MICHEL FÉDOU, S.J.
Professeur au Centre Sèvres
« Et vous, qui dites-vous que je suis ? » demanda Jésus à ses disciples ; l’un d’eux, Simon-Pierre, fit cette réponse : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16 15-16).
La « christologie » a pour objet d’expliciter la portée de cette confession de foi qui est au fondement même du christianisme. Comment comprendre que des croyants aient reconnu en Jésus de Nazareth, non pas simplement un homme parmi d’autres, mais le « Messie » ou le « Christ » attendu par les Juifs ? Qu’est-ce qui était au cœur de son enseignement et de ses actes ? Quelle fut la signification de sa mort et de sa Résurrection ? Comment les premières communautés chrétiennes en sont-elles venues à identifier Jésus avec le Fils de Dieu et le Sauveur de l’humanité ? Comment l’Église a-t-elle rendu compte de son identité unique, malgré ou à travers les débats et conflits qui ont marqué son histoire ? Comment accueillir aujourd’hui la Révélation de Jésus-Christ, alors que deux mille ans nous séparent de son existence terrestre et que nous sommes plus que jamais sensibles à la diversité culturelle et religieuse de notre monde ?
Il est non seulement légitime mais nécessaire que l’on rassemble d’abord quelques données sur la vie de Jésus en son temps : il y va du sérieux de la foi chrétienne, qui entend bien se fonder sur un événement survenu dans notre histoire, et non point sur un mythe.
Cette question a retenu l’attention de nombreux historiens et exégètes à l’époque contemporaine, et s’est avérée beaucoup plus complexe que l’on ne le croyait généralement dans le passé. Au 19e siècle parurent un certain nombre de Vies de Jésus ; cependant, Albert Schweitzer montra en 1906 que les auteurs de ces vies avaient souvent projeté sur Jésus leurs propres représentations, et que leur quête du « Jésus historique » se soldait ainsi par un échec.
Un peu plus tard, l’exégète Rudolf Bultmann souligna que les évangiles ne transmettaient pas d’abord des documents d’ordre historique, mais un kérygme, c’est-à-dire une « proclamation » qui devait être accueillie dans la foi : la confession de Jésus comme Christ et Seigneur ; Bultmann ne considérait dès lors comme historiques que quelques données des évangiles (telles que la naissance de Jésus sous Auguste, son ministère en Galilée, sa mort sous Ponce Pilate), et invitait pour le reste à un travail de « démythologisation ».
Mais un autre exégète de la génération suivante, Ernst Käsemann, montra qu’au nom même du kérygme il fallait prêter grande attention au « Jésus terrestre » : certes, on ne peut comprendre celui-ci qu’à la lumière de Pâques, mais à l’inverse le message « Christ est ressuscité » implique que l’on connaisse suffisamment l’histoire de Celui qui est ainsi confessé dans la foi. C’est ce que l’on a appelé la « deuxième quête du Jésus historique ».
L’époque actuelle témoigne d’une « troisième quête », habitée par la préoccupation de mieux situer Jésus dans le contexte des courants juifs de son temps, et utilisant à cette fin les acquisitions récentes de la science historique. L’œuvre monumentale de l’exégète nord-américain John Paul Meier (Un certain Juif, Jésus. Les données de l’Histoire) représente à bien des égards un point d’aboutissement de toute la recherche menée sur le « Jésus historique » durant les dernières décennies.
En dehors de quelques brefs passages écrits par des auteurs non chrétiens (comme Tacite ou Pline le Jeune, et surtout l’historien juif Flavius Josèphe), ce sont les évangiles qui sont notre source essentielle d’information – même si un bon nombre de données historiques y sont remaniées et même transformées à la lumière de la confession de foi pascale.
En fait, la recherche a permis d’établir que Jésus est né... quelques années avant J.-C. ! (Ce paradoxe s’explique par une erreur d’un moine des 5e-6e siècles, Denys le Petit, à qui l’on doit le calendrier numérotant les années à partir de la naissance de Jésus.) Quoi qu’il en soit de la date, nous savons que Jésus fut élevé à Nazareth et y pratiqua un métier d’artisan. Puis, il exerça son ministère public – et cela durant trois petites années seulement (à partir de l’automne 27 sans doute, jusqu’à sa mort au mois d’avril de l’année 30). Baptisé par Jean, dont il fut d’abord disciple, il commença à proclamer : « Le temps est accompli et le Règne de Dieu s’est approché. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » (Mc 1 15).
Il apparaissait ainsi comme le prophète ultime, annonçant que Dieu était intervenu dans l’histoire pour l’instauration d’un royaume de justice et de paix, mais indiquant aussi que cette intervention, pour produire ses effets, impliquait de la part des hommes un changement de vie. Jésus apparaissait aussi comme un maître de sagesse à la manière de certains pharisiens, prêchant dans les synagogues et réunissant autour de lui un cercle de disciples ; mais il se démarquait de ces pharisiens par certains traits, notamment par sa position par rapport au sabbat et par son accueil des publicains ou des pécheurs. On lui reconnut en tout cas une grande « autorité », qu’il ne tenait d’ailleurs pas seulement de ses paroles mais aussi de ses actes : les évangiles rapportent bien des épisodes où on le voit guérir un malade, délivrer un possédé ou pardonner à un pécheur.
