Les Défenseurs, très convaincus que Paris irait à la paix, affichèrent côte à côte l’armistice espéré et la capitulation certaine, une « bonne et une mauvaise nouvelle », a dit Jules Ferry, qui appelait l’armistice « une compensation » .
Paris n’eut qu’un bond, comme à la même heure Marseille, Toulouse, Saint-Étienne. Une heure après l’affichage sous la pluie, la foule crie devant l’Hôtel de Ville : « Pas d’armistice ! » et, malgré la résistance des mobiles, envahit le vestibule. Étienne Arago, ses adjoints Floquet et Henri Brisson accourent, jurent que le Gouvernement s’épuise pour le salut. Le premier flot se retire : un autre bat la porte. À midi, Trochu apparaît au bas de l’escalier, croit en finir par une harangue. On répond : « À bas Trochu ! » Jules Simon le relaie et va jusque sur la place détailler les douceurs de l’armistice. On crie : « Pas d’armistice ! » Il ne s’en tire qu’en priant la foule de désigner dix délégués qui l’accompagnent à l’Hôtel de Ville. Trochu, Jules Favre, Jules Ferry et Picard les reçoivent dans la salle du Trône. Trochu démontre cicéroniquement l’inutilité du Bourget, prétend qu’il vient d’apprendre la capitulation de Metz. Une voix : « Vous avez menti ! » C’est une députation du Comité des vingt arrondissements et des comités de vigilance qui a pénétré dans la salle. D’autres, pour vider Trochu, veulent qu’il continue ; un coup de feu part sur la place, coupe le monologue et fait envoler l’orateur. Jules Favre le remplace, reprend le fil de sa démonstration.
Pendant qu’il pérore, les maires délibèrent dans la salle du conseil municipal. Pour fondre l’émeute, ils proposent l’élection des municipalités, la formation des bataillons de la garde nationale et leur adjonction à l’armée. Le bêlant Étienne va porter ces emplâtres au Gouvernement.
Il est deux heures et demie ; une foule énorme houle sur la place, mal contenue par les mobiles, crie : « À bas Trochu ! Vive la Commune ! », agite des drapeaux avec « Pas d’armistice ! » Les délégations entrées à l’Hôtel de Ville ne revenant pas, cette foule perd patience, enfonce les mobiles, jette dans la salle des maires Félix Pyat, venu en amateur. Il se débat, proteste que cela ne se passe pas dans les règles, qu’il veut entrer dans la place « par élection, non par irruption ! » Les maires l’appuient de leur mieux, annoncent qu’ils ont demandé l’élection des municipalités, que le décret est à la signature. La foule pousse toujours, monte jusqu’à la salle du Trône, où elle termine l’oraison de Jules Favre qui va rejoindre ses collègues ; ils votent la proposition des maires, en principe, sauf à fixer la date des élections.
Vers quatre heures, le salon est envahi. Rochefort promet les élections municipales. La foule l’assimile aux autres Défenseurs. Un des délégués du Comité des vingt arrondissements monte sur la table, proclame la déchéance du Gouvernement, demande qu’une commission soit chargée de faire les élections dans les quarante-huit heures. Les noms de Dorian, le seul ministre qui ait pris la défense au sérieux, de Louis Blanc, Ledru-Rollin, Victor Hugo, Raspail, Delescluze, Blanqui, Félix Pyat, Millière sont acclamés.
Si cette commission avait pu faire évacuer et garder l’Hôtel de Ville, afficher une proclamation, la journée était finie, salutaire. Mais Dorian refusa ; Louis Blanc, Victor Hugo, Ledru-Rollin, Raspail, Félix Pyat se tinrent cois ou tournèrent les talons. Flourens a le temps d’arriver. Il fait irruption avec ses tirailleurs de Belleville, monte sur la table autour de laquelle se tiennent les membres du Gouvernement, les déclare prisonniers et propose un Comité de salut public. Les uns applaudissent, d’autres protestent, déclarent qu’il ne s’agit pas de substituer une dictature à une autre. Flourens l’emporte, lit des noms, le sien d’abord, ensuite Blanqui, Delescluze, Millière, Ranvier, Félix Pyat, Mottu. D’interminables discussions s’engagent. Les hommes du 4 Septembre se sentent sauvés malgré les gardes nationaux qui les tiennent, et sourient de ces vainqueurs qui laissent fuser leur victoire.
