XXVIII
Les victimes mouraient simplement, sans fanfaronnade

Un journal de la bourgeoisie belge des plus violents contre la Commune, l’Étoile, laissait échapper cet aveu :

« La plupart ont été au-devant de la mort, comme les Arabes après les batailles, avec indifférence, avec mépris, sans haine, sans colère, sans injure pour leurs exécuteurs.

Tous les soldats qui ont pris part à ces exécutions et que j’ai questionnés, ont été unanimes dans leurs récits.

L’un d’eux me disait : « – Nous avons fusillé à Passy une quarantaine de ces canailles. Ils sont tous morts en soldats. Les uns croisaient les bras, et gardaient la tête haute. Les autres ouvraient leurs tuniques et nous criaient : – Faites feu ! Nous n’avons pas peur de la mort.

Pas un de ceux que nous avons fusillés n’a sourcillé. Je me souviens surtout d’un artilleur qui, à lui tout seul, nous a fait plus de mal qu’un bataillon. Il était seul pour servir une pièce de canon. Pendant trois quarts d’heure, il nous a envoyé de la mitraille et il a tué et blessé par mal de mes camarades. Enfin, il a été forcé. Nous sommes descendus de l’autre côté de la barricade. Je le vois encore. C’était un homme solide. Il était en nage du service qu’il avait fait pendant une demi-heure. – À votre tour, nous dit-il. J’ai mérité d’être fusillé, mais je mourrai en brave. »

Un autre soldat du corps du général Clinchant me racontait comment sa compagnie avait amené sur les remparts quatre-vingt-quatre insurgés pris les armes à la main.

Ils se sont tous mis en ligne, me disait-il, comme s’ils allaient à l’exercice. Pas un ne bronchait. L’un d’eux, qui avait une belle figure, un pantalon de drap fin fourré dans ses bottines et une ceinture de zouave à la taille, nous dit tranquillement : – Tâchez de tirer à la poitrine, ménagez ma tête. – Nous avons tous tiré, mais le malheureux a eu la tête à moitié emportée. »

Un fonctionnaire de Versailles me fait le récit suivant :

Dans la journée de dimanche, j’ai fait une excursion à Paris. Je me dirigeais près du théâtre du Châtelet, vers le gouffre fumant des ruines de l’Hôtel de Ville, lorsque je fus enveloppé et entraîné par le torrent d’une foule qui suivait un convoi de prisonniers.

J’ai retrouvé en eux les mêmes hommes que j’avais vus dans les bataillons du siège de Paris. Presque tous m’ont paru être des ouvriers.

Leurs visages ne trahissaient ni désespoir, ni abattement, ni émotion. Ils marchaient devant eux d’un pas ferme, résolu, et ils m’ont paru si indifférents à leur sort que j’ai pensé qu’ils s’attendaient à être relâchés. Je me trompais du tout au tout. Ces hommes avaient été pris le matin à Ménilmontant, et ils savaient où on les conduisait. Arrivés à la caserne Lobau, les cavaliers qui précédaient l’escorte font faire le demi-cercle et empêchent les curieux d’avancer.

Les portes de la caserne s’ouvrent toutes grandes pour laisser passer les prisonniers et se referment aussitôt.

« Une minute n’était pas écoulée et je n’avais pas fait quatre pas, qu’un feu de peloton terrible retentit à mes oreilles. On fusillait les vingt-huit insurgés. Surpris par cette terrible détonation, je ressentis une commotion qui me donna le vertige. Mais ce qui augmenta mon horreur, ce fut, après le feu de peloton, le retentissement successif des coups isolés qui devaient achever les victimes. »