Pour en venir à celui qui concentre en soi le « mystère d’iniquité » (2 Thessaloniciens, 2, 7), il convient de tracer, au moins en esquisse, l’iniquité. Car l’iniquité déploie une injustice rigoureuse, ordonnée et irrémédiablement logique. Le mal ne nous détruirait pas tant, s’il ne nous détruisait avec tant de logique. Dans l’expérience du mal, ce qui, en un sens, fait le plus mal, tient à la rigueur indiscutable qu’y déploie l’iniquité. Aucune absurdité, aucune incohérence, ni même aucune « injustice » (au sens courant, d’un salaire ou d’un effet disproportionné à sa cause) ne caractérise l’iniquité – mais une immuable logique, qui reproduit sans fin ni faille sa rigueur, jusqu’à l’écœurement, selon un insurmontable ennui. Mais d’ennui aussi, d’ennui surtout, l’on meurt. La logique de l’iniquité nous sera donc un fil conducteur jusqu’à son mystère, et à ce qu’il implique à la fin.
Le mal, avant tout, fait mal. Que la souffrance m’affecte physiquement ou moralement, elle s’impose avec douleur, comme une douleur. Le mal s’éprouve absolument comme le seul fait indiscutable, en deçà de toute illusion, dispensé de preuve et d’argument. Le mal qui me fait mal ne trompe, lui, jamais. Cette douleur, comme je la subis, implique aussi que j’y réagisse pour m’en dégager ; ainsi, même ma lutte contre la souffrance provient, comme une passion, du mal que je subis au moment même où je tente de me délivrer de son aiguillon, la souffrance. Car si le premier effet du mal, c’est la souffrance, le second, c’est d’exiger que cesse la souffrance, à tout prix et d’urgence. Comment ? En supprimant sa cause. Encore faut-il lui en trouver une. Ou plus exactement, le plus urgent ne consiste pas à trouver cette cause, mais à la supprimer. Pour exiger de la supprimer, il n’est pas d’abord nécessaire d’identifier la cause de la souffrance. La connaissance certaine, adéquate et supposée scientifique de la cause n’apparaît souvent ni possible ni même souhaitable, tant l’urgence demande une identification sans délai d’un interlocuteur quelconque. J’ignore la vérité de la cause – qu’importe, tant je connais certainement que je peine, et que je peux charger de ma peine qui que ce soit d’autre. Cette cause, même si je ne puis l’identifier pour l’annihiler, je peux déjà la plaider comme mienne. En contestant la cause, peut-être inconnue, de ma souffrance, je plaide, spontanément et immédiatement, ma propre cause. Car le mal, qui ne m’apparaît qu’en m’agressant, n’appelle qu’une réponse – ma propre agression qui prétend le supprimer en retour. Supprimer la cause du mal revient d’abord à plaider ma cause contre lui. À tout mal répond au moins le désir d’une vengeance. La logique du mal déploie ainsi sa première nécessité en suscitant en moi, qui souffre, le désir d’un autre mal : détruire la cause du mal qui me détruit, rendre au mal son mal, et agresser l’agression ; bref, plaider ma propre cause à tout prix, avant même que la cause de mon mal ne soit connue1.
La cause du mal peut bien, objectivement, précéder le mal que je subis. Mais justement, quand je subis le mal, je souffre d’une souffrance qui, en m’affolant, me plonge dans une subjectivité « sans porte ni fenêtre », où seule compte ma souffrance et ce qu’elle m’inspire et me désigne ; dans la subjectivité carcérale de la souffrance, la priorité de la cause du mal sur le mal s’inverse : c’est le mal ressenti – la souffrance – qui me fait frénétiquement plaider ma cause, proclamer donc mon innocence, jusqu’à, en conséquence, lui fournir après coup une cause objective, pour enfin tenter de la supprimer. Plaidant subjectivement ma cause, je ne poursuis qu’ensuite une éventuelle cause objective à mon mal. La question devient alors : quelle réalité choisir de préférence, comme la cause coupable, contre laquelle je vais pouvoir plaider la cause de mon innocence ? La souffrance, en plaidant son innocence, peut se trouver mille diverses causes à détruire : l’homme qui me frappe et me torture, le voleur qui me vole, mais aussi la femme qui me bafoue, le séducteur à la petite semaine qui me jette à la fin, le « petit chef » qui me contraint. Plus perdure et croît la souffrance, plus je peux et dois lui trouver une cause, précise et puissante. Pour ce faire, je peux passer de l’une à l’autre, voire additionner les unes aux autres, jusqu’à construire une cause multiforme, mais alors seulement à la mesure de ce que je souffre et subis : ainsi, la souffrance institutionnalisée a légitimement le droit de se trouver une cause elle-même institutionnelle. Qu’importe, pourvu que la souffrance innocente – la mienne, – puisse mettre un visage sur la cause de sa souffrance.
Mettre un visage sur la cause de sa souffrance c’est, aussitôt, pouvoir plaider efficacement sa cause. Je ne puis accuser qu’un visage, et la pire des souffrances consiste précisément à n’avoir aucun visage à accuser. La souffrance anonyme redouble le mal, puisqu’elle interdit à l’innocent de plaider sa cause. Plus donc croît le mal, plus croît l’accusation ; plus doit aussi croître la dignité (ou le nombre) des coupables. C’est pourquoi le mal collectif et objectif – aujourd’hui la malnutrition, le chômage, le non-savoir comme non-pouvoir, la répression politique et le mépris systématique des droits de l’homme, etc. – suscite des causes qui, pour être collectives, idéales et diffuses (économiques, politiques, idéologiques, etc.), n’en deviennent pas pour autant anonymes : elles gardent un visage et ceux qui plaident à leur encontre le leur dessinent justement. Il ne faut pas trop vite disqualifier ce visage, sous le prétexte qu’il devient vite une caricature ; la caricature ne tire sa possibilité que de visages très identifiables et précis, qu’elle ne concentre que parce que chacun des opprimés les connaît concrètement : l’ennemi de classe, chaque fois, a un nom ; le tortionnaire, chaque fois, a un nom ; la puissance économique qui licencie ou qui embrigade, chaque fois a un nom – un nom qui lui est plus propre certes que son nom propre, qui se concentre en un nom abhorré et pourtant absolument réel. Ainsi la cause que plaide celui qui souffre identifie la cause du mal, de son mal. Paradoxalement donc, pour calmer mon innocence et pour supprimer en moi le mal, je commence d’abord par le reconnaître et le concrétiser. Puisque, pour moi, livré au mal par la souffrance, mais aussi par la logique du mal, la délivrance passe par la destruction de la cause du mal, et que la destruction de la cause du mal impose d’abord l’accusation, où je plaide ma cause contre le visage d’un accusé : le mal appelle un contre-mal. Par une paradoxale mais inesquivable logique, je ne puis lutter contre le mal qui m’affecte qu’en affectant le monde d’un mal par moi d’abord réifié, dévoilé et fixé. Pour me défaire du mal en moi, il me faut d’abord faire du mal un non-moi, c’est-à-dire le faire naître – le désigner à tout le monde, donc le mettre au monde. Si je subis le mal, c’est activement que j’allume le contre-feu d’un contre-mal. Et si le mal est universel, en moi et autour de moi, – comme, de fait, il faut reconnaître que c’est le cas – le contre-mal de l’accusation devra devenir universel lui aussi. Et de fait, l’accusation devient universelle. Car l’accusation, évidemment, s’offre comme la dernière arme de ceux qui n’en ont pas, ou plus, d’autre. Mais, justement, faut-il posséder une arme ?