Mais le ministère de Jésus suscita en même temps de violentes hostilités et, tandis que ses partisans reconnaissaient en lui le Messie, ses adversaires complotèrent contre lui et trouvèrent le soutien des pouvoirs publics à Jérusalem : il subit le supplice de la crucifixion, que les Romains infligeaient aux condamnés des classes inférieures de la société.
Cependant, dans les jours qui suivirent, plusieurs qui avaient été ses disciples furent persuadés de l’avoir vu vivant et proclamèrent que Dieu l’avait ressuscité d’entre les morts. Les évangiles témoignent de ses apparitions jusqu’au moment où il fut « emporté au ciel » (Lc 24 51), et l’apôtre Pierre, le jour de la Pentecôte, proclame à la foule assemblée : « Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié » (Ac 2 36). Certes, le fait de la Résurrection, comme tel, ne peut pas être objet de la science historique ; mais il est certain que des témoins ont dit avoir vu Jésus ressuscité, qu’ils ont transmis la nouvelle autour d’eux, et que s’est ainsi formée la première communauté chrétienne.
Divers noms ou « titres » ont été alors appliqués à celui que Dieu avait délivré de la mort : non seulement celui de « Christ » (désignant le Messie d’Israël), mais aussi « Seigneur », « Fils de Dieu », « Fils de l’homme », « Verbe de Dieu » et d’autres encore. Des hymnes au Christ se répandirent çà et là, des récits circulèrent au sujet de sa vie, et peu à peu se constituèrent des écrits qui formeraient, quelques décennies plus tard, le corpus du Nouveau Testament. La « christologie » était née (même si le mot lui-même date seulement de l’époque contemporaine) – ou plutôt les « christologies », car, bien que les écrits néotestamentaires se réfèrent tous au même événement de Jésus-Christ mort et ressuscité, ils le font chacun à sa manière propre, en fonction de leurs auteurs et de leurs destinataires ; leur diversité même témoigne comme telle du mystère auquel ils renvoient et dont aucun langage ne saurait à lui seul rendre compte.
Les énoncés essentiels sur le Christ constituent ce qu’on appelle le « deuxième article » des Symboles de foi, après celui sur le Père et avant celui sur l’Esprit. L’un de ces Symboles, qui a reçu le nom de « Symbole des apôtres » et dont les expressions viennent pour la plupart du Nouveau Testament (même s’il n’a atteint sa formulation complète qu’au 8e siècle), reprend sous forme affirmative la profession de foi que l’on faisait, dans l’Église de Rome, lors de la célébration du baptême :
– Crois-tu au Christ-Jésus, Fils de Dieu, qui est né par le Saint-Esprit de la Vierge Marie, a été crucifié sous Ponce Pilate, est mort, est ressuscité le troisième jour vivant d’entre les morts, est monté aux cieux et est assis à la droite du Père ; qui viendra juger les vivants et les morts ?
– Je crois.
Le Symbole de Nicée-Constantinople, promulgué en 381, est plus développé que le précédent. En effet, il ne mentionne pas seulement les mystères de la vie de Jésus (sa naissance, sa crucifixion, sa Résurrection...), mais il fait précéder ces mentions de quelques formules évoquant la génération éternelle du Fils : Jésus-Christ est « l’unique engendré, qui a été engendré du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait ». Cette addition sur l’origine du Christ reprend les formules employées en 325 par le concile de Nicée contre la thèse d’Arius qui, comme on le redira plus loin, voyait dans le Christ une simple créature.
De fait, le dogme christologique ne s’est pas élaboré sans tensions ni conflits. D’une part, les chrétiens ont dû répondre aux contestations émanant de ceux qui ne partageaient pas la foi chrétienne ; d’autre part, il a fallu débattre au sein même du christianisme sur l’identité de Jésus-Christ et sur la juste manière d’en parler. Ces défis ont tenu une place majeure dans les premiers siècles de l’histoire de l’Église, et il importe d’en avoir connaissance pour bien comprendre le sens de la confession de foi christologique.
Les chrétiens ont d’abord dû répondre aux objections qui leur étaient adressées par le judaïsme. Ainsi Justin, au 2e siècle, dans son Dialogue avec le Juif Tryphon : face à son interlocuteur pour qui Jésus n’est pas le Messie attendu par Israël, il montre comment les événements rapportés à son propos étaient en fait prophétisés dans les Écritures. Cela vaut pour la naissance virginale : cette tradition était prédite par Isaïe quand il disait : « Voici que la vierge est enceinte et enfante un fils » (Justin suit ici la traduction grecque d’Is 7 14, qui employait le mot « vierge » alors que la version hébraïque employait un mot signifiant « jeune femme »).
