Si Paris eût écouté la Gauche, la France capitulait. Le 7 août, ils l’ont avoué plus tard, Jules Favre, Jules Simon, Pelletan étaient venus dire au président Schneider : « Nous ne pouvons plus tenir, nous n’avons plus qu’à traiter au plus vite », mais le 4 au matin Paris a lu cette proclamation mensongère : « Quarante mille hommes seulement ont été faits prisonniers ; on aura avant peu de jours deux nouvelles armées ; l’empereur a été fait prisonnier pendant la lutte. » Paris accourt. Des bourgeois se souvenant qu’ils sont gardes nationaux ont endossé l’uniforme, pris le fusil et veulent forcer le pont de la Concorde. Les gendarmes, étonnés de voir des gens si bien, livrent le passage ; la foule suit et envahit le Palais-Bourbon. À une heure, malgré les efforts désespérés de la Gauche, le peuple engorge les tribunes. Il est temps. Les députés, en travail de ministère, essaient de saisir le Gouvernement. La Gauche seconde de toutes ses forces cette combinaison, s’indigne qu’on ose parler de République. Le cri éclate dans les tribunes, Gambetta fait des efforts inouïs, conjure le peuple d’attendre le résultat des délibérations. Ce résultat, on le connaît d’avance. C’est une commission de gouvernement nommée par l’Assemblée, c’est la paix demandée, acceptée à tout prix ; c’est, au bout de la honte, la monarchie plus ou moins parlementaire ; une vague nouvelle enfonce les portes, remplit la salle, chasse ou noie les députés. Gambetta, jeté à la tribune, doit prononcer la déchéance. Le peuple veut plus : la République ! emporte les députés de la Gauche pour l’aller proclamer à l’Hôtel de Ville.
Il appartenait déjà au peuple. Dans la cour d’honneur ; le drapeau tricolore et le drapeau rouge se disputaient la place, applaudi par les uns, hué par les autres. Salle du Trône, de nombreux orateurs haranguaient la foule ; Gambetta, Jules Favre et plusieurs de la Gauche arrivent acclamés. Millière cède la place à Jules Favre en disant : « Il ne s’agit aujourd’hui que d’une chose : chasser les Prussiens. » Jules Favre, Jules Simon, Jules Ferry, Gambetta, Crémieux, Emmanuel Arago, Glais-Bizoin, Pelletan, Garnier-Pagès, Picard se déclarèrent Gouvernement, lurent leurs noms à la foule. Il y eut bien des réclamations. On leur cria des noms révolutionnaires : Delescluze, Ledru-Rollin, Blanqui ; Gambetta, très applaudi, démontra que seuls les députés de Paris étaient aptes à gouverner. Cette théorie fit entrer au Gouvernement Rochefort, ramené de Sainte-Pélagie et qui apportait de la popularité.
Ils envoyèrent au général Trochu, pour le supplier de diriger la défense. Le général avait promis, sur sa parole de Breton, catholique et soldat, « de se faire tuer sur les marches des Tuileries pour défendre la dynastie ». Les Tuileries n’ayant pas été attaquées, – le peuple les dédaigna, – Trochu, délesté de son triple serment, monta les marches de l’Hôtel de Ville. Il exigea qu’on lui garantît Dieu et il voulut la présidence. On lui donna la présidence et le reste.
Douze citoyens entrèrent ainsi en possession de la France. Ils se déclarèrent légitimés par l’acclamation populaire. Ils prirent le grand nom de Gouvernement de la Défense nationale. Cinq de ces douze-là avaient perdu la République de 1848.
La France était bien à eux. Au premier murmure de la Concorde, l’impératrice avait ramassé ses jupes et dégringolé par un escalier de service. Le belliqueux Sénat, Rouher en tête, avait filé à l’anglaise. Quelques députés ayant fait mine de se réunir au Palais-Bourbon, il suffit de leur détacher un commissaire armé de scellés. Grands dignitaires, gros fonctionnaires, féroces mameluks, impérieux ministres, chambellans solennels, généraux moustachus, s’esquivèrent piteusement le 4 septembre, comme une bande de cabotins sifflés.
Les délégués des Chambres syndicales et de l’Internationale vinrent, le soir, à l’Hôtel de Ville. Dans la journée, ils avaient envoyé une nouvelle adresse aux travailleurs d’Allemagne, les adjurant de s’abstenir dans cette lutte fratricide. Leur devoir de fraternité rempli, les travailleurs français n’étaient plus qu’à la défense et ils demandaient au gouvernement de l’organiser. Gambetta les reçut fort bien et répondit à leurs questions. Le 7, dans le premier numéro de son journal la Patrie en danger, Blanqui et ses amis, remis en liberté comme tous les détenus politiques, vinrent « offrir au Gouvernement leur concours le plus énergique et le plus absolu ».