C’est ici que le mal remporte son premier triomphe décisif : il impose à celui qui souffre de soutenir son innocence par une accusation, de perpétuer la souffrance par l’exigence d’une autre souffrance, d’opposer au mal un contre-mal. Il ne s’agit pas, évidemment, de juger celui qui souffre – moi, nous et tous –, ni de se donner le ridicule de conseiller de « faire autrement » ; car nous savons, chacun pour notre compte, que, livrés à nous seuls, il nous devient aussitôt quasi impossible de « faire autrement ». La dureté du mal consiste, précisément, en ce qu’il nous impose sa logique comme, apparemment, la seule praticable : notre premier effort de délivrance garde encore le mal comme unique horizon. Le contre-mal reste un mal, comme le contre-feu, un feu – qui détruit d’abord et toujours. Le triomphe de la logique du mal au sein même de l’effort pour s’en délivrer se marque avec éclat dans l’accusation universelle. Ce phénomène peut ainsi se formuler : ce n’est pas parce que la cause du mal me reste inconnue, incertaine et vague, que je dois renoncer à la supprimer. Puisque mon innocence souffre, et ne peut cesser de souffrir qu’en supprimant une cause, l’excès de la souffrance conduit à l’excès de l’accusation : qu’importe l’identité de la cause, pourvu que je puisse identifier une cause à supprimer. Pour la dire, notre temps a su inventer des mots : « trouver des coupables », mais surtout « définir les vraies responsabilités ».
Il faut ici remarquer que notre temps – celui du nihilisme – offre la particularité remarquable de fournir un support parfait (quoique non inespéré) à l’exigence infinie d’accusation : l’essence de la technique qualifie en effet l’homme comme un coupable potentiellement universel, puisqu’elle le définit d’abord comme l’ouvrier de l’univers, le maître et possesseur de la nature, donc le responsable du monde. Responsable du monde, il l’est évidemment par tout ce qu’il fait – la production comme mise en œuvre du monde à la manière d’un fonds à exploiter –, mais aussi par ce qu’il ne fait pas ; car, de droit, sa maîtrise n’a ni borne ni condition : tout ce qui « se produit » sans qu’il l’ait produit, en amont ou en marge de sa production (ainsi la sauvegarde de la « nature », les cataclysmes « naturels »), ce que l’homme donc ne produit pas, l’essence de la technique lui impose de le prévoir, donc l’en fait responsable. Plus s’étend le savoir de l’homme (idéologie, « sciences humaines », informatique, futurologie), plus s’affirme son universelle responsabilité. Ainsi l’essence de la technique offre-t-elle à la logique du mal une confirmation décisive : à tout mal, il y a toujours une cause, et c’est toujours l’homme2. Passons donc de l’homme générique aux individus, pour y formuler la conclusion qui s’impose : il est toujours possible de trouver un coupable digne d’accusation ; il suffit de prendre le premier innocent venu.
Une bonne raison à cela : cet innocent n’en est évidemment plus un ; seul un « innocent » pourrait, à la rigueur, n’avoir pas toujours déjà fait du mal ; un innocent commun, lui, n’est pas innocent : à supposer qu’il ne constitue pas la cause précise de ma souffrance présente, nul doute qu’il l’ait été d’autres souffrances, que d’autres endurèrent de son fait ; en servant de coupable à la cause que ma souffrance plaide peut-être injustement contre lui, il ne fera donc jamais que supporter le contre-mal que mérite un mal qu’ailleurs il commit. Ensuite, si l’innocent en était, par extraordinaire, authentiquement un, nul doute que, sitôt endurée la souffrance d’un contre-mal, il ne veuille lui-même exercer immédiatement un contre-contre-mal sur son accusateur et donc qu’il ne se désigne aussitôt comme, de fait, coupable. Dans les deux cas, le contre-mal fait ou renforce la culpabilité du coupable qu’il accuse et assigne. Mais il y a plus : non seulement tous peuvent (doivent !) devenir coupables, mais le mouvement même par lequel je puis reconnaître et provoquer cette culpabilité – le contre-mal – me qualifie moi-même comme un coupable, parce que je puis très légitimement l’exercer sur n’importe qui, puisqu’en l’exerçant, j’en rends automatiquement l’accusé coupable : j’exerce une souffrance injuste sur peut-être un innocent, et cela en toute justice. Je deviens coupable autant que ceux que j’accuse, précisément parce que je ne fais que me défendre : c’est en voulant me délivrer du mal que je le perpétue et l’universalise. La logique du mal triomphe encore, et toujours de la même manière : accusons-les tous, le mal y trouvera toujours les siens, puisque, de fait, tous mettent en œuvre son unique logique. La vengeance : un innocent prétendu devient, à juste titre, un injuste coupable en reportant sa souffrance sur un innocent présumé, qui, aussitôt, devient, à vouloir se venger, un coupable. L’appel à la justice ne peut s’exercer qu’en perpétuant l’iniquité – en la justifiant.