L’argumentation prophétique vaut aussi pour les paroles et les actes de Jésus, et surtout pour sa Passion et sa mort sur la Croix. Aux yeux du Juif Tryphon, celles-ci manifestaient que Jésus n’était pas le Messie de gloire attendu par Israël ; mais Justin répond que les Écritures anciennes annoncent bien un Serviteur souffrant (Is 52 13 et suiv.) et un Juste persécuté (Ps 21) ; la perspective d’un Messie glorieux n’est pas pour autant perdue de vue, car il importe de distinguer deux « venues » (ou « parousies ») du Seigneur, qui s’est d’abord révélé dans l’humilité et a connu la mort, mais qui reviendra un jour dans la gloire.
Les chrétiens ont aussi eu à défendre leur foi contre des courants dits « hérétiques ». Ainsi ont-ils combattu le « docétisme » (c’est-à-dire le courant selon lequel Jésus n’aurait eu qu’une apparence d’humanité), ou encore l’« adoptianisme » (d’après lequel Jésus n’aurait d’abord été qu’un homme, ultérieurement « adopté » pour devenir « fils de Dieu »). Les chrétiens des premiers siècles ont opposé à ces doctrines que Jésus était « vrai homme » en même temps que « vrai Dieu ».
Ils ont surtout combattu la doctrine de Marcion qui, au 2e siècle, opposait de façon radicale le Dieu de l’Ancien Testament et le Dieu révélé par Jésus ; face à lui, plusieurs Pères de l’Église (en particulier Irénée et Tertullien) ont établi à partir des Écritures qu’il y a en réalité un seul Dieu : le Dieu révélé par Jésus n’est pas autre que le Dieu créateur du monde. S’il est vrai que la Bible attribue parfois à Dieu des sentiments comme la jalousie ou la colère, c’est que la Révélation se fait en diverses étapes et qu’une pédagogie divine est à l’œuvre pour permettre à l’humanité de s’ouvrir à la connaissance du vrai Dieu.
Il faut enfin souligner le combat que les Pères de l’Église ont mené contre les courants « gnostiques ». À ces doctrines, qui se caractérisaient notamment par diverses formes de dualisme (par exemple, entre le Créateur et le Sauveur, ou encore entre un Christ céleste et un Christ terrestre), Irénée oppose la Tradition reçue des apôtres et souligne l’unité de Jésus-Christ qui a « récapitulé » Adam en sa propre personne ; bien plus, développant une véritable théologie de l’histoire, il présente Jésus-Christ comme le Verbe de Dieu qui au terme « récapitulera » toutes choses, c’est-à-dire toute l’humanité ainsi que l’univers lui-même.
Il fallait enfin répondre aux objections des « païens » qui, au nom de leur propre héritage religieux, s’en prenaient ouvertement aux croyances des chrétiens. Ce fut notamment le cas de Justin dans son Apologie, et surtout d’Origène qui, vers 248, écrivit une grande apologie du christianisme contre le philosophe Celse. Celui-ci, de fait, avait rassemblé un certain nombre d’arguments contre la foi au Christ : il opposait aux évangiles les légendes relatives à des héros de la religion grecque ; il mettait en cause le témoignage de la Résurrection ; il contestait que la doctrine chrétienne, si récente dans l’Histoire, pût rivaliser avec les antiques traditions des différents peuples ; il n’admettait pas que le divin ait pu prendre un corps d’homme comme l’affirmaient les chrétiens.
Mais Origène réfute toutes ces objections : les récits évangéliques ne le cèdent en rien aux légendes des héros invoqués par Celse, et s’avèrent au contraire bien plus crédibles que celles-ci ; la Résurrection repose sur des témoignages solides, confirmés aujourd’hui même par l’existence des chrétiens et leur empressement à suivre jusqu’au bout leur Seigneur ; certes, la naissance du christianisme est récente, mais la venue du Christ était longuement préparée et prophétisée dans les siècles antérieurs ; et si le Verbe de Dieu a assumé les limites d’un corps humain, dans un lieu et un temps uniques de l’Histoire, c’est pour que, par sa présence même en notre monde et par la diffusion de l’Évangile aux limites de la Terre, l’humanité puisse se laisser conduire à Dieu et communier à sa vie.
Plus tard encore, même après la reconnaissance du christianisme comme religion de l’Empire (à la fin du 4e siècle), les chrétiens auront à rendre compte de leur foi au Christ face aux objections venues du judaïsme et du monde païen. Cependant, comme cela avait déjà été le cas lors des premiers débats avec le « docétisme » ou l’« adoptianisme », ils vont être surtout confrontés à de vives controverses au sein même du christianisme, et c’est justement à travers ces controverses que le dogme christologique va peu à peu trouver une formulation plus précise.
