Nous dînions dans la cuisine pour un soir encore. La table de salon serait livrée le lendemain. Elle aurait des pieds en métal et un plateau placage chêne.
Aux fruits Justine est revenue à la charge sur l’école de musique. Brune a dû redire les termes du contrat établi en juin. Cette première année était un essai au terme duquel nous prendrions une décision concertée à trois. Justine a allégué qu’en juin elle ne pouvait pas prévoir que notre nouvelle adresse la condamnait au métro qui puait la pisse et hier encore elle avait vu un gros rat traverser la voie.
Pour le coup c’est moi qui ai rappelé que le déménagement aussi avait été discuté entre nous. Quitter l’appartement de Rambuteau n’avait enchanté personne mais nous avions convenu tous ensemble que la sécurité de mamie le valait bien. Qu’elle valait en tout cas trois stations de métro.
Quatre.
Non, trois.
Quatre, et avec changement. Saint-Paul, Hôtel de Ville, changement, Rambuteau, Arts et Métiers.
Tu pourrais y aller à pied.
Pas avec mon sac.
On te demande de tenir dix mois. Une grande fille de sixième peut tenir dix mois.
L’incident était clos. Grande fille lui avait plu. Et c’est vrai qu’elle était ma grande fille. Elle avait encore pris deux centimètres et sa silhouette en I commençait à prendre des formes. J’ai rassemblé nos assiettes, vidant dans l’une les déchets des autres. Louis a gardé sa banane pour plus tard. Par texto j’ai confirmé à Amazon les deux codes de l’immeuble et le numéro d’interphone. Brune a de nouveau proposé d’assister à ma place à la réunion de parents d’élèves. J’ai de nouveau insisté pour m’y coller. Comme mes nouveaux horaires de taf m’empêchaient de déposer Louis le matin comme je le faisais l’an passé, cette réunion me donnait l’occasion de m’amender, ce serait ma participation à l’effort scolaire.
Et puis j’étais content de retrouver l’école.
Brune m’a accordé ce point sans tout à fait le ratifier. Quelque chose l’embarrassait dans ce deal pourtant équitable. Sans doute la contrariété de ne pas défendre directement les intérêts de son fils auprès de l’équipe pédagogique.
Le livreur avait un teint de Pakistanais ou par là. Il pouvait avoir 18 ans ou un peu moins, on espérait un peu plus. J’aurais pu lui demander une carte d’identité mais pourquoi lui compliquer la vie et la nôtre. Une piqûre d’insecte ou un coup tenait sa paupière gauche fermée. Déposant le gros carton rectangulaire contre le chambranle, il a tenté de dire le prix de la course en français, a fini en anglais. Justine a traduit. Sixty-three égale soixante-trois. Puis traduit dans l’autre sens la proposition de Brune. Would you like a glass of water ? Il a dit no thanks. Would you like a glass of wine then ? No thanks. And what about sparkling water ? a tenté Brune. Il a dit no thanks, pressé, travail. Justine a dit qu’il était in a hurry because of his job. Le dialogue a tourné au jeu. Justine traduisait en anglais ce que le livreur s’efforçait de dire en français. Elle le mitraillait de questions pour faire durer. Nos voix résonnaient dans la cage d’escalier. Sans raison le livreur ponctuait toutes ses phrases d’un pas souci. Are your eyes hurting you ? No, no, thanks for your attention, pas souci.
Brune a signé l’écran de son boîtier avant qu’il ait fini de réciter les modalités de réclamation. Il a pris congé en me disant en français Dieu te garde toi et les tiens. Ça aussi il l’avait appris par cœur. J’ai demandé contre quoi Dieu me gardait pour faire rire Brune qui par respect s’est retenue. Il a souri sans comprendre et répété Dieu te garde toi et les tiens. Justine a dit God bless you and your family too. Il a dit merci, pas souci.
Justine a tout de suite déballé la box pour commencer les branchements. Brune disait : regarde bien la notice, parfois on gagne beaucoup de temps à en perdre.
Justine trouvait que gagner beaucoup de temps à en perdre était absurde.
Tu insinues donc que ta mère prononce des phrases absurdes ?
I’m afraid she does.
Tu veux finir la soirée dans ta chambre ?
De toute façon je vais finir la soirée dans ma chambre.
Ça suffit.
Je vais pas dormir dans le canapé.
Ton père a dit ça suffit.
Nous avons exécuté à mesure les consignes lues par Brune. La fonction UPnP AV permettait d’accéder, depuis notre téléviseur relié au boîtier TV, à un ou plusieurs ordinateurs du réseau local. Le partage des fichiers que nous souhaitions rendre accessibles requérait l’installation d’un logiciel UPnP. Le téléchargement du logiciel gratuit FreeMi était optionnel si Windows Vista gérait nativement la fonction, mais indispensable en vue d’une configuration de notre serveur multimédia via FreeMi. Une fois démarré, FreeMi apparaissait sous forme de petite icône dans la barre des tâches, en bas à droite sous Windows. Il n’y avait plus qu’à pointer sur l’icône, procéder à un clic droit, puis taper sur Configuration. Si un message lié à notre pare-feu s’inscrivait, il convenait de choisir le déblocage de FreeMi afin d’en assurer le bon fonctionnement.