Le mal, dans sa logique, n’interdit donc absolument pas ce que nous appelons si souvent la recherche de la justice. Bien plus, il se propose de lui donner un statut conceptuel rigoureux et les moyens de se développer. Le pire dans le mal, ce n’est donc peut-être pas la souffrance, ni même la souffrance de l’innocent, mais bien que seule la vengeance paraisse pouvoir y remédier ; le pire dans le mal, ce n’est en un sens pas le mal, mais la logique de la vengeance qui triomphe même dans le rétablissement (apparent) de la justice, dans la cessation (provisoire) de la souffrance, dans l’équilibre (instable) des injustices. Car le mal consiste d’abord dans sa transmission, qui le reproduit sans fin par compensation, rééquilibrage, réparation, bref, par la justice même, sans jamais pouvoir le suspendre. Faire le mal ne nous serait pas si naturel, s’il y fallait d’emblée et clairement une intervention perverse et une volonté délibérée – que, au début du moins, nous n’avons pas – ; mais il y suffit du premier réflexe d’une intention apparemment légitime : faire cesser la souffrance que je subis ; car cette simple intention conduit à l’accusation, puis à la désignation d’un (innocent) coupable, enfin au contre-mal ; l’intention toute naturelle n’atteint son but (supprimer une souffrance) qu’en produisant un autre moment du mal. Loin de suspendre et supprimer le mal, elle compense (ou croit compenser) un mal par un contre-mal, c’est-à-dire perpétue le mal. Le comble du mal consiste à perpétuer le mal avec l’intention de supprimer la souffrance, à rendre les autres coupables pour garantir sa propre innocence. Car plus je veux – comme il est bien naturel ! – assurer mon innocence, plus je dois me décharger de mes souffrances et de mes responsabilités sur autrui, bref, plus je dois l’engloutir dans le mal. « Suis-je responsable de mon frère ? » rétorque Caïn (et nous tous) à Dieu. La réponse, pour rester implicite, ne s’énonce que plus nettement : « Évidemment non ! Si quelqu’un est responsable de mon frère, ce sera quiconque, sauf moi ! Si de nous deux, l’un doit être responsable, ce sera mon frère, responsable de mon malheur, du simple fait qu’il reste heureux, quand je ne le suis plus. »
Ce paradoxe met sur la voie d’un autre paradoxe, encore plus pénible à entendre. La seule manière de ne pas perpétuer le mal consisterait sans doute à ne pas tenter à tout prix de s’en défaire, pour ne pas risquer d’y engloutir un autre homme. Garder sa souffrance pour soi, plutôt que d’en faire souffrir un hypothétique coupable : l’endurer, ou comme le dit si bien la langue courante, l’« encaisser » – comme l’on peut encaisser un faux billet. La souffrance peut en effet se comparer à un faux billet : ou bien on l’encaisse, et l’on admet une perte sèche, puisqu’il n’a aucune valeur et que rien ne dédommagera son possesseur ; ou bien on tente de s’en défaire, c’est-à-dire, pour récupérer son propre bien volé par le faux-monnayeur, voler à son tour n’importe quelle neuve victime ; mais dans cette occurence, je ne me « refais » que si je « refais » l’autre, et ne peux assurer l’équité pour moi qu’en provoquant l’iniquité envers un autre que moi. « La vérité du monde, c’est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir3 » (Céline). Le mal consistant d’abord en sa transmission, il ne peut se vaincre qu’en rompant cette transmission, donc en la bloquant (comme un sportif bloque une balle, c’est-à-dire en supporte le choc). D’où plusieurs conséquences. Le Christ ne vainc le mal qu’en refusant de le transmettre, donc en l’endurant jusqu’au risque, en le « bloquant », de mourir ; le propre du juste, c’est précisément d’endurer le mal sans le rendre, de souffrir sans prétendre faire souffrir, de souffrir comme s’il était coupable. Ensuite : celui qui prétend s’innocenter absolument, et donc refuse d’endurer le mal sans le transmettre aussitôt, ne peut se déculpabiliser qu’en accusant les autres ; et de fait, le péché des origines intervient selon un schéma d’auto-justifications accusatrices de l’autre : à Dieu qui demande le pécheur, Adam répond n’y avoir aucune responsabilité – et de la transmettre à Ève, qui, de même, la transmet au serpent ; le péché n’entre dans le monde qu’avec la logique entière du mal : transmettre le mal à l’autre pour s’en défaire soi-même et ainsi prétendre à son innocence. Le péché ne peut se séparer de la logique de sa transmission.
D’où une dernière conséquence : celui qui conteste la doctrine du péché originel, en arguant qu’il n’a aucune responsabilité dans le péché des origines, répète, du fait même de cet argument, toute la logique du mal (autojustification, refus de prendre le mal sur soi pour en bloquer la transmission, etc.), et donc s’inscrit à fond dans le péché qu’il prétend ignorer ; se déclarer innocent du péché des origines et de sa transmission revient ainsi inéluctablement et immédiatement à en répéter originellement, pour son compte propre, l’accomplissement, et donc à en confirmer la logique toute-puissante. Quant à prétendre accuser Dieu, parce qu’il serait cause du mal – argument aussi banal qu’apparemment puissant –, il ne s’agit peut-être que du stade suprême de la logique de la vengeance : le dernier coupable que peut accuser celui qui endure un mal universel, c’est Dieu. L’ultime service que Dieu peut rendre à l’humanité en proie à l’esprit de vengeance serait ainsi de lui fournir un bien plus beau coupable, le plus beau des coupables même, puisqu’il se prête admirablement et silencieusement à une accusation exaspérée par le mal universel ; pour que je sois, que nous soyons tous innocents de tout le mal qui passe par nous, il suffit de nous venger du mal sur Celui qui ne se vengera pas, de transmettre le contre-mal à un prochain absolu et universel. Mais qui, dans le cercle infernal de ce monde, pourrait supporter et même simplement concevoir la simple pensée que « retombent sur lui les crimes de nous tous », sans qu’« il ouvre la bouche, comme un agneau conduit à la boucherie, comme devant les tondeurs une brebis muette et n’ouvrant pas la bouche » (Isaïe, 53, 6.7) ? Aucun d’entre nous, évidemment : nous tous serions incapables de nous retenir de « proclamer notre innocence », c’est-à-dire de nous venger, en nous défendant. Le prochain universellement et silencieusement coupable, sans défense ni réplique, mal sans contre-mal aucun, n’appartient donc pas à ce monde – Dieu seul le fournira au monde. Ce qui n’est possible qu’à un seul prix : qu’il soit effectivement absolument coupable, donc absolument puni, donc absolument mort. La « mort de Dieu » descend ainsi de l’esprit de vengeance, en ligne directe. Pour le monde, le seul bon Dieu, c’est un Dieu mort. Autant, vivant, Dieu lui paraît odieux, autant mort, pour satisfaire la haine qu’exerce la vengeance, il lui devient presque supportable. Le monde ne reconnaît Dieu que pour pouvoir le tuer – et Dieu lui rend aussi cet ultime service.
Ainsi le mal déploie-t-il sa logique comme une logique de la vengeance, qui se renforce de ce que l’homme, spontanément, y trouve le recours le plus évident contre l’injustice de la souffrance. L’iniquité s’approfondit à la mesure de notre désir de justice, ou plutôt du désir de notre justice ; la culpabilité réciproque de tous s’accroît à la juste mesure avec les déclarations d’innocence de chacun ; le mal se transmet d’autant mieux à mon prochain, que je prétends m’en défaire. Dans ces imbrications paradoxales, qui font de l’iniquité un piège, il devient possible de pressentir un mystère.
