit par m’apprendre que son cancer avait commencé à se propager au foie.

— Non ! Non ! m’écriai-je en pleurant.

Je saisissais soudain tout ce que cet aveu signifiait : Éric, mon amour, Éric allait mourir ! Il ferait son voyage tout seul, sans moi. Adieu les beaux rêves, adieu les beaux projets, adieu le mariage, adieu mon amour. Dans les bras l’un de l’autre, nous pleurions sur notre misérable sort, à la fois résignés et désespérés. Avec quelle difficulté je le vis partir ! J’aurais voulu pouvoir le suivre, me lever de cet abominable fauteuil sur roulettes et courir derrière lui pour ne plus le quitter. J’avais le pressentiment qu’il ne reviendrait plus, que nous venions de vivre notre dernière étreinte, que, oui, c’était une sorte d’adieu.

Nous nous appelions tous les jours. Au moment où je raccrochais, je craignais d’avoir entendu sa voix pour la dernière fois. J’étais obsédée par le désir de le voir, de le soigner comme j’en avais soigné tellement d’autres. Poussée par cette idée fixe, je mis tellement d’efforts et de détermination dans ma physiothérapie qu’au bout de trois semaines je marchais avec une canne. Éric venait de s’aliter définitivement lorsque je me rendis à son chevet. Mon pauvre amour ! Mon pauvre amour ! Je ne tiens pas à décrire son apparence physique, ce serait inutile. Tout ce que je peux dire, c’est que je fus épouvantablement secouée en le voyant. Je pris le dîner avec Nicole, sa secrétaire et il fut convenu que je reviendrais le lendemain pour l’assister dans les soins nécessités par l’état d’Éric.

Lorsque je revins, le jour suivant, Nicole, qui était débordée, me confia l’organisation des soins. Le médecin venait chaque jour et des infirmières du CLSC s’occupaient du service de nuit. Quand j’avais besoin d’aide, le CLSC m’envoyait une infirmière pour me seconder le jour.

La secrétaire d’Éric était une femme absolument merveilleuse : elle avait compris la nature des sentiments qui m’attachaient à lui. Aussi, elle approuva ma décision de m’installer en permanence chez lui. Le jour, ma présence la rassurait, elle pouvait ainsi s’occuper de ses propres affaires et entretenir la maison. Éric ne cessait de répéter qu’il était heureux que je sois là, près de lui.

— Toi, ma chérie, et Nicole, vous êtes les deux femmes que j’aurai le plus aimées et appréciées, disait-il en souriant.

Son agonie fut sans doute la chose la plus éprouvante et la plus douloureuse que j’ai eue à supporter dans ma vie. Heureusement, la mort vint mettre un terme à sa souffrance assez rapidement. Le cancer dont il était atteint avait été foudroyant. J’étais à ses côtés lorsque, ce jour de mai 1992, il s’éteignit. J’eus le privilège de lui fermer les yeux, ses yeux qui se tournaient maintenant vers un ailleurs plus serein, ses yeux qui ne me regarderaient plus, mais dont le regard resterait à jamais gravé en moi.

Nicole, qui s’était absentée, croisa les ambulanciers qui transportaient sa dépouille. En entendant l’infirmière entonner Ce n’est qu’un au revoir, elle comprit que tout était fini. Sur son visage s’inscrivirent alors sa désolation et sa déception de n’avoir pas été présente à son dernier souffle.

Le corps d’Éric fut exposé pendant quelques jours et une foule incroyable défila devant son cercueil, une foule venue l’honorer et prier pour lui. On me confia l’animation de la prière et le libre choix de mes assistants pour ce ministère, le dernier que j’exercerais en compagnie d’Éric.

Je fus chargée de préparer la liturgie des obsèques, en collaboration avec le curé de la paroisse qui me permit de faire la lecture de la messe, comme l’avait souhaité Éric. J’ai toujours pensé que le curé avait deviné notre secret et qu’il s’était volontairement fait notre complice. Si tel a été le cas, et s’il se reconnaît, je l’en remercie de tout cœur.

Je désire également exprimer ma gratitude à quelques autres personnes dont le soutien me fut d’un immense réconfort : à un évêque parmi ceux qui assistèrent aux funérailles et qui connaissait la vérité ; il manifesta plus que de la sympathie à mon égard. À Nicole aussi, qui me remit de précieux souvenirs appartenant à Éric, des objets que j’ai conservés jusqu’à ce jour. Et finalement, à Monseigneur Conrad, évêque d’un diocèse ontarien et ami intime d’Éric, qui m’appela par la suite. Nos conversations me firent le plus grand bien ; il me comprenait, ayant lui-même vécu une situation similaire et décidé, comme Éric et moi l’avions fait, de rompre avec la femme qu’il aimait pour satisfaire aux exigences de l’Église. Conrad connut le même sort qu’Éric ; il mourut quelque temps après, terrassé par le même cancer, mais sans la présence à ses côtés de celle qu’il avait continué d’aimer.

Pour pallier le vide immense qui suivit le décès d’Éric, je me jetai à corps perdu dans le travail ; l’Arche d’alliance vivait justement un important changement d’orientation. Il me fut quand même très difficile de vivre mon deuil dans le secret et la solitude. Personne dans ma famille, sauf Isabelle, ni dans mon entourage n’était au courant que nous vivions maritalement. Je pleurais Éric comme je l’avais aimé : en silence. Mais, si je me taisais sur ma douleur, je gardais aussi pour moi seule les merveilleux moments que nous avions partagés, les plus grands moments de ma vie de femme.

