J’ai attendu de retrouver mon souffle pour lancer quatre séries de burpees sur un banc de la corniche. Une série comprenait un squat sauté, une pompe, un mountain jumper. Avec 30 secondes entre chaque pour cumuler renforcement musculaire et activation cardio-vasculaire.
La plage était déserte sauf quelques femmes seules sans doute rétives au pullulement de l’après-midi. Un couple de septuagénaires se déshabillait lentement, comme pour ne pas briser ses os. Sans quitter ma position de gainage, je les ai regardés entrer dans l’eau main dans la main. Je me suis vu à cet âge, entrant dans l’eau main dans la main avec Brune. Ce ne serait pas sur une plage de Saint-Martin, je ne deviendrais pas mon père, mon destin était libre, j’avais librement choisi Brune qui se projetait sur la côte nord de la Bretagne. Nous y aurions acquis une maison avec vue sur un petit port de pêche. Nous n’aurions jamais cessé de travailler car le travail entretient. Nous dirigerions à distance un cabinet de conseil créé en cumulant nos fonds propres. Chaque matin après un premier check des mails nous descendrions nager, nous éloignant du bord en brasse comme présentement le vieux couple, lui quelques mètres devant elle, ouvrant le chemin, la guidant, la sécurisant, amoureux.
Sur mon bracelet clignotait le rappel hydratation. J’ai bu quelques gorgées au robinet extérieur de l’hôtel-thalasso.
Après la douche je me sentirais tout à fait bien.
J’ai retiré mes Nike Pegasus pour traverser à tâtons le salon où Brune était en rendez-vous Skype. Justine avait investi la table de terrasse pour colorier les États membres de l’UE sur une carte photocopiée. À raison d’un pays par minute, elle aurait fini ses devoirs avant midi et irait à la plage la conscience tranquille. J’ai aimé qu’elle dise conscience tranquille. Tout père trouvait sa fille intelligente mais dans notre cas c’était vrai.
Elle a fini de colorier la Croatie puis répété suspicious que venait de prononcer sa mère.
It seems that you’re very fluent in english.
I may be.
Rabattant son Mac, Brune a justifié son entorse à notre pacte de déconnexion par l’urgence de la prestation. Elle avait dû dicter en catastrophe un communiqué de presse à un client danois cité dans les nouveaux Panama Papers. Au préalable, elle avait rappelé à ce leader du photovoltaïque les fondamentaux de la communication sensible, à commencer par l’impératif d’envisager une difficulté comme un test. André Malraux l’avait dit : les accidents sollicitent la compétence des uns, les crises mettent à rude épreuve l’excellence de tous. Et puis les leaks tombaient désormais à une fréquence telle qu’un scandale en gommait un autre, il n’y avait qu’à tenir bon en attendant les prochains. En même temps il ne s’agissait pas de fuir ses responsabilités. Si faute il y avait, il fallait l’assumer, et d’abord la nommer, car mal nommer les choses c’est ajouter aux malheurs du monde avait dit Albert Camus. En toutes circonstances Brune préconisait la transparence.
Ma femme m’avait parlé de son travail, j’ai parlé de mes 13,423 km en 1 h 17. Nous nous prêtions une attention réciproque.
Justine connaissait par cœur dix des pays de l’Union européenne, souhaitions-nous qu’elle les récite ?
Nous le souhaitions. Nous péririons sur place si elle ne les récitait pas sur-le-champ.
Lituanie. Malte Espagne. France. Grèce. Hongrie. Irlande. Estonie. Finlande. Italie. Lettonie.
Encore 18 et elle les connaîtrait tous.
Trois heures plus tard, mes mots fléchés proposaient, en deux lettres, la définition : famille dysfonctionnelle de 28 membres. J’ai rapporté cette savoureuse coïncidence à ma fille qui l’a accueillie d’une moue sitôt décryptée par sa mère : mademoiselle était passée en mode bouderie parce que son père n’avait pas accédé à sa demande d’achat d’un jeu de quilles nordiques.
Elle aurait beau bouder les six jours restants, je maintiendrais mon cap, comme un capitaine de bac. Son subit désir de quilles ne venait pas de son moi profond mais de l’influence de la masse de gens qui cédait à cette mode depuis trois étés. Ma fille tombait dans la moutonnerie consommatrice, elle désirait ce que les autres désiraient, c’était décevant, on ne l’avait pas éduquée comme ça.