L’iniquité manifeste donc, au moins partiellement, sa logique. Il reste à en atteindre le mystère, qui ne consisterait en rien moins qu’en une « personne », Satan. Comment pourtant la déduction de la logique au mystère ne se contredirait-elle pas elle-même, en prétendant passer d’une raison à une déraison, et, plus encore, faire de cette déraison un individu ? Pourtant, même cette transition d’apparence impensable peut esquisser une argumentation qui la soutienne. – Le mal déploie donc la vengeance comme sa seule logique. La vengeance peut, comme un déluge engloutissant l’univers, atteindre tout homme, faire un coupable et un adversaire de l’humanité entière, et même de Dieu. Le monde s’arrêtera plus tôt de fournir des inculpés, que la vengeance d’y trouver des coupables. Ainsi la vengeance outrepasse-t-elle toutes limites et, d’abord, celles de la réalité : elle s’exerce ainsi sur les morts, dont la disparition physique n’entraîne aucun non-lieu, mais exacerbe d’autant plus leur culpabilité qu’à la fois ces morts ne peuvent ni se défendre, proies offertes, ni expier, victimes évanouies ; d’où l’exercice fantasmé de la vengeance dans un passé qu’elle ne cesse de reconstruire selon ses besoins (l’idéologie ne réécrit, ne refait l’histoire, que parce qu’elle la falsifie, la « refait » ). Pareil débordement – au sens strict – de la vengeance hors de la réalité indique que, livrée à sa logique, la vengeance préfère tout, plutôt que de ne plus se venger. Ce qui impose une conséquence obligée : plutôt me venger de moi-même, que de cesser de me venger. Le triomphe de la vengeance consiste à se retourner contre elle-même. Il ne s’agit plus du nihilisme qui retourne la volonté sur le néant pour l’y préserver – plutôt vouloir le rien que de ne rien vouloir –, mais du suicide, où la vengeance ne se préserve qu’en se retournant sur son acteur lui-même, ce qui implique alors de le détruire. Gardons-nous d’y voir une pure et simple contradiction : ou plutôt, pareille contradiction paraît ici parfaitement de mise, puisque la vengeance, dès son premier degré, contredit (accuse, détruit) ; qu’elle contredise donc jusqu’au support ontique de son exercice, cela certes pousse la contradiction à son maximum ; mais, comme la contradiction constitue justement son essence, le maximum de sa contradiction mène la vengeance à son dernier épanouissement : le suicide. « Je suis la plaie et le couteau !/Je suis le soufflet et la joue !/Je suis les membres et la roue !/Et la victime et le bourreau !/Je suis de mon cœur le vampire4 » (Baudelaire). Le suicide, figure terminale de la logique du mal, en rend manifeste la rigoureuse épure ; il en révèle donc la structure originelle et normative ; ainsi tout suicide reste une vengeance en circuit large ; quand en effet j’accuse et tue l’autre (même réellement coupable), je m’interdis toute réconciliation avec lui, donc me prive de ce que, dans le fond de mon désir, je souhaite par-dessus tout – non seulement faire cesser ma souffrance, mais, plus que d’en supprimer la cause, transformer la cause du mal en cause d’un bonheur : supprimer la cause de ma souffrance implique donc que l’on ait déjà renoncé à se la rendre favorable, à (se) la convertir, bref, à communier avec elle. En tuant Desdémone, Othello croit supprimer la cause de sa souffrance présente, mais, obscurément, il sait qu’il supprime aussi la cause (possible au futur, comme elle fut réelle jadis) d’un bonheur à rétablir : tuer en pure et simple vengeance, c’est déjà se priver d’une réconciliation, donc d’un amour : la vengeance ne rétablit pas l’état antérieur, mais condamne le futur à une irrémédiable impossibilité d’aimer ; elle ne restaure pas au présent sa plénitude passée, mais saccage la possibilité en insultant l’avenir. D’où l’absurde mais lucide aveu d’Othello, devant la beauté endormie de Desdémone : « Reste ainsi quand tu seras morte : et je vais te tuer, et je t’aimerai après5 ». Si le suicide d’Othello suit le meurtre de Desdémone, c’est d’abord parce que, pour Othello, tuer semble conclure seulement la logique de la vengeance ; or tuer, en fait, la commande ; aussi toute vengeance institutionnelle déploie-t-elle une conduite suicidaire, même et surtout si elle n’en finit jamais de se supprimer. Qui ne le voit dans le champ politique ? Plus un pouvoir politique pervertit son exercice en une vengeance infinie, plus il doit finir par se venger de lui-même : le tyran se défie de lui-même, la police politique se surveille par des polices parallèles, le parti s’épure régulièrement, le praesidium, enfin, ne se peuple que de vieillards, qui ne se survivent qu’à condition d’avoir, depuis longtemps, tué en eux ce qui, chez un homme, fait qu’il vit – l’âme, ou comme on voudra dire. Sans doute, la révolution persiste-t-elle à prétendre qu’elle travaille au bonheur ; mais, comme Othello, c’est après la mort de tout qu’elle pourra enfin commencer à aimer. Le mal nous aime, mais après nous avoir conduits à la mort.
Car se suicider, plus simplement se tuer, revient à faire triompher en soi-même la logique de la vengeance. Par suite, un suicide peut durer une vie entière ; car celui qui se hait lui-même n’a pas trop de sa vie pour s’accuser, tant il sait trouver en lui motifs et prétextes à une mise en cause infinie. Bien plus, à n’en finir pas de se tuer, le suicidé-vivant, jouant à fond de la logique du mal, éprouve la jouissance d’un cogito inversé : je me hais moi-même, donc je suis ; et doublement, puisque, si je suis, à titre d’accusé (cité à comparaître, donc nommé ! Reconnu coupable, donc reconnu !), je suis aussi l’accusateur tout-puissant. Comme la vengeance, le suicide qui la mène à son achèvement ultime offre des plaisirs, qui, pour ne donner aucune joie, séduisent d’autant plus. Le pire est toujours vrai ; la preuve : je peux toujours l’accomplir, pourvu que je me limite à mon propre territoire ; je puis toujours me venger, donc exercer une maîtrise, pourvu que je l’exerce sur et contre ce qui toujours me revient comme ma part irrémédiablement impartie à moi – moi. Le suicide offre donc à l’égoïsme son chef-d’œuvre : la vengeance absolue et toujours possible, l’affirmation de soi par négation de soi, qui ne dépend de rien que de soi réduit à rien. Ce qui signifie qu’en me suicidant, je me trouve dans la même position – exactement – que si je me vengeais du monde entier : j’en suis le maître. Et c’est bien pourquoi nous éprouvons tous le suicide comme une tentation : la tentation, non du néant, mais, par la maîtrise du néant, de la maîtrise absolue ; littéralement, je me suicide pour me venger du monde. Aussi ne faut-il pas trop vite reléguer le mythe faustien au rang des mascarades romantiques ; car Faust choisit de perdre son âme pour maîtriser le monde, ce qui veut bien dire : se suicider (quant à l’absolu) pour se venger (une vie biologique durant) ; son suicide admet seulement le délai d’une veille mortuaire, le temps de jouir de la vengeance. Il ne maîtrise la vie des autres qu’à la condition d’avoir déjà perdu la sienne ; il exerce donc l’autorité de la mort, et il ne triomphe que par la mort – loin de triompher de la mort. Faust pèche par et contre l’esprit, là où Don Giovanni hésite encore, par la chair du désir, entre vie et mort. Faust jouit d’une vengeance, Don Giovanni subit une vengeance, parce qu’il jouit encore. Seul l’esprit se tue bien, parce que lui seul est pur – donc assez puissant pour (se) nier. Ainsi le mal nous promet bien « d’être comme des dieux » dans l’indépendance absolue, qui me rend maître de moi comme de l’univers. Dans son fond, le suicide doit donc s’entendre comme un péché, comme le péché : celui de mimer Dieu, en se soustrayant à la logique d’amour de la création, par la logique de vengeance d’une décréation. Préférer maîtriser absolument, fût-ce au prix de se tuer, que de recevoir, fût-ce la grâce de devenir fils de Dieu ; préférer le néant que je produis, au don infini que je reçois. Tout péché, dans son fond, provient de la logique de la vengeance, et conduit à ce qui le fonde, le suicide. Le mal, en toute logique de la vengeance, triomphe dans le suicide, son ultime figure.
