Il y avait en l’air des signes de colère, non pas d’une journée sérieuse. Beaucoup de révolutionnaires, dont Blanqui, sentant que tout était à bout, n’admettaient pas un mouvement qui, victorieux, eût sauvé les hommes de la Défense et pris leur place pour capituler. D’autres, dont la raison n’éclairait pas le patriotisme, chauds encore des ardeurs de Buzenval, croyaient à la sortie en masse, disaient : il faut sauver l’honneur. Quelques réunions avaient voté la veille qu’on s’opposerait par les armes à la capitulation et s’étaient donné rendez-vous devant l’Hôtel de Ville.
À midi, le tambour rappelle aux Batignolles. À une heure et demie, quelques groupes armés paraissent sur la place de l’Hôtel-de-Ville. La foule s’amasse. Une députation est reçue par l’adjoint au maire, G. Chaudey, – le Gouvernement siégeait au Louvre depuis le 31 octobre. L’orateur dit les griefs de Paris, réclame la Commune. Chaudey répond que l’idée de la Commune est une idée fausse, qu’il l’a combattue et qu’il la combattra énergiquement. Il était de nature très violente, et terriblement ergoteur. Une nouvelle députation survient plus ardente. Chaudey se fâche, même injurieusement. L’émotion gagnait ; le 101e, arrivant de la rive gauche, criait : « Mort aux traîtres ! » Le 207e des Batignolles, qui a parcouru les boulevards, débouche sur la place par la rue du Temple et se range devant l’Hôtel de Ville dont toutes les issues sont fermées.
Des coups de feu éclatent ; les croisées de l’Hôtel se voilent de fumée. Abrités derrière les candélabres et des monticules de sable, quelques gardes nationaux, commandés par Sapia et Raoul Rigault, soutiennent le feu des mobiles. D’autres font le coup de feu dans les maisons de l’avenue Victoria. La fusillade roulait depuis une demi-heure, quand les gendarmes parurent au coin de l’avenue. Vinoy suivait. Les insurgés firent retraite. Une douzaine furent saisis et menés à l’Hôtel de Ville où Vinoy voulait les fusiller. Jules Ferry les fit réserver pour les conseils de guerre. Les manifestants, la foule inoffensive perdirent trente morts ou blessés, l’Hôtel de Ville n’eut qu’un mort et deux blessés.
Le Gouvernement ferma les clubs et lança de nombreux mandats d’arrêt. Quatre-vingt-trois personnes, la plupart innocentes, a dit le général Soumain, furent arrêtées. On saisit cette occasion pour envoyer Delescluze, malgré ses soixante-cinq ans et la bronchite aiguë qui le minait, rejoindre à Vincennes les détenus du 31 octobre jetés pêle-mêle dans le donjon humide. Le Réveil et le Combat furent supprimés.
Une proclamation indignée dénonça les insurgés comme « les partisans de l’étranger », seule ressource des hommes du 4 Septembre dans leurs crises honteuses. Par là seulement ils furent Jacobins. Qui servit l’étranger, du Gouvernement toujours prêt à traiter, ou des Parisiens toujours acharnés pour la résistance ? L’histoire dira qu’à Metz une armée immense, encadrée, instruite, de vieux soldats, se laissa livrer sans qu’un maréchal, un chef de corps, se levât pour la sauver de Bazaine, tandis que les Parisiens sans guides, sans organisation, devant deux cent quarante mille soldats et mobiles acquis à la paix, firent reculer de trois mois la capitulation et la vengèrent de leur sang.
Cette indignation de traîtres écœura. Aucun des bataillons jadis trochéens ne s’était levé à l’appel de Clément Thomas. Ce Gouvernement, défendu tant qu’on l’avait cru de défense, puait pour tous la capitulation. Le jour même de l’échauffourée, il fit sa dernière jésuiterie. Jules Simon, ayant réuni les maires et une douzaine d’officiers supérieurs, offrit le commandement suprême au militaire qui proposerait un plan. Ce Paris qu’ils avaient reçu exubérant de vie, les hommes du 4 Septembre l’abandonnaient à d’autres, maintenant qu’ils l’avaient fait exsangue. Aucun des assistants ne releva l’ironie. Ils se bornèrent à refuser cet héritage désespéré. Jules Simon, les attendait là. Quelqu’un dit : « Il faut capituler », le général Lecomte. Les maires comprirent enfin pourquoi on les avait convoqués et quelques-uns étanchèrent un pleur.