Le soir, on se réunit encore. La majorité mit au fauteuil Félix Pyat, rendu furieux par les attaques de l’après-midi. Il ouvrit la séance en demandant l’arrestation de Rossel. Groupant avec habileté des apparences qui parurent des preuves aux soupçonneux, il fit de Rossel le bouc émissaire des fautes du Comité, tourna contre le délégué l’indignation du Conseil. « Je vous avais bien dit, citoyens, que c’était un traître, mais vous n’avez pas voulu me croire. Vous êtes jeunes, vous n’avez pas su, comme nos maîtres de la Convention, vous défier du pouvoir militaire ». Cette évocation ravit les romantiques. Ils n’avaient qu’un rêve : paraître des conventionnels, tant cette Révolution de nouveaux était gangrenée d’imitations.
Il n’était pas besoin des fureurs de Pyat pour convaincre l’assemblée. L’acte de Rossel était coupable aux yeux des moins prévenus. Son arrestation fut décrétée à l’unanimité moins deux voix, et la commission de la Guerre reçut l’ordre de l’effectuer en tenant compte des circonstances.
On vint ensuite à la nomination du Comité. La minorité, un peu rassurée par la présence de Jourde aux Finances et l’attitude de Delescluze, résolut de voter cette fois et demanda sa place sur la liste. Excellente occasion pour effacer les dissidences, relier le faisceau contre les Versaillais. Mais les perfidies de Félix Pyat avaient amené les romantiques à considérer leurs collègues de la minorité comme de véritables réactionnaires. Après son discours, on avait suspendu la séance. Peu à peu, les membres de la minorité se trouvèrent seuls dans la salle. Ils découvrirent leurs collègues dans une pièce voisine, complotant une liste. Après de violentes paroles, ils les ramenèrent à l’assemblée.
Un membre de la minorité demanda qu’on en finît avec ces divisions indignes. Un romantique répondit en demandant l’arrestation de la « minorité factieuse », et le président Pyat entrouvrait sa poche à fiel, quand Malon : « Taisez-vous ! Vous êtes le mauvais génie de cette Révolution. Ne continuez pas à répandre vos soupçons venimeux, à attiser la discorde. C’est votre influence qui perd la Commune ! » Et Arnold, un des fondateurs du Comité Central : « Ce sont encore les gens de 48 qui perdront la Révolution ! »
Mais il était trop tard pour engager la lutte et la minorité allait expier son doctrinarisme et sa maladresse. La liste de la majorité passa tout entière : Ranvier, Arnaud, Gambon, Delescluze, Eudes.
L’assemblée se sépara à une heure du matin. « Les avons-nous assez roulés, et que dites-vous de la façon dont j’ai conduit l’affaire ? » disait à ses amis Félix Pyat. L’honnête président, tout occupé à « rouler » ses collègues, avait oublié la prise du fort d’Issy. Et ce même soir, vingt-six heures après l’évacuation, l’Hôtel de Ville faisait afficher à la porte des mairies : « Il est faux que le drapeau tricolore flotte sur le fort d’Issy. Les Versaillais ne l’occupent pas et ne l’occuperont pas ». Le démenti Pyat valait le démenti Trochu à propos de Bazaine.
Pendant les orages de l’Hôtel de Ville, le Comité Central faisait venir Rossel, lui reprochait l’affiche de l’après-midi et le nombre inusité d’exemplaires. Il se défendit aigrement : « C’était mon devoir. Plus grand est le danger, plus le peuple doit en être instruit. » Cependant, il n’avait rien fait de pareil pour la surprise du Moulin-Saquet. Après son départ, le Comité délibéra. Quelqu’un dit : « Nous sommes perdus s’il n’y a pas de dictature. » Cette idée travaillait depuis quelques jours certains membres du Comité. On vota qu’il y aurait un dictateur, que ce dictateur serait Rossel et une députation de cinq membres alla le chercher. Il descendit, réfléchit et finit par dire : « Il est trop tard. Je ne suis plus délégué. J’ai envoyé ma démission. » Quelques-uns s’emportèrent ; il les releva et sortit. Les membres de la commission de la Guerre : Delescluze, Tridon, Avrial, Johannard, Varlin, Arnold, l’attendaient dans son cabinet.
Delescluze exposa leur mission. Rossel dit que le décret d’arrestation était injuste, que cependant il s’y soumettait. Il peignit la situation militaire, les compétitions de tout genre qui l’avaient continuellement entravé, la faiblesse de la Commune. « Elle n’a su, dit-il, ni se servir du Comité Central ni le briser en temps opportun. Nos ressources sont très suffisantes et je suis prêt, quant à moi, à assumer toutes les responsabilités, mais à la condition d’être appuyé par un pouvoir fort, homogène. Je n’ai pu prendre, devant l’histoire, la responsabilité de certaines répressions nécessaires, sans l’assentiment et sans l’appui de la Commune. » Il parla longtemps, de cette parole nerveuse qui, deux fois, au Conseil, lui avait gagné ses adversaires les plus décidés. La commission, très frappée de ses raisons, se retira dans une salle voisine. Delescluze déclara qu’il ne pouvait se résoudre à arrêter Rossel avant que la Commune ne l’eût entendu. Ses collègues furent du même avis et laissèrent l’ex-délégué sous la garde d’Avrial et de Johannard.