Les lueurs du samedi matin découvrent un paysage livide. Le brouillard est pénétrant, visqueux ; la terre détrempée. Des bouquets de fumée blanche s’élèvent péniblement au-dessus de la pluie ; c’est la fusillade.
Dès l’aube, les barricades de la route stratégique, les portes de Montreuil et de Bagnolet sont occupées par les troupes qui, sans résistance, se répandent dans Charonne. Vers sept heures, elles s’établissent à la place du Trône dont les défenses ont été abandonnées. À l’entrée du boulevard Voltaire, les Versaillais mettent six pièces en batterie contre la barricade de la mairie du XIe où il y a deux pièces qui, de loin en loin, répondent. Certains du succès, les officiers veulent triompher avec fracas. Plus d’un obus s’égare dans la statue de Voltaire dont le rire sardonique semble rappeler à ses petits-neveux le beau tapage qu’il leur a promis .
À la Villette, les soldats font de tous côtés des pointes, longent les fortifications, attaquent les rues de Puebla et de Crimée. Leur gauche, encore engagée dans le haut du Xe, essaie d’enlever les rues de cet arrondissement qui aboutissent au boulevard de la Villette. Leurs batteries de la rue de Flandre, des remparts, de la Rotonde, joignent leurs feux à celui de Montmartre et accablent d’obus les buttes Chaumont.
La barricade de la rue de Puebla cède vers dix heures. Un marin resté seul, caché derrière les pavés, attend les Versaillais, décharge son revolver, et, la hache en main, bondit sur eux. L’ennemi se déploie dans les rues adjacentes jusqu’à la rue Meynadier que les tirailleurs fédérés tiennent solidement. À la place des Fêtes, deux pièces enfilent la rue de Crimée et protègent notre flanc droit.
À onze heures, neuf ou dix membres du Conseil se rencontrent rue Haxo. Jules Allix, plus timbré que jamais, arrive rayonnant. Tout va au mieux d’après lui ; les quartiers du centre sont démunis de troupes, il n’y a qu’à descendre en masse. D’autres s’imaginent qu’ils feront cesser les massacres en se rendant aux Prussiens qui les livreront à Versailles. Un ou deux disent l’espoir absurde, que les fédérés ne laisseront sortir personne ; on ne les écoute guère et Jules Vallès s’apprête à un manifeste. Arrive Ranvier qui cherche des hommes pour la défense des buttes Chaumont, « Allez donc vous battre, leur crie-t-il, au lieu de discuter ! » Cette parole d’un homme de bon sens renverse l’écritoire. Chacun tira de son côté ; la dernière rencontre de ces perpétuels délibérateurs.
Les Versaillais occupent le bastion 16. À midi, le bruit se répand que les troupes arrivent par les rues de Paris et les remparts. Une foule d’hommes et de femmes, chassés de leurs maisons par les obus, assiègent la porte de Romainville pour gagner la campagne. À une heure, le pont-levis s’abaisse pour six francs-maçons qui sont allés demander aux Prussiens de laisser passer les fédérés ; la foule se rue au dehors vers les premières maisons du village des Lilas, veut traverser la barricade prussienne élevée au milieu de la route. Le brigadier de gendarmerie de Romainville crie aux Prussiens : « Tirez, mais tirez donc sur cette canaille ! » Un soldat prussien fait feu et blesse une femme.
Vers quatre heures, un soi-disant colonel Parent, de ces êtres qui poussent sur les détritus des défaites et s’imposait par sa haute taille, se fait abaisser le pont-levis et va sans aucun mandat demander passage aux troupes prussiennes. L’étranger répondit qu’il remettrait les fédérés aux autorités versaillaises.
À ce moment, le membre de la Commune Arnold, qui croyait malgré tout à l’intervention américaine, alla aux avant-postes allemands porter une lettre pour l’ambassadeur Washburne, plus hostile que jamais à la cause de la Commune, étant l’ami de Darboy. Arnold fut reçu assez durement et renvoyé avec la promesse vague que son billet serait transmis.
Plusieurs bataillons versaillais, parvenus par la route stratégique à la rue de Crimée, sont arrêtés rue de Bellevue. De la place du Marché, trois canons unissent leur feu à celui de la place des Fêtes pour protéger les buttes Chaumont. Cinq artilleurs seulement servirent ces pièces toute la journée, n’ayant besoin ni d’ordre ni de chef. À quatre heures, les canons des buttes se taisent faute de munitions ; leurs servants vont rejoindre les tirailleurs des rues Meynadier, Fessart et des Annelets.
À cinq heures, Ferré amène rue Haxo les lignards de la caserne du Prince-Eugène, transférés depuis le mercredi à la petite Roquette qui vient d’être évacuée ainsi que la grande. La foule les regarde sans menace ; le peuple est sans haine pour le soldat, peuple comme lui. Ils sont casernés dans l’église de Belleville. Leur arrivée produit une diversion fatale. On accourt sur leur passage et la place des Fêtes se dégarnit. Les Versaillais surviennent, l’occupent, et les derniers défenseurs des buttes se replient sur le faubourg du Temple et la rue de Paris.
Pendant que leur front cède, les fédérés sont attaqués par derrière. Depuis quatre heures de l’après-midi, les Versaillais assiègent le Père-Lachaise qui renferme deux cents fédérés à peine, toujours sans discipline, sans prévoyance ; les officiers n’ont pu parvenir à faire créneler les murs. Les Versaillais abordent de tous les côtés à la fois cette enceinte redoutée et l’artillerie du bastion fouille l’intérieur. Les pièces de la Commune n’ont presque plus de munitions depuis l’après-midi. À six heures, les Versaillais n’osant, malgré leur nombre, tenter l’escalade, canonnent la grande porte du cimetière. Elle cède promptement malgré la barricade qui l’étaye. Abrités derrière les tombes, les fédérés disputent leur refuge. Il y a dans les caveaux des combats à l’arme blanche. Les hommes ennemis roulent et meurent dans les mêmes fosses. L’obscurité n’arrête pas le désespoir.