Justine a dit que si sa mère n’avait pas vu de Ray-Ban sur d’autres femmes, elle n’aurait pas voulu en acheter.
Argument irrecevable ma chérie, c’est ton père qui me les a offertes.
Mais papa il les a peut-être vues sur une autre femme d’abord.
Ça il faut lui demander.
Papa, alias moi, aimerait bien que sa fille se taise maintenant.
Un ballon a atterri sur ma serviette, je l’ai renvoyé en m’appliquant vers le groupe de garçons dont il émanait. Leur fantaisie du jour consistait à viser les fesses d’un des leurs plaqué contre la falaise. J’aurais aimé en être, mais côté tireur. J’aurais voulu la jeunesse sans les affres de la jeunesse. Le visage sans rides mais sans boutons. Juste l’adrénaline du jeu, la transe de taper dans le mille, peut-être de faire mal, même si assurément la cible exagérait ses râles quand le ballon l’atteignait. Les râles extériorisaient autant la douleur que la satisfaction d’avoir surmonté l’épreuve rituelle. Ces jeunes mâles à ventre plat s’accordaient mutuellement des certificats de virilité. Des femelles n’auraient pas joué ainsi. Des fesses de femmes pareillement offertes auraient confiné à l’indécence.
À défaut de ballon, j’ai arraché Louis à son trou du jour pour une partie de raquettes sur le dur. Ça ne l’emballait pas plus que ça ne l’embêtait. Je l’ai forcé à travailler le revers, comme on fait travailler un membre fraîchement déplâtré, en envoyant deux tiers des balles du côté concerné. La répétition du geste le lui rendrait naturel. S’il le voulait bien. Il ne le voulait pas. Chaque fois, il se tordait pour renvoyer en coup droit. Je disais : si tu tournes ton revers en permanence, tu resteras éternellement faible sur ce coup. En plus, le temps que tu prends pour te désaxer vers ta gauche te met en retard sur la balle et tu es moins confortable pour frapper, c’est perdant-perdant, avec cette méthode tu n’arriveras à rien. Justine s’est portée volontaire pour lui montrer le bon geste. J’ai dit que son frère savait très bien à quoi ressemblait un revers, ce n’était pas une question de connaissance mais de maturité. Louis a abandonné la raquette à sa sœur. Par contenance j’ai échangé des balles avec elle. À l’inverse de son frère, elle orientait son corps pour tout renvoyer en revers, avec une application qui m’aurait comblé si à ma fille l’excellence en tennis avait été aussi utile qu’à mon fils. J’ai coupé court, fatigué de me forcer. Sur le retour, elle m’a dépassé en furie et a jeté la raquette à mes pieds en criant fuck. J’ai dit comment ça ? Elle a dit : rien. J’ai dit : non, pas rien, c’est quoi ce mot vulgaire ? Ma fille est vulgaire maintenant ?
Ma question n’a fait qu’ouvrir le robinet des plaintes. Personne ne voulait jamais jouer avec elle. Personne ne voulait acheter les jeux qu’elle désirait. Personne ne la soutenait, elle vivrait seule ce serait pareil, et du coup samedi elle irait sans nous au podium NRJ Summer Tour. J’ai dit : et tu vas habiter sans nous aussi ? Elle a dit : I wish I could. J’ai dit qu’elle n’avait pas l’air de détester notre appartement à l’aplomb de la plage, où d’ailleurs elle risquait de prématurément rentrer si elle continuait son numéro. D’une voix plus douce, Brune s’est associée à la menace. Nous manifestions notre cohésion en parlant d’une seule voix et donc Justine a stoppé son numéro.
Logique.
Une famille nombreuse et bruyante a pris ses quartiers à côté. Dans ce contexte la graisse superflue de la plupart des membres se remarquait. Sur cette conche nous n’étions pas gros, et les rares qui parmi nous l’étaient s’abstenaient de donner en spectacle leur faiblesse. La famille nombreuse et bruyante ne séjournait sans doute pas à Royan. Elle était venue pour la journée et repartirait ce soir dans une voiture à moteur diesel. À moins d’avoir loué un studio sans terrasse ni même balcon en périphérie nord.