Mais, objectera-t-on, quoi de plus honnête que cette alternative ? En quoi peut-on parler d’« iniquité », puisque jamais la liberté humaine ne se trouve mise devant une alternative plus entière et plus juste ? En quoi pourrait-on, devant une telle logique, supposer le moindre « mystère », puisqu’une logique dont toute notre analyse a voulu souligner la contraignante rigueur y convoque la liberté de l’homme, en toute connaissance de la cause (vengeance) ? En quoi, surtout, faudrait-il, pour rendre compte de cet hypothétique « mystère d’iniquité », faire appel, si peu que ce soit, à une autre instance que l’humaine liberté, jusqu’à y adjoindre une autre liberté, et à donner à celle-ci le nom d’une personne ? – Avant d’en venir à la troisième interrogation, il faut d’abord faire droit aux deux premières, et interroger leur commun présupposé : que la logique de la vengeance, en menant au suicide, offre une option rationnelle et non inique. Or il semble, au contraire, possible de montrer que la logique de la vengeance s’achève dans et par-delà (si l’on ose dire, en songeant au suicide qui dure une vie) le suicide, en une tromperie, ou mieux : en plusieurs tromperies. La première tromperie se laisse deviner dès la formulation de l’essence du suicide (comme achèvement de la vengeance) : je ne me suiciderais pas, si je n’espérais pas ainsi un gain, paradoxal mais d’autant plus réel – la vengeance, donc la maîtrise. Le néant se trouve désiré certes pour lui-même, mais, comme lui-même implique immédiatement la vengeance et celle-ci la maîtrise, comme la maîtrise me paraît – même vidée de toute réalité – constituer ma propre affirmation, je désire mon suicide parce que ainsi j’espère mon suicide, donc un bien – moi. Le mal, voulu pour lui-même, devient, pour cela même, mon dernier bien, le dernier mot du moi. Or, en réalité, que reçoit celui qui se suicide ? La question n’a rien d’oiseux, sitôt admis que le suicide achève la vengeance, puisque d’abord il commence avec l’exercice de la vengeance, bien avant de culminer dans la mise à mort physique ; et la vengeance, nous la connaissons d’expérience. Or que donne la vengeance à celui qui s’y fie ? Très exactement rien. Rien veut dire d’abord : aucun bien réel, car plus la possession s’accroît, plus elle devient nulle et indifférente ; la possession absolue ne possède rien qu’elle-même ; si nous pensons le contraire, sans doute est-ce que nous ne possédons pas assez pour connaître que la possession nous prive de cela même que nous possédons – parce qu’à le posséder, nous n’y rencontrons plus d’autre réalité que sa consommation par nous, c’est-à-dire nous, seuls6. Mais rien veut aussi dire : aucune communion avec qui que ce soit ; si la vengeance (me) tue, elle ne permet donc de régner (comme la promesse de maîtrise l’assure) que sur des morts ; régner sur des morts revient à ne pas régner ; car l’affirmation du moi, même par le suicide, vise toujours – précisément parce qu’elle la mime perversement en l’inversant – la reconnaissance, donc la communion ; quiconque se venge, cherche dans le regard de celui qu’il accuse et châtie la reconnaissance de sa propre justice ; plus il se venge, plus il exige qu’on reconnaisse sa justice. Mais pour se venger, il doit aussi tuer le témoin ; il doit fermer les yeux, dont il exige pourtant un regard justificateur. Le suicidé pousse ce paradoxe à l’infini : il tue le dernier coupable, mais aussi le dernier témoin ; et peut-être le suicide nous tenterait-il moins, si nous y accédions après avoir suffisamment pratiqué la vengeance, c’est-à-dire assez tué de témoins pourtant indispensables pour qu’en nous tuant, nous tuions bien, avec le dernier coupable, le dernier témoin de notre justice. Nous nous suicidons mal, n’ayant pas tué tous les hommes – cela nous dissimule donc la première tromperie du suicide : qu’il ôte au triomphe de la vengeance même les moyens de la goûter. La logique du mal nous promet la maîtrise dans et par le néant, donc une parfaite justification devant le monde et nous-mêmes ; mais le prix du néant devient, au moment du suicide, infini – le néant s’empare aussi du possesseur de soi, du maître du néant ; le néant ne me permet de me gagner qu’en m’anéantissant ; la victoire du néant anéantit bien l’univers (coupable universel), mais abolit aussi le témoin et le bénéficiaire de la vengeance anéantissante (moi). Le suicide (comme vérité de la vengeance) ne supprime pas seulement avec la vie les raisons de vivre, il tue, avec la vie même, les raisons de se tuer. La vengeance, d’un coup, rompt le pacte et la digue : elle submerge même le vengeur, qui en perd le contrôle au moment même d’en recueillir le fruit – non pas au moment même, mais juste avant. Juste avant – ici l’horreur ! L’iniquité apparaît immédiatement : je crois, en me vengeant, gagner ma justification ; en fait, j’élimine les conditions de sa reconnaissance ; je crois, en me suicidant, tout gagner par le rien ; en fait, je perds tout pour rien – pour le rien. L’iniquité, comme duperie du vengeur par la logique du mal, me vole mon suicide même. Je perds donc même le rien auquel j’ai sacrifié tout.
Constater cette duperie, et en mesurer l’irréductibilité autant que l’ampleur, cela suffit peut-être à constituer ce qu’on nomme l’enfer et à y occuper l’âme. Sitôt accomplie la vengeance sur moi-même ou sur un autre, je comprends que, loin d’avoir rectifié le rapport à l’autre, j’ai détruit la possibilité même du moindre rapport, faussé ou justifié, entre lui et moi. Donc la logique du mal ne m’accorde finalement pas ce qu’elle m’avait promis : au lieu de supprimer la souffrance injuste, elle supprime les conditions de toute relation, donc de toute justice – d’où l’iniquité de la logique du mal. Pour la première fois, la logique du mal se retourne contre celui qui la met en œuvre ; car dans le suicide, elle ne se retournait pas contre lui, mais s’y appliquait seulement, pour – du moins le prétendait-elle – mieux servir son intention de vengeance. Ici au contraire, la logique du mal se retourne contre celui qui l’utilise, parce qu’elle le trahit : l’utilisateur se découvre utilisé. Le mal trahit : celui qui en appelle à la logique du mal pour se venger croit toujours qu’il s’appuie sur un pouvoir, un savoir, bref, une instance autre que lui ; à constater que le mal a une logique, il croit connaître le mal ; en un mot, il « croit » en lui, lui fait confiance comme à une théorie vérifiée, une pratique efficiente et juste, comme à un moyen pur et simple pour atteindre à ses buts. Mais la trahison éclate dès que le mal met effectivement en œuvre sa logique : la logique du mal n’est pas un moyen, c’est un but ; donc elle ne détruit un coupable (vengeance) qu’en interdisant toute relation (même justifiée) à autrui, ou soi-même ; par suite elle tue indifféremment l’« ennemi » et l’« ami », précisément parce qu’elle ne se reconnaît que des « ennemis »7. La logique du mal trahit celui qui lui a fait la moindre confiance. Tel est l’enfer – probablement : comprendre cette trahison ; ou plutôt, il s’agit de comprendre, dans cette trahison, que l’enfer, c’est l’absence de tout autre8.