Dès lors on se perd dans un dédale d’imbroglios. Chaque salle a son gouvernement, ses orateurs, ses tarentules. Si noire est la tourmente que, vers huit heures, des gardes nationaux réactionnaires peuvent, sous le nez de Flourens, enlever Trochu et Ferry. D’autres, à côté, emportent Blanqui que des francs-tireurs délivrent. Dans le cabinet du maire, Étienne Arago et ses adjoints convoquent pour le lendemain les électeurs sous la présidence de Dorian et de Schœlcher. Vers dix heures, leur affiche est placardée dans Paris.
Paris, toute la journée, avait regardé faire. « Le 31 octobre au matin », a dit Jules Ferry, « la population parisienne nous était, du haut en bas de l’échelle, absolument hostile . Tout le monde trouvait que nous méritions d’être destitués. » Un des meilleurs bataillons trochéens, conduit au secours du Gouvernement par le général Tamisier, commandant supérieur de la garde nationale, leva la crosse en l’air en arrivant sur la place. Tout changea quand on sut le Gouvernement prisonnier, surtout les noms de ses remplaçants. La leçon parut trop forte. Tel qui aurait admis Ledru-Rollin, Victor Hugo, ne put avaler Flourens et Blanqui. Le rappel avait battu inutilement toute la journée ; le soir, la générale rendit. Les bataillons, réfractaires le matin, arrivèrent place Vendôme, la plupart, il est vrai, croyant les élections accordées ; une assemblée d’officiers réunis à la Bourse ne consentit à attendre le vote régulier que sur la foi de l’affiche Dorian-Schœlcher. Trochu et les évadés de l’Hôtel de Ville retrouvèrent leurs fidèles. L’Hôtel de Ville, au contraire, se dégarnissait.
La plupart des bataillons pour la Commune, croyant les élections accordées, avaient regagné leurs quartiers. Il restait à peine un millier d’hommes sans armes et les ingouvernables tirailleurs de Flourens qui vagabondaient dans cette cohue. Blanqui signait, signait. Delescluze essaya de sauver quelque épave de ce mouvement. Il joignit Dorian, reçut l’assurance formelle que les élections de la Commune auraient lieu le lendemain, celles du Gouvernement provisoire le jour suivant, enregistra ces promesses dans une note où le pouvoir insurrectionnel déclarait qu’il attendait les élections, la fit signer par Millière, Flourens et Blanqui. Millière et Dorian allèrent communiquer cette pièce aux membres de la Défense. Millière leur proposait de sortir ensemble de l’Hôtel de Ville, laissant Dorian et Schœlcher procéder aux élections, à la condition expresse qu’aucune poursuite ne serait exercée. Les membres de la Défense acceptaient et Millière leur disait : « Messieurs, vous êtes libres », quand les gardes nationaux voulurent des engagements écrits. Les prisonniers s’indignèrent qu’on doutât de leur parole. Millière et Flourens ne purent faire comprendre aux gardes l’inutilité des signatures.
Tout à coup, Jules Ferry attaque la porte de la place Lobau. Il a mis sa liberté à profit, réuni quelques bataillons, un surtout de mobiles bretons qui n’entendent guère le français. Delescluze et Dorian vont au-devant, annoncent l’arrangement qu’ils croient conclu, décident Ferry à attendre. À trois heures du matin, comme le tournis persiste, les tambours de Trochu battent sur la place ; le bataillon breton débouche en plein Hôtel de Ville par le souterrain de la caserne Napoléon, surprend et désarme beaucoup de tirailleurs ; Jules Ferry envahit la salle du Gouvernement. Les indisciplinables ne firent point de résistance. Jules Favre et ses collègues furent délivrés. Aux Bretons qui menaçaient, le général Tamisier rappela les conventions débattues dans la soirée et, pour gage d’un oubli réciproque, sortit de l’Hôtel de Ville entre Blanqui et Flourens. Trochu parcourut les rues et les quais dans une gloire de bataillons.