Elle fut résolue comme une farce, préparée parallèlement à la capitulation. Dans la nuit du 18 au 19 janvier, les Défenseurs reconnaissent qu’un nouvel échec entraînera la catastrophe ; Trochu veut s’adjoindre les maires pour les questions de capitulation et de ravitaillement ; Jules Simon, Garnier-Pagès acceptent de rendre Paris, ne font de réserves que pour la France ; Garnier-Pagès propose de faire nommer par des élections spéciales des mandataires chargés de capituler. Telle fut leur veillée des armes .
Le 18, ils mettent Paris sur pied et les Prussiens sur le qui-vive, à grand renfort de trompettes et de tambours. Pour cet effort suprême, Trochu n’a su réunir que 84 000 hommes, dont 19 régiments de garde nationale et il leur fait passer la nuit, qui est pluvieuse et froide, dans la boue des champs du mont Valérien.
On s’attaquait aux défenses qui couvraient Versailles du côté de la Bergerie. Le 19, à dix heures du matin, d’un élan de vieilles troupes, – Trochu l’avoua à la tribune versaillaise – les gardes nationaux et les mobiles qui formaient la majorité de l’aile gauche et du centre avaient emporté la redoute de Montretout, le parc de Buzenval, une partie de Saint-Cloud, poussé jusqu’à Garches, occupé en un mot tous les postes désignés. Le général Ducrot, commandant l’aile gauche, était arrivé en retard de deux heures et, bien que son armée fût surtout de troupes de ligne, il n’avançait pas.
Nous avions conquis des hauteurs capitales. Les généraux ne les armèrent pas. Les Prussiens purent tout à leur aise balayer ces crêtes. À quatre heures, ils lancèrent des colonnes d’assaut. Les nôtres fléchirent d’abord, puis se redressèrent et arrêtèrent leur mouvement. Vers six heures, le feu de l’ennemi diminua ; Trochu ordonna la retraite. Il y avait cependant intacts quarante mille hommes de réserve entre le mont Valérien et Buzenval. Sur cent cinquante pièces d’artillerie, trente au plus avaient parlé. Les généraux qui avaient à peine daigné communiquer avec la garde nationale, déclarèrent qu’elle ne supporterait pas une seconde nuit et Trochu fit évacuer Montretout et toutes les positions conquises. Des bataillons, en revenant, criaient de rage. Tous comprirent qu’on les avait fait sortir pour les sacrifier .
Paris, qui s’était cru à la victoire, se réveilla au glas de Trochu. Le général demandait un armistice de deux jours pour enlever les blessés, ensevelir les morts et en plus « du temps, des voitures et beaucoup de brancardiers ». Morts et blessés ne dépassaient pas trois mille hommes.
Cette fois enfin, Paris vit l’abîme. Les Défenseurs, dédaignant de dissimuler plus longtemps, réunirent les maires et leur dirent que toute résistance était impossible. Trochu ajouta pour les consoler que, « dès le 4 septembre au soir, il avait déclaré que ce serait folie d’entreprendre de soutenir un siège contre l’armée prussienne ». La sinistre nouvelle courut bientôt la ville.
Pendant quatre mois de siège, Paris avait tout accepté d’avance, la famine, la peste, l’assaut, tout, sauf la capitulation. Là-dessus, le 20 janvier 71, il était, malgré sa crédulité, sa faiblesse, le Paris de septembre 70. Quand le mot éclata, il y eut d’abord un ébahissement énorme, comme devant les crimes monstrueux, contre nature. Les plaies de ces quatre mois s’avivèrent, criant vengeance. Le froid, la faim, le bombardement, les longues nuits aux tranchées, les petits enfants s’éteignant par milliers, les morts semés dans les sorties, tout cela pour entrer dans la honte, faire escorte à Bazaine, devenir Metz seconde. On crut entendre le ricanement prussien. Chez quelques-uns, l’éblouissement devint fureur. Ceux-là même qui soupiraient après la reddition prirent des attitudes. Le blême troupeau de maires se cabra. Le 21 au soir, Trochu les reçut encore, dit que tous les généraux consultés et même des officiers de moindre grade avaient, le matin même, conclu à l’impossibilité d’une nouvelle sortie. Debout, le dos au feu, de beau geste, il leur démontra mathématiquement l’absolue nécessité de démarches auprès de l’ennemi, déclara ne pas vouloir s’en mêler, et, de cette langue aux révolutions incomparables, insinua aux maires de capituler pour lui. Ils firent la grimace, se montèrent même jusqu’à protester, s’imaginant qu’ils n’étaient pas responsables de l’issue.
Après leur départ, les Défenseurs délibérèrent. Jules Favre demandait à Trochu sa démission. L’apôtre prétendait qu’on le destituât, voulant paraître incapitulable devant l’histoire ; leur offrant du reste un mot digne d’Escobar : « S’arrêter devant la faim, c’est mourir, ce n’est pas capituler » . Ils s’échauffaient un peu lorsque, à trois heures du matin, on annonce que la prison de Mazas vient d’être forcée ; Flourens et plusieurs autres détenus politiques ont été enlevés par une troupe de gardes nationaux. Nos Défenseurs, qui flairent un 31 octobre, précipitent leurs résolutions, remplacent Trochu par le général Vinoy. Le bonapartiste se fit prier. Jules Favre et Le Flô, ministre de la guerre, lui montrèrent le peuple debout, l’insurrection imminente, le préfet de police qui apportait sa démission. Les hommes du 4 Septembre 70 en étaient à supplier ceux du 2 Décembre 51. Vinoy daigna céder. Il débuta en vrai bonapartiste par s’armer contre Paris, dégarnit ses lignes devant les Prussiens, rappela les troupes de Suresnes, Gentilly, les Lilas, mit la cavalerie et la gendarmerie sur pied. Un bataillon de mobiles du Finistère se fortifia dans l’Hôtel de Ville commandé par un colonel de la garde nationale, Vabre, réactionnaire fort cruel. Clément Thomas, dans une proclamation furibonde : « Les factieux s’unissent à l’ennemi… », adjura la garde nationale de « se lever tout entière pour les frapper. » Il ne l’avait pas levée tout entière contre les Prussiens.