note sur les fantômes


Je vis avec plus de fantômes que de vivants. Je les adore, ils m’agacent, nous ne pouvons pas nous quitter. Frank O’Hara est né à Baltimore en 1926 et meurt à New York en 1966, sur une plage, comme Pasolini, mais renversé par une voiture ; le monde assoiffé du malheur des artistes en parle donc moins. Il était beau, il était gay, la poésie lui coulait des doigts, comme Apollinaire, comme Max Jacob, à qui il ressemble tant.

Tentons de l’aider à traverser l’océan en traduisant un de ses poèmes.

Allez, un autre. Un poème de ses débuts, il avait vingt-trois ans (vingt-huit au précédent) et surtout n’avait rien publié ; tant qu’on n’a pas publié on n’a pas d’âge. Je crois à la nécessité de la publication pour l’existence de l’écrivain. Un manuscrit n’est pas un livre. Nous nous rappelons, nous autres qui l’avons fait, la douleur que communique l’attente d’être publié. De la pudeur que nous avons mise avant d’oser nous dire écrivains, ce mot réservé aux héros qui nous avaient aidés à vivre. Ce poème de Frank O’Hara est très proche de ce que j’ai pu être au même âge, le poème « Fuir Tarbes » du Chauffeur est toujours seul a la même tonalité, pourtant je ne l’ai lu que bien des années plus tard. Si individuels que nous nous croyons, nous sommes les représentants impudiques d’émotions générales. (Je n’aime pas que ce qui me ressemble.)

Si l’on veut écrire, je crois qu’il n’est pas mauvais de conserver cette naïve extase. Chaque livre est un recommencement dans la plus totale fraîcheur. Il n’y a pas de technique. On n’apprend rien, chaque livre crée des nécessités nouvelles. C’est tuant. C’est rassurant. À ceux qui font des choses il faut des obstacles. Sans cela nous serions trop loin, inutiles, fous, et qu’on veuille bien croire que la folie est ce qui me fait le plus peur pour moi-même.