Le 10, à l’avènement du nouveau Comité de salut public, la situation militaire de la Commune n’avait pas changé de Saint-Ouen à Neuilly où l’on se fusillait sur place ; elle devenait grave à partir de la Muette. La batterie de Montretout, celle de Meudon, le mont Valérien, couvraient Passy d’obus et entamaient profondément le rempart. Les tranchées des Versaillais couraient de Boulogne à la Seine. Leurs tirailleurs serraient le village d’Issy et occupaient les tranchées entre le fort et celui de Vanves qu’ils cherchaient à couper de Montrouge. L’incurie de la défense restait la même. Les remparts, depuis la Muette jusqu’à la porte de Vanves, étaient à peine armés ; les canonnières soutenaient presque seules le feu de Meudon, de Clamart, du Val-Fleury.
Le premier acte du nouveau Comité fut d’ordonner la démolition de la maison de M. Thiers, suggérée par Arthur Arnould. Cette étourderie valut au bombardeur un petit palais que l’Assemblée rurale lui vota le lendemain. Ensuite le Comité lança sa proclamation : « La trahison s’était glissée… »
Delescluze en fit une de son côté. Il se traînait, haletait, pouvait bien dire : « Si je ne consultais que mes forces, j’aurais décliné cette fonction. La situation est grave… mais quand j’envisage le sublime avenir qui s’ouvrira pour nos enfants, lors même qu’il ne nous serait pas donné de récolter ce que nous avons semé, je saluerais encore avec enthousiasme la révolution du 18 Mars. »
En entrant au ministère, il trouva le Comité Central élaborant aussi une proclamation : « Le Comité Central déclare qu’il a le devoir de ne pas laisser succomber cette révolution du 18 Mars qu’il a faite si belle… Il brisera impitoyablement toutes les résistances… Il entend mettre fin aux tiraillements, vaincre le mauvais vouloir, faire cesser les compétitions, l’ignorance et l’incapacité. » C’était parler plus haut que la Commune et se flatter hors de mesure.
La première nuit, il fallut réparer un désastre. Le fort de Vanves, sur lequel se concentraient tous les feux dirigés auparavant contre celui d’Issy, était devenu presque intenable et son commandant l’avait évacué. Wroblewski prit le commandement des mains de La Cécilia malade, et, dans la nuit du 10 au 11, accourut à la tête des 187e et 105e bataillons de cette 11e légion, qui, jusqu’au dernier jour, fournit indéfiniment à la défense. À quatre heures du matin, Wroblewski parut devant les glacis où se tenaient les Versaillais, les chargea à la baïonnette, les mit en fuite leur fit des prisonniers, et replaça le fort dans nos mains. Une fois de plus, les braves fédérés montrèrent ce qu’ils pouvaient quand ils étaient conduits.
Dans la journée, les Versaillais remplirent d’obus et de grenades au picrate de potasse le couvent des Oiseaux et le village d’Issy dont la grande rue ne fut plus que décombres. Pendant la nuit du 12 au 13, ils surprirent le lycée de Vanves ; le 15, ils attaquèrent le séminaire d’Issy. Depuis cinq jours, Brunel s’efforçait de mettre un peu d’ordre dans la défense de ce village. Rossel avait envoyé chercher ce brave membre de la Commune que la jalousie des coteries tenait dans l’éloignement, et lui avait dit : « La situation d’Issy est à peu près perdue, voulez-vous la prendre ? » Brunel se dévoua, releva des barricades, demanda de l’artillerie (il n’y avait que quatre pièces) et de nouveaux bataillons pour remplacer les 2 000 hommes qui tenaient là depuis quarante et un jours. On ne lui envoya que deux ou trois cents hommes. – C’est ce que le général Appert appelle la brigade Brunel forte de 7 882 hommes. – Brunel fortifia le séminaire où les fédérés, accablés d’obus, ne purent tenir, organisa une seconde ligne dans les dernières maisons du village et, le soir, il se rendit à la Guerre où Delescluze l’avait convoqué à un conseil de guerre.
