Préfaces

Pour qu’on sache.

« L’Histoire de la Commune a été escamotée », dit Michelet pour la Révolution française. L’histoire de la Commune de 1871 a été fabriquée par des escamoteurs. Méconnaître ou haïr la classe qui produit tout est la caractéristique actuelle d’une bourgeoisie jadis grande, qu’affolent aujourd’hui les révolutions d’en bas.

Celle du 18 mars 1871 est la plus haute marée du siècle, la plus étonnante manifestation de cette force populaire qui prend la Bastille, ramène le roi dans Paris, assure les premiers pas de la Révolution française, saigne au Champ de Mars, enlève les Tuileries, expulse le Prussien, extirpe la Gironde, alimente d’idées la Convention, les Jacobins, l’Hôtel de Ville, balaie les prêtres, plie sous Robespierre, se redresse en prairial, puis s’endort vingt années pour se réveiller au canon des alliés, replonge dans la nuit, ressuscite en 1830, aussitôt enlacée remplit de soubresauts les premières années du règne orléaniste, rompt ses filets en 48, secoue trois jours, en Juin, la République marâtre, refoulée de nouveau éclate en 69, vide les Tuileries en 70, s’offre encore contre l’envahisseur, est encore dédaignée, flétrie, jusqu’au jour où elle écrase la main qui veut l’étreindre. Ce flot révolutionnaire court, ininterrompu, dans notre histoire, tantôt au grand jour, tantôt souterrain, comme ces fleuves qui s’abîment soudainement dans les gouffres ou les sables, pour reparaître bien plus formidables au soleil étonné. Je vais en dire la dernière éruption, et des lacs de boue dégager les eaux vives.

D’où jaillirent les inconnus du 18 mars 1871 ? Qui a provoqué cette journée ? Qu’a fait le Comité Central ? Quelle a été la Commune ? Comment tant de milliers de Français patriotes, républicains, ont-ils été, par des Français, massacrés, jetés hors de leur patrie, longtemps reniés par des républicains ? Où sont les responsabilités ? Les actes vont le dire.

Résumés par un ancien combattant sans doute, mais qui n’a été ni membre, ni officier, ni fonctionnaire, ni employé de la Commune, un simple du rang qui a connu les hommes de tous les milieux, vu les faits, traversé les drames, qui pendant de longues années a recueilli, vanné les témoignages, sans autre ambition que d’éclairer pour la génération nouvelle le sillon sanglant tracé par son aînée.

L’avènement graduel, irrésistible des classes laborieuses est le fait culminant du XIXe siècle. En 1830, en 1848, en 1870, le peuple escalade l’Hôtel de Ville pour le céder presque aussitôt aux subtiliseurs de victoires ; en 1871, il y reste, refuse de le rendre, et, pendant plus de deux mois, administre, gouverne, mène au combat la cité. Comment, par qui il fut encore précipité, il faut qu’il le sache, il peut l’entendre dire, être patient devant la vérité, puisqu’il est immortel.

L’ennemi serait qui flatterait, bâtirait de fausses légendes soi-disant révolutionnaires, aussi criminel que le cartographe qui, pour les combattants de demain, ferait des graphiques menteurs.

 

Mai 1896.

L’Histoire de la Commune de 1871, sous sa forme définitive, a paru en 1896, à Paris, chez l’éditeur Dentu (un volume in-16, de 969 pages).

L’édition primitive avait paru vingt ans plus tôt, à la fin de 1876, chez l’éditeur Kistemaeckers, à Bruxelles (un volume in-8°, de XXXII -516 pages). Elle était précédée des quelques lignes d’avertissement suivantes :

L’histoire du Quatrième État depuis 1789 devait être le prologue de cette Histoire. Mais le temps presse ; les victimes glissent dans la tombe ; les perfidies libérales menacent de surpasser les calomnies usées des monarchistes ; je me limite aujourd’hui à l’introduction strictement nécessaire.

Qui a fait le 18 Mars ? – Qu’a fait le Comité Central ? – Quelle a été la Commune ? – Comment cent mille Français manquent-ils à leur pays ? – Où sont les responsabilités ? – Des légions de témoins vont le dire.

C’est un proscrit qui tient la plume, – sans doute ; mais un proscrit qui n’a été ni membre, ni officier, ni fonctionnaire de la Commune ; qui, pendant cinq années, a vanné les témoignages ; qui a voulu sept preuves avant d’écrire ; qui voit le vainqueur guettant la moindre inexactitude pour nier tout le reste ; qui ne sait pas de plaidoyer meilleur pour les vaincus que le simple et sincère récit de leur histoire.

Cette histoire d’ailleurs, elle est due à leurs fils, à tous les travailleurs de la terre. L’enfant a le droit de connaître le pourquoi des défaites paternelles ; le parti socialiste, les campagnes de son drapeau dans tous les pays. Celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes, est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs.

 

Londres, novembre 1876.

35, Fitzroy street (Fitzroy square).

Dès son arrivée sur la terre d’exil, Lissagaray avait publié en un petit volume in-16 de 324 pages, un récit de la semaine sanglante, dont la matière, revue et amplifiée, a passé ensuite dans l’Histoire. Les huit Journées de Mai derrière les barricades (Bureau du Petit Journal, Bruxelles, 1871) s’ouvraient sur la courte préface que voici :

 

Cette première édition est un simple cadre que les témoins oculaires sont appelés à remplir. Notre but principal en la publiant est de réunir le plus de renseignements possibles pour servir à l’histoire authentique des Journées de Mai.

Elles n’ont été jusqu’à présent racontées que par les vainqueurs. Nous espérions que quelque relation de derrière les barricades viendrait protester contre de ridicules récits. Après quatre mois, personne n’élevant la voix, c’est un devoir, croyons-nous, de provoquer une enquête.

Nous l’ouvrons aujourd’hui en produisant tous les faits que nous tenons de sources certaines.

Nous n’avons admis et nous n’admettrons que des témoignages directs, sévèrement contrôlés. Aussi nous ne faisons appel, pour l’édition prochaine, qu’aux seules dépositions des survivants de cette lutte, et nous accepterons avec reconnaissance les informations, les rectifications et les lumières qu’ils voudront bien nous communiquer.