La première crise du 4e siècle fut déclenchée par le prêtre Arius qui, à Alexandrie, présentait le Christ comme étant simplement une créature (fût-ce une créature préexistante et donc supérieure aux autres). Le concile de Nicée condamna cette doctrine en affirmant que le Christ était « engendré, non pas créé, consubstantiel au Père ». Mais comment fallait-il entendre cette dernière expression ? Dans la mesure même où l’on reconnaissait ainsi la divinité du Fils, ne serait-on pas tenté d’atténuer quelque peu l’affirmation de sa pleine humanité ? Dans la seconde moitié du 4e siècle, l’évêque Apollinaire céda à cette tentation en affirmant : certes le Christ a pris un corps et une âme, mais c’est le Verbe de Dieu qui, en lui, a tenu la place de l’esprit. Cette thèse impliquait que le Christ n’avait pas pleinement assumé notre humanité, et c’est pourquoi elle fut rapidement condamnée.
Mais c’est au 5e siècle que vont éclater les deux principales controverses, celles qui vont occasionner les conciles d’Éphèse et de Chalcédoine.
Nestorius et le concile d’Éphèse
La première est liée aux noms de Nestorius et de Cyrille d’Alexandrie. Alors que le premier avait été élu patriarche de Constantinople, en 428, il s’en prit aux chrétiens qui vénéraient Marie comme « mère de Dieu ». Voulait-il, par là, affirmer une séparation entre la nature humaine et la nature divine du Christ ? Un tel jugement est sûrement excessif, car Nestorius tenait au moins une conjonction entre les deux natures du Christ ; mais sans doute cette conjonction résultait-elle simplement, pour lui, de l’union entre deux natures qui auraient d’abord existé séparément.
Or l’évêque d’Alexandrie, Cyrille, s’opposa vigoureusement à Nestorius. Cette opposition s’expliquait pour une part par un malentendu de langage : Cyrille parlait d’« une seule nature du Christ », tandis que Nestorius, suivant en cela l’usage des chrétiens d’Antioche, préférait parler de « deux natures ». Mais l’opposition n’était pas seulement liée à cette différence de langage. Le problème de fond était que, aux yeux de Cyrille, on ne pouvait raisonner comme si l’humanité du Christ avait existé en dehors du Verbe, et il fallait plutôt tenir que l’union de la divinité et de l’humanité s’était faite « selon l’hypostase » (du grec hypostasis, au sens de « personne subsistante ») : cette doctrine, que l’on appellera plus tard doctrine de l’« union hypostatique », était fondamentalement une manière de traduire l’expression johannique « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1 14).
En tout cas, après des échanges de lettres avec son adversaire et la tenue d’un synode à Alexandrie, Cyrille se rendit en 431 à Éphèse pour participer à un concile convoqué par l’empereur ; et alors même que l’évêque Jean d’Antioche et les autres évêques de Syrie n’avaient pas encore eu le temps d’arriver, il obtint la condamnation de Nestorius qui, par la suite, allait être exilé en Libye.
Sombre histoire que celle du concile d’Éphèse, même s’il est vrai que, du point de vue de l’orthodoxie, l’évêque d’Alexandrie avait raison de défendre l’« union selon l’hypostase » et, par voie de conséquence, l’usage de proclamer Marie « mère de Dieu » ! Du moins y eut-il, en 433, un bel acte de réconciliation entre Cyrille et Jean d’Antioche – celui-ci acceptant la formule « Marie mère de Dieu » tandis que celui-là consentait au langage des « deux natures du Christ ».
Les monophysites et le concile de Chalcédoine
La seconde controverse fut déclenchée, une quinzaine d’années plus tard, par un moine nommé Eutychès. Celui-ci affirmait que, même après l’union de la divinité et de l’humanité, il y avait « une seule nature » en Jésus-Christ : ce « monophysisme » (du grec monos, seul, et physis, nature) se situait donc tout à l’opposé de Nestorius, au risque de laisser entendre que l’humanité du Christ était comme absorbée par sa divinité.
Le pape Léon le Grand eut pleine conscience du danger et, pour y faire face, affirma que le Christ n’était pas seulement consubstantiel à Dieu (comme l’avait dit le concile de Nicée), mais aussi consubstantiel aux hommes. Un nouveau concile fut réuni, en 451, dans un faubourg de Constantinople nommé Chalcédoine. Lors de ce concile fut solennellement approuvée une définition fameuse qui, tout en reprenant l’acquis du concile d’Éphèse (c’est-à-dire l’affirmation de l’union du Christ en une seule « hypostase » ou « personne »), affirme en même temps la présence de « deux natures » en Christ, une nature divine et une nature humaine ; ces deux natures sont certes « sans division » et « sans séparation » (ce qui va contre la doctrine attribuée à Nestorius), mais aussi « sans confusion » (ce qui va contre la thèse d’Eutychès). La définition de Chalcédoine précise encore que la différence des natures n’est « nullement supprimée par l’union », mais que « les propriétés de chaque nature » restent « sauves », même si elles se rencontrent en une seule « personne » ou « hypostase ».