La bande de mâles à ventre plat était passée à un autre jeu. Ils étaient insatiables. Ils pouvaient enchaîner plusieurs rapports sexuels. À cet instant, deux s’empoignaient pour une sorte de combat de sumos catégorie mince, en soufflant comme des taureaux. Le reste de la troupe encourageait l’un, insultait ou chambrait l’autre. C’était pour de faux et pour de vrai. Aucune fille ne les regardait mais dans leurs têtes des milliers de filles les regardaient, je savais ça, j’avais connu ce sentiment que toutes les filles du monde sont suspendues au verdict d’un combat pour le fun et pour le trône. J’avais vu les Ray-Ban sur une autre femme. Le vainqueur du pugilat s’est campé face à la foule façon Mbappé, bras croisés mains sous les aisselles. Il a crié champion du monde et fait quelques pas vers un agrégat de corps d’où sa mère ou sa grande sœur s’est extraite pour lui donner de quoi essuyer le filet de sang à ses lèvres. J’ai eu envie de mordre les miennes jusqu’au sang pour le lécher. La mère ou sœur du jeune blessé s’est accroché une serviette à la taille pour se changer. Ses contorsions ont fait tomber la serviette, découvrant brièvement sa culotte en dentelle noire. Cette culotte n’aurait pas dû être vue, paradoxal point d’obscénité au milieu d’une aire où chacun exposait à peu près tout ce qu’il possédait de peau, sauf les seins, que seules s’autorisaient les femmes absoutes par leur grand âge. Ma fille disait fuck. La culotte a persisté sur ma rétine. Noire et en dentelle. Très échancrée derrière. Quelque chose entre string et culotte, cela avait un nom, je me rappelais la personne à qui je devais la connaissance de ce nom mais pas le nom.
Un rejeton de la famille nombreuse a tiré d’un sac Carrefour un paquet d’Oreo sans qu’y trouve à redire sa mère dont le diamètre des cuisses laissait supposer qu’elle avait elle-même beaucoup pratiqué ce type de nourriture sans que sa mère y trouve à redire. Ainsi elle s’était interdit à vie de porter des strings ou des comment disait-on déjà. Ça commençait par un T. Voyant toute la progéniture grassouillette taper dans le paquet de gâteaux, Justine la mimétique a demandé pourquoi elle n’avait pas droit aux mêmes. J’ai dit qu’elle savait très bien pourquoi. Elle a dit non j’ai oublié. J’ai dit tu sais très bien que ces gâteaux contiennent de l’huile de palme extraite par des enfants qui n’ont pas eu ta chance de naître dans un pays libre et qui crois-moi trouveraient tes jérémiades indécentes.
Si elle avait faim elle disposait de gâteaux secs autrement plus sains que ces merdes qui n’embellissent pas ceux qui les bâfrent comme elle pouvait l’observer.
Sauf que ce n’est pas l’heure, a ajouté Brune.
Justine a tiré du panier le paquet de Gerblé sans sucres ajoutés, sachant bien qu’elle n’en avait pas le droit. Elle le faisait parce qu’elle n’en avait pas le droit. Brune lui a demandé l’heure. En croquant le biscuit sans sucres Justine a répondu 16 h 40, comme à une vraie question. Brune a rappelé la règle posée en début d’été : pas de grignotage avant le goûter.
C’est papa qui m’a dit d’en prendre.
Ton père n’a pas pensé à l’heure c’est tout.
Et d’ailleurs je n’ai pas dit d’en prendre.
Si, tu m’as dit prends les biscuits sains pas fabriqués par des enfants.
J’ai pas parlé d’enfants pour ceux-là.
T’as parlé d’enfants et de pays libre je sais pas quoi.
Comment je sais pas quoi ? Tu sais très bien ce qu’est un pays libre, puisque tu y vis.
Brune a posé La fille du train sur sa serviette puis baissé la voix pour dire qu’en l’état le sujet des quilles nordiques avait été réglé, et que Justine ne devait pas saisir tous les prétextes pour le rouvrir.
Justine a demandé pourquoi le goûter il est à 17 heures et pas plus tôt ? Pourquoi ce serait pas 16 heures ? Et pourquoi on mange pas quand on a envie ?
J’ai dit il faut des règles pour vivre ensemble et si tu as une autre solution pour organiser la société on sera enchantés de la connaître. Sur la route la limitation est à 90, c’est comme ça. Ça pourrait être 85.
Et pourquoi c’est pas 85 ?
Je viens de te l’expliquer.
Donc t’es d’accord.
Oui mais non.
