Tous ces officiers généraux ne reçurent qu’un ordre : « Défendez-vous. » De plan général, il n’y en eut pas. Il n’y eut jamais de conseil général de défense. Les hommes furent très souvent abandonnés à eux-mêmes, sans soins ni surveillance. Peu ou point de roulement. Tout l’effort portait sur les mêmes. Tels bataillons restaient vingt, trente jours aux tranchées, dénués du nécessaire ; tels demeuraient continuellement en réserve. Si quelques intrépides s’endurcissaient au feu au point de ne plus vouloir rentrer, d’autres se décourageaient, venaient montrer leurs vêtements pouilleux, demandaient du repos ; les chefs étaient forcés de les retenir, n’ayant personne pour les remplacer.
Cette incurie tua vite la discipline. Les hommes braves ne voulurent relever que d’eux seuls, les autres esquivèrent le service. Les officiers firent de même, ceux-ci quittant leur poste pour aller au feu du voisin, ceux-là abandonnant. La cour martiale que présidait Rossel voulut punir. On se plaignit à la Commune de sa sévérité. Longuet dit qu’il n’avait pas « d’esprit politique ». La Commune cassa ses arrêts, commua en trois mois d’emprisonnement une condamnation à mort. Rossel se retira et fut remplacé par Gois.
Puisqu’on reculait devant la discipline de la guerre, il fallait changer de tactique. On ne fit qu’incriminer Cluseret. À la séance du 23, Avrial le met sur la sellette, le presse de questions sur le nombre d’hommes, de canons dont dispose la Commune. Cluseret prend des attitudes. « Les airs de dictateur ne vous vont pas », lui dit brutalement Delescluze qui reproche à Cluseret de laisser Dombrowski à Asnières avec 1 200 hommes et lâche le mot trahison. « Je suis un homme déshonoré ! », s’écrie Cluseret, et il veut quitter la salle. On s’y oppose. Longuement il se disculpe sans convaincre, car le surlendemain un membre de la Commune demande qu’il soit arrêté pour avoir favorisé les sous-comités.
Ces sous-comités sont des boutures du Comité Central qui ont pris un peu partout. Le 1er avril, la Commune demande ce que signifie ce comité de la rue d’Aligre qui donne des ordres ; le 6, elle décide que ces sous-comités seront dissous ; le 9, Theisz annonce qu’ils persistent, que celui du XVIIIe vient d’être installé par le Comité Central. Le 26, les sous-comités sont toujours si envahissants que la Commune vote encore leur dissolution, et Vermorel : « Il faut savoir qui a le pouvoir, de la Commune ou du Comité Central » ; il veut qu’on en finisse. Mais on n’en finit pas. Le 26, la commission militaire, reconnaissant que décrets et ordres restent lettre morte, charge les municipalités, le Comité Central, les chefs de légion de réorganiser la garde nationale ; aucun de ces mécanismes ne fonctionne sérieusement, ce qui fait que des membres de la Commune et des officiers généraux se mettent à rêver d’une dictature militaire.
Avant la fin d’avril, pour tout œil exercé, l’offensive promise par Cluseret est impossible. Au dedans, des hommes actifs, dévoués, s’épuisent en luttes énervantes contre les bureaux, les comités, les sous-comités, les mille rouages prétentieux d’administrations rivales et perdent une journée à se faire délivrer un canon. Aux remparts, quelques artilleurs criblent les lignes de Versailles, et, sans demander autre chose que du pain et du fer, ne quittent leurs pièces qu’enlevés par les obus. Les forts aux casemates défoncées, aux embrasures pulvérisées, répondent à l’averse des hauteurs. Les braves tirailleurs, à découvert, vont surprendre les lignards dans leurs trous. Ces dévouements, ces héroïsmes vont s’éteindre dans le vide. On dirait une chaudière de machine dont toute la vapeur fuirait par cent issues.