À Versailles

À Versailles, ils trouvèrent une ville d’affolés. Les fonctionnaires arrivés de Paris, terrorisés, répandaient la terreur. On annonçait cinq ou six insurrections en province. La coalition était consternée. Paris vainqueur, le Gouvernement en fuite, ce n’était guère ce qu’on s’était promis. Et ces conspirateurs projetés par la mine qu’ils avaient bourrée et allumée, criaient à la conspiration, parlaient de se réfugier à Bourges. Picard avait bien télégraphié à la province : « L’armée au nombre de quarante mille hommes s’est concentrée à Versailles », on ne voyait pour toute armée que des hordes – c’est le mot de Jules Simon – ne saluant plus les officiers, les regardant d’un air menaçant ; des soldats déclaraient en pleine rue qu’ils ne se battraient pas contre leurs frères de Paris . Très difficilement, Vinoy était parvenu à placer quelques postes sur les routes de Châtillon et de Sèvres.

Leur séance s’ouvrit dans la salle du théâtre, car cette Assemblée faite de trucs opéra toujours sur les planches. Le président Grévy, très estimé des réactionnaires – il avait le 4 septembre au soir essayé de reconstituer le Corps législatif contre l’Hôtel de Ville et, pendant toute la guerre, combattu la délégation – commença par flétrir cette criminelle insurrection « qu’aucun prétexte ne saurait atténuer. » Les députés de Paris, au lieu d’un manifeste collectif, déposèrent une série de propositions fragmentées, sans lien, sans vues d’ensemble, sans préambule qui les expliquât, un projet de loi convoquant à bref délai les électeurs de Paris, un autre qui accordait à la garde nationale l’élection de ses chefs. Seul Millière se préoccupa des échéances et proposa de les ajourner à six mois.

Sauf les exclamations, les injures à demi mâchées, il n’y avait pas eu de réquisitoire formel contre Paris. À la séance du soir, Trochu sortit. Ô scène de Shakespeare ! on entendit l’homme noir qui lentement avait glissé la grande ville dans les mains de Guillaume, rejeter sa trahison sur les révolutionnaires, les accuser d’avoir failli dix fois amener les Prussiens dans Paris. L’Assemblée reconnaissante le couvrit de bravos. Un ex-procureur impérial, Turquet, arrêté une heure la veille, raconta l’arrestation des généraux Chanzy et Langourian. « J’espère, dit l’hypocrite, qu’ils ne seront pas assassinés !  »

Dans cette heure critique les conservateurs, abandonnant pour un moment leur rêve, allèrent au plus pressé, se sauver de la Révolution ; entourant M. Thiers, ils refirent la coalition de 1848-49 si bien définie par Berryer : « Nous sommes des hommes monarchiques qui attendons notre heure, mais ce qui importe, c’est que nous nous unissions d’abord pour constituer une armée vigoureuse qui résiste au socialisme. » Aussi, à peine sortis de l’échaudée, M. Thiers et ses ministres en vinrent à la jactance. Est-ce que d’ailleurs la province n’allait pas se lever, comme en juin 48 ? Est-ce que ces prolétaires sans éducation politique, sans administration, sans argent, pourraient « conduire leur barque » ?

En 1831, les prolétaires, maîtres de Lyon pendant dix jours, n’avaient pas su s’administrer. Combien plus grande la difficulté pour Paris ! Tous les pouvoirs nouveaux ont reçu l’énorme machine administrative intacte, prête à fonctionner au profit du vainqueur. Le Comité Central ne trouvait que des rouages disloqués. Au signal de Versailles, la plupart des employés avaient abandonné leurs postes. Octroi, voirie, éclairage, halles et marchés, assistance publique, télégraphes, tous les appareils digestifs et respiratoires de « cette ville de seize cent mille êtres, il fallait tout réorganiser. Certains maires avaient enlevé les cachets, les registres et les caisses de leurs mairies. L’intendance militaire abandonnait, sans un sou, six mille malades dans les hôpitaux et les ambulances. Il n’était pas jusqu’au service des cimetières que M. Thiers n’eût essayé de détraquer.

Pauvre homme, qui ne sut jamais un mot de Paris, de son cœur inépuisable, de son merveilleux ressort. On vint de partout au Comité Central. Les comités d’arrondissement fournirent le personnel aux mairies ; la petite bourgeoisie prêta son expérience. Les principaux services furent rajustés, en un clin d’œil, par des hommes de bon sens et d’application. Il fut démontré que cela valait la routine. Les employés, restés à leur poste pour faire passer les fonds à Versailles, furent très vite découverts.