13.

Valérie, sort un paquet de cigarettes

Vous auriez pas du feu

Un temps. Arthur sort un briquet, le met sur la table. Valérie le prend et allume sa cigarette. Elle garde le briquet sur la table devant elle.

Quoi

Seize ans

Bientôt dix-sept

Comment vous dites ça

Bitter sixteen

C’est ben la première fois que j’entends ça

Cette expression-là

Ça sonne ben dans la bouche

Bitter

Sixteen

Bernard

Quand la pendule a sonné ses quatre coups

Tu m’as renié

Valérie

Un chum

 

Ouais

Ouais j’ai un chum

Bernard

Judas

Valérie

Pourquoi vous me posez ces questions-là

Y a rien à voir avec ça

Parce qu’y est jamais venu à la maison

Y a jamais rencontré mes parents

Bernard

Espèce de Judas manqué

Valérie

Eille

Vous pouvez ben lui parler

Mais

Mais y pourra rien vous dire

 

Crisse parce qu’y sait rien pantoute

Parce que je lui parle jamais de comment c’est à la maison

Jamais

Je vous jure là

C’est vrai

Parce que

Parce que quand je suis avec lui

Je décroche de tout ça

J’ai plus de rage prise dans gorge

Avec lui

Je respire

Enfin

Pis crisse que ça feel ben pour une fois de respirer

 

Lui

Non

Non

Ça fait un boutte qu’y va plus à l’école

23 ans

Y est musicien

Un vrai Tommy Ramone

Mais en fuckin plus beau

Bernard

Ça a commencé

Comme ça

Innocemment

 

Tu me gardes après le cours de rhétorique

Et tu me parles de poésie

Tu dis avoir remarqué ma nature curieuse

Mon esprit rêveur

Et tu veux

M’aider

À réaliser mon potentiel

Tu es le premier à croire en moi

À vraiment t’intéresser

À moi

Et je deviens quelqu’un à tes yeux

Tu ne peux pas imaginer ce que c’est

Ce que ça représente pour moi

Un jeune homme de quinze ans

De recevoir toute cette attention-là de toi

 

Je commence à exister à cause de toi

 

Tu me gardes après le cours de rhétorique

Pour me parler de poésie

C’est ce que tu dis

Mais ta main sur mon épaule

Mon bras

À chaque rencontre tu t’aventures plus loin

Ta main sur mon épaule mon bras

Ta jambe appuyée contre la mienne

Nos rencontres se multiplient

Ta peau qui effleure la mienne encore plus souvent

Ta main sur mon épaule mon bras

Mon dos

Ma main

Mon genou

Ma cuisse

Tes mots doux

Tes paroles chuchotées dans mon oreille

Pour mieux me faire comprendre la subtilité de la poésie

Du désir

Des paroles chuchotées qui se transforment en baisers

Sur ma nuque mes joues ma bouche

Mes paupières

Ta langue qui s’emmêle à la mienne

Et j’ai succombé

J’ai cédé oui

Oui j’ai cédé

Car je ne pouvais plus te résister

Je ne savais pas comment te repousser

Et j’ai commencé moi aussi à te désirer

À brûler d’un désir charnel

D’un amour impossible et interdit

Mais réel

Tout à fait

Vrai

 

Ta poitrine sur ma poitrine

On est devenus comme Rimbaud et Verlaine

L’un inondé par l’amour de l’autre

Et comme eux

On allait refaire le monde

En réinventant l’amour

En vivant au milieu de nos rêves

En exil au bout du monde

Valérie

Mais là

Là ostie

Comme avec toute dans ma vie

Je suis une crisse de fuckin de badluckée

 

Allez-y

Vous pouvez ben l’appeler

Mais à cette heure-ci

Y est sûrement sur la route avec son band

Cet après-midi

I guess

Puisque c’était ça le plan

Y partaient en tournée

Pis moi

Je devais partir avec eux

Je voulais partir avec eux

Je m’en allais là pour de vrai pour de bon

Mais à cette heure-ci

J’imagine qu’y pensent que j’ai choké

Que j’étais pas game de partir

Pis de laisser toute derrière

 

Je l’ai pas mentionné avant

Parce que c’est tellement pas important

Parce que vous voyez ben que je pars pas

Que je pars plus là

En plus

Je risque de plus jamais le revoir

Parce que

Parce que c’est pas le genre de gars à attendre

Pis c’est pas non plus le genre qui revient

Crisse

Je pourrais passer ma vie

À le chercher sur les routes de l’Amérique au grand complet

Je réussirais jamais à le retrouver

Fait que bonne chance