« …l’amour, mesure parfaite et réinventée,
raison merveilleuse et imprévue… »
N’importe qui pense en savoir beaucoup, au moins bien assez, sur l’amour, ne fût-ce que parce que tous, en dernière instance, nous vivons, marchons et respirons en lui : notre monde effectif et prochain se définit, à la fin, selon les paramètres de la haine et de l’amour. Par suite, cette instante proximité nous imprègne si immédiatement que nous n’interrogeons que rarement et médiocrement son inquiète primauté. L’amour – donc, à terme, la charité – ne respecte pas les logiques de la rationalité qui calcule, des étants qui sont, du monde qui veut ; non que lui manque toute rigueur, au contraire ; mais l’amour déploie simplement sa propre rigueur – la dernière rigueur –, suivant une axiomatique absolument sans pareille. Aussi longtemps que nous l’ignorons, la pensée de l’amour et sa pratique nous restent comme telles interdites.
Les études1 qui suivent ne prétendent ni fixer une telle axiomatique, ni dire l’amour, ni encore moins laisser la charité se dire : pour y parvenir, manquent la force et la dignité. Elles tentent de dégager seulement quelques prolégomènes : à quelles conditions, souvent critiques et négatives, la charité peut-elle apparaître dans notre pensée, qui, au meilleur cas, l’omet, plus souvent la refuse ? Ces conditions de possibilité et d’impossibilité doivent se conquérir aussi bien sur le terrain périlleux de la théologie que dans le territoire mouvant de la philosophie ; on ne s’étonnera donc pas que la phénoménologie voisine ici avec la christologie, car il se pourrait que le retour même à la chose en question l’exige.
Des prolégomènes annoncent toujours un achèvement qu’ils ne peuvent le plus souvent accomplir2. Nous espérons au moins qu’en attendant de tenir quelque promesse, ils rendront un service : reconquérir, concernant l’amour et donc la charité, certaines évidences perdues.
Lods, juillet 2018