Les controverses successives ont ainsi permis au dogme d’atteindre cette formulation conceptuelle : le Christ est « une personne en deux natures ».
L’histoire du dogme christologique ne s’arrête pourtant pas là, pour des raisons qui sont d’abord liées à la difficile réception d’Éphèse et de Chalcédoine. D’une part, un certain nombre de chrétiens n’avaient pas accepté la condamnation de Nestorius ; ce fut le point de départ des églises « nestoriennes », qui allaient se développer au Moyen-Orient et gagneraient même la Chine au 6e siècle. D’autre part, le concile de Chalcédoine fut suivi d’une intense réaction : beaucoup refusèrent la définition de ce concile, non point au nom d’un « monophysisme » hétérodoxe tel que le professait Eutychès, mais parce qu’ils restaient attachés à l’ancien langage de Cyrille, « une seule nature du Verbe ». Des églises « monophysites » prirent ainsi naissance en Égypte, en Palestine et en Syrie.
Au 6e siècle, l’empereur Justinien chercha à réconcilier le parti « monophysite » et le parti « chalcédonien » : le concile de Constantinople II (553) porte la marque de cette tentative, notamment par sa manière de mettre en œuvre la « communication des idiomes » : on entend par là que les « propriétés » (ou « idiomes ») de la nature humaine et de la nature divine ne sont nullement séparées, mais que, dans le cas de Jésus-Christ, le Verbe de Dieu donne à l’humanité d’agir divinement (par exemple à travers les miracles), tandis qu’à l’inverse il s’approprie les événements de cette humanité (ainsi dit-on que le Verbe de Dieu lui-même est né et a souffert – et non simplement l’homme Jésus).
Mais une nouvelle crise éclata au 7e siècle : au nom même de l’union de Dieu et de l’homme en Jésus-Christ, certains en venaient à dire qu’il y avait eu « une seule volonté du Christ », ce qui revenait à dénier au Christ l’autonomie d’une volonté réellement humaine. Le concile de Constantinople III (681) condamna cette doctrine dite « monothélite » (du grec monos, seul, et thelein, vouloir), et affirma que la nature humaine et la nature divine avaient chacune sa propre volonté (sans qu’il y eût pour autant opposition entre l’une et l’autre, puisque la volonté humaine du Christ s’était pleinement et librement soumise à la volonté de Dieu).
Cette histoire des controverses christologiques dans l’Église ancienne est assurément complexe, et elle est même dramatique puisqu’elle a donné lieu à de graves divisions ecclésiales. Mais il faut heureusement ajouter que, dans les décennies récentes, des accords christologiques ont été signés entre l’Église catholique romaine et certaines Églises nestoriennes ou monophysites (ainsi, en 1973, entre Paul VI et le pape Shenouda III d’Alexandrie ; ou encore, en 1994, entre Jean-Paul II et le patriarche de l’Église assyrienne d’Orient).
Par ailleurs, même si les controverses anciennes se sont accompagnées de graves violences, il demeure essentiel d’apprendre du passé comment le dogme christologique s’est peu à peu constitué – quitte à ce que nous devions aujourd’hui en rendre compte dans des langages différents, selon la diversité de nos cultures. Les définitions des conciles œcuméniques, notamment celles de Chalcédoine, doivent être entendues comme des explicitations de la foi en Jésus-Christ « vrai homme et vrai Dieu » : elles sont normatives pour les communautés chrétiennes, non pas certes au sens où leurs formulations seraient comme telles transposables en toute langue, mais au sens où, à travers ces formulations nécessairement particulières, elles entendent rendre compte de la foi telle qu’elle a été reçue de la Tradition et formulée dans le Symbole des apôtres ou le Symbole de Nicée-Constantinople.
Nous aurons à revenir plus loin sur l’interprétation de Chalcédoine, mais, pour l’instant, il nous faut prendre connaissance de ce qu’est devenue la réflexion sur le Christ après les grandes controverses des premiers siècles et, surtout, du renouveau qui l’a marquée dans le courant du 20e siècle.
De façon générale, le dogme christologique n’a pas donné lieu, dans l’Occident latin, à des divisions aussi importantes que dans l’Orient grec. Du moins est-ce vrai si l’on s’en tient à la doctrine sur l’identité du Christ, car, d’un autre point de vue, de graves controverses ont éclaté sur la question du salut : Augustin, au 5e siècle, combattit les thèses de Pélage pour qui le Christ était plus un exemple à imiter que le « Sauveur » au sens strict, et les siècles suivants allaient connaître de nombreux débats sur la nature de la rédemption offerte sur la Croix ; ces débats étaient eux-mêmes liés à des controverses sur la grâce et la liberté, ou encore sur la foi et les œuvres – ainsi qu’on le voit avec Luther au 16e siècle ou encore avec la crise janséniste au 17e siècle. Mais, pour l’essentiel, la définition de Chalcédoine faisait l’objet d’une possession tranquille.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu, au Moyen Âge et dans les Temps modernes, d’importantes réflexions sur la portée de cette définition, et parfois des divergences entre théologiens sur la manière d’en rendre compte. C’est même là une caractéristique majeure de la théologie à partir des 12e et 13e siècles : on présuppose le dogme christologique tel qu’il a été défini dans les premiers siècles, mais on pose à son sujet des « questions » afin d’en préciser le sens (par exemple : convenait-il que le Verbe de Dieu assumât une nature humaine ? ou encore : convenait-il que le Christ mourût sur une croix ?).