Et ceci doublement. Par le suicide (comme achèvement de la vengeance), la logique du mal détruit, avec l’adversaire, la possibilité même de toute relation future, donc de toute justice future : la vengeance comme amputation du possible. Plus, le suicide détruit en moi la possibilité et la dignité de témoin d’une relation possible, bref, il abolit l’écart interne à la personne (distance) qui, d’avance, l’approprie à la possibilité même d’une communion. Après le suicide (vengeance), l’autre se trouve exclu du monde possible : tout autre devient impossible parce que la logique du mal a détruit en moi-même l’espace d’altérité (distance). L’enfer, c’est donc le moment où l’âme se retrouve enfin seule, ou, comme on dit avec une naïve envie, « unifiée » : veuve de la distance, seule non seulement parce que isolée, mais surtout parce que constitutivement impuissante à soutenir l’écart d’avec soi-même qui rend seul possible l’accueil d’un autre comme autre. L’âme ne se découvre ainsi seule qu’autant qu’elle se fait solitude. L’enfer enferme : il enferme l’âme sur soi, d’un renfermement qui, à se clore toujours plus étroitement, n’en finit pas de rétrécir la maîtrise promise sur le monde à rien, ou plutôt à réduire le monde où s’exerce cet empire souverain strictement à rien. L’enfer enferme l’âme en soi9. Mais l’absence de tout autre résulte plus directement encore de la trahison : la trahison même consiste en la désertion de l’autre. En effet, la logique du mal se propose à celui qui se venge et/ou se suicide comme un pouvoir, un savoir, bref, une instance autre que lui, en quoi il peut « croire ». Or la logique du mal trahit cette confiance en ne donnant de maîtrise que sur le rien, en enfermant l’âme dans l’enfer de ce rien. Et l’âme, ainsi enfermée, ne peut faire appel, d’une décision qu’elle seule a prise : ici se montre le piège ; l’âme croit s’engager envers une réalité autre qu’elle – la logique même du mal – mais, une fois qu’elle s’est suicidée en toute « confiance », elle découvre non seulement qu’elle a tout perdu et soi-même, mais surtout que de cette forfaiture elle ne peut faire appel – parce qu’il n’y a personne à qui faire appel. L’enfer me ment. La trahison culmine dans l’absence du traître : l’âme a été trompée par la logique du mal, mais la logique du mal la piège encore en ce qu’une logique, jamais, ne parle ni ne peut répondre comme un responsable : l’âme n’avait qu’à comprendre correctement cette logique, et la trahison ne fait que refléter existentiellement une inintelligence théorique ; l’âme a bien été trompée, mais c’est toujours elle qui s’est trompée : non seulement elle a été flouée de sa maîtrise et enfermée dans l’enfer interne, mais elle est encore flouée d’un responsable. L’enfer trahit, et, comble de la trahison, il afferme le rôle du traître à celui-là même qui s’y trouve trahi. La logique de la vengeance, qui découvre toujours des responsables jusqu’en la victime (suicide), ne refuse d’assigner qu’un seul responsable, elle-même : elle se dérobe à sa propre responsabilité, et rend responsable de sa propre trahison l’âme qu’elle trahit. Elle trahit une deuxième fois celui qu’elle a trahi (en le décevant) par son refus de s’avouer traître. L’enfer, c’est l’absence de tout autre : la trahison fuit sa responsabilité, le traître trahit en se dérobant au triomphe de sa trahison. L’âme se découvre une deuxième fois seule : abandonnée de cela même qui l’abandonne, elle ne peut plus – comme le dit si bien le langage courant – s’en prendre qu’à elle-même. C’est-à-dire se tuer une seconde fois (la « seconde mort »), d’un suicide sans fin.
Mais alors, n’avons-nous pas la meilleure preuve, et pour ainsi dire a priori, que Satan n’existe pas, puisque l’enfer ne consiste qu’en une trahison sans traître ? La disparition de tout recours envers quelque autre – quelque responsable que ce soit – se renforce d’une dernière réussite : si l’âme ne peut accuser de responsable (sinon elle seule), c’est que, d’abord elle n’a même pas été trompée. Car, de fait, comme Macbeth, l’âme n’a littéralement pas été trompée : la logique de la vengeance lui avait bien, de fait, annoncé la destruction de l’autre et une maîtrise bornée au néant. Macbeth n’avait pas pris au sérieux qu’il ne resterait invaincu qu’aussi longtemps que « la forêt de Birnam ne viendrait pas à Dunsinane », et qu’il ne serait pas tué par un « être né du ventre d’une femme » ; il n’y voyait qu’une métaphore de l’inespérable invulnérabilité – par quoi il montrait la naïveté maladive de ceux qui se veulent réalistes à tout prix. Une fois les deux annonces réalisées par l’événement, Macbeth s’indigne, avant de mourir : « Qu’on ne croie jamais plus ces démons qui jonglent avec nous, et nous trompent avec des mots à double sens, qui tiennent leur promesse pour l’oreille, mais qui la violent pour notre espérance10. » Macbeth a tort de se récrier : les sorcières ne lui mentirent point, puisque leurs prédictions, loin de décevoir, se vérifient littéralement ; son aveuglement seul qui suit la fausse évidence d’une interprétation accomodatrice l’a déçu. L’âme, comme Macbeth, n’a pas voulu entendre ce que la logique de la vengeance lui proposait effectivement ; la destruction de l’autre (accusation et culpabilité universelle) signifiait ce qu’elle signifie – la disparition de tout autre, sans aucune exception, jusqu’aux conditions mêmes de l’altérité (la distance), moi-même –, et non pas une simple élimination des ennemis ; la maîtrise du néant signifiait ce qu’elle signifie, littéralement que la maîtrise ne s’exerce sur rien, sur le rien. Car le mal respecte au moins sa logique – celle de la lettre sans esprit. Le mal reste littéral, fait mal à la lettre. Méphisto veut de Faust un contrat, pas une parole, mais une lettre, car le mensonge ment à la lettre, innocemment. L’âme ne fut donc pas trompée, mais elle s’est elle-même trompée. Il lui reste à s’en prendre à elle-même, « à n’entr’ouvrir comme un blasphème/Qu’absence éternelle » de lui11, le traître qui ne trahit sa parole qu’en la respectant à la lettre, et qui ne se dérobe à sa responsabilité qu’autant qu’il ne l’a qu’en ne l’ayant pas. Dès lors, ne faudrait-il pas conclure que, précisément, la trahison sans traître et la promesse tenue par la logique déploient le mal jusqu’au deuxième suicide sans exiger aucun agent extérieur à la logique même de la vengeance ? Nous serions ainsi dispensés d’introduire la « personne » de Satan.
