Nous nous croyons en droit de reproduire, au terme de cet appendice, la contribution de Lissagaray à l’ENQUÊTE de la Revue Blanche (1897) SUR LA COMMUNE DE PARIS (publiée ensuite en brochure sous le titre de 1871). – ÉD.
M. Lissagaray a écrit en six cents pages documentées l’Histoire de la Commune de 1871. Il n’y avait donc pas lieu à longue interview. Nous lui demandons d’abord quelques anecdotes.
– Des femmes eurent-elles un rôle ?
– On en vit pas mal derrière les barricades. Quant aux pétroleuses, c’étaient des êtres chimériques, analogues aux salamandres et aux elfes. Les conseils de guerre ne parviennent pas à en exhiber une. Ces conseils condamnèrent maintes femmes. Peu avaient été mises en évidence par les évènements. Louise Michel, – une exception. Devant les juges, elle fut aussi agressive qu’à la bataille et accusatrice. Une autre, qu’on appelait Dimitrieff, eut de la fantaisie sur fond tragique. Elle venait de Russie, où elle avait laissé en plan son mari… On la vit, pendant la Commune, vêtue d’une mirifique robe rouge, la ceinture crénelée de pistolets. Elle avait vingt ans et était fort belle. Elle eut des adorateurs. Soit que le « peuple aux bras nus » lui plût peu à huis-clos, soit que l’amour fût pour elle un sport exclusivement féminin, nul ne put fondre ce jeune glaçon. Et c’est chastement qu’à la barricade, elle reçut dans ses bras Frankel blessé. Car elle était aux barricades où sa bravoure fut charmante. Notons la toilette toute de velours noir.
– Elle fut prise ?
– Non. Et quelques semaines après, elle était installée en Suisse. Fort riche, elle avait un hôtel sur les bords du lac, et fut hospitalière aux réfugiés : il y avait dans ses salons brillante société de « travaux forcés » et autres exotismes, avec quelques condamnés à mort. Puis elle retourna en Russie rejoindre son mari, lequel mourut peu après. Il y eut un procès, où elle parut comme témoin. On avait, paraît-il, empoisonné le seigneur. L’intendant fut envoyé en Sibérie, où elle s’empressa de le rejoindre. On n’a plus eu de ses nouvelles .
– Comment résumeriez-vous les causes de la chute de la Commune ?
– N’avoir pas occupé le mont Valérien, avoir attendu au 3 avril pour marcher sur Versailles, furent les fautes capitales du début. L’ingérence du Comité Central dans les affaires après les élections, le manifeste-scission des vingt-deux de la minorité (15 mai), la manie qu’eut la Commune de légiférer, alors qu’il fallait combattre et préparer la lutte finale, furent des germes de défaite. Et une fois Versailles dans Paris, la défaite fut hâtée par la proclamation de Delescluze du 22 mai, flétrissant toute discipline, par la dispersion des membres de la Commune dans leurs quartiers (la défense était désormais décapitée), par la presque inaction du parc d’artillerie de Montmartre, par l’incendie de l’Hôtel de Ville. Avant le 21 mai, jour de l’invasion, rien ou presque rien n’avait été fait pour la défense des rues. On avait offert 3 fr. 75 aux terrassiers, aussi n’en avait-on pas trouvé. Des terrassiers, la Commune en eut pour rien, elle en eut tout un peuple, aux heures tragiques, mais il était un peu tard. Il eut fallu deux cents barricades préméditées, stratégiques, solidaires, que dix mille hommes eussent suffi à défendre sans fin. On en eut des centaines et des centaines, mais sans coordination et impossibles à peupler. Hélas ! la Commune n’avait pas prodigué l’argent pour sa défense. Sa munificence s’était haussée aux trente sous quotidiens des gardes nationaux. Il eut fallu peser sur M. Thiers en saisissant le gage de la Banque de France. Pas d’argument plus décisif. Au surplus, il y avait à la Banque, entre autres richesses dociles, des billets bleus, valeur 900 millions qui, pour entrer en circulation, n’attendaient plus qu’une griffe. Il est vraiment triste qu’on ne l’ait pas trouvée au cours d’une insurrection qui comptait tant d’ouvriers d’art.