Le troisième jour le vent est tombé et nous avons pu disposer le petit déjeuner sur la terrasse. Justine et Louis se sont disputé la place face à la mer. Brune leur a rappelé la règle d’alternance d’un repas à l’autre, et intimé d’arrêter leur chahut. La famille voisine ne méritait pas qu’on lui casse les oreilles dès 9 heures du matin. Eux étaient cinq, nous étions quatre, était-il normal qu’on n’entende que nous dans toute la résidence ? La question n’appelait pas de réponse et les enfants se sont tus.

Le temps limpide dégageait la vue jusqu’à la rive opposée pourtant lointaine. J’ai demandé à Louis qu’il explique le principe de l’estuaire, sa sœur a répondu à sa place. En représailles je l’ai mise au défi, elle si maligne avec sa moustache de lait d’amande, de citer d’autres estuaires. Achevant de peler un kiwi, Brune a jugé ma question trop ardue. Une question ne devait pas rabaisser mais valoriser. J’ai tâché de valoriser sans rabaisser, disant que cette question trop ardue l’était moins si on se référait aux fleuves. Il y avait donc l’estuaire de la Gironde, et à part ça ? À part ça Louis ? En fleuves français on a quoi ? Dans la ville où nous habitons toute l’année, c’est lequel qui passe mon grand ?

Facile a dit Justine.

Chut a dit Brune.

Dans l’angle inférieur gauche du panorama, le bac s’est décollé de l’embarcadère pour le premier de ses dix allers-retours quotidiens. Il les accomplirait loyalement, sans dévier de sa trajectoire. Le commandant de bord avait un cap et s’y tenait. Les passagers pouvaient se reposer sur lui comme des enfants sur un père.

Justine a dit : la Seine. J’ai dit tu exagères en la félicitant d’une bise.

Une rafale a affolé l’emballage de biscottes artisanales et clos la leçon de géographie. J’ai pensé quelle splendeur cette vue et qu’il fallait que je m’occupe du wifi.

En sortant, je me suis arrêté à l’agence encastrée au rez-de-chaussée de l’immeuble. La gérante a confirmé qu’à cette période où les locations faisaient le plein, la connexion avait parfois des ratés. Son collier de perles la vieillissait ou bien c’était son âge. Au pire nous pouvions avoir recours au wifi de la plage, fonctionnel à toute heure. Le code était wifiroyanplage en minuscules toutes attachées.

Ainsi désormais même les plages étaient connectées. Je le déplorais. Il y avait un temps pour tout.

Pour la première fois en trois footings j’ai pu atteindre Saint-Palais, et faire demi-tour à la pancarte du chemin côtier vers La Palmyre. À l’arrivée, les paramètres affichés par mon bracelet fitness étaient conformes à ma feuille de route. J’avais fait 21 450 pas et parcouru 10,324 km en 67 minutes, soit une moyenne de 9,7 km/h. À raison de trois minutes supplémentaires par jour, je pouvais espérer courir une heure et demie à la fin du séjour, à raison d’un nombre de pas approchant les 25 000. J’allais ménager une progression par paliers, sans précipitation ni brusquerie. Tous les sites de running spécifiaient qu’un corps forcé se fait du mal. La veille sur le trajet retour j’étais monté à 150 pulsations / minute et le bracelet avait signalé une saturation de l’oxygène dans le sang.

À un balcon du front de mer un homme en polo prenait en photo ses fleurs. J’ai pointé le drapeau tricolore pendu à sa balustrade et levé un poing vainqueur qu’il m’a retourné. Nous nous comprenions.

Depuis le promontoire de la corniche du Chay où je me suis étiré, le paysage de ciel et de mer euphorisait. D’une inspiration profonde je me suis empli d’air pur, puis j’ai entamé une série de gainage de 5 × 30, le corps parallèle au sol, les abdominaux contractés pour ne pas me cambrer. Au loin des voiles se croisaient. Je n’ai pas oublié de rétroverser le bassin pour éviter les tensions résiduelles dans la nuque ou les cervicales. Tout en bas une file indienne de seniors fendait l’eau plate du matin, les bras prolongés de raclettes. Leur allant m’a réjoui. Ils n’étaient pas près de mourir et donc moi encore moins.