Le premier tenu depuis le 3 avril. Dombrowski, Wroblewski, La Cécilia s’y trouvaient. Dombrowski, encore enthousiaste, parlait de lever cent mille hommes. Wroblewski, plus pratique, proposait de reporter contre les tranchées du sud l’effort inutilement dépensé à Neuilly. On parla beaucoup sans conclure. La séance était levée lorsque Brunel arriva ; il alla voir Delescluze à l’Hôtel de Ville et reprit le chemin d’Issy. À la porte de Versailles, il aperçut au-delà de l’enceinte ses bataillons qui, sourds à leurs chefs, avaient évacué le village et prétendaient rentrer. Brunel, ne voulant pas leur livrer passage, essaya de prendre par la porte de Vanves où on refusa de le laisser sortir. Il revint à la Guerre, exposa la situation, vit aussi le Comité Central, demanda des hommes, erra toute la nuit pour en trouver et, à quatre heures du matin, partit avec cent cinquante fédérés. Le village était aux mains des Versaillais. Les officiers d’Issy furent traduits devant la cour martiale. Brunel déposa et se plaignit vivement de l’incurie qui avait paralysé la défense. Pour toute réponse, on l’arrêta.
Il ne disait que trop vrai. Le désordre de la Guerre rendait la résistance chimérique. Delescluze n’avait apporté que son dévouement. D’un caractère faible, malgré son apparente raideur, il était à la merci de l’état-major, dirigé maintenant par Henry Prodhomme qui avait survécu à tous ses chefs. Le Comité Central, fort des divisions de la Commune, s’imposait partout, publiait des arrêtés, ordonnançait les dépenses sans le contrôle de la commission militaire. Les membres de la commission, hommes intelligents mais de la minorité, se plaignirent au Comité de salut public qui les remplaça par des romantiques. La dispute continua tout de même et si violente que le bruit d’une rupture entre l’Hôtel de Ville et le Comité Central se répandit dans les légions.
Les Versaillais cheminaient toujours. Dans la nuit du 13 au 14, le fort de Vanves, qui ne tirait plus que de rares bordées, s’éteignit encore et ne put se rallumer. La garnison, coupée de partout, se retira par les carrières de Montrouge. Les Versaillais occupèrent ce qui restait du fort. Il y eut encore ovation à Versailles.
Le 16, Paris n’avait plus un seul défenseur, depuis la rive gauche jusqu’au Petit-Vanves, où deux mille fédérés environ étaient campés sous le commandement de La Cecilia et de Lisbonne. Ils essayèrent sur le village d’Issy un retour qui fut repoussé. L’ennemi put continuer ses travaux d’approche et armer les deux bastions du fort d’Issy qui regardaient la ville. Leur feu, contrarié un instant par les remparts, conquit une supériorité marquée et s’ajouta aux batteries qui écrasaient le XVIe. Ce malheureux arrondissement était pris de front, de flanc, en enfilade, par près de cent bouches à feu. On voulut bien alors songer un peu à la défense intérieure. Delescluze étendit les pouvoirs des trois généraux jusqu’aux quartiers de la ville qui confinaient à leurs commandements, licencia le bataillon des barricadiers qui ne rendait pas de services, confia ses travaux au génie militaire. La plupart de ses arrêtés furent lettre morte ou se croisèrent avec d’autres. Quand le délégué offrait 3 fr. 50 aux terrassiers, le Comité de salut public, à la même colonne de l’Officiel, offrait 3 fr. 75.
Le Comité de salut public collaborait à la défense par un décret obligeant les Parisiens à se munir d’une carte civique dont tout garde national pourrait requérir l’exhibition, décret aussi inexécutable et aussi inexécuté que celui sur les réfractaires. L’Hôtel de Ville n’inspirait de terreur à personne. Derrière ces grosses voix on sentait l’impuissance. Des bataillons ayant cerné la Banque pour perquisitionner, le père Beslay s’était mis en travers et les terribles dictateurs du Comité avaient désavoué leur agent. Le public souriait. Un dernier coup et c’était fait de l’autorité de la Commune ; il vint de la minorité.