Valérie, sort un paquet de cigarettes
Vous auriez pas du feu
Un temps. Arthur sort un briquet, le met sur la table. Valérie le prend et allume sa cigarette. Elle garde le briquet sur la table devant elle.
Quoi
Seize ans
Bientôt dix-sept
Comment vous dites ça
Bitter sixteen
C’est ben la première fois que j’entends ça
Cette expression-là
Ça sonne ben dans la bouche
Bitter
Sixteen
Bernard
Quand la pendule a sonné ses quatre coups
Tu m’as renié
Valérie
Un chum
Ouais
Ouais j’ai un chum
Bernard
Judas
Valérie
Pourquoi vous me posez ces questions-là
Y a rien à voir avec ça
Parce qu’y est jamais venu à la maison
Y a jamais rencontré mes parents
Bernard
Espèce de Judas manqué
Valérie
Eille
Vous pouvez ben lui parler
Mais
Mais y pourra rien vous dire
Crisse parce qu’y sait rien pantoute
Parce que je lui parle jamais de comment c’est à la maison
Jamais
Je vous jure là
C’est vrai
Parce que
Parce que quand je suis avec lui
Je décroche de tout ça
J’ai plus de rage prise dans gorge
Avec lui
Je respire
Enfin
Pis crisse que ça feel ben pour une fois de respirer
Lui
Non
Non
Ça fait un boutte qu’y va plus à l’école
23 ans
Y est musicien
Un vrai Tommy Ramone
Mais en fuckin plus beau
Bernard
Ça a commencé
Comme ça
Innocemment
Tu me gardes après le cours de rhétorique
Et tu me parles de poésie
Tu dis avoir remarqué ma nature curieuse
Mon esprit rêveur
Et tu veux
M’aider
À réaliser mon potentiel
Tu es le premier à croire en moi
À vraiment t’intéresser
À moi
Et je deviens quelqu’un à tes yeux
Tu ne peux pas imaginer ce que c’est
Ce que ça représente pour moi
Un jeune homme de quinze ans
De recevoir toute cette attention-là de toi
Je commence à exister à cause de toi
Tu me gardes après le cours de rhétorique
Pour me parler de poésie
C’est ce que tu dis
Mais ta main sur mon épaule
Mon bras
À chaque rencontre tu t’aventures plus loin
Ta main sur mon épaule mon bras
Ta jambe appuyée contre la mienne
Nos rencontres se multiplient
Ta peau qui effleure la mienne encore plus souvent
Ta main sur mon épaule mon bras
Mon dos
Ma main
Mon genou
Ma cuisse
Tes mots doux
Tes paroles chuchotées dans mon oreille
Pour mieux me faire comprendre la subtilité de la poésie
Du désir
Des paroles chuchotées qui se transforment en baisers
Sur ma nuque mes joues ma bouche
Mes paupières
Ta langue qui s’emmêle à la mienne
Et j’ai succombé
J’ai cédé oui
Oui j’ai cédé
Car je ne pouvais plus te résister
Je ne savais pas comment te repousser
Et j’ai commencé moi aussi à te désirer
À brûler d’un désir charnel
D’un amour impossible et interdit
Mais réel
Tout à fait
Vrai
Ta poitrine sur ma poitrine
On est devenus comme Rimbaud et Verlaine
L’un inondé par l’amour de l’autre
Et comme eux
On allait refaire le monde
En réinventant l’amour
En vivant au milieu de nos rêves
En exil au bout du monde
Valérie
Mais là
Là ostie
Comme avec toute dans ma vie
Je suis une crisse de fuckin de badluckée
Allez-y
Vous pouvez ben l’appeler
Mais à cette heure-ci
Y est sûrement sur la route avec son band
Cet après-midi
I guess
Puisque c’était ça le plan
Y partaient en tournée
Pis moi
Je devais partir avec eux
Je voulais partir avec eux
Je m’en allais là pour de vrai pour de bon
Mais à cette heure-ci
J’imagine qu’y pensent que j’ai choké
Que j’étais pas game de partir
Pis de laisser toute derrière
Je l’ai pas mentionné avant
Parce que c’est tellement pas important
Parce que vous voyez ben que je pars pas
Que je pars plus là
En plus
Je risque de plus jamais le revoir
Parce que
Parce que c’est pas le genre de gars à attendre
Pis c’est pas non plus le genre qui revient
Crisse
Je pourrais passer ma vie
À le chercher sur les routes de l’Amérique au grand complet
Je réussirais jamais à le retrouver
Fait que bonne chance