CHAPITRE XVIILes Parisiennes – Suspension d’armes pour l’évacuation de Neuilly – L’armée de Versailles et celle de Paris

La grande flamme de Paris voilait encore ces faiblesses. Qui n’en fut brûlé ne saura la décrire. Les journaux communeux, malgré leur romantisme, étaient ternes à côté. La mise en scène, peu de chose. Dans les rues, sur les boulevards silencieux, un bataillon de cent hommes qui va au feu ou en revient, quelque femme qui suit, un passant qui applaudit, c’est le drame de cette révolution, simple et gigantesque comme un drame d’Eschyle.

Le commandant, en vareuse, poussiéreux, les galons roussis. Les hommes, tous cheveux gris ou têtes blondes, les vieux de Juin et les pupilles de l’idée. Bien souvent le fils marche à côté du père .

Les communardes

Cette femme qui salue ou accompagne, c’est la vaillante et vraie Parisienne. L’immonde androgyne née des fanges impériales a suivi sa clientèle à Versailles ou exploite la mine prussienne de Saint-Denis. Celle qui tient le pavé maintenant, c’est la femme forte, dévouée, tragique, sachant mourir comme elle aime, de ce pur et généreux filon qui, depuis 89, court vivace dans les profondeurs populaires. La compagne de travail veut aussi s’associer à la mort. « Si la nation française ne se composait que de femmes, quelle terrible nation ce serait ! » écrivait le correspondant du Times. Le 24 mars, aux bataillons bourgeois de la mairie du Ier arrondissement, un fédéré dit ce mot qui fit tomber leurs armes : « Croyez-moi, vous ne pouvez tenir ; vos femmes sont en larmes et les nôtres ne pleurent pas. »

Elle ne retient pas son homme , au contraire, le pousse à la bataille, lui porte aux tranchées le linge et la soupe, comme elle faisait au chantier. Beaucoup ne veulent plus revenir, prennent le fusil. Le 4 avril, au plateau de Châtillon, elles font le coup de feu. Les cantinières, simplement vêtues, en travailleuses. Le 3 avril, à Meudon, celle du 66e, la citoyenne Lachaise, resta toute la journée sur le champ de bataille, soignant les blessés presque seule, sans médecin.

Au retour, elles battent le rappel des dévouements, les centralisent dans un comité à la mairie du Xe, affichent des proclamations touchantes : « Il faut vaincre ou mourir. Vous qui dites : Qu’importe le triomphe de notre cause, si je dois perdre ceux que j’aime, sachez que le seul moyen de sauver ceux qui vous sont chers, c’est de vous jeter dans la lutte. » Elles s’offrent à la Commune, demandent des armes, des postes de combat, s’indignent contre les lâches. « J’ai le cœur saigné, écrit l’une, de voir qu’il n’y a absolument que ceux qui le veulent qui combattent. Ce n’est point, citoyen délégué, une dénonciation que je viens vous faire ; loin de moi cette idée ; mais mon cœur de citoyenne craint que la faiblesse des membres de la Commune ne fasse avorter nos projets d’avenir. »

André Léo, d’une plume éloquente, expliquait la Commune, sommait le délégué à la Guerre d’utiliser « la sainte fièvre qui brûle le cœur des femmes. » Une jeune Russe de grande naissance, instruite, riche, qui se faisait appeler Dimitrieff, fut la Théroigne de cette révolution. Tout peuple de geste et de cœur, cette Louise Michel, institutrice au XVIIe arrondissement. Douce et patiente aux petits enfants qui l’adoraient, pour la cause du peuple, la mère devenait lionne. Elle avait organisé un corps d’ambulancières qui soignaient les blessés sous la mitraille. Elles allaient aussi dans les hôpitaux disputer leurs chers camarades aux religieuses revêches, et l’œil des mourants se ranimait au murmure de ces douces voix qui parlaient de République et d’espoir.

Dans cette mêlée de dévouement, les enfants défiaient les hommes et les femmes. Les Versaillais, vainqueurs, en prirent 660, et beaucoup périrent dans la lutte des rues. Ils suivaient les bataillons aux tranchées, dans les forts, s’accrochaient aux canons. Quelques servants de la porte Maillot étaient des enfants de 13 à 14 ans. En rase campagne, ils faisaient des folies de bravoure .

Cette flamme parisienne rayonnait au-delà de l’enceinte. Les municipalités de Sceaux et de Saint-Denis se réunissaient à Vincennes pour protester contre le bombardement, revendiquer les franchises municipales et l’installation de la République. La chaleur en venait jusqu’à la province.

Elle commençait à croire Paris imprenable, malgré les dépêches de M. Thiers, le 3 avril : « Cette journée est décisive pour le sort de l’insurrection » ; le 4 : « Les insurgés ont éprouvé aujourd’hui un échec décisif » ; le 7 : « Cette journée est décisive » ; le 11 : « On prépare contre les insurgés des moyens irrésistibles » ; le 12 : « Les insurgés fuient à toutes jambes ; on attend le moment décisif » ; le 15 : « Nous tenterons, par une épreuve décisive, de mettre un terme à cette guerre civile » ; le 17 : « Nous persistons à éviter les petites actions jusqu’à l’action décisive. » Malgré tant de succès décisifs et de moyens irrésistibles, l’armée versaillaise se morfondait toujours aux avant-postes parisiens. Ses seules victoires décisives étaient contre les maisons de l’enceinte et de la banlieue.

Le voisinage de la porte Maillot, l’avenue de la Grande-Armée, les Ternes, s’allumaient d’incendies continuels. Asnières, Levallois, se remplissaient de ruines. Les habitants de Neuilly végétaient, affamés, dans leurs caves. Les Versaillais lançaient, sur ces points seulement, quinze cents obus par jour, et M. Thiers d’écrire à ses préfets : « Si quelques coups de canon se font entendre, ce n’est pas le fait du Gouvernement, mais de quelques insurgés voulant faire croire qu’ils se battent lorsqu’ils osent à peine se faire voir. »