La dépêche de Dombrowski est parvenue à sept heures au Comité de salut public. Billioray, le seul de ses membres présent à la permanence, se rend aussitôt au Conseil. L’assemblée jugeait Cluseret et Vermorel avait la parole. L’ex-délégué, assis sur une chaise, écoutait l’orateur avec cette impudente nonchalance que les naïfs prenaient pour du talent. Billioray entre tout pâle et s’assied un instant. Comme Vermorel continue, il lui crie : « Concluez ! concluez ! j’ai à faire une communication de la plus grande importance et pour laquelle je demande le comité secret. »
Vermorel : « Je cède la parole au citoyen Billioray. »
Billioray lit un papier qui tremble légèrement dans sa main : Dombrowski à Guerre et Comité de salut public. Les Versaillais sont entrés par la porte de Saint-Cloud. Je prends des dispositions pour les repousser. Si vous pouvez m’envoyer des renforts, je réponds de tout ».
Un silence de stupeur ; puis les interrogations éclatent. « Des bataillons sont partis, répond Billioray ; le Comité de salut public veille. »
La discussion est reprise et, naturellement, écourtée. Le Conseil acquitte Cluseret. Le réquisitoire de Miot n’était fait que de ragots, négligeait les seuls faits incriminables, l’inertie de Cluseret pendant sa délégation et ses relations suspectes. Des groupes se forment. On commente la dépêche. La confiance de Dombrowski, l’assurance de Billioray, suffisent aux romantiques. On croit au général, à la solidité des remparts, à l’immortalité de la cause. Il n’y a rien de précis ; le Comité de salut public est responsable ; que chacun aille aux informations et se rende au besoin dans son arrondissement.
Tout se passe en causeries. Il n’y a ni motion, ni débat. Huit heures sonnent. Le président Jules Vallès lève la séance. La dernière séance du Conseil de la Commune ! Personne ne demande la permanence, personne ne somme ses collègues d’attendre les renseignements sur place, de mander le Comité de salut public. Personne pour dire que, dans ce moment d’incertitude critique, quand il faudra improviser sur l’heure un plan de défense, une grande résolution en cas de désastre, le poste des gardiens de Paris est au centre, à la Maison commune et non dans leurs arrondissements.
Ainsi sortit de l’Histoire et de l’Hôtel de Ville le Conseil de la Commune de 1871, au moment du danger suprême, quand les Versaillais pénétraient dans Paris.
Même anéantissement à la Guerre. Le Comité central s’était rendu auprès de Delescluze, qui avait paru très calme et dit, comme de plus modernes le croyaient, que la lutte des rues serait favorable à la Commune. Le commandant de la section du Point-du-Jour étant venu dire : « Il n’y a rien », le délégué avait accepté sans contrôle ses affirmations. Le chef d’état-major ne jugea même pas à propos d’aller faire une reconnaissance personnelle, et, vers huit heures, il fit afficher : « L’observatoire de l’Arc de Triomphe nie l’entrée des Versaillais, du moins il ne voit rien qui y ressemble. Le commandant Renaud, de la section, vient de quitter mon cabinet et affirme qu’il n’y a eu qu’une panique et que la porte d’Auteuil n’a pas été forcée ; que si quelques Versaillais se sont présentés, ils ont été repoussés. J’ai envoyé chercher onze bataillons de renfort, par autant d’officiers d’état-major, qui ne doivent les quitter qu’après les avoir conduits au poste qu’ils doivent occuper ».
À la même heure, M. Thiers télégraphiait à ses préfets : « La porte de Saint-Cloud vient de s’abattre sous le feu de nos canons. Le général Douay s’y est précipité. » Double mensonge, La porte de Saint-Cloud était grande ouverte depuis trois jours, sans que les Versaillais eussent osé la franchir ; le général Douay s’y était glissé, homme par homme, introduit par une trahison.
À la nuit, le ministère paraît ouvrir les yeux. Les officiers arrivent demander des ordres. L’état-major refuse de laisser sonner le tocsin, ou battre la générale, sous le prétexte qu’il ne faut pas alarmer la population. Des membres de la Commune, penchés sur un plan de Paris, étudient enfin ces points stratégiques qu’ils ont oubliés pendant six semaines ; le délégué s’enferme pour composer une proclamation.