Or c’est exactement à l’inverse qu’aboutit notre analyse. Ou mieux, elle a déjà débusqué, depuis un moment, le Satan. Car Satan se révèle précisément en ce qu’il se dérobe à la responsabilité – accomplissant ainsi parfaitement la logique du mal : « Ah ! que nous sommes seuls dans le mal (…). D’ici la fin du monde, il faudra que le pécheur pèche seul, toujours seul – nous pécherons seuls, comme on meurt. Le diable, voyez-vous, c’est l’ami qui ne reste jamais jusqu’au bout12… » Satan, un satan indique, en hébreu, un « accusateur » (Job 1, 6 etc., Zacharie 3, 1 etc.) qui veut la mort de l’homme grâce à des mensonges qu’en toute sincérité « il tire de son propre fonds » (Jean 8, 44). Or toutes ces caractéristiques ont déjà trouvé leur place dans l’esquisse de déduction que l’on vient de mener : Satan accuse les hommes, en apparence pour le bénéfice d’un d’entre eux, en fait pour que celui-là même finisse par s’en accuser lui-même et se mettre à mort sans fin ni trêve ; mais le piège ainsi dressé ne peut fonctionner en toute sa perfection que si le dernier homme ne peut plus se défaire de sa responsabilité (à l’égard de ses victimes, mais aussi à son propre égard) qu’en accusant lui-même ; pour ce faire, Satan doit disparaître – trahir la confiance, et trahir sa propre trahison en se dérobant. Seule cette dérobade clôt l’enfer : l’enfer, c’est l’absence de tout autre, même de Satan ; le piège ne devient infernal que si sa victime s’y découvre définitivement enfermée et donc seule responsable13. La force de Satan, répète-t-on, consiste à faire croire qu’il n’existe pas. Il faut approfondir ce paradoxe banalisé. Il signifie que Satan se dissimule d’abord sous la logique du mal, pour en faire mieux accroire la quasi-innocence ; mais surtout que, une fois la logique du mal irrémédiablement mise en marche vers l’ultime désastre, Satan doit se dérober pour que l’âme ne puisse plus se défaire de sa mort sur quelqu’autre, et, trahie d’une trahison sans traître, n’ait de cesse de se défaire sans fin – Sisyphe de sa propre défaite. L’absence de Satan, plus qu’une ruse, constitue son seul mode d’action. En quoi il mime aussi Dieu, dont le retrait ménage la distance dans laquelle seulement des fils se peuvent créer et adopter ; mais le mime – Satan singe de Dieu – vire à la caricature, puisque la distance constitue un mode de l’amour instant de Dieu et qu’il fait ainsi vivre l’homme, tandis que la dérobade de Satan provoque l’âme à se tuer par une haine sans nom. Satan tente, trompe et tue en tant même qu’il se dissimule et se dérobe. Son insaisissable fuite, loin de le diminuer comme une hypothèse facultative, le débusque comme un présupposé dont l’assise ne joue qu’autant qu’elle se dérobe. Satan ne se dérobe (traître fuyant la responsabilité de la trahison) que comme un terrain se dérobe sous les pieds, dès que le pas veut en presser le sol. Ce que Satan ajoute à la vengeance comme logique du mal, c’est, en se dérobant, d’en manifester l’intention et l’essence – la dérobade elle-même. La vengeance n’exerce qu’une dérobade, et ne vise qu’à dérober l’homme à son âme, ce que ne révèle que la dérobade finale qu’est, en personne, Satan.
Mais justement, il faut comprendre que, si Satan n’est et n’agit que par dérobade, c’est, pour lui, moins ruse que nécessité : il ne peut faire mieux ni autrement. S’il n’affronte pas l’homme à visage découvert, peut-être est-ce d’abord parce qu’il n’a pas les moyens de l’oser. Cette audace, une raison fondamentale la lui interdit : lui-même se situe en enfer ; bien mieux il constitue un enfer par excellence, comme le site enfermé où l’accès à tout autre définitivement se referme ; Satan, en abolissant la distance filiale en lui, s’interdit constitutivement d’habiter la distance où Dieu se donne, et où les fils (adoptifs) du Père s’adonnent les uns aux autres dans le Fils. Si nous ne pouvons, pour en constater l’« existence », jamais rencontrer Satan, l’impossibilité sans doute vient de l’enfermement insurpassable de Satan, orphelin de la distance, décidément impropre à supporter l’altérité comme telle. Face à un fils adoptif qu’adopte le Père, face à la distance christique, Satan ne peut rien tenter, puisqu’il y éprouve son impuissance à la distance. C’est bien pourquoi l’exorcisme l’atteint – qui lui jette à sa figure défigurée son impuissance à la distance, en invoquant le nom devant qui tout genou, au ciel, sur la terre et aux enfers, fléchit (Philippiens, 2, 10). Il faut renoncer à imaginer Satan tout-puissant : il ne peut rien, ou plus exactement que ce qui peut devenir rien, par la possession ; il ne peut rien contre ce qu’il a perdu, la distance filiale. À proprement parler, Satan est un fils défait – défait de sa filiation et qui éprouve la filiation des hommes comme une défaite, dont il doit se venger, en la défaisant.
Il faut définitivement renoncer à une fausse alternative sur Satan : trop lui dénier (jusqu’à son existence), ou trop lui accorder (une existence toute-puissante) ; l’une et l’autre hypothèse manquent en effet le point crucial : que Satan ne bénéficie que d’une existence diminuée, une personnalité défaite, strictement une personnalité devenue impersonnelle par la perte de la distance filiale. La puissance de Satan demeure, angélique certes, donc incommensurable à la nôtre, et s’étend sur les pensées comme sur les choses, sur les esprits comme sur le monde ; mais elle reste définitivement analphabète de la charité, puisque décidément frustrée de la distance. Satan peut bien se dire tout-puissant, mais n’en reste pas moins impuissant pour l’amour ; il n’exerce sa toute-puissance régionale que pour rendre tout homme impuissant à aimer – comme par cette jalousie froide et frénétique que les romanciers attribuaient aux eunuques. Aussi bien, autant il exerce partout sa toute-puissance, dans l’ordre des grandeurs de chair et celui des grandeurs d’esprit, autant, dans le troisième ordre, « le moindre mouvement de charité » le laisse-t-il impuissant. D’où sa soudaine lâcheté, aussi stupéfiante que son ancienne arrogance. S’il fallait donner à l’imagination une représentation sensible de Satan qui se dérobe pour nous dérober à nous-mêmes, autant préférer celle que risque Dante : « L’empereur au douloureux royaume », pris dans la glace, dont, comme le cygne de Mallarmé, il ne peut secouer la blanche agonie, « fut aussi beau qu’il est laid maintenant » : la splendeur d’une icône de Dieu en lui monstrueusement se transforme en son contraire, la bestialité ; les trois paires d’ailes des séraphim lui restent, « mais elles ressemblaient aux ailes des chauves-souris » ; il imite, par ses trois faces, vaguement la Trinité, mais l’inversant : la première, rouge, trahit la haine, la seconde, blanche et jaune, marque l’impuissance envieuse, la dernière, noire, l’ignorance. Satan pleure et bave, de ne pouvoir plus habiter la distance, c’est-à-dire de n’être plus une personne14. Prince du douloureux royaume, de l’enfer qui enferme l’âme hors de la distance, donc lui dérobe décidément son humanité en lui interdisant de communier à Dieu, il s’aliène en s’interdisant l’altérité ; donc il ne peut (comme en une onto-théologie inversée et transposée) qu’en concentrer sur lui toute l’horreur : il peut se dérober à tous ceux qu’il enferme ainsi en enfer, et à tout, mais non pas éviter l’enfermement même de l’enfer, « mais non l’horreur du sol où le plumage est pris ». Plus que toute autre âme, le Satan souffre de l’enfer, dont l’ultime cercle l’enserre dans une solitude si absolue, une identité si parfaite, une conscience si lucide et une sincérité si transparente avec soi, qu’il y devient l’absolu négatif de la personne – l’idiot parfait.