Quoi qu’il en soit des différentes questions qui furent ainsi soulevées, on retiendra un trait majeur de la recherche alors menée par les théologiens : lorsqu’ils organisent leur réflexion de manière systématique (comme le fait Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique), ils commencent par traiter du Verbe de Dieu, puis, dans un second temps, abordent les « mystères » de la vie de Jésus. Certes, il faudrait aussitôt apporter des nuances : les mêmes théologiens écrivent parfois des commentaires d’évangiles, et partent donc, dans ces cas-là, de la manière dont Jésus-Christ se révèle à travers les récits évangéliques ; par ailleurs, le Moyen Âge et les Temps modernes abondent en écrits spirituels qui témoignent encore d’une autre manière de se référer au Christ (par exemple, à travers l’expérience mystique de la relation entre l’âme et l’Époux). Toutefois, la ligne dominante est celle d’une théologie du Verbe incarné : c’est elle, en tout cas, qui sera retenue dans un bon nombre de traités ou de manuels, et qui marquera l’enseignement de la théologie catholique jusqu’au 20e siècle. La voie que l’on suit consiste à traiter d’abord du Verbe dans son éternité, puis de son Incarnation, et ensuite seulement des mystères de sa vie tels qu’ils sont rapportés par les évangiles.
Or un grand tournant va se produire dans le courant du 20e siècle, autorisant à parler d’une véritable redécouverte de la christologie.
Le mot « christologie » lui-même se substitue de fait, peu à peu, à ce qu’on appelait jusque-là « traité du Verbe incarné », et la nouveauté de ce mot indique en réalité une « redécouverte » car il s’agit de renouer avec un langage sur le Christ qui soit plus conforme au témoignage des premières communautés chrétiennes – partant de l’histoire de Jésus et s’ouvrant, sur ce chemin même, à la révélation de son identité humano-divine.
Plusieurs facteurs ont contribué à une telle évolution. Il faut d’abord faire la part d’une sensibilité nouvelle à l’humanité de Jésus, à son insertion dans le peuple juif, d’une attention plus grande au témoignage concret de ses paroles et de ses actes, du souci de rendre son message audible à tout homme – fût-il incroyant. On doit en outre mentionner le renouveau des études exégétiques, mettant en lumière la genèse des écrits néotestamentaires, et montrant notamment que des textes comme le prologue de l’Évangile de Jean (« Au commencement était le Verbe... ») sont en fait le fruit d’une réflexion tardive, bien postérieure aux premiers témoignages sur la vie de Jésus. Le renouveau patristique, lui aussi, a apporté sa contribution, et notamment un certain nombre de travaux sur l’herméneutique des énoncés conciliaires (ainsi avec A. Grillemeier, et plus récemment B. Sesboüé).
Le 1 500e anniversaire du concile de Chalcédoine, en 1951, donna à Karl Rahner l’occasion d’écrire un texte majeur : « Chalcédoine, fin ou commencement ? » Le théologien y montrait qu’une définition conciliaire doit toujours donner lieu à de nouvelles questions, « non parce qu’elle est fausse, mais au contraire parce qu’elle est vraie ». Plus tard, on souligna la concurrence entre deux types de christologie : une christologie « descendante » (ou « d’en haut »), qui part du Verbe de Dieu et, de là seulement, en vient à aborder la vie de Jésus ; une « christologie ascendante » (ou « d’en bas »), qui part de l’histoire de Jésus et de son humanité avant de rejoindre les affirmations johanniques sur le Verbe de Dieu. Le mouvement général de la christologie européenne, ces dernières décennies, a nettement privilégié ce second type de christologie : cela est vrai tout à la fois du côté protestant (W. Pannenberg dans son Esquisse d’une christologie, J. Moltmann dans Le Dieu crucifié et Jésus, le Messie de Dieu) et du côté catholique (K. Rahner, Ch. Duquoc, E. Schillebeeckx, H. Küng, ou J. Moingt avec son livre L’homme qui venait de Dieu).
