XXX
Le général de Lacretelle donna l’ordre de fusiller Cernuschi

Lors d’un procès intenté en 1876 à M. Raspail fils, pour sa brochure en faveur de l’amnistie, la lettre suivante adressée à ce dernier par M. Hervé de Saisy, sénateur, fut lue à l’audience :

« Je ne puis, par un motif de discrétion vis-à-vis de diverses personnes, renouveler dans cette lettre le récit que je vous ai fait de vive voix dans la circonstance que vous me rappelez ; toutefois, je tiens à répondre à votre appel plein de courtoisie en répétant ici les paroles qui servirent de considérants à l’arrêt inique par lequel les jours de M. Cernuschi ont été menacés, dans la journée où les troupes s’emparèrent de la prison Sainte-Pélagie et du Jardin des Plantes.

Voici les paroles prononcées par le général de division qui donna cet ordre d’exécution sommaire.

Apprenant que Cernuschi s’était rendu à la prison, à la porte de laquelle je vis sa voiture, il dit à un interlocuteur que je ne puis désigner : « Ah ! c’est Cernuschi, l’homme aux cent mille francs du plébiscite ; retournez à la prison Sainte-Pélagie et que, dans cinq minutes, il soit fusillé. »

Cinq minutes représentaient la durée du trajet que devait faire le porteur de cet ordre pour se rendre du cèdre de Jussieu, d’où le général observait les phases du combat, à la prison.

Je ne compris pas au début le sens de cette phrase étrange, mais je me rappelai quelques instants après qu’elle était l’expression d’une vengeance politique qui allait s’exercer contre M. Cernuschi pour avoir offert cent mille francs à la propagande qui devait représenter l’opposition au plébiscite final de l’empire.

Profondément indigné de ce que je venais d’entendre, je fus assez heureux pour faire naître une circonstance fortuite à laquelle la victime déjà condamnée dut son salut.

Tels sont les détails que je puis porter à votre connaissance.

« HERVÉ DE SAISY. »

 

M. Th. Duret, qui accompagnait M. Cernuschi, a fait à l’auteur la communication suivante :

 

« J’accompagnais M. Cernuschi le jour en question, et j’ai été conduit avec lui devant un peloton d’exécution et ce n’est qu’après une lutte corps à corps engagée par moi avec l’officier commandant le détachement qui nous escortait, qu’on nous fit passer outre. Rencontrés alors par le lieutenant-colonel Pereira, nous dûmes à son intervention d’être immédiatement rendus à la liberté… Je ne doute point que M. Hervé de Saisy ne se soit entremis, comme il le dit, en faveur de M. Cernuschi, mais d’après ce qui nous est arrivé, il m’est resté l’impression que son intervention se fût produite trop tard sans la résistance énergique opposée de notre part. »