L’homme de tête et d’action qui fit défaut aux mouvements du Midi se trouva dans l’insurrection de Narbonne. La vieille cité, gauloise d’élan, de ténacité romaine, est le vrai foyer de la démocratie dans l’Aude. Nulle part, pendant la guerre, on n’avait plus vigoureusement protesté contre les faiblesses de la Délégation. Aussi, la garde nationale de Narbonne n’avait pas de fusils quand celle de Carcassonne était armée depuis longtemps. À la nouvelle du 18 mars, Narbonne n’hésita pas, fut avec Paris. Pour proclamer la Commune, on pensa de suite à Digeon, proscrit de l’Empire, homme de convictions fortes et d’un caractère assuré. Digeon, aussi modeste que résolu, offrit la direction du mouvement à son camarade d’exil, Marcou, chef reconnu de la démocratie dans l’Aude, un des plus fougueux contre Gambetta pendant la guerre. Marcou, avocat madré, craignant de se compromettre et redoutant l’énergie de Digeon au chef-lieu, le poussa sur Narbonne. Il y arriva le 23 et pensa d’abord convertir le conseil municipal à l’idée de la Commune. Le maire, Raynal, refusant de réunir le conseil, le peuple envahit l’hôtel de ville le 24 au soir, s’arma des fusils que la municipalité détenait, installa Digeon et ses amis. Il parut au balcon, proclama la Commune de Narbonne unie à celle de Paris, prit immédiatement des mesures de défense.
Le lendemain, le maire essaya de rallier la garnison et des compagnies apparurent devant l’hôtel de ville. Le peuple, surtout les femmes, enthousiastes de la Commune, dignes de leurs sœurs parisiennes, désarmèrent les soldats. Un capitaine et un lieutenant furent retenus comme otages. Le reste de la garnison alla s’enfermer dans la caserne Saint-Bernard. Raynal persistant à souffler la résistance, la foule l’arrêta le 26. Digeon plaça les trois otages en tête d’un détachement de gardes nationaux, s’empara de la préfecture, mit des piquets à la gare et au télégraphe. Pour s’armer, il força l’arsenal où, malgré leur lieutenant qui commandait le feu, les soldats livrèrent les fusils. Ce jour-là, les délégués des communes voisines arrivèrent et Digeon s’occupa de généraliser le mouvement.
Il avait très bien compris que les insurrections départementales s’effondreraient vite si elles n’étaient fortement reliées et il voulait tendre la main aux soulèvements de Toulouse et de Marseille. Déjà Béziers, Perpignan, Cette, lui avaient fait promettre leur appui. Il s’apprêtait à partir pour Béziers, quand, le 28, deux compagnies de turcos arrivèrent, bientôt suivies d’autres troupes envoyées de Montpellier, Toulouse et Perpignan. Digeon dut se renfermer dans la défensive, fit élever des barricades, renforça les postes, recommandant aux insurgés d’attendre toujours l’attaque et de viser uniquement les officiers…
Nous reviendrons. Paris nous rappelle. Les autres agitations de province ne furent que des tressaillements. Le 28, au moment où Paris s’absorbe dans sa joie, il n’y a plus dans toute la France que deux Communes debout, Marseille et Narbonne.