CHAPITRE PREMIERPremières attaques de la coalition contre Paris – Les bataillons de la Garde nationale se fédèrent et saisissent leurs canons – Les Prussiens entrent dans Paris

Le chef du Pouvoir exécutif pas plus que l’Assemblée Nationale, s’appuyant l’un sur l’autre et se fortifiant l’un par l’autre, n’avaient en aucune manière provoqué l’insurrection parisienne.

Discours de M. Dufaure contre l’amnistie (Mai 76).

Quelle douleur ! Après l’invasion, la Chambre introuvable. Avoir rêvé une France régénérée qui, d’un vol puissant, s’élancerait vers la lumière et se sentir refoulé d’un demi-siècle en bas, sous le joug du jésuite, du hobereau brutal, en pleine congrégation ! Il y eut des hommes dont le cœur éclata. Beaucoup parlaient de s’expatrier. Des étourneaux disaient : Cette Chambre est d’une heure, sans autre mandat que la paix ou la guerre. Ceux qui avaient suivi la conspiration, qui virent ces dévots des soutanes violettes, comprirent que de tels hommes n’abandonneraient pas la France avant de l’avoir passée sous leur rouleau.

La haine de Paris

Quand les échappés de Paris, frémissant encore de patriotisme, les yeux caves, mais brillants de foi républicaine, arrivèrent au Grand Théâtre de Bordeaux où l’Assemblée se réunit, ils trouvèrent devant eux quarante années de haines affamées. Notoriétés de bourgs, châtelains obtus, mousquetaires écervelés, dandys cléricaux, réduits pour exprimer des idées de 1815 aux troisièmes rôles de 1849, tout un monde insoupçonné des villes, rangé en bataille contre ce Paris, l’athée, le révolutionnaire qui avait fait trois Républiques et bousculé tant de Dieux. Dès la première séance, leur fiel creva. Au fond de la salle, un vieillard, seul sur son banc, se lève et demande la parole. Sous son grand manteau brille une chemise rouge. C’est Garibaldi. À l’appel de son nom, il a voulu répondre, dire d’un mot qu’il résigne le mandat dont Paris l’a honoré. Les hurlements couvrent sa voix. Il reste debout, élève cette main desséchée qui a pris un drapeau aux Prussiens, les injures redoublent. Le châtiment tombe des tribunes. « Majorité rurale ! honte de la France ! » jette une voix sonore, Gaston Crémieux, de Marseille. Les députés se retournent, menacent. Les : bravos et les défis des tribunes tombent encore. Au sortir de la séance, la foule applaudit Garibaldi. La garde nationale lui présente les armes malgré M. Thiers, qui apostrophe l’officier commandant. Le peuple revint le lendemain, forma une haie devant le théâtre, obligea les députés réactionnaires à subir ses acclamations républicaines. Mais ils savaient leur force et, à l’ouverture de la séance, ils attaquèrent. Un rural montrant les représentants de Paris : « Ils sont couverts du sang de la guerre civile ! » Un des élus de Paris crie : « Vive la République ! » les ruraux ripostent : « Vous n’êtes qu’une fraction du pays. » Le jour suivant, le théâtre fut entouré de troupes qui refoulèrent au loin les manifestants.

En même temps, les journaux conservateurs unissaient leurs sifflements contre Paris, niaient jusqu’à ses souffrances. La garde nationale avait fui devant les Prussiens ; ses seuls faits d’armes étaient le 31 octobre et le 22 janvier ; elle seule était responsable de la défaite, ayant ruiné par la sédition les magnifiques plans de Trochu et Ducrot. Ces calomnies fructifiaient dans une province dès longtemps préparée. Telle était son ignorance des évènements du siège qu’elle avait nommé, et quelques-uns plusieurs fois, Trochu, Ducrot, Jules Ferry, Pelletan, Garnier-Pagès, Emmanuel Arago à qui Paris n’avait pas fait l’aumône du vote.

C’était aux représentants de Paris de dire le siège, les responsabilités, la signification du vote parisien, de dresser contre la coalition, clérico-monarchiste le drapeau de la France républicaine. Ils se turent ou ne firent que des réunions puériles d’où Delescluze sortit navré, comme il avait quitté la réunion des maires. Les Épiménides de 48 répondirent par des poncifs au cliquetis d’armes de l’ennemi, et les moins vieux qu’il fallait voir venir.

Ces élections, ces menaces, l’insulte à Garibaldi, à ses représentants, tous ces coups sur coups tombèrent sur un Paris fiévreux, ravitaillé à peine, où les farines arrivaient mal, – le 13 février, Belleville n’avait eu que 325 sacs au lieu de 800. Voilà donc la récompense de cinq mois de douleur et de ténacité. Cette province qu’il invoqua tout le siège et vers laquelle il tendait les bras, lui criait : « Lâche ! » de Bismarck le rejetait au roi. Eh bien ! s’il le fallait, Paris défendrait seul la République contre cette Assemblée rurale. Le danger imminent, la dure expérience des divisions du siège concentrèrent les volontés, refirent à la grande ville une âme collective. La garde nationale commença de se chercher.