Lorsque j’appris la maladie de Conrad, je fis des préparatifs pour aller le visiter mais, au même moment, mon père tomba gravement malade et je partis pour le Nouveau-Brunswick au lieu d’aller en Ontario. Conrad et mon père moururent le même jour, en mai 1993. Après la mort de Conrad, on me fit parvenir des souvenirs qu’il m’avait légués. Mais le plus beau souvenir demeure sans conteste sa profonde et durable amitié envers Éric et moi.

Je fus affectée par la disparition de papa. Ma mère dit encore de lui qu’il était un saint. Chose certaine, il nous avait aimés et l’avait maintes fois manifesté et prouvé. Bien des gens témoignent encore aujourd’hui de sa grande générosité et de sa contribution au mieux-être de l’Acadie. À bien des égards, je crois que mon père était un grand homme qui exprimait son amour à sa façon. N’avait-il pas refusé, après la mort du lieutenant-gouverneur, de lui succéder ? Malgré ses hautes compétences politiques, il avait renoncé à cet honneur par amour pour maman qui aurait souffert des nombreuses obligations auxquelles il aurait été contraint. Il invoquait le besoin de rendre à son épouse une partie de son dévouement pour expliquer sa décision. À ses funérailles, il reçut un vibrant éloge de la part du premier ministre Robichaud avec qui il avait déjà travaillé et qu’il avait, à un certain moment, en 1970, remplacé par intérim.

Dans l’année qui suivit le décès de mon père, il se produisit un étrange phénomène lorsqu’une amie de longue date demanda à me voir, à Montréal. Il fut convenu que je la rencontrerais chez elle, après un autre rendez-vous au centre-ville. Au moment de me rendre à son domicile, je me rendis compte que j’avais oublié à Shawinigan le bout de papier sur lequel j’avais inscrit l’adresse et le numéro de téléphone d’Aline. Après avoir bien cherché dans la voiture, je résolus de vérifier dans l’annuaire téléphonique. Le nom d’Aline n’y figurait pas, ni celui de son mari. Je me résignai donc à rentrer chez moi, un peu déçue et me reprochant mon étourderie. Je connaissais très peu Montréal et je n’étais préoccupée que par la direction à prendre pour revenir sur l’autoroute. À tout hasard, j’optai pour un virage à droite sur un boulevard d’où j’aperçus le pavillon Maisonneuve-Rosemont. Je décidai d’y entrer pour jeter un nouveau coup d’œil à l’annuaire ; cette visite manquée à mon amie Aline ne me plaisait pas du tout. Je fis le tour du stationnement, mais ne trouvai aucune place libre. « Je trouverai bien un annuaire ailleurs » me dis-je. Juste en face du pavillon, se trouvait une école, le pensionnat Notre-Dame-des-Anges. « Ça y est, je vais aller là et demander s’il y a un téléphone public », pensai-je. Je trouvai une place pour stationner et me présentai à la réception où je fus reçue par une religieuse. Malheureusement, non, il n’y avait pas de téléphone public dans cet endroit. « Mais entrez, me dit-elle, vous pourrez téléphoner dans mon bureau. » Nouvelle consultation dans l’annuaire mais sans succès.

— Merci, ma Sœur, mais je ne pourrai pas faire mon appel ; je ne trouve pas les noms de Caroline ou d’Aline Comeau.

— Caroline Comeau ! mais nous avons ici une petite fille dont la mère s’appelle Julie Comeau.

— Julie ! C’est en tout cas le nom de la fille de mon amie, répondis-je, médusée. Oui, j’en suis certaine, Julie, c’est bien son nom.

— Laissez-moi consulter la liste des élèves…

C’est ainsi que j’appris que mon amie habitait à deux coins de rue du pensionnat. La religieuse me donna son numéro de téléphone et tout rentra dans l’ordre.

N’était-ce pas incroyable ? Intrigant ? Au cœur d’une si grande ville, le hasard peut-il vraiment exister ?

L’événement que je viens de raconter m’amène à faire une mise au point sur les expériences paranormales dont j’ai fait état à quelques reprises. Qu’il s’agisse de rêves prémonitoires, de perceptions intuitives de l’avenir ou de phénomènes reliés à la lévitation et à la guérison spirituelle, je tiens à préciser, afin de ne fausser en rien l’opinion du lecteur, que je ne possède aucun véritable don médiumnique. Je dis donc à ceux qui seraient tentés de le croire que je ne suis nullement dotée de pouvoirs exceptionnels.

La vie de chaque être humain comporte, selon moi, sa part de mystère. J’ignore à quoi attribuer ces phénomènes et je ne leur accorde qu’une importance relative. Du reste, ils ne se sont produits que de façon très sporadique. J’ajoute que ces facultés extrasensorielles, s’il s’agit bien de cela, ne m’ont pas beaucoup servi, ne s’étant pas manifestées opportunément dans ma vie ; elles ne m’ont jamais évité non plus de glisser dans les erreurs, grandes ou petites, que j’ai pu commettre. On admettra que ces expériences, échelonnées sur une période de soixante ans, peuvent être considérées comme rares et très occasionnelles.