Satan, ou le parfait idiot : idios, celui qui assume sa particularité comme un bien propre, qui s’approprie à ce point sa propre identité qu’il ne veut, puis ne peut « sortir de soi », c’est-à-dire habiter la distance. La folie, dans ses plus hautes réussites humaines, n’offre qu’une lointaine esquisse de l’idiotie absolue de Satan, où la lucidité, l’impuissance, la haine de soi, l’envie se combinent pour engendrer une souffrance dont le paroxysme même devient si insoutenable, qu’il oblige la personne à s’évanouir en une insensibilité où la vie mime au plus près la mort. À déclencher sans fin ni but l’enfermement d’une trahison traître à elle-même, Satan s’engloutit sans cesse ni repos dans l’idiotie de sa propre expropriation – trou noir de l’âme, qui la résorbe en son absence même. « Je suis vide, moi aussi15. » Idiot absolu, renfermement de la distance, personnalité vide de toute personne vive : Satan ne laisse pas aisément prouver son existence, puisque, en fait, il n’a d’autre existence que quasiment toute annihilée. Satan ou la défaite presque totale de la personne. Presque ? Trace de ce qu’il efface, il reste encore assez personnel pour que – quand sa dérobade se cache derrière « personne ! » – nous sachions ce qu’il tue en nous après l’avoir tué sur lui : l’icône de l’invisible. Presque ? La part de Dieu.
Mais comment dès lors expliquer que ce qui n’existe presque pas néanmoins puisse nous menacer, et venir à notre rencontre ? Ne faut-il pas récuser l’analyse antérieure, ou suspecter le témoignage des spirituels ? En fait, ni l’un, ni l’autre. – Si Satan se résume en une défaite de la personne, s’il tente aussi d’accuser l’homme pour tuer en lui l’humanité (c’est-à-dire la similitudo Dei), la seule fin qui le puisse encore soulever sera donc de mettre à mort, en l’homme, la personne. Seule cette destruction peut mobiliser Satan : car Satan n’agit et n’est que comme un satan, un accusateur public qui ne vit qu’en séance. Le Caligula de Camus avoue que : « C’est drôle, quand je ne tue pas, je me sens seul16 » ; Satan lui, tue pour renforcer l’idiotisme de sa solitude ; ou plus exactement il tue en rendant l’homme aussi solitaire que lui-même l’est – en rendant l’homme aussi idiot que lui-même. En tentant l’homme, c’est-à-dire en tentant de détruire en l’homme la personne, qui le maintient à la similitude de Dieu, Satan ne sort pas de son idiotisme ; il le renforce au contraire, en détruisant toute distance qui maintiendrait en l’homme la personne. Satan détruit la personne autour de lui pour se protéger de la personne, et renforce son idiotie d’un peuple d’idiots, à sa ressemblance (et non à celle de Dieu), comme certains régimes politiques s’entourent de satellites, leurs mimes, victimes et défenseurs. Donc, dans la tentation qu’il inflige à l’homme, Satan essaie d’y défigurer la personne, d’y combler la distance, d’y raturer la similitudo Dei ; la tentation consiste en l’affrontement d’une personnalité négative parce que déjà meurtrière de sa propre personne, avec une personne qui doute de sa personnalité : une personne lutte pour vider une personnalité de sa personne. « Quand les paroles viennent du démon, non seulement il n’en résulte aucun bon effet, mais il s’en produit de mauvais. Je me demande si ce n’est pas qu’un esprit en sent un autre17. » Satan nous cherche, au sens où, dans un tripot, un mauvais garçon « cherche » un client, pour avoir prétexte de le rosser et de le dépouiller ; le dépouiller de ce qui, en lui, importe : l’argent, ou, pour Satan, la racine de la personne – ce qui peut l’unir à Dieu dans le Christ, la volonté. Satan, personnalité vide, parce que défaite de sa propre personne, tente de nous défaire de la volonté libre, qui nous fait des personnes. Il ne s’impose à nous que par l’hyperbole exemplaire de sa propre défaite, n’exerce sa puissance qu’en vertu d’une impuissance dont nous n’avons aucune idée : il nous force au néant par la néguentropie inversée d’une humanité inouïe. Son impuissance à vouloir aimer n’aime plus qu’une chose : vouloir l’impuissance de notre volonté, pour rassurer sa propre impuissance. D’où le jeu finalement banal que nous connaissons tous bien : nous convaincre de notre nullité humaine et spirituelle, souligner nos échecs passés pour en tirer une prévision du futur ; nous ressasser que l’amour est impossible, et que, de toute manière, nous en sommes incapables, indignes ou frustrés – ainsi Judas, victime par excellence du Satan : « Il agit avec une gigantesque humilité ; se crut indigne d’être bon (…). Il pensa que la félicité, comme le bien, est un attribut divin que les hommes ne doivent pas usurper18. »
Ainsi le mal en personne nous plonge-t-il dans une tristesse si radicale et dense que nous désespérions de pouvoir jamais y échapper, c’est-à-dire de pouvoir jamais vouloir y échapper. Cette tristesse veut en effet nous résigner, mais de nous-mêmes, au suicide, par cette seule volonté dont il prétend nous démontrer pourtant l’inanité. Satan n’a pas les moyens – la volonté – de modifier ou annihiler notre volonté, puisqu’il n’a, en un sens, plus de volonté : il lui reste à nous faire accroire que nous n’avons déjà plus de volonté (alors qu’il nous en reste une) pour que, de nous-mêmes, nous annihilions notre volonté par elle seule – suicide encore. Dans la tentation – la seule, celle du désespoir, que toutes les autres préparent et visent –, Satan nous apparaît comme tel : le mal en personne ; mais paradoxalement : une personnalité vide de ce qui fait la personne (la volonté libre d’aimer), une personnalité qui, sur le mode de la dépersonnalisation, travaille indirectement à défaire notre personne, pour nous enfermer en l’idiotie de l’enfer. Personne abstraite, nous caricaturerions ainsi Dieu, comme lui19. Satan existe-t-il ? Mais plutôt, que veut dire ici « exister » ? Le mal ne vise qu’à universaliser ce à quoi se résume – sur la frange extrême du néant – sa réalité : une personne veuve de toute personnalité, absence éternelle que n’habite que ce minimum de conscience qui lui permet de haïr son inexistence ; la personne de Satan se résume en un néant qui personnalise son désespoir. Satan peut bien s’appeler, comme Ulysse échappant au Cyclope aveuglé, « personne » : une personne qui ne recouvre qu’une absence de personne ; et donc la seule preuve indiscutable de son « existence » nous vient de l’abîme, dont, souvent, le vertige nous pousse au suicide. Vaincre Satan en nous revient donc simplement à devenir ce qu’il ne peut plus accomplir en lui – une personne, qui, par soi, ne veut pas toujours se venger, ou du moins veut ne pas se venger toujours. Vouloir contre la logique de la vengeance – quelle liberté le permettrait ?20
mars 1979