Saura-t-on jamais les spéculateurs véreux, les commerçants à bout de ressources, les hommes aux portes de la banqueroute qui usèrent de l’incendie pour liquider leur situation et combien crièrent : « À mort les pétroleurs ! » qui venaient d’allumer le pétrole ? Le 10 mars 1877, la cour d’assises de la Seine condamnait à dix ans de travaux forcés un bonapartiste ruiné, Prieur de la Comble, reconnu coupable d’avoir incendié sa maison dans le but de toucher une forte prime des compagnies auxquelles il s’était assuré. Il avait badigeonné les murs, saturé les tentures de pétrole, établi neuf foyers d’incendie. Son père, ancien maire du 1er arrondissement sous l’Empire, avait fait une faillite de 180 000 francs, et au 4 Septembre il y avait une demande de banqueroute contre lui. Or, le 24 mai 1871, la maison de Prieur de la Comble, rue du Louvre, celle de son père, rue de Rivoli, celle du syndic de la faillite, boulevard de Sébastopol, furent consumées et, par ce triple incendie, les pièces de la comptabilité disparurent. Ce fait dont les Versaillais, Ernest Daudet en tête, avaient triomphé contre les communeux, fut seulement mentionné devant la cour d’assises. Le président dit qu’il était étrange, mais se garda bien d’interroger là-dessus Prieur, et l’on sait si les présidents de cour d’assises se font faute de passer au crible les antécédents des accusés. Le motif de cette réticence extraordinaire est qu’il ne fallait pas jeter un blâme sur l’armée et sur les conseils de guerre qui avaient fusillé ou condamné des pétroleuses peut-être pour ces mêmes maisons incendiées par Prieur de la Comble.
Voici encore une pièce édifiante et officielle :
« Aujourd’hui, vingt-neuf novembre 1871, devant nous, Évariste Port, juge d’instruction de l’arrondissement de La Roche-sur-Yon, en vertu de la commission rogatoire de l’un de MM. les juges d’instruction au Tribunal de la Seine, etc., etc., assisté de Reygondeau, notre greffier.
Est comparu le témoin Hertz (Émile), âgé de trente-sept ans, commandant du génie de la circonscription de La Roche-sur-Yon, qui dépose :
Le jeudi 25 mai, dans le courant de l’après-midi, étant occupé à arrêter les effets de l’incendie allumé au palais de justice et à la préfecture de police, à Paris, je fus abordé par un monsieur dont j’ignore le nom ; il était de taille au-dessous de la moyenne, brun de visage, avec une légère barbe noire ; il était accompagné d’un jeune homme qui semblait moins âgé. que lui : il se disait commis au greffe du tribunal correctionnel de Paris : il m’invita à venir reconnaître avec lui l’état des lieux au foyer de ce greffe, qu’il disait renfermer des valeurs considérables. Il était arme de plusieurs clés et sa connaissance des lieux et des employés présents au palais ne mettaient pas en doute chez moi la sincérité de sa compétence.
Il me conduisit sans hésiter au dernier étage du bâtiment du tribunal correctionnel, fermant au sud de la cour de la Sainte-Chapelle. Ce bâtiment était préservé pour la partie ouest seulement, attenant je crois à la préfecture de police qui était ruinée de fond en comble.
Là, il me fit voir un coffre-fort forcé, me disant que l’argent monnayé avait été soustrait ; un grand nombre de bijoux, les uns répandus en désordre, les autres rangés sur des étagères, enfin plusieurs liasses de valeurs publiques et de bank-notes .
Ces objets furent réunis rapidement, les valeurs serrées dans une armoire du fond, la plus à l’ouest. Cette opération a été faite exclusivement par les jeunes gens qui m’accompagnaient. Quand il s’est agi de fermer, M. X… me proposa d’apposer mon scellé sur les portes, lui-même devant garder la clé. Il m’offrit à cet effet un cachet que je vous représente, les scellés furent apposés avec ma signature sur l’armoire dont je viens de parler, sur la porte de la pièce du fond et sur la porte de la pièce qui précède.
Cette dernière pièce renfermait d’autres armoires dont M. X… n’avait pas les clés ; il disait d’ailleurs qu’elles ne renfermaient aucun objet de valeur.
« En descendant dans la cour, je donnai mon adresse à M. X… afin qu’il put me faire assister à la levée des scellés. Il s’arrêta avec plusieurs employés et je ne le revis plus.
Je n’avais, dans le courant de la conversation, été amené à donner aucune assurance sur les chances de conservation des locaux visités. Je n’avais d’ailleurs à leur sujet aucune inquiétude.
Je n’ai quitté les lieux de l’incendie que la nuit, entièrement rassuré sur les parties des constructions préservées jusque-là. La compagnie du génie a été ramenée le soir même avec le plus grand nombre de pompes ; les troupes chargées de la sûreté de ce quartier ont eu la consigne formelle de ne laisser pénétrer personne dans la cour de la Sainte-Chapelle que les pompiers et les employés.
Le lendemain ou le surlendemain, je montai dans les locaux du greffe accompagné d’un de mes amis, je ne me souviens pas duquel. Je n’avais d’autre but que de m’assurer de l’état des scellés. Je fus très surpris de ne plus trouver, à la place des bureaux, que des murs noirs, des papiers brûlés. J’avais peine à reconnaître les lieux que j’avais visités la veille ou l’avant-veille.
Tout en conservant toujours quelques doutes à cet égard, je puis supposer que le feu a pu prendre au dépôt du greffe par sa contiguïté avec les bâtiments de la préfecture de police. »
Il résulte de cette déposition que les objets précieux déposés au greffe du palais de justice ne furent pas enlevés par les fédérés, comme le dirent les journaux versaillais et que les fédérés ne mirent pas le feu au Palais de justice. La déposition si transparente du commandant Hertz laisse entrevoir quels furent les voleurs et les incendiaires.