On notera toutefois des exceptions, en particulier celle du théologien H. Urs von Balthasar dont la christologie, d’inspiration fortement johannique, ne peut se laisser enfermer dans la catégorie « christologie d’en bas ». Au demeurant, l’opposition entre « christologie descendante » et « christologie ascendante » mérite d’être nuancée. Il y aurait risque, en effet, à ce qu’un nouvel unilatéralisme conduise à privilégier seulement les récits évangéliques sur la vie de Jésus : on serait alors en présence de ce que l’on a appelé une simple « jésulogie », et l’on ferait abstraction du témoignage de foi que les premiers chrétiens ont rendu à Jésus comme « Christ et Seigneur » ; on méconnaîtrait que le Nouveau Testament lui-même porte déjà la marque d’une « christologie haute », comme l’atteste tout spécialement le prologue johannique qui part du Verbe de Dieu et, selon un schème « descendant », le contemple dans le mouvement de sa venue parmi les hommes (« le Verbe s’est fait chair »).
Pour des raisons analogues, les critiques souvent développées par rapport à la définition de Chalcédoine exigent d’être nuancées sinon réfutées. Certes, il est indéniable que cette définition n’honore pas d’abord le point de vue d’une « christologie d’en bas », mais ce n’était pas son but, qui était plutôt de préciser (sur la base de la révélation néotestamentaire) que l’humanité et la divinité de Jésus-Christ doivent être l’une et l’autre tenues « sans confusion ni séparation ». Il est vrai que l’on a aussi reproché à la formulation chalcédonienne d’être, par l’emploi des mots « personne » et « nature », beaucoup trop abstraite et statique ; mais ici encore on doit tenir compte de la visée propre du concile, qui devait user d’un tel langage pour répondre aux partisans de Nestorius et au monophysisme d’Eutychès.
Ces précisions n’enlèvent rien au bien-fondé des recherches qui ont voulu prendre distance par rapport aux traités antérieurs du Verbe incarné et renouer avec une démarche plus fidèle au mouvement même de la christologie néotestamentaire. Elles indiquent seulement des points d’attention dont les théologiens doivent tenir compte dans leur propre démarche, par respect même de ce que fut la genèse du dogme dans les premiers siècles de l’Église. On ne peut en tout cas qu’admirer la fécondité de la christologie européenne dans la seconde moitié du 20e siècle. Mais il faut aussitôt ajouter que d’autres courants christologiques se sont également développés en dehors de l’Europe durant les dernières décennies.
Les théologies de la libération
Un premier courant est né en Amérique latine dans le cadre des « théologies de la libération » (G. Gutierrez, L. Boff, J.-L. Segundo, J. Sobrino...). Il a eu pour point de départ l’engagement de communautés chrétiennes qui, dans des situations marquées par l’injustice, ont remis au premier plan la figure de « Jésus libérateur ». L’histoire d’Israël a été relue dans cette perspective : Dieu avait délivré son peuple de sa servitude en Égypte, et les prophètes avaient dénoncé avec force l’oppression qui pesait sur les pauvres. Jésus a été dès lors présenté comme celui qui offrait la libération totale, non pas simplement à travers la promesse d’une vie céleste, mais déjà à travers la transformation de ce monde dans le sens de la justice.
Un tel courant s’inscrit, de par sa visée même, dans le mouvement des « christologies d’en bas » ; mais la réflexion sur Jésus-Christ se développe ici dans le contexte même de situations d’injustice, et elle est orientée vers une praxis de libération au nom de l’Évangile. On a certes objecté qu’il y avait risque de réduire le salut à une dimension trop exclusivement économique ou politique. Cependant, malgré ces critiques (auxquelles les théologiens ont d’ailleurs tenté de répondre), les christologies de la libération ont bien mis en évidence la portée du message de Jésus pour les victimes de l’injustice et de l’oppression.
D’autres courants « libérationnistes » se sont développés en dehors de l’Amérique latine : la christologie afro-américaine aux États-Unis (héritant de la lutte des Noirs américains pour leur émancipation) ; les christologies féministes (très présentes en Amérique du Nord, et elles-mêmes très diverses) ; ou encore d’autres formes de « christologies de la libération » en Afrique et en Asie.
Les tentatives d’inculturation en Afrique et en Asie
Pour ces deux derniers continents, deux orientations se sont principalement dégagées depuis les années 1970. On peut d’abord retenir, du côté de l’Afrique, les recherches menées dans le cadre des tentatives d’« inculturation ». Des théologiens ont eu le souci de parler du Christ dans un langage significatif pour leur continent et, à cette fin, ont recouru aux images ou aux notions importantes des traditions subsahariennes. Ainsi a-t-on réfléchi sur le Christ comme « ancêtre », « aîné » ou « guérisseur », tout en soulignant que le Christ est « au-delà des modèles » (F. Kabasélé). De telles réflexions retrouvent en fait la démarche effectuée par les chrétiens des premiers siècles qui, en leur temps, empruntaient des mots aux traditions juives et gréco-romaines pour les appliquer à Jésus de Nazareth. Elles contribuent en tout cas, si elles sont bien menées, à enrichir de manière originale le langage de la christologie.
