Exécution de 48 otages

Vers six heures, un groupe de gendarmes, ecclésiastiques, civils, arrive rue Haxo, encadré dans un détachement que le colonel Gois commande. Ils viennent de la Roquette et se sont arrêtés un moment à la mairie où Ranvier a refusé de les recevoir. On croit à des prisonniers récemment faits et ils défilent d’abord dans le silence. Bientôt le bruit se répand que ce sont des otages et qu’ils vont mourir. Ils sont trente-quatre gendarmes pris le 18 mars à Belleville et à Montmartre, dix jésuites, religieux, prêtres, quatre mouchards de l’Empire : Ruault, du complot de l’Opéra-Comique ; Largillière, condamné en Juin et au procès de la Renaissance ; Greffe, organisateur des enterrements civils, devenu l’auxiliaire du chef de la Sûreté Lagrange ; Dareste, son chef de brigade. Leurs dossiers ont été trouvés et publiés pendant le siège.

La foule grossit, apostrophe les otages et l’un d’eux est frappé. Le cortège pénètre dans la cité Vincennes dont les grilles se referment, et pousse les otages vers une sorte de tranchée creusée devant un mur. Un membre de la Commune, Serraillier, accourt : – « Que faites-vous ! il y a là une poudrière, vous allez nous faire sauter ! » Il espérait ainsi retarder l’exécution. Varlin, Louis Piat, d’autres avec eux, luttent, s’époumonnent, pour gagner du temps. On les repousse, on les menace, et la notoriété de Varlin suffit à peine à les sauver de la mort.

Les chassepots partent sans commandement ; les otages tombent. Un individu crie : Vive l’Empereur ! Il est fusillé avec les autres. Au dehors, on applaudit. Et cependant, depuis deux jours les soldats faits prisonniers depuis l’entrée des troupes traversaient Belleville sans soulever un murmure. Mais ces gendarmes, ces policiers, ces prêtres qui, vingt années durant, avaient piétiné Paris, représentaient l’Empire, la haute bourgeoisie, les massacreurs, sous leurs formes les plus haïes.

Le matin, on avait fusillé l’associé de Morny, Jecker. La Commune n’avait pas su le juger, la justice « immanente » le saisit. Genton, François, Boufflers et Clavier commissaire de police, vinrent le prendre à la prison de la Roquette. Il se résigna très vite, en aventurier qu’il était, méprisant sa vie comme celle des autres. Il sortit les mains libres au milieu du groupe, qui se dirigea vers le Père-Lachaise. Chemin faisant, Jecker parla de cette expédition du Mexique qui le tuait : « Ah ! je n’ai pas, dit-il, fait une bonne affaire ; ces gens-là m’ont volé » ; ce qu’il répétait depuis son arrestation. Arrivé au mur qui regarde Charonne, on lui dit : « Est-ce là ? – Si vous voulez ! » Il mourut tranquillement. On mit sur sa figure son chapeau et un papier à son nom.

Il n’y a pas de grands mouvements de troupes pendant cette journée. Les corps Douay et Clinchant bordent le boulevard Richard-Lenoir. La double barricade en arrière de Bataclan arrête l’invasion du boulevard Voltaire. Un général versaillais est tué dans la rue Saint-Sébastien. La place du Trône se défend encore par les barricades Philippe-Auguste. La Rotonde et le bassin de la Villette tiennent aussi. Vers la fin du jour, l’incendie gagne la partie des docks la plus rapprochée de la mairie.

Le soir, l’armée presse la résistance entre les fortifications et une ligne courbe qui, des abattoirs de la Villette, aboutit à la porte de Vincennes en passant par le canal Saint-Martin, le boulevard Richard-Lenoir et la rue du faubourg Saint-Antoine. Ladmirault et Vinoy aux deux extrémités, Douay et Clinchant au centre.

La nuit du vendredi est fiévreuse dans Ménilmontant et Belleville tourmentés par les obus. Les services qui subsistent ont quitté la cité Vincennes ensanglantée et Jourde a mis en lieu sûr le peu d’argent qui reste pour parer à la solde. Les fédérés vivent depuis quatre jours sur les cinq cent mille francs de la Banque, les résidus de caisse et quelques employés fidèles, comme un des octrois, qui vint à travers les balles porter sa recette du jour. Au détour de chaque rue, les sentinelles exigent le mot d’ordre (Bouchotte-Belleville) ; souvent il ne suffit pas. Il faut justifier d’une mission, et chaque chef de barricade se croit le droit de refuser le passage.

Les débris des bataillons arrivent en tumulte ; la plupart, ne trouvant plus d’asile, campent en plein air, sous les obus toujours salués d’un : « Vive la Commune ! »

Dans la grande rue de Belleville, des gardes nationaux portent des bières sur leurs fusils croisés. Quelques hommes précèdent avec des torches. Le tambour bat. Ces combattants qui enterrent leurs camarades, silencieux, apparaissent d’une grandeur touchante, étant eux-mêmes aux portes de la mort.

Pendant la nuit, les barricades de la rue d’Allemagne sont abandonnées. Mille hommes au plus ont combattu deux jours les vingt-cinq mille soldats de Ladmirault. Presque tous étaient des sédentaires.