Pourquoi c’est pas 95 ?
Ne pousse pas trop Justine.
Pourquoi c’est pas 92 ?
Tu le fais exprès ?
Elle le faisait exprès. Elle cherchait. Elle cherchait et m’avait trouvé. J’ai ordonné qu’elle ramasse son canotier et plie sa serviette. Qu’elle remballe son chapiteau, les spectateurs avaient leur dose, le cirque ça allait deux minutes, notre patience avait des limites, tout comme la vitesse sur la route, tout comme l’insolence. Puisqu’une fille qui entrait au collège dans trois semaines avait encore besoin d’une punition pour apprendre les limites on allait la satisfaire. Dans les traits que Brune fronçait pour me soutenir je percevais une légère surprise. Surprise qu’il arrive ce qui arrivait, que je sois réellement en train de mettre ma menace à exécution, que Justine et moi soyons réellement en train de rassembler nos affaires pour rentrer à l’appartement deux heures en avance.
Louis a demandé s’il pouvait rentrer aussi.
Brune a suggéré qu’on en profite pour passer prendre une boule multigraines.
J’ai gravi les marches creusées dans la falaise à une allure autoritaire, laissant Justine deux mètres derrière, comme qui assume sa décision. Comme qui tâche de coller à sa décision, même s’il la subit. C’est d’abord moi que je privais de plage. Je m’étais piégé. Je ne m’étais pas laissé le choix. J’ai dit tu ne m’as pas laissé le choix.
L’incident avait eu au moins ce bénéfice de lui coudre la bouche.
Au dépôt de pain, j’ai imposé à ma fille de faire seule la queue, j’allais attendre à l’écart devant la vitrine où luisaient des cannelés et tonga m’est tombé dessus. T comme Tonga. Et comme l’île du Pacifique. L’intermédiaire entre string et culotte était sans doute un vêtement traditionnel de cette île. Sur la porte vitrée était scotché un appel à témoins étoffé d’un numéro d’urgence et d’une photo inédite de Théo, 15 ans, disparu le 31 juillet. Sans doute l’agrandissement imprimé d’un selfie, car l’adolescent s’y pointait du doigt, en un geste hermétique. Peut-être mimait-il un revolver pointé sur la tempe, corroborant la rumeur d’un suicide alimentée par les citations de Kurt Cobain retrouvées sur son mur Instagram. Rumeur pourtant invalidée par une caméra de surveillance du club de karting qui avait saisi une silhouette ressemblante le lendemain de la disparition, et que fallait-il en déduire ? Que Théo avait emprunté un bolide miniature ? Il n’en manquait aucun. Que Théo connaissait le patron de Kart 2000 qu’une autre rumeur indue prétendait fiché S ? L’intéressé avait démenti avec un zèle suspect. À Justine j’ai dit : toi qui n’as besoin de personne tu n’as qu’à fuguer comme lui. Elle a haussé une seule épaule, deux auraient trahi une trop grande envie de communiquer. La boulangère a dit qu’elle connaissait Théo, il passait souvent ici, c’était un bon jeune, très poli. Un gars aussi bien élevé n’infligeait pas un cauchemar pareil à ses parents, non vraiment pas du tout le genre à fuguer. Ses seins semblaient vouloir crever la blouse. Je ne les avais pas remarqués la veille. Ni lors d’aucun de mes passages.
Aujourd’hui si.
En arrivant Justine s’est cloîtrée dans sa chambre, volets clos. J’ai dit : bonne idée, et surtout n’en sors plus.
J’étais doublement heureux qu’elle n’en sorte plus. Depuis le balcon j’ai repéré Brune, en tailleur et bras tendus devant elle. Elle avait déroulé son tapis de yoga sur place pour rester auprès de Louis rivé à son trou. Au loin deux voiles de kitesurf dessinaient des lettres inconnues dans l’air. Est-ce qu’on disait voile pour un kite ? Ou simplement toile ? Je ne m’étais pas inscrit à cette activité lors de notre dernier week-end cohésion de Biarritz. J’ai tiré mon smart de mon bermuda pour googliser kite. La pratique apparue en Californie dans les années 90 avait pris son essor dans les années 2000. J’ai écrit un texto à Amélie. Alors c’est bien le Verdon ? J’ai effacé le Alors, mis une majuscule au C, et le texto est parti.
Suivi d’un autre : envoie une photo si tu as.