Des recherches analogues ont vu le jour dans le continent asiatique, mais selon une autre orientation qui tient à la spécificité de ce continent – profondément marqué par l’héritage de l’hindouisme, du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme. Certes, comme en Amérique latine, le contexte y est aussi celui de la grande pauvreté (au moins dans un certain nombre de pays) ; mais les « christologies de la libération » qui se développent en Asie se caractérisent, de manière plus spécifique, par la prise en compte des religions implantées dans ce continent (comme le souligne notamment le théologien sri-lankais A. Pieris).
On tente donc, ici, de parler du Christ en référence à des figures ou thèmes majeurs des traditions religieuses. Cela conduit par exemple, dans le cas de l’Inde, à réfléchir sur la notion d’« avatar » (une telle notion peut-elle être appliquée à Jésus, et jusqu’à quel point ?) ; ou encore, en Extrême-Orient, on s’efforce de comparer l’enseignement du Christ et le message du Bouddha.
Ces recherches ne sont pas sans risque, et certaines christologies se voient soupçonner de ne pas faire suffisamment droit à l’unicité du Christ, « unique Médiateur entre Dieu et les hommes » (1 Tm 2 5). Mais nombre de réflexions ainsi menées sont néanmoins très prometteuses pour l’avenir. La situation de l’Asie invite en tout cas à reconnaître que le débat interreligieux renvoie aujourd’hui à une réflexion christologique très fondamentale, portant sur l’identité même de Jésus. Et il va de soi, d’ailleurs, que cela ne vaut pas seulement du débat avec les religions orientales, mais aussi ou même d’abord du débat avec le judaïsme et avec l’islam tel qu’il s’impose aussi dans d’autres continents.
Les orientations qui viennent d’être présentées, tant en Europe qu’en dehors de l’Europe, désignent autant de perspectives pour la réflexion à venir. Quoi qu’il en soit des courants particuliers qui ont vu le jour ces dernières décennies, il demeure essentiel de s’intéresser à l’histoire de Jésus (à condition de réfléchir aussi sur sa filiation divine) ; il importe de réfléchir encore sur la portée de son message pour l’humanité, et notamment pour les victimes de l’injustice et de la pauvreté ; il faut sans cesse apprendre à parler du Christ d’une manière qui soit pertinente dans les différentes cultures ; et les débats entre religions invitent plus que jamais à approfondir le sens original de la confession de foi christologique.
S’il fallait suggérer quelques enjeux complémentaires, et d’une importance toute spéciale pour le 21e siècle, nous soulignerions d’abord que la référence au Christ « libérateur » prend aujourd’hui de nouvelles résonances – que ce soit en raison des écarts considérables entre pays riches et pays pauvres, ou bien, sur un autre plan, des formes de servitude que la rupture des équilibres écologiques fait désormais peser sur l’ensemble de l’humanité.
Un autre enjeu est sans doute d’approfondir le lien entre christologie et anthropologie (quelle vision de l’être humain est-elle dévoilée par Jésus-Christ ? À quoi l’humanité est-elle appelée au regard de l’Évangile ?). Il importe aussi de réfléchir sur le rapport entre Jésus de Nazareth et le Christ tel qu’il est attendu pour « la fin des temps » : une telle tâche est requise par les débats interreligieux, elle l’est aussi par l’intérêt contemporain pour le « cosmos » et par les préoccupations touchant la destinée de l’univers.
Autre enjeu encore, celui d’une christologie qui tente de faire place à l’énigme du mal (tant celui qui atteint l’individu que la tragédie des guerres et les fléaux dits « naturels ») : la tâche est ici de montrer comment donner sens, dans l’épreuve même, à l’affirmation du Christ « vainqueur du mal ».
Mais de telles perspectives, si importantes soient-elles, ne doivent pas détourner de l’attention à l’Église par qui la foi en Jésus-Christ est justement transmise. C’est aussi une tâche de la christologie que de renvoyer cette Église à sa vocation d’être réellement « Église du Christ ». Cela implique, entre autres, l’exigence du dialogue entre chrétiens en vue de leur pleine communion. Cela implique aussi, plus largement, l’exigence vis-à-vis des communautés chrétiennes pour qu’elles renvoient effectivement au Christ – non seulement par leur manière d’en parler, mais par leur manière de le célébrer, de vivre et de lui rendre témoignage. Et dans des sociétés atteintes par de profondes mutations, où beaucoup risquent même d’oublier ou d’ignorer ce que furent l’événement du Christ et sa transmission à travers les siècles, la christologie a la responsabilité de faire connaître l’histoire de Jésus, celle des premiers chrétiens qui l’ont confessé comme « Seigneur », celle des conciles qui ont peu à peu défini son identité. Il lui faut tenter de redire, en des termes compréhensibles pour notre temps, la signification de ce que les Symboles de foi énoncent au sujet du Christ. Mais surtout, en amont même de cela, il lui faut renvoyer à l’urgence d’une catéchèse qui apprenne à lire les Écritures et qui dispose ainsi, le moment venu, à laisser de nouveau résonner la question de Jésus : « Pour vous, qui dites-vous que je suis ? »
Pour aller plus loin, consulter la bibliographie en ligne et p. 313.