Proclamations

Quelques hommes, à l’Hôtel de Ville, font de leur mieux pour parer aux besoins. D’abord il faut nourrir les combattants. Le Comité envoie chercher 500 000 francs à la Banque, qui s’empresse de les donner ; elle donnerait des millions. Un décret autorise les chefs de barricade à requérir les vivres et les outils nécessaires. Un autre condamne à l’incendie toute maison d’où l’on tirera sur les fédérés. Le Comité de salut public affiche dans l’après-midi un appel aux « soldats de l’armée de Versailles » :

« Le peuple de Paris ne croira jamais que vous puissiez diriger contre lui vos armes quand sa poitrine touchera les vôtres ; vos mains reculeraient devant un acte qui serait un véritable fratricide.

Comme nous, vous êtes prolétaires… Ce que vous avez fait au 18 mars vous le ferez encore… Venez à nous, frères, venez à nous, nos bras vous sont ouverts. »

De son côté, le Comité Central : « Nous sommes pères de famille… Vous serez un jour pères de famille. Si vous tirez sur le peuple aujourd’hui, vos fils vous maudiront, comme nous maudissons les soldats qui ont déchiré les entrailles du peuple en Juin 1848 et en Décembre 1851. Il y a deux mois, vos frères ont fraternisé avec le peuple : imitez-les. » Illusion puérile, mais bien généreuse. Là-dessus, le peuple de Paris pensait comme ses mandataires. Malgré les fureurs de l’Assemblée, les fusillades des blessés, les traitements infligés aux prisonniers depuis six semaines, les travailleurs ne voulaient pas admettre que des enfants du peuple pussent « déchirer les entrailles » de ce Paris qui combattait pour les affranchir.

À trois heures, Bonvalet et d’autres de la Ligue des droits de Paris se présentent à l’Hôtel de Ville où quelques membres de la Commune et du Comité de salut public les reçoivent. Ils gémissent de cette lutte, proposent de s’interposer comme ils l’ont fait si heureusement pendant le siège et de porter à M. Thiers l’expression de leur douleur. Du reste, ils se mettent à la disposition de l’Hôtel de Ville. « Eh bien ! leur dit-on, prenez un fusil et allez aux barricades ! » Devant cet argument direct, la Ligue se replie sur le Comité Central qui a la simplicité de l’écouter.

Il s’agit bien de négocier en pleine bataille ! Les Versaillais, poursuivant leur succès de Montmartre, poussent en ce moment vers le boulevard Ornano et la gare du Nord. À deux heures, les barricades de la chaussée Clignancourt sont abandonnées. Rue Myrrha, à côté de Vermorel, Dombrowski tombe mort. Le matin, Delescluze lui a dit de faire au mieux du côté de Montmartre. Sans espoir, sans soldats, suspecté depuis l’entrée des Versaillais, Dombrowski ne peut que mourir. Il expire deux heures après à l’hôpital Lariboisière. Son corps est porté à l’Hôtel de Ville ; les barricades qu’il franchit présentent les armes.

Clinchant, libre sur sa gauche, pointe dans le IXe arrondissement. Une colonne descend les rues Fontaine-Saint-Georges, Notre-Dame-de-Lorette et fait au carrefour une halte forcée. L’autre canonne le collège Rollin, avant de pénétrer dans la rue Trudaine où on la retiendra jusqu’au soir.

Plus au centre, au boulevard Haussmann, Douay serre de près la barricade des magasins du Printemps. Il déloge à coups de canon les fédérés de l’église de la Trinité, établit sous le porche cinq pièces contre la barricade très sérieuse qui ferme la chaussée-d’Antin, à l’entrée du boulevard. Un détachement s’engage dans les rues de Châteaudun et Lafayette. Au carrefour du faubourg Montmartre, une barricade haute d’un mètre, défendue par dix hommes, l’arrête jusqu’à la nuit.

La droite de Douay est toujours impuissante contre la rue Royale. Depuis deux jours, Brunel y soutient une lutte qui n’aura d’égale que celle de la Butte-aux-Cailles, de la Bastille et du Château-d’Eau. Le boulevard Malesherbes est labouré d’obus. La principale barricade qui coupe en écharpe la rue est dominée par les maisons de gauche d’où les Versaillais déciment les fédérés. Brunel, bien pénétré de l’importance du poste qu’on lui a confié, ordonne d’incendier les maisons meurtrières. Un fédéré qui lui obéit est frappé d’une balle dans l’œil et vient mourir auprès de son chef en disant : « Je paie de ma vie l’ordre que vous m’avez donné. Vive la Commune ! » Les maisons comprises entre le n° 13 et la rue du Faubourg Saint-Honoré sont saisies par les flammes. Là, les Versaillais s’arrêtèrent.

À gauche de Brunel, la terrasse des Tuileries, toujours vaillamment occupée depuis la veille, seconde sa résistance. Soixante pièces d’artillerie au quai d’Orsay, à Passy, au Champ-de-Mars, à la barrière de l’Étoile, font converger leurs feux sur cette terrasse et la barricade Saint-Florentin. Une douzaine de pièces fédérées tiennent tête à l’averse. La place de la Concorde, prise entre ces feux croisés, se jonche de débris de fontaines, de candélabres, de statuts. Lille est décapitée, Strasbourg grêlée de projectiles.

Rive gauche, les Versaillais cheminent de maison en maison. Les habitants du quartier les secondent et, derrière leurs jalousies, tirent sur les fédérés. Ceux-ci forcent et allument les maisons traîtresses. Les obus versaillais avaient commencé l’incendie ; le reste du quartier fut vite en flammes. Les troupes continuent de gagner du terrain, occupent le ministère de la Guerre, la direction du Télégraphe, arrivent à la caserne de Belle-chasse et rue de l’Université. Leurs obus démolissent les barricades du quai et de la rue du Bac. Le bataillon fédéré qui tient depuis deux jours à la Légion d’honneur n’a plus d’autre retraite que les quais. À cinq heures, il évacue cette chapelle après l’avoir incendiée.

À six heures, la barricade de la chaussée-d’Antin succombe. L’ennemi, s’avançant par les rues latérales, a occupé le nouvel Opéra entièrement dégarni. Du haut des toits, les fusiliers marins ont dominé la barricade. Au lieu de les imiter, d’occuper les maisons, les fédérés, là comme partout ailleurs, se sont obstinés derrière les pavés.

À huit heures, la barricade de la rue Neuve-des-Capucines, au débouché du boulevard, cède sous le feu des pièces de 4 établies rue Caumartin ; les Versaillais touchent à la place Vendôme, que tient encore le colonel Spinoy.