Le Comité Central vainquit une difficulté bien autrement redoutable. Trois cent mille personnes sans travail, sans ressources d’aucune sorte, attendaient les trente sous quotidiens dont on vivait depuis sept mois. Le 19, les délégués Varlin et Jourde s’étaient rendus au ministère des Finances. Les coffres contenaient, d’après la situation qui leur fut remise, quatre millions six cent mille francs, mais les clefs étaient à Versailles. En présence des pourparlers engagés avec les maires, les délégués ne voulurent par forcer les serrures et ils demandèrent à Rothschild l’ouverture d’un crédit à la Banque ; il leur fit dire qu’on avancerait cinq cent mille francs. Le Comité Central, abordant la question plus carrément, envoya trois délégués à la Banque. On leur répondit qu’il y avait un million à la disposition de Varlin et de Jourde. À six heures du soir, les deux délégués furent reçus par le gouverneur. « J’attendais votre visite, dit M. Rouland. La Banque, au lendemain de tous les changements de pouvoir, a dû venir en aide au nouveau. Je n’ai pas à juger les évènements. La Banque de France ne fait pas de politique. Vous êtes un gouvernement de fait. La Banque vous donne pour aujourd’hui un million. Veuillez seulement mentionner dans votre reçu que cette somme a été réquisitionnée pour le compte de la Ville. » Les délégués emportèrent un million en billets de banque. Restait à les monnayer et les employés du ministère des Finances avaient disparu ; grâce à quelques dévoués, on parvint à répartir assez rapidement la somme entre les officiers-payeurs. À dix heures, Varlin et Jourde annonçaient au Comité Central que la solde se distribuait dans tous les arrondissements.
La Banque fut sage, le Comité tenait solidement Paris. Les maires et les députés n’avaient pu réunir que trois ou quatre cents hommes. Le Comité était assez sûr de sa force pour faire démolir les barricades. Tout venait à lui ; la garnison de Vincennes s’offrait spontanément avec la place. Sa victoire même devenait périlleuse en l’obligeant d’éparpiller ses troupes, pour prendre possession des forts du sud abandonnés. Lullier, chargé de cette mission, fit, le 19 et le 20, occuper les forts d’Ivry, Bicêtre, Montrouge, Vanves, Issy. Le dernier où il envoya la garde nationale fut la clef de Paris et alors de Versailles, le mont Valérien.
Pendant trente-six heures, l’imprenable forteresse était restée vide. Le 18 au soir, après l’ordre d’évacuation envoyé par M. Thiers, elle n’avait que vingt fusils et les chasseurs de Vincennes internés pour avoir manifesté à la Bastille. Le soir même, ils brisaient les serrures des poternes et rentraient à Paris.
Députés et généraux suppliaient M. Thiers de faire réoccuper le mont Valérien. Il refusait opiniâtrement, soutenant que ce fort n’a aucune valeur stratégique. Toute la journée du 19, on y échoua. Enfin, Vinoy, harcelé par les députés, parvint à lui arracher un ordre, le 20, à une heure du matin. Une colonne fut expédiée et, le 21, à midi, un millier de soldats occupaient la forteresse commandée par le général Noël, qui avait sans doute promis de changer sa méthode de tir . Le soir seulement à huit heures, des bataillons des Ternes se présentèrent. Le gouverneur parlementa, dit qu’il n’avait aucun ordre d’attaque, éconduisit les officiers. Lullier, rendant compte de sa mission au Comité Central, nomma les bataillons qui devaient selon lui tenir le mont Valérien.