L’affaire du Moulin-Saquet

On s’interpelle encore, lorsque Mortier arrive et raconte la surprise du Moulin-Saquet. Fatigués, mal commandés, les fédérés se gardaient mal contre les surprises. La plus terrible venait d’avoir lieu dans la nuit du 3 au 4, à la redoute du Moulin-Saquet occupée à ce moment par cinq cents hommes. Ils dormaient sous la tente quand les Versaillais, ayant enlevé les sentinelles, s’étaient introduits dans la redoute et avaient égorgé une cinquantaine de fédérés. Les soldats avaient déchiqueté les cadavres, emmené cinq pièces de canons et deux cents prisonniers. Le commandant du 55e était accusé d’avoir livré le mot d’ordre.

L’assemblée se constitue en comité secret et fait appeler Rossel.

Il arrive, retrace la situation d’Issy, dit que la surprise du Moulin-Saquet est le fait du Comité de salut public qui a donné l’ordre à Wroblewski et à Dombrowski de se porter au fort d’Issy ; il lit une dépêche de Wroblewski. Ce n’est pas, du reste, la seule faute du Comité. Dombrowski a reçu, sans que Rossel ait été prévenu, la direction générale des opérations militaires, et il a dû laisser Neuilly aux mains d’un homme courageux, mais insuffisant, qui s’est laissé déborder. « Dans ces conditions, termine Rossel, je ne puis être responsable et je demande la publicité des séances. » Félix Pyat : « Ma réponse est bien simple : ni le Comité de salut public, ni moi-même n’avons signé aucun ordre mandant au citoyen Wroblewski de se transporter au fort d’Issy ; la seule mesure révolutionnaire que nous ayons prise est la suppression de la Place de Paris. » – Rossel : « C’est une mesure de bouleversement ; le citoyen Pyat a omis de dire s’il n’avait pas donné tout pouvoir à Dombrowski pour l’exécution des opérations militaires. » – Pyat : « L’exécution oui, mais la direction restait confiée au citoyen Rossel. »

À la séance de nuit, Tridon trouve très graves les faits révélés par Rossel ; Vermorel dit que le Comité de salut public est un comité d’empêchement ; Félix Pyat donne à Rossel absent un démenti formel. Arthur Arnould : « Si le Comité n’a pas donné d’ordres, Rossel niant en avoir donné, comment Dombrowski et Wroblewski ne sont-ils pas arrêtés ? » Pyat niant toujours, Vaillant démontre que le Comité est sorti de ses attributions. La discussion, très vive, ne finit qu’à minuit et demi.

Elle recommence le lendemain. Arnould lit la copie de l’ordre envoyé à Wroblewski ; cet ordre est signé : Léo Melliet, A. Arnaud, Félix Pyat. Léo Melliet se défend à côté. Ce n’est pas le déplacement de Wroblewski qui a motivé la surprise, mais la trahison. Avrial : « Il y a un mensonge qu’il faut éclaircir. » Félix Pyat est mandé. Dans l’intervalle, Parisel demande le comité secret et dit : « Je puis, à l’heure qu’il est… », le procès-verbal s’arrête là. – Le 23 avril, cet original de Parisel avait demandé que la Commune, utilisant toutes les ressources de la science pour combattre les Versaillais, formât d’hommes compétents un ministère nouveau, que Allix, irradié, dénomma « ministère du progrès », ce qui fit beaucoup rire. – Parisel réclame un homme énergique pour faire des réquisitions. Arrive Félix Pyat. On lui parle de la dépêche envoyée à Dombrowski : « J’avoue, dit-il, à ma confusion, n’avoir pas le moindre souvenir de cette pièce. » On la lui met sous les yeux : « Est-ce bien votre signature ? » – Pyat : « Je n’ai pas cru, en signant deux lignes au bas de la pièce, signer un ordre au général Wroblewski. » Arthur Arnould lit plusieurs ordres militaires envoyés par le Comité de salut public. Langevin : « Que l’assemblée décide jusqu’à quel point elle doit avoir confiance dans un Comité qui a nié énergiquement avoir donné des ordres qu’il n’est plus possible de nier aujourd’hui. » – J.-B. Clément : « On ne manque pas de mémoire, citoyen Félix Pyat ; je serais d’avis que vous donniez votre démission. » – Pyat : « Je l’ai donnée… et je supplie l’assemblée de l’accepter… Du reste, comme aujourd’hui je ne puis plus être cru de vous, je suis obligé de renoncer aux fonctions que vous m’avez confiées. » Ferré demande qu’on appelle tous les membres du Comité de salut public. La discussion bifurque. Où est Cluseret ? Pyat : « Je ne sais pas, c’est une muscade qui a disparu sous le gobelet des prestidigitateurs de la Commission exécutive. » – Andrieu, l’un des membres de cette Commission : « C’était au Comité de salut public de nous demander des comptes. » – Pyat : « Il faudra bien que vous les rendiez, les comptes. » (Bruit prolongé.)

