La capitale du Sud-Ouest voyait mourir son mouvement. Toulouse avait tressailli au coup du 18 Mars. Là, vibre – au faubourg Saint-Cyprien – une population ouvrière intelligente et valeureuse. Elle formait le cœur de la garde nationale et, depuis le 19, relevait les postes au cri de : « Vive Paris ! » On alla demander au préfet Duportal, ancien proscrit de 51, de se prononcer pour ou contre Paris. L’Émancipation, qu’il inspirait, faisait campagne contre les ruraux et il avait, dans une réunion publique, accentué la note républicaine. Les clubs le pressèrent, imposant aux officiers de la garde nationale le serment de défendre la République, demandant des cartouches. M. Thiers, voyant que Duportal suivrait fatalement la pente, nomma à sa place Kératry, l’ancien préfet de police du 4 Septembre. Il arriva dans la nuit du 21 au 22, apprit que la garnison était de 600 hommes débandés, que toute la garde nationale se déclarerait pour Duportal ; il battit en retraite sur Agen.
Le 22, la garde nationale préparait une manifestation pour s’emparer de l’arsenal. Duportal et le maire coururent au Capitole, l’hôtel de ville de Toulouse. Le maire déclara que la revue n’aurait pas lieu, Duportal qu’il donnerait sa démission plutôt que de se prononcer. Les généraux, effrayés de l’élan du faubourg, se réfugièrent à l’arsenal. Le maire et la commission municipale s’esquivèrent et Duportal, dans sa préfecture, parut désigné d’autant plus aux sympathies de la garde nationale. Il s’efforça de rassurer les généraux, leur dit sa ferme résolution de maintenir l’ordre au nom du Gouvernement de Versailles, le seul dont il reconnût la légitimité, sut les convaincre assez pour qu’ils écrivissent à Thiers de le maintenir à son poste. Kératry, s’armant de ses déclarations, lui demanda son concours pour prendre possession de la préfecture. Duportal lui donna rendez-vous devant les officiers des mobiles et de la garde nationale convoqués pour le lendemain, 24. L’autre comprit et resta à Agen.
On devait, à cette réunion, recevoir les enrôlements pour Versailles. Quatre officiers de mobiles, sur soixante, s’offrirent ; ceux de la garde nationale assistaient, à ce moment même, à une manifestation toute différente, organisée contre Kératry. À une heure, deux mille hommes partent de la place du Capitole et se rendent à la préfecture. Duportal reçoit les officiers. Loin de soutenir l’Assemblée, ils sont prêts, disent-ils, à marcher contre elle ; si M. Thiers ne veut pas faire la paix avec Paris, ils proclameront la Commune. Des cris partent de tous les coins : « Vive la Commune ! Vive Paris ! » Les officiers s’exaltant décrètent Kératry d’arrestation, proclament la Commune, obligent Duportal à se mettre en avant. Il se récuse, offre des conseils sans plus. Les officiers l’accusent de défaillance, le décident à venir sur la place de la préfecture où les gardes nationaux l’acclament. La manifestation revient au Capitole.
À peine arrivés dans la grande salle, les meneurs paraissent fort embarrassés. Ils offrent la présidence au maire, à d’autres municipaux qui s’esquivent, à Duportal qui s’en tire en rédigeant un manifeste. On le lit au grand balcon ; la Commune de Toulouse déclare vouloir la République une et indivisible, somme les députés de Paris d’être les intermédiaires entre le Gouvernement et la grande ville, M. Thiers de dissoudre l’Assemblée. La foule acclama cette Commune qui croyait aux députés de la Gauche et à M. Thiers opprimé.
Le soir, des officiers de la garde nationale nommèrent une commission exécutive où les principaux meneurs du mouvement ne figuraient pas. Elle se contenta d’afficher le manifeste, négligea les moindres précautions, même d’occuper la gare. Cependant les généraux n’osaient bouger de l’arsenal.
Le 26, le premier président et le procureur général allèrent les y rejoindre et lancèrent une adresse, pour grouper autour d’eux la population. La garde nationale voulait répondre en enlevant l’arsenal, et le faubourg Saint-Cyprien vint sur la place du Capitole. La commission exécutive préféra négocier, envoya dire à l’arsenal qu’elle se dissoudrait si le Gouvernement nommait un préfet républicain en place de Kératry, et lâcha complètement Duportal qui, du reste, n’avait rien fait pour prendre la tête. Les pourparlers durèrent toute la soirée. Les gardes nationaux rentrèrent, croyant tout terminé.
Kératry, informé de ces défaillances, arrive le 27 avec trois escadrons de cavalerie, se rend à l’arsenal, rompt les négociations et donne l’ordre de marcher. À une heure, l’armée de l’ordre part en guerre, forte de deux cents cavaliers et de six cents soldats dépareillés. Un détachement occupe le pont Saint-Cyprien pour couper la ville du faubourg, un autre se rend à la préfecture ; le troisième avec le général Nansouty, Kératry et les magistrats, marche sur le Capitole. Trois cents hommes garnissent les cours, les fenêtres, la terrasse. Kératry déploie ses troupes et braque six pièces à soixante mètres de l’édifice, au bout des fusils insurgés. Le premier président et le procureur général s’avancent pour parlementer, Kératry fait des sommations ; on les couvre de cris. Une seule décharge à blanc eut fait envoler ces assaillants si les meneurs n’eussent fui le Capitole. Le courage de quelques hommes allait engager la lutte, quand l’Association républicaine intervint et persuada aux gardes nationaux de se retirer. La prise de la préfecture fut moins difficile encore et, le soir, Kératry coucha dans le lit de Duportal. Les membres de la commission exécutive publièrent le lendemain un manifeste qui leur valut l’impunité ; l’un d’eux se fit nommer maire par Kératry.
La généreuse population ouvrière de Toulouse soulevée au cri de : « Vive Paris ! » fut ainsi abandonnée par ceux qui l’avaient insurgée. Échec désastreux pour Paris, car le Sud-Ouest aurait suivi Toulouse.