Issy surtout. Ce n’était plus un fort, à peine une position forte, un fouillis de terre et de moellons fouetté par les obus. Les casemates défoncées laissaient voir la campagne ; les poudrières se découvraient ; la moitié du bastion 3 était dans le fossé ; on pouvait monter à la brèche en voiture. Une dizaine de pièces au plus répondaient à l’averse des soixante bouches à feu versaillaises ; la fusillade des tranchées ennemies, visant les embrasures, tuait presque tous les artilleurs. Le 3, les Versaillais renouvelèrent leur sommation, ils reçurent le mot de Cambronne. Le chef d’état-major laissé par Eudes avait filé. Le fort resta aux mains vaillantes de deux hommes de cœur, l’ingénieur Rist et Julien, commandant du 141e bataillon – XIe arrondissement. À eux et aux fédérés qu’ils surent retenir, revient l’honneur de cette défense extraordinaire. Voici quelques notes de leur journal :
« 4. – Nous recevons des balles explosibles qui éclatent avec un bruit de capsule. Les fourgons n’arrivent plus ; les vivres sont rares et les obus de 7, nos meilleures pièces, vont manquer. Les renforts promis tous les jours ne se montrent pas. – Deux chefs de bataillon ont été trouver Rossel. Il les a reçus très mal et leur a dit qu’il serait en droit de les fusiller pour avoir abandonné leur poste. Ils ont exposé notre situation. Rossel a répondu qu’un fort se défend à la baïonnette ; il a cité l’ouvrage de Carnot. Cependant il a promis des renforts. – Les francs-maçons viennent planter une bannière sur nos remparts. Les Versaillais l’abattent. – Nos ambulances sont combles ; la prison et le corridor qui y conduit sont bourrés de cadavres ; il y en a plus de trois cents. Un omnibus d’ambulance arrive dans la soirée. Nous y empilons le plus possible de nos blessés. Dans le trajet du fort au village d’Issy, les Versaillais le criblent de balles.
« 5. – Le feu de l’ennemi ne cesse pas une minute. Nos embrasures n’existent plus ; les pièces du front répondent toujours. – À deux heures, nous recevons dix fourgons d’obus de 7. – Rossel est venu. Il a regardé longuement les travaux versaillais. – Les Enfants perdus, qui servent les pièces du bastion 5, perdent beaucoup de monde ; ils restent solides à leur poste. Il y a maintenant, dans les cachots, des cadavres jusqu’à deux mètres de hauteur. – Toutes nos tranchées, criblées par l’artillerie, ont été évacuées. La tranchée des Versaillais est à 60 mètres de la contrescarpe. Ils avancent de plus en plus. Les précautions nécessaires sont prises en cas d’attaque cette nuit. Toutes les pièces des flancs sont chargées à mitraille. Nous avons deux mitrailleuses au-dessus des terre-pleins pour balayer à la fois le fossé et les glacis.
« 6. – La batterie de Fleury nous envoie régulièrement ses six coups toutes les cinq minutes. – On vient d’apporter à l’ambulance une cantinière qui a, reçu une balle dans le côté gauche de l’aine. Depuis quatre jours, il y a trois femmes qui vont au plus fort du feu relever les blessés. Celle-ci se meurt et nous recommande ses deux petits enfants. – Plus de vivres. Nous ne mangeons que du cheval. – Le soir, le rempart est intenable. »
Ce même jour, Ranvier annonce à la Commune une débandade à Vanves et on donne de très mauvais renseignements sur le fort d’Issy ; on se plaint que les pièces de rempart de Vaugirard et de Montrouge ne soulagent pas le fort. Parisel demande l’envoi de six pièces de 7 et l’ordre de mise en batterie des pièces de marine du bastion. On objecte que le Comité de salut public est seul qualifié pour donner des ordres militaires.
Le lendemain le journal du fort relatait :
« 7. – Nous recevons jusqu’à dix obus par minute. Les remparts sont totalement à découvert. Toutes les pièces, sauf deux ou trois, sont démontées. – Les travaux versaillais nous touchent presque. – Il y a trente cadavres de plus. – On vient de nous apprendre la mort de Wetzel ; les uns disent qu’il a reçu une balle dans le dos. – Nous sommes au moment d’être enveloppés… »