Pendant qu’on se gourmait à l’Hôtel de Ville, Versailles triomphait du massacre du Moulin-Saquet, M. Thiers annonçait cet « élégant coup de main » – écrivit un de ses officiers – dans une dépêche facétieuse où il disait qu’« on avait tué deux cents hommes, les autres s’enfuyant aussi vite que leurs jambes pouvaient les porter, que telle était la victoire que la Commune pourrait annoncer dans ses bulletins. » Les prisonniers amenés à Versailles furent assaillis par cette tourbe qui accourait à tous les convois couvrir de coups et de crachats les défenseurs de Paris. Tout juste assez brave pour écouter les canons qui bombardaient Issy.

Les Versaillais avaient repris le feu avec fureur. Les obus crevaient les casemates, pulvérisaient les revêtements, les boîtes à mitraille pavaient de fer les tranchées. Une partie du village d’Issy était aux soldats. Dans la nuit du 1er au 2, procédant toujours par surprises nocturnes, ils attaquèrent la gare de Clamart qui fut enlevée presque sans lutte et le château d’Issy qu’ils durent conquérir pied à pied. Le 2, au matin, le fort se retrouvait aussi compromis que l’avant-veille. Dans la journée, le bataillon des francs-tireurs de Paris les délogea à la baïonnette. Eudes vint déclarer à la Guerre qu’il ne resterait pas si l’on ne relevait Wetzel. Wetzel fut remplacé par La Cécilia ; Eudes laissa le commandement à son chef d’état-major et ne revint pas. Malgré cet abandon, Rossel le nomma commandant de la 2e réserve active.

Bientôt, il fut évident que sous Rossel, malgré ses boutades, tout continuerait comme sous Cluseret. Rossel demandait bien que les municipalités fussent chargées de rechercher les armes, de dresser l’état des chevaux, de poursuivre les réfractaires ; il n’indiquait aucune voie d’exécution. Il ordonnait la construction d’une seconde enceinte de barricades, de trois citadelles à Montmartre, au Trocadéro, au Panthéon qui pouvaient rendre Paris inaccessible ou intenable à l’ennemi, il n’y mettait pas la main. Il étendait le commandement de Wroblewski sur toutes les troupes et les forts de la rive gauche ; il le lui reprenait en partie trois jours après. Aux généraux, il ne donnait aucune instruction d’attaque ou de défense. Pas plus que son prédécesseur, il n’envoyait de rapports à la Commune. Pas plus que Cluseret, il ne savait indiquer à cette lutte sans précédent une tactique nouvelle, trouver un champ de bataille à ces soldats improvisés. La forte tête, qu’on supposait, n’était que d’un homme d’école, rêvant bataille rangée, soldat de manuel, original seulement d’attitude et de style. Toujours à se plaindre de l’indiscipline, du manque d’hommes et laissant couler le meilleur sang de Paris dans les luttes stériles du dehors, en défis héroïques comme Neuilly, Vanves, Issy.