Suivi d’un autre : pas une photo de toi hein ? Pas de ça entre nous. Juste les gorges.
Suivi d’un autre : du Verdon, les gorges.
Je n’avais pas réfléchi avant d’écrire. Ce n’en était que plus vrai. Je me lisais dans mes mots. L’absurde punition que je m’étais infligée n’était pas absurde car ce n’était pas une punition. Je ne m’étais pas imposé mais offert ce moment. Le kite consistait à évoluer avec une planche à la surface d’une étendue d’eau en étant tracté par un cerf-volant (kite en anglais), nommé aile ou voile. Un texto d’Amélie a vibré.
On a droit aux messages finalement ?
C’était ses mots.
Moi : non toujours pas. Elle : la preuve. Moi : j’ai craqué. Elle : tu ne peux pas te passer de moi. Moi : on dirait bien. Elle : appelle j’ai envie d’entendre ta voix. Moi : compliqué. Elle : trente secondes. Moi : non trop chaud. Elle : oui voilà trop chaud.
Une subite chute de vent a fait piquer l’aile du kite. Ou bien le type aux commandes avait tiré fort les cordes vers lui. D’ailleurs était-il vraiment aux commandes ? Le capitaine devait parfois penser : est-ce bien moi qui dirige la manœuvre ? N’est-ce pas plutôt la manœuvre qui me dirige ? N’est-ce pas le bac qui est capitaine de moi ? Je n’ai pas choisi cette place. Je me suis retrouvé là en sanction d’une faute professionnelle commise au large, sur un cuirassé, un baleinier.
J’ai appelé. Il y a eu des pas sur du gravier. Amélie marchait pour s’éloigner de la partie de ping-pong de son fils. Elle venait de le récupérer chez son père. Ça soufflait dans le téléphone. Elle a dit qu’une photo d’elle là tout de suite c’était délicat. J’ai raconté qu’un tonga en dentelle noire sur la plage m’avait rappelé des choses. Elle ne voyait pas quoi. Elle feignait de ne pas voir quoi pour que j’explicite. J’ai dit : des choses. Elle : des choses qui me concernent ? Moi : non pas du tout penses-tu. Elle : j’observe qu’un sous-vêtement te fait penser à moi. Moi : ça te gêne ? Elle : ça me flatte, mais je t’entends mal. Je me suis retourné pour abriter du vent le téléphone et Justine me regardait, un pied sur le rebord inférieur de la vitre coulissante.
Qu’est-ce que tu fais là toi ? Ta place c’est dans la chambre.
Dans le même temps j’ai posé l’appareil en signe de fin d’appel. Justine a pris le cahier qui traînait sur la table, ouvert sur la carte de l’Europe.
Je vais faire des maths.
Très bonne idée.
T’as pas coupé l’appel.
Oui je sais merci je n’ai pas besoin de tes conseils, fais-moi pour une fois le plaisir de te taire.
Il était plus que jamais souhaitable qu’elle me fasse le plaisir de se taire.
Pourquoi tu m’engueules ?
Elle a réintégré sa chambre sans attendre la réponse. La réponse était évidente. La raison pour laquelle je l’engueulais était évidente. Après quelques allô dans le vide, Amélie avait raccroché. La mouette s’était posée sur le boîtier du compteur électrique de l’étage supérieur. Elle avait tout vu. Elle me regardait de haut. Elle était un goéland. J’ai pris une passionnade Michel et Augustin au frigo. France 2 retransmettait les championnats du monde de natation. Des grands maigres s’ébrouaient sur leur plot au départ du 200 mètres nage libre. Le choix libre se portait invariablement sur le crawl. Un choix non libre n’était pas un choix. Les nageurs étaient plutôt choisis par le crawl. La nage leur était aussi imposée qu’au bac sa trajectoire. On aurait dû rebaptiser la course 200 mètres crawl. La passionnade était à base de goyaves. Je ne m’étais baigné qu’une fois, à cause de ma fille et de la culotte noire et des Ray-Ban et de quoi encore. J’avais écourté la plage par choix non libre. Le 200 s’est couru en 1 min 46 s et 2 centièmes, soit grosso modo deux mètres par seconde. J’ai pris mon smartphone pour taper wikipedia tonga. Amélie n’avait pas essayé de rappeler. Son fils devait l’accaparer. Apparemment il n’y avait pas de rapport avec l’île.