Marche en avant des Versaillais

Dès les premières heures, ils ont commencé leur marche en avant. À cinq heures et demie, Douay, Clinchant et Ladmirault, longeant les remparts, débouchent sur l’avenue de la Grande-Armée. Les artilleurs de la porte Maillot se retournent et voient derrière eux les Versaillais, leurs voisins depuis tantôt dix heures. Nulle sentinelle ne les a dénoncés. Monteret fait filer ses hommes par les Ternes, charge un des canons de la porte Maillot, lâche son dernier coup à l’ennemi et s’échappe vers les Batignolles.

La colonne Douay remonte l’avenue jusqu’à la barricade en avant de l’Arc de Triomphe et l’occupe sans combat. Les fédérés ont à peine le temps d’emmener les canons qui devaient surmonter l’Arc de Triomphe. Les soldats remontent le quai et s’aventurent confiants sur la place de la Concorde silencieuse. Tout à coup, la terrasse des Tuileries s’éclaire. Les Versaillais, reçus à bout portant, perdent beaucoup de monde et s’enfuient jusqu’au Palais de l’Industrie.

À gauche, les soldats occupent l’Élysée abandonné et, par les rues Morny et Abbatucci, débouchent sur la place Saint-Augustin. Ses barricades à peine ébauchées ne peuvent se soutenir et, vers sept heures et demie, les Versaillais s’installent à la caserne de la Pépinière. Les fédérés établissent en arrière une seconde ligne fermant le boulevard Malesherbes à la hauteur de la rue Boissy-d’Anglas.

À la gauche de Douay, Clinchant et Ladmirault continuent leur mouvement le long des remparts. Les travaux importants des portes Bineau, de Courcelles, d’Asnières et de Clichy tournés contre les fortifications deviennent inutiles, et les Ternes sont occupés sans coup férir. En même temps, une des divisions Clinchant côtoie les remparts au dehors. Les fédérés de service à Neuilly, Levallois-Perret, Saint-Ouen sont assaillis de balles par derrière. C’est leur première nouvelle de l’entrée des Versaillais. Beaucoup de fédérés sont pris. D’autres parviennent à rentrer par les portes Bineau, d’Asnières et de Clichy, jetant dans le XVIIe la panique et les bruits de trahison.

Le rappel avait battu toute la nuit aux Batignolles et mis sur pied les sédentaires et les enfants. Un bataillon du génie s’élance à la rencontre des tirailleurs de Clinchant et fait le coup de feu en avant du parc Monceau et de la place Wagram ; les gardes nationaux, trompés par ses pantalons rouges, ouvrent sur lui un feu meurtrier. Il se replie et découvre le parc. Les Versaillais l’occupent et poussent vers les Batignolles. Là, les barricades les arrêtent : à gauche, depuis la place Clichy jusqu’à la rue Lévis ; au centre, rues Lebouteux, La Condamine, des Dames. À droite, on fortifie la Fourche, position rivale de celle de la place Clichy. Bientôt les Batignolles forment une avancée à Montmartre.

La principale forteresse se tait. Depuis dix-sept heures, elle assiste silencieuse à l’entrée des troupes de Versailles. Le matin, les colonnes de Douay et de Ladmirault, leur artillerie et leurs fourgons se sont rencontrés, emmêlés sur la place du Trocadéro ; quelques obus de Montmartre eussent changé cette confusion en déroute, et le moindre échec à l’entrée des troupes, c’était pour Versailles un second 18 Mars ; les canons des buttes sont restés muets.

Quatre-vingt-cinq canons, une vingtaine de mitrailleuses gisent là, sales, pêle-mêle. Personne, pendant ces huit semaines, n’a songé à les mettre en ligne. Les projectiles de 7 abondent, il n’y a pas de gargousses. Au Moulin de la Galette, trois pièces de 24 sont les seules munies d’affûts ; il n’y a ni parapets, ni blindages, ni plate-formes. À neuf heures du matin, elles n’ont pas encore tiré. Au premier coup, le recul enterra les affûts et il fallut beaucoup de temps pour les dégager. Ces trois pièces elles-mêmes n’ont que très peu de munitions. De fortifications, de travaux de terre nulle part. À peine si l’on commence quelques barricades au pied des boulevards extérieurs. À neuf heures, La Cécilia, envoyé à Montmartre, trouve la défense dans cet état honteux. Il adresse des dépêches à l’Hôtel de Ville, conjurant les membres de la Commune d’accourir ou tout au moins d’envoyer des renforts en hommes et en munitions.

De même rive gauche, à l’École militaire. En face du parc d’artillerie, les Versaillais, depuis une heure du matin, manœuvrent au Trocadéro. Pas un seul des canons de la Commune ne les a inquiétés.

Au lever du jour, la brigade Langourian s’avance sur les baraquements du Champ-de-Mars. Ils étaient à peu près vides, quoi qu’ait écrit Vinoy. Ils n’en sont pas moins incendiés par les obus du Trocadéro – le premier incendie des journées de Mai, et avoué par les Versaillais eux-mêmes. L’École militaire tombe entre leurs mains.

Le VIIe arrondissement se lève. On barricade le quai en face de la Légion d’honneur, les rues de Lille, de l’Université et le boulevard Saint-Germain à la hauteur de la rue Solférino. Rue du Bac, une douzaine de brassardiers, conduits par Durouchoux et Vrignault, descendent grand train ; le membre de la Commune Sicard et quelques fédérés les arrêtent devant le Petit-Saint-Thomas. Une balle renverse Durouchoux ; ses acolytes l’emportent et profitent de l’occasion pour disparaître. Les rues de Beaune, de Verneuil, des Saint-Pères, sont mises en état de défense, une barricade s’élève rue de Sèvres, à l’Abbaye-au-Bois.

À droite, les soldats de Cissey descendent sans obstacles la rue de Vaugirard jusqu’à l’avenue du Maine ; une autre colonne file le long du chemin de fer et atteint à six heures et demie la gare Montparnasse. Cette position capitale n’a pas été préparée. Une vingtaine d’hommes la défendent ; à court de cartouches, ils se replient sur la rue de Rennes, où, sous le feu des troupes, ils construisent une barricade à la hauteur de la rue du Vieux-Colombier. À son extrême droite, Cissey occupe la porte de Vanves et garnit la ligne du chemin de fer de l’Ouest.