La Commune et la Banque

Scène d’un haut comique, si l’on pouvait rire d’une négligence qui a fait couler tant de sang. Depuis le 19 mars, les régents de la Banque attendaient chaque matin l’exécution de leur caisse. De la déménager à Versailles, on n’y pouvait songer à moins de cent fourgons et d’un corps d’armée. Le 23, le gouverneur Rouland n’y tint plus et disparut. Le sous-gouverneur de Plœuc le remplaça. Dès la première entrevue avec les délégués de l’Hôtel de Ville, il perça leur timidité, batailla, parut fléchir, fila son argent écu par écu. Le côté vaudeville est qu’il chicanait à Paris l’argent même de Paris, un solde créditeur de neuf millions quatre cent mille francs, déposé à la Banque. Il manœuvra ainsi jusqu’au 28 mars. La Banque renfermait : numéraire 77 millions, billets de Banque 166 millions , portefeuille 899 millions, valeurs en garantie d’avance 120 millions, lingots 11 millions, bijoux en dépôt 7 millions, titres déposés 900 millions, soit deux milliards 180 millions. Huit cents millions en billets n’attendaient que la griffe du caissier, griffe facile à faire. La Commune avait donc près de trois milliards sous la main, dont presque un milliard liquide, de quoi acheter mille fois tous les Gallifet et hauts fonctionnaires de Versailles ; pour otages, les quatre-vingt-dix mille dépôts de titres et les deux milliards en circulation dont le gage se trouvait rue de la Vrillière.

Le 30 mars, Beslay, délégué par la Commune, se présenta devant le tabernacle. Il avait voulu se retirer après son discours d’ouverture, se trouvant bien trop vieux pour servir une telle lutte ; sur les instances de tous ses collègues, il était resté. De Plœuc, pour le recevoir, avait mis sur pied ses quatre cent trente employés armés de fusils sans cartouches. Beslay, qui le connaissait beaucoup, lui demanda de satisfaire aux nécessités de la solde. De Plœuc parla de se défendre. « Mais enfin, dit Beslay, si, pour éviter l’effusion du sang, la Commune nommait un gouverneur. – Un gouverneur ! jamais ! dit de Plœuc, mais un délégué ; si ce délégué était vous, nous pourrions nous entendre. » Et passant au pathétique : « Voyons, monsieur Beslay, aidez-moi à sauver ceci : c’est la fortune de votre pays, c’est la fortune de la France. »

Beslay, très attendri, vint le soir à la Commune répéter l’argument, d’autant qu’il y croyait, se piquait de finances : « La Banque de France est la fortune du pays ; hors d’elle plus d’industrie, plus de commerce ; si vous la violez, tous ses billets font faillite. » Ces niaiseries circulèrent à l’Hôtel de Ville. Les proudhoniens du Conseil, oubliant que leur maître a mis la suppression de la Banque en tête de son programme révolutionnaire, renforçaient le père Beslay. La forteresse capitaliste n’avait pas, à Versailles, de défenseurs plus acharnés. Si encore on eût dit : « Occupons au moins la Banque. » La Commune n’eut même pas ce nerf, se contenta de commissionner Beslay. De Plœuc le reçut à bras ouverts, l’installa dans le cabinet le plus proche, l’amena même à coucher à la Banque, et dès lors respira.

Dès la première semaine, elle apparaissait, la Commune, faible envers les auteurs de la sortie, le Comité Central, la Banque, légère dans ses décrets, dans le choix de son délégué à la Guerre, sans plan militaire, discutant à bâtons rompus. Les irréconciliables restés après la fuite des libéraux comprirent où l’on allait. Ne tenant pas au martyre, ils donnèrent leur démission.